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Histoire du droit, des institutions et des idées politiques
Dignités et indignités XVIe – XXe
Par Catherine Lecomte
Publication en ligne le 13 mai 2019
Table des matières
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Texte intégral
Dignités et indignités
XVIe – XXe
1« On voit souvent dans la campagne, des animaux noirs, livides, farouches... gratter la terre et lorsqu’ils lèvent la tête....ce sont des hommes » écrit La Bruyère bouleversé par la misère avilissante de la paysannerie après un implacable hiver. Ce jugement n’est pas, dans l’esprit, si éloigné de l’indignation qui actuellement s’empare de ceux qui se battent dans des arènes différentes, afin que l’homme quel qu’il soit ne perde jamais sa dignité.
2La dignité : un concept magique mais flou, polysémique, incantatoire. Toute démarche qui tend à identifier, à travers l’histoire du droit et des droits, la mise en œuvre juridique de ce droit extrapatrimonial inhérent à la nature de l’homme, touche autant à la philosophie qu’à la politique, au droit privé qu’au droit public.
3Du célèbre « Traité des ordres et simples dignités »1à la dignité humaine élevée au rang de principe constitutionnel2 en 1994, des stoïciens aux Pères de l’Église, des thomistes à Domat, de Kant à Montesquieu3, de Rousseau à « Mourir dans la dignité », au fil des siècles y a-t-il eu une commune appréciation du sens de la dignité4, donc de l’indignité ?
4Hier, on frappait d’infamie, on bannissait, on déportait, la dérogeance atteignait le noble, aujourd’hui, on condamne à la dégradation des droits civiques et politiques. Hier, la torture, l’écartèlement, le pilori étaient admis et publics ; désormais, l’article 225 du Code pénal réprime les atteintes à la dignité de la personne et l’article 16 du Code Civil5 souligne le respect dû au corps humain. Dans ces domaines, encore et toujours l’expression de la dignité, et ainsi de l’indignité, apparaît ô combien différente et susceptible de connaître de véritables retournements.
5Reconnue tel un droit naturel et sacré, la dignité ne figure pourtant pas dans la Déclaration messianique des droits de l’homme de 17896 et n’est proclamée que dans le préambule de la Charte des Nations Unies le 26 juin 1945, puis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. René Cassin, auteur de l’avant-projet, l’a sans hésitation consacrée telle un droit fondamental et inaliénable de l’homme7.
6D’une approche philosophique, on en vient à une notion juridique. Alors que la dignité humaine est saisie par le droit, on ne peut que s’interroger sur un vide juridique de près de vingt siècles.
7En effet, dans l’Antiquité, l’homme possédait une dignité éminente. Or ce n’est que depuis les quarante dernières années du XXe siècle que la reconnaissance de ce droit est incorporée graduellement dans la législation8 et encore plus dans la jurisprudence.
8Cette longue mise entre parenthèses a sa source dans la place assignée à l’individu dans la société : la dignité est-elle consubstantielle d’une réflexion sur la nature de l’État ou est-elle avant tout une méditation sur l’essence de la nature humaine ?
9A l’époque médiévale, les auteurs qui centrent leurs propos sur la dignité humaine n’oublient ni Platon, ni Cicéron, citent souvent Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse9. L’étude de l’homme « vrai miracle du monde » est encore au cœur de l’humanisme en cours à la Renaissance. On reprend alors le thème du logos10, véritable essence de la dignité. Le propre de l’homme n’est pas d’occuper une position déterminée, fût-elle prestigieuse et de privilège : avec enthousiasme et conviction, on affirme que la majesté de l’homme est dans sa liberté et que sa dignité en est le corollaire indissociable.
10Cependant, dès la seconde moitié du XVIe siècle, les formulations deviennent plus nuancées. L’univers structuré des hiérarchies sociales influence les discours. Barthélémy de Chasseneuz11 pourtant pétri des idées de Pic de la Mirandole n’hésite pas à déclarer que les êtres sont fixés à une place immuable où les différentes dignités sont définies une fois pour toutes, sans flexibilité ni accommodement. La notion de dignité tend dès lors à coïncider avec celle de puissance ; elle acquiert une dimension temporelle, comme si ce droit naturel, naguère reconnu, était soumis à une éclipse jusqu’à être intégralement asphyxié.
11La conception de la dignité se confond alors avec celle de l’ordre social. Claude de Seyssel12, en précurseur, avait déjà proposé une classification des élites aux plus humbles à partir d’une hiérarchie des dignités. Un siècle plus tard, Charles Loyseau poursuivait en affirmant que les ordres ou estats sont tels des strates peuplées de familles distinguées par la vertu, la naissance et l’éducation, prédisposées à être investies de dignités.
12Puis, alors que l’État, déchiré par les guerres civiles, est au bord de l’abîme, que la couronne vacille13, le monarque, comme s’il sentait la nécessité absolue de rassurer, de raffermir le tissu social, promulgue édit sur édit pour rappeler, confirmer la hiérarchie des honneurs, donc des dignités14. La dignité est vraiment devenue consubstantielle de l’ordre étatique, le ciment qui agrège les unes aux autres toutes les parties de la société, du Roi au plus humble de ses sujets15. L’ordre des dignités est incontestablement l’assise et le ressort du gouvernement. L’individu n’a désormais d’existence sociale que par rapport au corps auquel il est lié et dans lequel il est absorbé. L’indignité dès lors s’apprécierait a contrario comme une privation d’honneurs et de privilèges, une exclusion du groupe.
13Mais point de dignités sans querelles intestines dans lesquelles les aristocraties s’épuisent tant qu’elles demeurent sourdes aux voix qui expriment la résurgence d’idées ancrées au fond des âmes. Les hommes des Lumières, nourris de droit naturel, déclarent que toute forme de dignité sociale s’efface devant l’exigence d’humanité. L’avènement de l’authenticité de l’individu marque la compétition entre l’être et le paraître, replace l’homme au sommet de l’échelle des êtres. Vient, dans la foulée, la proclamation de droits imprescriptibles et sacrés. Et La Fayette, dès juillet 1789, d’exprimer à l’Assemblée Constituante sa certitude que « tout homme naît avec le soin de son honneur ». Le 26 août 1789, la liberté et l’égalité – déclinées en 17 articles – sont gravées dans l’airain. Il y a là un envoûtant parfum de dignité mais le mot est tu. Pourtant, les constituants ont bien composé un hymne à la souveraineté de l’homme. Cependant, pour que ces droits fondamentaux affirmés solennellement soient reconnus, ils doivent être garantis et protégés par des droits positifs. Les réformes pénales de 1791 marquent un premier pas ; les Déclarations de l’an I, avec l’évident souci de sauvegarde de la dignité humaine, même si le terme n’est toujours pas prononcé, consacrent le droit aux secours publics, aux subsistances, au travail, dette sacrée de la nation16. Hélas, tout est vœu, la codification napoléonienne, la révolution industrielle, la jurisprudence et la doctrine juridique enfouiront la notion de dignité humaine. Que survivra-t-il donc de l’indignité, si ce n’est sous la plume d’écrivains engagés, ou sous une acceptation politique ?
I. Des rangs et vanités à la résurrection de la dignité humaine
La dignité au cœur du système de gouvernement
14Le second ordre, la noblesse est la sanior pars, une élite détentrice d’une dignité qui confère des aptitudes particulières à exercer des missions réservées. Et même si aux XVIIe et XVIIIe siècles, elle n’a plus toujours les moyens de peser sur des décisions de grande ampleur, elle conserve la faculté d’empêcher, qu’elle saura habilement et perfidement mettre en oeuvre dès qu’elle se sentira menacée.
15Les princes du sang, par la plus pure et la plus haute de toutes les généalogies, descendant de mâle en mâle par légitime mariage d’un roi de France, sont ainsi aptes en cas d’extinction de la dynastie régnante à accéder à la couronne. Les ducs et pairs ont pris part à l’élection des premiers rois, ont proclamé le régent, ont fixé l’âge de la majorité royale, acclament le monarque lors du sacre, sont laterales regis17. Leurs droits reposent sur le fief, souvent de dignité, pour lequel ils ont prêté hommage. Leur dignité de naissance leur assigne une place privilégiée dans le service de l’État ; ils sont naturellement voués au commandement et à la protection du royaume. C’est aux familles de haut lignage que sont destinés les gouvernements des provinces18.
16Ces dignitaires sont jaloux de leurs droits, prérogatives, franchises et libertés qui se déclinent en privilèges honorifiques, fiscaux et juridiques. Ainsi en droit nobiliaire, ils ne sont au civil justiciables que des bailliages et au pénal des seuls parlements ; de surcroît « en crimes qui méritent mort, le vilain sera pendu, le noble décapité »19. Dès le XIVe siècle, Jacques d’Ableiges avait soutenu que la qualité de noble constituait une circonstance aggravante car l’exemple qui devait être donné exigeait une peine plus lourde. Plus tard, Tiraqueau20 contre-attaquait en écrivant que la dignité de naissance impliquait naturellement une atténuation de la peine ! De telles prises de position doivent être confrontées aux bréviaires qui traçaient le portrait du noble idéal21.
17Cependant, en parallèle, la noblesse se transforme avec la dynamique qui modèle l’État moderne. La dignité de naissance se heurte à la dignité de fonction. A l’âge des supériorités – nées allait succéder celui des privilèges équipollents22.
18Les administrateurs royaux étendent leur emprise, se multiplient en nombre et en puissance. Leurs fonctions sont sources d’honneurs, d’immunités, de rivalités car « l’office » qu’ils ont acquis est « dignité ordinaire avec fonction publique ». La vie de l’officier s’ouvre par un serment public prêté à Dieu de servir loyalement le Roi, serment qui cristallise la fidélité au monarque dont dépend l’office23. L’analogie avec le serment de fidélité du vassal envers son seigneur s’impose. Charles Loyseau insiste d’ailleurs sur l’identité du traitement de l’office et du fief. Le marc d’or24 est de surcroît une redevance d’honneur qui redouble le serment et les tarifs restituent et révèlent les divers degrés de dignité et encore plus les valeurs d’intégration susceptibles de faire des officiers un groupe apte à se greffer sur celui de la noblesse ou du moins à se situer à parité. Les officiers dignitaires de fonction juxtaposent une stratification de commandements légaux à l’ancienne échelle des dignités du sang, orgueil des nobles d’ancienne et immémoriale extraction. Parmi ces officiers, nombreux sont ceux qui viennent étoffer les rangs d’une noblesse de dignité : une noblesse dative se place aux côtés ou en rivale d’une noblesse native. Néanmoins, et on sait leur rappeler avec violence si il le faut, l’office comporte seulement l’exercice d’une puissance publique alors que la seigneurie en implique la propriété. L’officier prendra sa revanche avec la vénalité et la patrimonialité. L’office avait déjà acquis un indéniable caractère aristocratique par les exemptions fiscales et les privilèges qui y étaient attachés. Avec la transmission héréditaire, certaines familles vont soutenir sans relâche leur vocation à servir le Prince, attestant posséder tous les mérites et toute la dignité pour accomplir le service de l’office. Thierrat, en 1606, n’a aucun scrupule à publier un ouvrage au titre un peu provocateur Trois traictez [ ] second traicté, de la noblesse civile ; Premier traicté, de la noblesse de race. Est-ce à dire que la dignité de la personne se mesure tant eu égard à sa proximité du pouvoir qu’à l’aulne du service public qu’elle accomplit...
19Si la dignité sociale a rang de valeur fondamentale, les préséances ne peuvent décidément plus être qu’affaires d’ambitieux. Pourtant, une préséance de droit est attachée aux fonctions, une autre d’honneur à l’âge et à la qualité. Il revient à Claude de l’Aubespine, secrétaire d’État, d’avoir chargé Du Tillet d’éclaircir le rang et l’ordre des grands et des nobles dans les assemblées25. En 1579 déjà, Charles Figon matérialisait le classement des offices dans un arbre de commandement qui prend racine dans la souveraine majesté royale26.
20Ces ouvrages attestent de l’âpreté du débat relatif à la hiérarchie des rangs entre toutes sortes de qualités, hiérarchie marquée par des attributs symboliques. Ainsi, Henri III détermine le cercle des élus admis à la « parure de perle » qui miroite dans le premier éclat de sa majesté aux rayons de son bienfait. Plus tard, Sully avec « l’état des taxes des voyages »27 précise minutieusement les quarante dignités avec mention de leur place dans la hiérarchie sociale et administrative de son temps.
21Ces préséances et attributs participent à la liturgie monarchique dont le Roi est le principe organisateur et c’est bien par le rituel des cérémonies que la France propage son droit public28, le lit de justice en constituant la plus parfaite illustration29. Progressivement le discours sur l’hérédité par le sang des privilèges nobiliaires accompagne le discours sur l’hérédité par le mérite des fonctions sociales. La vieille société d’ordres est ébranlée. Le conflit entre dignité de naissance et dignité de fonction s’exacerbe, les rouages de l’état se bloquent.
22Arrogance et frustration des élites conduisent la monarchie à la ruine. On s’interroge alors sur la place dévolue aux talents et on en vient à proclamer le 26 août 1789 que les « citoyens sont tous admissibles aux dignités »30 puisque libres et égaux en droits.
Résurrection de la dignité de la personne
23L’homme est dorénavant au centre de la société. Sa dignité est l’indissociable compagnon de sa liberté, de sa sûreté. Néanmoins, même dans la foulée des principes de 178931, les civilistes du XIXe siècle ne s’intéressent à la personne juridique qu’en tant que sujet ou objet de droits tels que la filiation, les successions, les contrats... Son éminente dignité d’homme demeure juridiquement indéterminée32, elle est seulement source de réflexion politique limitée à de rares débats à l’instar de celui orchestré par Victor Schoelcher pour abolir l’esclavage « attentat à la dignité de la personne humaine »33.
24C’est l’honneur qui dorénavant monopolise l’attention.
25L’honneur ? une dignité d’attitude consubstantielle à l’appartenance à un corps ou à l’essence même de la nature humaine ? Depuis plusieurs siècles, la vie du droit témoigne de nombreux manquements à un comportement, à une ligne de conduite sanctionnés par des dispositions disciplinaires. Ce fut l’honneur du chevalier, ce fut Bossuet qui voyait l’honneur dans l’autorité que confèrent les charges, ce fut Montesquieu qui fit de l’honneur le ressort du gouvernement monarchique. C’est aussi le chancelier Daguesseau qui sans répit, de mercuriale en mercuriale, exalte la grandeur d’âme du magistrat dont l’habit de couleur pourpre est le signe tangible de sa proximité du pouvoir royal ; il n’eut de cesse de rappeler aux juges que la loyauté, la modération, la bienséance, la vertu en sont les éléments constitutifs. Et, encore au XIXe de magnifiques discours de rentrées judiciaires stigmatisent toujours ces qualités qui font la force et la réputation de la magistrature34. Le serment prêté au XXe siècle s’inscrit dans la ligne de ces principes, tout comme celui de l’avocat qui s’engage à « exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance, humanité dans le respect des tribunaux, des autorités publiques et des règles de l’Ordre »35.
26De l’honneur du corps, on en viendrait en toute logique à magnifier celui de l’individu mais dans les projets de déclarations des droits de l’homme, seul Target36 place l’honneur à équipollence de la liberté et de l’égalité « tous les hommes ont droit à l’honneur ». C’est avec l’apparition du romantisme qu’il reviendra, entre autres, à Alfred de Vigny d’exprimer merveilleusement que l’honneur est la forme parfaite de la dignité personnelle. La notion morale l’emporte toujours sur le concept juridique. Sous la IIIe République, le sens de l’honneur migre, on célèbre les vertus des héros, on édifie un code de l’honneur républicain, héritier des traditions de la chevalerie et de la noblesse interprétées et appropriées.
27Il convient néanmoins de souligner que assez tôt, on déclare que la dignité de l’homme appelle une panoplie de devoirs sociaux déjà esquissés dans les déclarations des droits de l’homme de 179337. On acquiert progressivement la conviction de la nécessité d’améliorer la condition de l’homme, afin qu’il ait les moyens de vivre dignement. Ce sont alors des dispositions, règlements et lois qui proclament et garantissent le droit au logement38, le droit aux secours39, le droit au travail40. Il s’agit de la reconnaissance de droits considérés comme fondamentaux, inhérents à la dignité mais qui peuvent être appréciés comme parfaitement contradictoires d’une vision juridique individualiste. En 1920, encore, Charles Gide dans son traité Les institutions de progrès social écrit que la dignité de l’homme passe tout à la fois par un salaire convenable et par un habitat décent. La diversité des mesures législatives, la multiplicité des droits protecteurs de cette dignité humaine attestent bien qu’il s’agit d’un concept polymorphe aussi difficile à systématiser que toute pensée qui s’appuie sur un sujet à portée mythique.
28La dignité demeure toujours étrangère au droit. Juridiciser cette notion commande à ceux qui veulent lui donner la totale plénitude de son sens, un retour aux origines du concept. Or, la dignité humaine étant étroitement liée à une vision du monde, afin qu’elle soit à nouveau un sujet de discussion féconde, il faut que l’engouement pour les philosophes des Lumières cède le pas afin que renaissent des discours fondés sur la tradition chrétienne et la pensée kantienne selon laquelle l’humanité est en soi une dignité41. La dignité est lumineuse car de nature divine et ce qui fait un homme est cette noblesse qui constitue la dignité immanente à sa nature. Les scolastiques avaient démontré que la personne se distingue par la propriété qui la définit42, que la dignité s’apprécie comme une conquête, telle la marque de celui qui répugne à l’oisiveté, qui est pénétré d’ardeur et d’enthousiasme43. A l’extrême limite, on pourrait audacieusement considérer que le vote-fonction, tout comme la formule chère à Guizot « enrichissez-vous », seraient des formes d’interprétation et de reconnaissance d’une expression de la dignité à laquelle seul un nombre limité d’individus peut parvenir. Ce serait, néanmoins, une fois de plus, assimiler davantage la dignité à une place acquise dans la société qu’à l’essence de la personne humaine. C’est toujours le vide juridique, sans doute aussi car la dignité se réfère à l’indivisibilité de la personne, corps et esprit.
29Ni les civilistes, ni les pénalistes ne semblent avoir été tourmentés par cette question au point d’inciter à légiférer. En revanche, la littérature a été un aiguillon : des portraits, des situations magnifiquement et cruellement mis en scène attestent d’une réelle prise de conscience ; inversement quelques auteurs louent avec force des comportements qui scellent la dignité de ceux qui en sont les acteurs. Ainsi, en 1841, lors du débat parlementaire précédant le vote de la loi protectrice du travail des enfants, Rossi, Gérando, Rémusat ont décrié la « dégradation physique » des êtres chétifs mais n’ont pas prononcé le terme de dignité bien qu’il ait constamment été « sous-jacent » dans les discussions.
30C’est un long silence !... De temps en temps brisé par des mesures ponctuelles, indirectes. Un long silence brisé par le drame des années 1939-1945 et rompu par Jacques Maritain qui s’empare de la pensée thomiste pour proclamer que la vocation de la personne n’est que le reflet d’une vocation historique de l’humanité44. Débute alors une lente genèse pour incorporer enfin ce droit naturel dans le droit positif.
31En 1948, on se souvient que l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît solennellement que « tous les hommes naissent libres et égaux en dignité »45 : le concept de dignité humaine doit être reconnu dans l’ordre juridique interne. La dignité humaine se place aussitôt au sommet des hiérarchies normatives. L’avant-projet de la Constitution de 1946 témoigne de la détermination de cristalliser le principe en droit. Le juge et le législateur rivalisent pour multiplier les références à la dignité humaine qui est érigée en prisme de la protection de l’intégrité physique. Toutefois, aucune mesure rigoureuse et légale n’est encore adoptée : le concept demeure ambigu bien que l’indisponibilité de la dignité soit devenue patente. Le droit semble lentement se réorienter sous la pression conjuguée de la montée de l’individualisme et des atteintes à ce qui est apprécié comme la dignité. Les défis auxquels la société est confrontée font émerger des propositions de juridicisation de la notion. La consécration législative tend toutefois à s’accélérer depuis 1994, car il est attesté que le droit forme le plus solide rempart contre un libéralisme qui pourrait aboutir au scientisme conduisant les lois des marchés46 et les caprices à l’emporter dans ce domaine. C’est le sens des réformes constantes du Code Civil et de la loi du 28 juillet 1998 qui invoque « l’égale dignité de tous les êtres humains ».
32Si la dignité est source de droits, elle est support de devoirs et par un détour, on retrouve la pensée de Pic de la Mirandole pour lequel l’homme tire sa dignité de son infinitude. Elle est ainsi la mise en oeuvre législative d’une servitude d’humanité pesant sur chaque être humain47 et qui tend à brider rigoureusement la volonté contractuelle des sujets de droit. Aucun contrat ne saurait être négocié si il devait entraîner un avilissement de la personne dont l’indisponibilité prohibe de facto et de juro toute forme consentie d’asservissement. C’est bien le sens des arrêts du Conseil d’État, commune de Morsang-sur-Orge et ville d’Aix en Provence48. Le respect de la dignité humaine devient ainsi une composante de la morale publique, de l’ordre public, un facteur de paix sociale et devrait assurer plus de continuité dans l’élaboration des règles de droit que la notion contingente d’outrage aux bonne mœurs. C’est bien aussi la signification de la sauvegarde de la personnalité avec la protection de la vie privée, de la propriété de l’image, du nom, des oeuvres intellectuelles et artistiques49 et du corps d’autant que la maladie peut anéantir la dignité humaine. Or, les rédacteurs du Code civil sous le terme de personne n’avaient pas retenu l’être de chair, et, d’autre part les empiétements réitérés sur la liberté demandent à être bridés. C’est sans doute ce qui fait hésiter le législateur à admettre sans réserve le droit de mourir dans la dignité50
33Toute violation de cette dignité est naturellement un outrage indigne.
II. Des indignités personnelles aux indignités pour atteinte à la souveraineté
34Quelle définition retenir ? Celle des jurisconsultes de l’Ancien Régime et du XIXe siècle, c’est-à-dire la déchéance, l’indignité à succéder ?51 celle des moralistes, une action odieuse ? Le juriste demeure frustré, dépourvu de définition qui couvre le vaste champ des indignités.
Des indignités par reniement de son état
35Offenser, insulter, injurier, réparer des ans l’irréparable outrage, faire outrage à la mémoire, aux bonnes mœurs ? Y a-t-il atteinte à la dignité de la personne ? A sa dignité conjuguée au sens moral, certainement. L’indignité peut aussi demeurer une clause de style, un jugement de valeur porté sur les attitudes d’un individu dont la conduite a révolté par son caractère scandaleux. On est encore bien éloigné d’une acceptation juridique, il n’existe, ici, aucune action disciplinaire ou pénale sanctionnée par une règle de droit.
36La démarche qui s’impose, dès lors, est de repérer chez les auteurs, criminalistes, des peines qui, par leur nature et leur gravité, portent atteinte à l’intégrité du statut et des droits de la personne. Quelques exemples peuvent servir de jalons.
37- L’infamie – Dès l’Antiquité romaine, elle frappait notamment le failli en l’écartant de la vie de la cité, en le privant d’accéder aux fonctions publiques. Dans l’ancien droit royal, la faillite s’accompagnait de déchéances civiques, d’incapacités civiles et commerciales. L’infamie qui atteignait le failli constituait une grave atteinte à son honorabilité, le plaçait en dehors de la vie sociale et ne prenait, dans le meilleur des cas, fin qu’avec des lettres de réhabilitation accordées par le monarque. Selon Jousse, cette peine atteint l’honneur irrémédiablement. Ferrière, quant à lui, distingue l’infamie de fait de celle de droit. La première qui frappe, eu égard à leurs métiers, les comédiens, les bateleurs, signifie une perte d’estime auprès des gens d’honneur mais surtout l’incapacité à se rendre acquéreur d’un office car la nécessaire « information de vie et mœurs » révèle l’action infamante, indigne. La seconde est prononcée par la loi ou le juge ; elle est concomitante d’une condamnation criminelle, interdit tout accès à une charge municipale ou de judicature ; c’est une note flétrissante, signe de l’indignité qui n’est relevée que par la grâce du Prince.
38Ainsi, condamné à une peine infamante, le noble perdait ses privilèges par déchéance tandis que le gentilhomme qui se livrait à des activités ignobles, viles altérant la pureté de sa noblesse n’était frappé que de dérogeance et pouvait être rétabli dans ses prérogatives par des lettres de relief ou de réhabilitation dès lors qu’il reprenait son genre de vie.
39Il convient néanmoins de souligner qu’en 1791, l’Assemblée Législative déclare encore que lorsqu’une personne est coupable d’une action infâme, la loi et le tribunal la privent de sa qualité de citoyen : c’est la dégradation civique et politique, c’est l’interdiction de voter ou d’étudier, d’être juré, expert, témoin, de servir dans l’armée. Seules la réhabilitation ou l’amnistie laveront de cette honte.
40- Le bâtard, dès la fin du XVIe siècle, est exclu de tout droit à hériter puisque né en illégitime mariage et si de surcroît il est né des amours tumultueuses du Roi, il est indigne de succéder à la Couronne. Le duc du Maine, le comte de Toulouse en sont les témoins les plus spectaculaires, tout comme la non acceptation de l’édit de Marly.
41- Le magistrat indigne était rejeté de son corps par la procédure d’exauctoration organisée dès le XVe siècle. Les corps judiciaires ont eux-mêmes édifié des règles de police interne, le chancelier assume un rôle de censeur52 . En 1772, Miromesnil publie ses lettres sur l’état de la magistrature puis ce qui devait constituer en 1774 un règlement de discipline. Et tandis que réformes et statuts se succèdent après 1790, Troplong en 1844 réaffirme que la poursuite disciplinaire s’étend aux actions de toutes natures qui ont blessé l’honneur et inclue les fautes privées qui, par leur indignité, touchent l’autorité et le prestige de ces fonctions. On s’achemine, sans encombre, vers la loi du 30 août 1883 qui définit implicitement l’obligation de réserve et organise des sanctions pour manquement à l’honneur et à la dignité du corps, législation inspirée assurément par la jurisprudence et par un arrêt de la Cour de Cassation du 24 mars 1870 qui frappait le Président Devienne « pour avoir gravement compromis sa dignité de magistrat dans une négociation de caractère scandaleux ». Encore et toujours, le premier devoir du magistrat est de préserver la dignité du corps en évitant notamment toute relation dans la cité qui affecterait son indépendance. Et on peut évoquer le droit qu’avaient dans l’armée les officiers supérieurs de ne pas consentir au mariage de leurs subordonnés si les conditions en étaient jugées indignes.
42L’inventaire pourrait fastidieusement se poursuivre et serait sans grand intérêt puisqu’il est patent que ces peines ont toutes en commun une finalité et une fonction sociale : écarter, isoler l’indigne.
43Néanmoins, le bannissement peut s’apprécier comme un châtiment « charnière ». Il a , en effet, tout à la fois la nature d’une sanction judiciaire à caractère personnel accompagnée de la mort civile53 pour faute privée, et, le poids d’une peine politique qui atteint celui qui a gravement offensé le Prince. Le banni réputé dangereux est exclu de la communauté et du territoire. Il pourrait se rapprocher de l’exil, mesure arbitraire destinée à éloigner des adversaires politiques54, relégation mais non exclusion.
Des indignités pour atteinte à la souveraineté
44C’est à Clisthène, en 510 avant notre ère, qu’il convient d’attribuer la paternité de l’ostracisme en matière politique. Sylla imagine la proscription et la confiscation des biens. L’ancien droit a été impitoyable pour le crime de lèse-majesté, les conventionnels ont imaginé les factieux, les suspects, l’ordonnance du 26 août 1944 a institué l’indignité nationale.
45Quelques jalons qui attestent de la rigueur permanente avec laquelle le pouvoir condamne à l’indignité celui qui a troublé gravement l’ordre public.
46Les conjurations et conspirations, les levées privées d’impôts et de troupes, les crimes commis contre l’État et la religion, l’offense manifeste au monarque et à ses droits souverains tombent sous le coup des peines attachées au crime de lèse-majesté, « le plus affreux qui se puisse commettre » et dont les auteurs et leurs familles en sont punis par un bannissement à perpétuité55.
47On se souvient, à titre d’exemple, que le grand argentier Jacques Cœur fut privé de tous ses offices royaux et publics, que ses biens furent confisqués et qu’il mourut en exil à Rhodes. On sait aussi quel fut le sort de Nicolas Fouquet, l’écureuil abattu par Colbert la couleuvre et accusé de péculat56. Là le bannissement, par la grâce du Roi, se transformera en un emprisonnement perpétuel, la confiscation de ses biens et l’extension des peines à sa famille.
48En 1793, l’émigration est érigée en crime dont la sanction est la mort civile57 et le bannissement apprécié ici telle une peine politique réservée à tous ceux qui ont agi contre la Nation et la Patrie. Treilhard établira cinq chefs d’accusation, notamment l’échange de courrier avec l’étranger, la critique du gouvernement par les ministres du culte. La liste sera élargie à tel point qu’elle deviendra une liste de proscription comprenant les rebelles vendéens, ceux qui, à Toulon, se sont dressés contre la République, les prêtres déportés... Après le 18 brumaire, le Premier Consul réduira la liste des émigrés – proscrits.
49Et sans rupture, quelque soit le régime constitutionnel, l’opposant jugé redoutable est banni. Qu’on en juge : la loi du 12 janvier 181658 interdit aux « Buonaparte » séjour et résidence sur le sol français, celle du 10 avril 1832 frappe Charles X et sa famille ; le 26 mai 1848, Louis-Philippe à son tour est banni. Enfin, le 22 juin 1886, bien qu’en contradiction avec la Déclaration des droits de l’homme dont ils se réclament, les députés votent la loi qui expulse du pays les héritiers directs, en ligne de primogéniture, d’une famille ayant régné sur la France.
50C’est sous la Restauration, en 1819, qu’est prononcé pour la première fois le terme d’indignité pour cause politique lorsque les royalistes veulent exclure l’Abbé Grégoire et réclament avec véhémence par la voix de la Bourdonnaye qu’il soit chassé « comme indigne et régicide »59. Puis en février 1823, c’est un nouvel orage à la Chambre au nom de l’indignité : le député Manuel doit être dépouillé du manteau de l’inviolabilité car il est déclaré indigne pour avoir voté la mort du Roi et, par conséquent, son exclusion est exigée60.
51Avec audace mais réalisme, on peut rapprocher les 9000 condamnations politiques de 1815 et les proscriptions de Napoléon III de la notion d’indignité politique61 ? Le débat n’est pas clos, ce sont de dangereux opposants au Prince, le bannissement est judiciaire, sa légitimité ne saurait être mise en doute. Ces indignités ont le plus souvent été prononcées par des tribunaux d’exception.
52Enfin, c’est l’ordonnance contestée du 26 août 1944 qui institua l’indignité nationale pour activité anti-nationale ne relevant pas d’une qualification pénale précise. Ce texte implicitement exprimait l’idée selon laquelle ceux qui étaient déclarés d’indignité nationale avaient rompu le pacte qui les liait à la souveraineté nationale. Le citoyen frappé de cette indignité est atteint d’une peine infamante qui lui fait perdre son droit de vote, qui l’exclut de toute fonction publique et administrative ; il est incapable d’être juré ou expert, avocat, avoué ou notaire ; il est interdit de toute participation à la vie d’un syndicat, il ne peut s’occuper d’affaires de presse, ses biens sont confisqués. C’est ainsi que parmi d’autres, P.E. Flandin fut condamné à l’indignité nationale à vie, que le secrétaire d’État de Brinon eut ses biens confisqués et qu’on prononça à son encontre la dégradation nationale à vie comme ce fut la situation d’Abrial pour atteintes à la sûreté de l’État... Bien d’autres, écrivains, Louis-Ferdinand Céline, journalistes, personnalités politiques ont été frappés d’indignité nationale. La société a eu, à leur égard, un regard de curiosité tel qu’ils ont vécu longtemps à l’écart, en marge. Il fallut attendre la loi d’amnistie du 5 janvier 1951 pour que officiellement disparaissent ces « indignités ».
53La juridicisation de l’indignité dans l’exercice d’une fonction et vis-à-vis de l’État a des contours relativement définis mais qui peuvent néanmoins fluctuer au gré des idéologies.
54En revanche celle de l’atteinte à la dignité de la personne humaine demeure encore à construire.
55Doctrine, jurisprudence, et textes législatifs tentent de constituer un corpus qui, par étapes successives, présente les différents types d’indignité. Le développement exponentiel de la recherche scientifique, les grands procès de crimes contre l’humanité soient la déportation, l’extermination, la persécution62, conduisent progressivement à une définition de la conduite ou d’un comportement indigne de l’homme63 qui nie alors son humanité. Le droit à la dignité ne relève pas uniquement de l’action de l’Etat mais aussi et avant tout des rapports des individus entre eux.
56Peut-on alors conclure avec Pascal « le droit sans dignité n’est que médiocrité et la dignité sans droit n’est que déraison » ? et ajouter qu’Aubry et Rau devaient, en précurseurs, ajouter que « le droit seul peut protéger l’honneur ».
Notes
1 Loyseau (Ch.), Traité des ordres et simples dignités, Paris, 1610 : l’auteur déclare que les « trois estats du royaume » structurent la vision du monde, chacun étant placé à son rang. La fonction publique est elle-même subordonnée à la dignité sociale. L’office est un titre d’honneur.
2 Haroche (Cl.) Remarques sur les incertitudes et les ambiguïtés du droit à la dignité, in, Préambule de la Constitution de 1946, CURAPP, Paris, 1996. Le rapport Vedel de 1993 suggérait d’insérer la dignité de la personne dans l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; Le Conseil Constitutionnel en 1994 déclare que « la sauvegarde de la dignité humaine ... est un principe à valeur constitutionnelle », puis en 1995 affirme que c’est « un objectif à valeur constitutionnelle », Bull. Jur. Const., 1997, 3, p. 108.
3 Saint Thomas d’Aquin, in Somme théologique, II a-ac, question 64, art. 2, « la dignité humaine consiste à naître libre ». Des stoïciens à Kant et à Rousseau, la dignité de la personne est une valeur clé à préserver puisque garante de l’autonomie de la volonté. Kant (E.), Métaphysique des mœurs, 1787 ; Locke (J.), Traité sur le gouvernement civil, 1681 ; Jankelevitch (V.), Penser la mort, Paris, 1994 ; Lenoir (N.), Mathieu (B.), Mans (D.), Constitution et bioéthique médicale, 1998 ; Droits, n° 13, biologie, personne et droit, PUF, 1991 ; Oberdorff (H.), « La dignité de la personne humaine face aux progrès médicaux », Mélanges Peiser, Grenoble, 1995.
4 Domat, Œuvres, Paris, éd. 1829, T III, p. 169s – L’auteur procède à une consécration juridique des dignités et conçoit la société d’ordres hiérarchisée selon ses capacités. Ferrière (Cl.-J.) Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, 1769
5 Depuis 1994 « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » selon l’article 16 du Code Civil. La jurisprudence et son évolution récente sont particulièrement riches et fécondes. L’article 225-1 à 225-4 du Code pénal traite des « atteintes » à la dignité humaine.
6 La Constitution de Virginie le 12 juin 1776, la déclaration d’indépendance américaine le 4 juillet 1787, consacrent la vie, la liberté, la recherche du bonheur et les proclament droits inaliénables.
7 Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948, art.1 et Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950. Tzitzis (S.), « L’éthique des droits de l’homme et les diversités culturelles », in, Fondations et naissance des droits de l’homme, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 185s. ; l’auteur souligne qu’en 1948 l’homme porte encore « le masque de la détresse ».
8 Code Civil, art. 16-9 : « Les dispositions du présent chapitre [chapitre II] sont d’ordre public ». Lombois (Cl.), « La personne corps et âme », in, La personne humaine, sujet de droit, Poitiers, PUF, 1994 ; Edelman (B.), « La dignité de la personne humaine, un concept nouveau », in, La dignité de la personne humaine, Paris, Economica, 1999.
9 Garin (E.), La dignitas hominis et le litteratura patristica, Rinascita, I, 1938, p. 102 s. Selon quelques auteurs, Platon et Aristote seraient aux antipodes de la dignité humaine. A ce propos, voir Tzitzis (S.), op. cit. : au IIème siècle, Tertullien condamnait les jeux du cirque qui anéantissaient la divine image. Guyon G, « Sur quelques fondations de la pensée chrétienne des droits de l’homme », in, Fondations et naissance des droits de l’homme, op. cit. p. 61 s.
10 Garin (E.), op. cit. ; le thème du logos est amplement analysé dans la littérature de la Renaissance.
11 Barthelemy de Chasseneuz, Catalogus gloria mundi, Genève, apud Ph. Albertum, 1617, p. 76 s ; Pic de la Mirandole, « De humanis dignitas », in, Œuvres philosophiques, Paris, 1993. Le monarque est au sommet d’une pyramide de dignités matérialisées par les préséances. L’État et son administration ont instauré une vision de la société à partir du Prince.
12 De Seyssel (Cl.), La Grant monarchie de France, Paris, 1519. Guyot (P.) et Merlin (P.–A.), Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en France à chaque dignité, à chaque office et à chaque état, Paris, 1786-1788, 4 vol.
13 Crouzet (D.), « Le règne de Henri III et la volonté collective », in, Henri III et son temps, Paris, 1992. Constant (J. M.), La Ligue, Paris, 1996.
14 En 1593, Cardin le Bret, déplore néanmoins le nombre surabondant d’offices conférant une dignité. En 1582, Henri III dresse une échelle des fiefs de dignité, duchés, marquisats, comtés ; Chatenet (M.), Henri III et « l’ordre de la cour », évolution de l’étiquette à travers les règlements généraux de 1578 et 1585, in, Henri III et son temps, op. cit. Le règlement de 1578 fixe une échelle des titres anoblissants. Mousnier (R.), La vénalité des offices sous Henri III et Louis XIII, thèse lettres, 1946, Paris, 1971 ; la seigneurie est une dignité avec puissance publique et propriété, tandis que l’office n’est que puissance publique et possession.
15 Kantorowicz (E.), Les deux corps du Roi, Paris, 1989 ; La Perrière (G. de), Le miroir politique, Lyon, 1555, 199 p. Mousnier (R.), « Les concepts d’ordres, d’états, de fidélité et de monarchie absolue en France de la fin du XVème siècle à la fin du XVIIIème siècle », in, Revue historique, avril-juin 1972, p. 281-312 ; Le tarif de la capitation de 1695 a déterminé 22 classes et 569 nuances professionnelles. Il en ressort quatre critères : la dignité, le pouvoir, l’argent, la considération.
16 Les déclarations de l’an I, s/s dir. Augustin (J.M.), Borgetto (M.), Lecomte (C.), publications de la Faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers, PUF, 1995, 255 p.
17 Labatut (J. - P.), Les ducs et pairs de France au XVII ème siècle, Paris, 1972. Leurs droits reposent sur le fief et l’office, le fief sans office et l’office sans fief ; et bien entendu, les Mémoires de Saint-Simon. Le Roy-Ladurie (E), Saint-Simon ou le système de la Cour, Paris, 1997.
18 Antoine (M.), « Les gouverneurs de province en France (XVI–XVIIIème siècles) », in, Prosopographie et genèse de l’État moderne, Paris, 1986, p. 185s. ; Harding (R.), Anatomy of a power elite : the provincial governors of early modern France, New Haven et Londres, Yale univ. press, 1978 ; Ordonnance de Blois, 1579.
19 Loisel (A.), Institutes coutumières, Paris, 1665, livre VI, T II, art. XXVIII.
20 Tiraqueau (A.), De poenis temperandis, 1559 ; Laingui (A.), Le « De poenis temperandis » de Tiraqueau, Paris, 1986.
21 Schalk (E.), L’épée et le sang, une histoire du concept de noblesse, (vers 1500-1650), Paris, Seyssel, 1996.
22 Chateaubriand (A. –R. de), Mémoires d’Outre-Tombe, LI, Ch. 1, « l’aristocratie a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ; sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier ».
23 Verdier (R.) s/s dir., Le serment, T I et T II, Paris, CNRS, 1991. Denisart (J. –B.), Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, 1771, T III. Pour Ferrière, foi et hommage se confondent avec le serment. Henri III établit le marc d’or appelé aussi droit de serment que tous les acquéreurs d’office devaient acquérir. Au XIXème siècle, toujours et encore, les discours de rentrées judiciaires insistent sur la dignité du magistrat et se réfèrent avec récurrence aux mercuriales du Chancelier d’Aguesseau ; Lecomte (C.), La Cour angevine à la croisée de trois régimes. « Cour royale, républicaine, impériale », in, L’histoire contemporaine et les usages des archives judiciaires, Paris, 1998.
24 L’expression noblesse de robe apparaît en 1607 dans l’index de la réédition des Recherches de la France d’Étienne Pasquier, Paris, 1607, L II, Ch. 12. Henri III établit le marc d’or appelé aussi droit de serment que tous les acquéreurs d’office devaient acquérir.
25 Du Tillet (J.), Recueil des roys de France, leur couronne et maison, Paris, 1607. Déjà en 1583, une assemblée tenue à Saint-Germain en Laye voulait un règlement qui assure la révérence due au Roi et à sa dignité. On a évoqué un cortège des dignités ou encore la France des héraldistes, des nobles et des clercs qui est celle des trois fleurs de lys, la France des intellectuels, celle des légistes.
26 Figon (Ch.), Discours des Estats et offices tant du Gouvernement que de la justice et des finances de la France, Paris, 1579 ; Figon, maître des comptes de la Cour de Montpellier, schématise les positions respectives des offices dans une figure qui est un arbre de commandement : à gauche les juges, à droite les financiers. Les États Généraux critiquaient sans répit le nombre des offices puisqu’ils prétendaient qu’ils étaient surabondants. Le Roy-Ladurie (E.), L’histoire n° 96, janvier 1987.
27 Etat des taxes des voyages, 25 août 1601.
28 Selon Louis XIV, il n’y a pas là qu’une affaire de cérémonie ; les peuples règlent leurs jugements sur ce qu’ils croient du dehors. C’est sur les préséances qu’ils mesurent leur obéissance. Cf. aussi Ordre de la séance tenue en Parlement le Roi séant en son lit de justice pour la déclaration de la majorité, 1614, le Mercure français, vol. III, 2e partie, p. 579-595, Paris, 1614. On sait encore que des querelles précédèrent l’ouverture des États Généraux en mai 1789 à propos de préséances.
29 Les mutations qui accompagnèrent la mise en scène de cette cérémonie dénotent un glissement dans la conception même du pouvoir royal. Le centre se déplace de la dignité immortelle de la royauté (dignitas non moritur) à celle de son détenteur. Giesey (R.–E.), Le Roi ne meurt jamais, les obsèques royales dans la France de la renaissance, Paris, 1987 ; S. Hanley, « L’idéologie constitutionnelle en France : le lit de justice », Annales E.S.C., n° 1, janv-fév 1982, p. 32-63. Fogel (M.), Les cérémonies de l’information dans la France des XVIe au XVIIIe s, Paris, 1989, Desplat (C.) et Mironneau (P.), s/s dir. Les entrées : gloire et déclin d’un cérémonial, Biarritz 1997.
30 Tous les hommes ont les mêmes droits qu’ils tiennent de la nature ; ces droits sont la lumière et la fin du législateur selon Locke et Rousseau. Deroussin (D.), « Droit naturel et droits de l’homme dans la doctrine juridique française de l’Ancien Régime », in, Fondations et naissance des droits de l’homme, op. cit.
31 Broussard (E.), Des modifications introduites par la Révolution française dans l’état des personnes, discours de rentrée, Cour d’Appel de Poitiers, 3 novembre 1881, Poitiers, 1881.
32 Toullier (C.M.B.), Le droit civil suivant l’ordre du Code, Paris, 1824, T. I.
33 Décret du 27 avril 1848 : « Le gouvernement provisoire considérant que... l’esclavage est une violation flagrante du dogme républicain : liberté, égalité, fraternité... »
34 Lecomte (C.), « Le magistrat : rigueur du juriste, rêveries culturelles », in, Journées régionales d’histoire de la justice, Poitiers, PUF, 1999. Alain Targé, procureur général à Poitiers en 1846 affirme que la magistrature a conservé la dignité des Parlements.
35 Damien (A.), Les avocats du temps passé, Paris, 1973 ; Lemaire (J.), Les règles de la profession d’avocat, Paris, 1966. La loi du 31 décembre 1971 est dans la continuité des principes posés dès l’ordonnance du 23 octobre 1274. Selon Troplong, l’action disciplinaire s’étend à tous les faits non caractérisés qui blessent l’honneur, la profession, le corps. Tous les faits contraires à sa dignité professionnelle justifient des sanctions disciplinaires et s’inscrivent à l’encontre du serment (D. 10 avril 1954 et D. 9 juin 1972). Le défaut d’honorabilité touche aussi des faits extraprofessionnels et la vie privée.
36 Projet de déclaration des droits de l’homme en société, Target (M.), Archives parlementaires, 27 juillet 1789, in, Fauré (Ch.), Les déclarations des droits de l’homme de 1789, Paris, Payot, 1988.
37 Les déclaration de l’an I, op. cit.
38 Gayot (P.), La question des logements insalubres et la loi du 15 février 1902, Paris, 1905 ; Picot (G.), Un devoir social et les logements ouvriers, Paris, 1885. De 1850 à la IIIe république cette question demeure récurrente : deux conceptions juridiques entrent en conflit : le droit du propriétaire (art. 544 C.c.) et les droits des collectivités publiques à contrôler au nom de la salubrité ; la solidarité crée des droits – créances. En 2007 une loi sur le droit opposable au logement est votée.
39 Constitution de 1793, art. 21, « les secours publics sont une dette sacrée. la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ».
40 Constitution de 1848, article 13.
41 Guyon (G.), op. cit. ; Kant (E.), op. cit., la dignité de chaque homme force au respect toutes les autres créatures raisonnables ; Goyard-Fabre (S.), Les droits de l’homme, exigence juridique ou catégorie juridique.
42 La propriété est inscrite au rang des droits sacrés et inaliénables de la déclaration de 1789.
43 La pensée philanthropique, la pensée Saint-Simonienne ont frôlé la juridicisation de la notion en voulant constamment condamner l’oisiveté, en érigeant le travail en vertu, en encourageant l’épargne des plus modestes.
44 Borne (E.), « L’apport de J. Maritain à la philosophie des droits de l’homme », in, R. Papini, Droit des peuples, droits de l’homme, D.H.S., Le Centurion, 1984, p. 108 : sa pensée fut essentielle lors des conférences préliminaires à la déclaration de 1948.
45 Verdoodt (A.), Naissance et signification de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Louvain – Paris, 1964.
46 Binet (J. R.), Droit et progrès scientifique, Paris, 2002 ; Carbonnier (J.), Flexible droit, Paris, éd. 2001. Badinter (R.) « Le droit au respect de la vie privée », JCP, 1968, I, 2136. Parallèlement la loi du 29 juillet 1994 établit les droits de l’homme biologique par référence à la dignité, tout comme les critères de discrimination introduits dans le Code du travail s’en réclament.
47 Tricoire (E.), L’extracommercialité, thèse de droit, université de Toulouse, 2002 ; Mathieu (B.), « La dignité de la personne humaine : quel droit ? quel titulaire ? » D. 1996, chron. p. 285. Pic de la Mirandole, Discours sur la dignité humaine, Paris, éd. 1942.
48 CE, 27 novembre 1995, R.F.D.A., 1995, 1204, conclusions Frydman (P.), et Atias (Ch), Philosophie du droit ; La dignité de la personne humaine, op. cit. Justice, éthique et dignité, Entretiens d’Aguesseau, Limoges 2005.
49 Loi dite « informatique et libertés » de 1978, Fatin-Rouge (M.), Le droit au respect de la vie privée, Paris, Dalloz, 2000 ; Lucas (A. et H.-J.), Traité de la propriété littéraire et artistique, Paris, 1994 ; Badinter (R.), op. cit. ; Lefebvre-Teillard (A.), Le nom, droit et histoire, Paris, PUF ; Tricoire (E.), op. cit. L’article 9 du Code Civil et l’article 368 du Code Pénal protègent la vie privée et l’image.
50 Code de déontologie médicale, loi du 6 septembre 1996.
51 Ferrière (Cl – J.), Dictionnaire de droit et de pratique, op. cit., T. II, p. 20. Indignes sont ceux qui, pour avoir manqué à quelque devoir envers un défunt de son vivant ou après sa mort, ont démérité à son égard. La loi les prive de la succession … celui qui a attenté à l’honneur du défunt. Denisart (J.B.), Collection de décisions nouvelles en de notions relatives à la jurisprudence actuelle, op. cit., T. II, p. 737. Le procureur au Châtelet de Paris dresse un inventaire d’arrêts prononcés à l’encontre de personnes indignes, et rappelle que pour les canonistes sont indignes ceux qui sont coupables d’un crime, de simonie, d’adultère, de blasphème. Cf. aussi Baudry-Lacantinerie, Traité de droit civil, T. II, n° 43-57. Selon Demolombe, l’indignité s’apprécie comme une incapacité de succéder et est prononcée par une sentence judiciaire à la demande de ceux qui y ont un intérêt ; l’article 728 du Code Civil en cite les causes et l’article 729 les effets.
52 Rousselet (M.), Histoire de la magistrature, Paris, 1957, T II, p. 179 ; Royer (J. - P.), Histoire de la justice en France, Paris, PUF, 1995. Villers (R.), Les magistrats d’Ancien Régime, Aix en Provence, 1984. L’exauctoration organisée au XVe siècle, s’apparente à la dégradation militaire, la flétrissure permettait à tous de voir l’indignité du magistrat ; elle avait un caractère exemplaire. Boileau stigmatise encore la croissance exponentielle des épices, et le népotisme. La loi du 22 décembre 1958 somme les magistrats de ne pas porter atteinte à la dignité du corps. « Juger les juges », AFHJ, n° 12, Paris, 2000. .
53 Richer (F.), Traité de la mort civile, tant celle qui résulte des condamnations pour cause de crime, que celle qui résulte des vœux en religion, Paris, Desaint et Saillant, 1755 ; Rousseaud de la Combe, Traité des matières criminelles, Paris, 1788.
54 Catherine de Médicis a fait exiler les ministres fidèles serviteurs de Diane de Poitiers. Quelques exilés ont acquis une dimension mythique : les huguenots, les communards et parmi les personnalités, Napoléon et Victor Hugo. On n’oubliera pas de citer l’envoi en exil momentané des parlementaires en rébellion au XVIIIe siècle.
55 Carbasse (J.-M.), Introduction historique au droit pénal, Paris, 1990 ; Langui (A.) et Lebigre (A.), Histoire du droit pénal, Paris, 1980 ; Denisart, op. cit. Les sanctions du crime de lèse-majesté sont multiples et dépassent le principe de la personnalité des peines.
56 Dessert (D.), Fouquet, Paris, 1987.
57 La mort civile s’apprécie telle une peine complémentaire des galères, du bannissement ; elle est irrévocable. Le condamné jusqu’à la fin de son existence en supportera le joug. Elle fut abrogée par une loi du 16 octobre 1791 puis à nouveau introduite par la loi du 27 mars 1793 afin de s’appliquer aux émigrés. Elle fut reprise dans l’article 22 du Code Civil de 1804. Elle disparaît en 1854.
58 Cette loi devait faire l’objet de pétitions et d’un débat à la Chambre en 1819 au cours duquel de Serres établit une distinction entre les Bonaparte et les régicides d’une part et ceux qui n’avaient accepté que des fonctions temporaires.
59 Vaulabelle (A. de), Histoire des deux restaurations, Paris, 1847, T. IV.
60 Général Foy, Discours Paris, 1847, T. II.
61 Ordonnance du 24 juillet 1815. Ces condamnations furent prononcées par les cours d’assises, les conseils de guerre, les cours prévôtales, les tribunaux correctionnels. Sous le Second Empire, Napoléon III usa d’une politique de grâce systématique, mais à la différence de l’amnistie, la grâce implique une démarche du prisonnier, une soumission qui lui fait perdre sa dignité.
62 On relèvera l’asservissement au XVIe siècle des habitants du Nouveau Monde, les guerres de Vendée et les colonnes infernales, les innombrables prisonniers de la seconde guerre mondiale réduits à l’état de corps expérimentaux. Le statut de Nuremberg, art. 6, la loi du 22 juillet 1992 ont introduit dans la législation la notion de crime contre l’humanité. Histoire et justice, peut-on juger l’histoire, s/s dir. Dumont (J.-N.), Pau 2002. Plus récemment la loi du 21 mai 2001 reconnaît la traite naguère pratiquée il y a plusieurs siècles, crime contre l’humanité.
63 Fierens (J.), « La dignité humaine comme concept juridique », in, Mises en œuvre des droits de l’homme, op. cit. ; Acte final d’Helsinki de 1915 sur la CSCE et déclarations du parlement européen du 11 juin 1986 et du 12 avril 1989.