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Histoire du droit, des institutions et des idées politiques
L’amortissement de la « féodalisation » dans la coutume de Poitou et dans ses filiales d’Angoumois, Aunis et Saintonge : l’exemple de l’union du fief et de la justice (XVIe-XVIIIe siècles)
Par Michel Brunet
Publication en ligne le 13 mai 2019
Table des matières
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Texte intégral
L’amortissement de la « féodalisation » dans la coutume de Poitou et dans ses filiales d’Angoumois, Aunis et Saintonge :
l’exemple de l’union du fief et de la justice
(XVIe-XVIIIe siècles)1
1Tous ceux qui ont lu, de Jean Yver, l’important article par lui consacré aux Caractères originaux du groupe de coutumes de l’Ouest de la France2, se souviennent, sans doute, que le premier trait qu’il y a placé en vedette fut la féodalisation, l’extrême féodalisation de ce vaste ensemble coutumier3.
2Notamment par rapport au droit commun féodal, représenté surtout par le groupe de coutumes orléano-parisien (grosso modo situé en Ile de France, en Pays Chartrain et en Orléanais), offrant des solutions beaucoup plus moyennes, beaucoup plus équilibrées entre les droits des seigneurs et ceux des vassaux et tenanciers divers, – a fortiori au regard du droit féodal des coutumes du Centre et de nombreux pays de droit écrit, beaucoup plus affranchis, en général, de l’emprise seigneuriale4.
3Peut-être se rappellent-ils, aussi, que, dès avant certains aspects féodaux du droit coutumier comme l’aînesse forte aux deux tiers de la succession noble, ou comme le parage, le maître avait souligné deux manifestations, liées l’une à l’autre, de cette féodalisation des pays de l’Ouest. D’une part, l’union, en ces ressorts, du fief et de la justice, alors qu’avait très largement triomphé, dans l’ensemble du royaume, la maxime contraire « Fief et Justice n’ont rien de commun ensemble »5, conséquence des progrès de l’autorité et de la justice royales qui avaient, à la fin du Moyen Âge, en quelque sorte « privatisé », autant que possible, le statut du fief. Cette séparation du fief et de la justice en droit commun, s’entend évidemment du simple fief et non du fief « titré » (baronnie, comté, duché) qui constitue une véritable seigneurie politique au petit pied, où la justice est, par définition, présente. – D’autre part, second aspect : le rattachement au fief, ou, ce qui revient au même, dans l’Ouest, à la basse justice, d’un certain nombre de prérogatives importantes comme, entre autres, le droit de déshérence, notamment sur les biens sans héritiers, et les banalités de four et de moulin permettant à un seigneur de contraindre ses sujets à faire cuire leur pain à son four et à moudre leur blé à son moulin6. Cependant qu’en droit général, ces diverses compétences appartiennent soit au haut justicier, comme principal seigneur d’un lieu donné, soit au roi comme souverain, – ou même doivent, parce que désormais jugées odieuses ou défavorables, êtres prouvées par titre.
4De ces deux traits, je ne veux aujourd’hui retenir que le premier : l’union du fief et de la justice (même si je suis obligé, en passant, de dire quelques mots du second), afin de souligner, à l’époque moderne, au niveau méridional de la coutume de Poitou et de ses filiales d’Angoumois, d’Aunis et de Saintonge, l’amortissement, l’atténuation, bref une espèce de glissement Nord-Sud de cette union, vers une plus ou moins complète adhésion au principe contraire « Fief et Justice n’ont rien de commun »7.
5Pour bien saisir ce phénomène, je rappellerai d’abord que l’union du simple fief et de la basse justice, laquelle est, comme on sait, le plus bas degré de la juridiction seigneuriale, est telle, dans l’Ouest, que, dans la plupart des coutumes, le texte confond, en plusieurs articles, les expressions de bas justicier et de seigneur de fief8. Tout seigneur de fief y a donc en principe au moins la basse justice, une basse justice qui comprend deux niveaux. D’une part, la basse justice disons ordinaire, publique, contentieuse, qui existe en dehors de tout rapport féodal et connaît de petits procès, surtout civils, entre les habitants du fief, qu’ils soient ou non tenanciers du seigneur ; – et, d’autre part, la basse justice foncière, à caractère domanial9, qui est, en revanche, destinée à assurer le paiement et la conservation des droits féodaux et censuels dus en revanche par les vassaux et les tenanciers en roture. Ces deux ordres de la basse justice, apparaissent liés ensemble dans l’Ouest. Ainsi le 1er article de la coutume d’Anjou et le 3ème de celle du Maine, nous enseignent-ils que « basse justice et justice foncière… est tout un »10.
6Cependant, sous l’influence de différents facteurs, auxquels on ne peut que faire brièvement allusion, il se produit déjà, dans les coutumes du groupe de l’Ouest situées géographiquement au Nord de celles de Poitou et des Pays Charentais, un certain décalage. Entre d’un côté ce qu’énonce la coutume unissant les deux niveaux de la basse justice, et d’un autre côté les limitations qu’apportent, à la basse justice contentieuse : les conditions de son exercice établies par les textes coutumiers eux-mêmes, les ordonnances royales qui tendent à empêcher la multiplication excessive des juridictions, l’érosion monétaire s’agissant de l’intérêt maximal des causes à juger, et plus généralement l’évolution de la société à l’époque moderne11. Toutes restrictions qui tendent à réduire la basse justice dont jouit le seigneur de fief à la pratique d’une simple justice foncière, ou peu s’en faut.
7Ainsi dans la coutume de Normandie de 1583 les articles 24 à 3712 mêlent, certes, quelques prérogatives de la basse justice contentieuse à celles de la basse justice foncière. Mais on s’aperçoit, à la lecture de ces textes et des commentaires qui en sont faits, non seulement que les bas justiciers normands ne jouissent des droits de foire et de marché des articles 24, 25 et 2713, tranchant quelque peu sur les autres, que s’ils ont obtenu des lettres royaux pour les exercer et connaître de certains méfaits qui s’y rapportent, mais aussi que, même pour les compétences de justice contentieuse qui leur sont accordées sans titre spécial, de strictes limitations sont apportées à l’usage qu’ils en peuvent faire. On n’en donnera qu’un exemple en ce qui regarde le temps maximal de leur exercice : ainsi, 24 heures seulement pour arrêter et retenir dans leur fief l’auteur en flagrant délit d’un « forfait de bois », ou d’un « dégâts de blés », art. 36. C’est pourquoi Basnage est amené à préciser, sur l’art. 24, qu’« il n’y a point de fief en sa province qui n’ait basse justice au moins pour la conservation de ses droits »14. Et Pesnelle, au XVIIIe siècle, constatera sur l’art. 13 qu’« en cette province les moyenne et basse justices n’ont aucun exercice réglé de juridiction [contentieuse]… à l’exception de quelques cas extraordinaires »15.
8En Bretagne, la situation est un peu différente, mais elle manifeste la même tendance. En effet, les coutumes officielles de 1539 et de 1580 n’ayant pas fixé la compétence des différents degrés de la justice seigneuriale, la doctrine s’est essayée à le faire. Or, si Bertrand d’Argentré, au XVIe siècle, attribue encore au bas justicier, à côté de sa compétence féodale, des prérogatives de justice contentieuse assez larges (bornage de certains chemins, actions personnelles, réelles et mixtes)16, La Bigotière de Perchambault réduit, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la juridiction des bas justiciers à la seule perception (éligement) des droits féodaux17, – ce que Poullain Du Parc, au XVIIIe, estime être le sentiment le plus juste, tout en reconnaissant que la jurisprudence ne confirme pas cette opinion18 et suit plutôt l’opinion de B. d’Argentré.
9Il se pourrait donc que le bas justicier ou simple seigneur de fief conserve, très exceptionnellement, quelques vestiges de justice contentieuse en Normandie et, plus sûrement, en Bretagne.
10Quoi qu’il en soit, c’est plus radicalement encore, semble-t-il, que le même phénomène de blocage de cette justice se retrouve en Anjou et en Touraine. Car, dans les coutumes de ces pays, comme la basse justice contentieuse est bornée, en intérêts et en amendes, à des sommes devenues dérisoires, parce que non revalorisées depuis le Moyen Age (7 sols 6 deniers ou une somme approchante)19, et qu’au surplus l’exercice global de la basse justice y est limité à quatre assises ou audiences par an20 : « l’usage constant, dit le commentateur Gabriel Dupineau, sur l’art. 2 de la coutume d’Anjou, est qu’ils [les seigneurs de fiefs] n’indiquent leurs assises et ne les tiennent que pour la conservation des droits féodaux et pour la perception de leurs émoluments...21. » Quant à Jacques Dufrémentel, commentateur de la coutume de Touraine, il dira de façon significative sur l’art. 1er de ce texte, que les seigneurs bas justiciers ont « un titre sans exercice », un titre nu en quelque sorte, concernant la basse justice contentieuse22.
11En revanche, même si elle n’est pas toujours ni partout régulièrement exercée23, la basse justice foncière paraît bien rester, au nord de la Loire dans le groupe de l’Ouest, une véritable juridiction que les coutumes elles-mêmes montrent dotée d’une « Cour », d’un « séneschal », d’un « bailli » ou plus généralement d’« officiers » tenant des « plaids » ou « assises »24, et dont les commentateurs attestent l’activité, d’ailleurs exercée le plus souvent au château du seigneur et non dans un véritable prétoire25.
12En résumé, ce que l’on croit pouvoir dire, en ce qui regarde les coutumes ici envisagées, c’est qu’y demeure unie au simple fief une basse justice foncière digne de ce nom, laquelle forme un véritable tribunal pouvant juger, saisir, punir d’amendes, les vassaux et tenanciers récalcitrants du seigneur – du moins dans la mesure où celui-ci se donne la peine de le constituer. Alors que la basse justice contentieuse, que lui octroie pourtant la coutume, en est désormais à peu près partout séparée, notamment parce que ses conditions d’exercice ne sont plus réalisables à l’époque moderne. Les bas justiciers, comme le dit judicieusement Dufrémentel n’ont plus, quant à la juridiction ordinaire, qu’« un titre sans exercice »…
13En revanche, en Poitou, où il nous faut enfin arriver, c’est au niveau de la coutume elle-même, contre toute apparence, qu’un problème va essentiellement se poser, au sujet de l’union du fief et de la justice contentieuse (ce qui n’empêchera pas les obstacles d’exercice rencontrés ailleurs) : une difficulté d’interprétation des textes va finalement pousser une partie notable de la doctrine à n’admettre cette justice, au profit du simple seigneur de fief, que sous condition. Le titre même de cette juridiction lui sera discuté. – Qui plus est, la même doctrine ne va lui reconnaître qu’une justice foncière dénaturée en quelque sorte, du moins par rapport à ce qu’elle est, ou peut être, dans les autres coutumes étudiées en la présente introduction (I).
14Quant aux coutumes filiales poitevines d’Angoumois, d’Aunis et de Saintonge, on va voir que, par une sorte d’ultime glissement, elles admettent sans problème le principe général « Fief et justice n’ont rien de commun ensemble », adhésion qui marque le terme, le point zéro, en ce domaine particulier, de l’amortissement de la féodalisation dans les coutumes de l’Ouest (II).
I. En Poitou, la basse justice contentieuse n’est finalement accordée au seigneur de fief, par une notable partie de la doctrine, que sous la condition qu’il l’ait acquise par convention ou usage ; et la justice foncière qu’elle lui reconnaît n’est pas autre chose que les droits de propriété de la directe féodale sur ses tenanciers
15Si pourtant il est une coutume, à l’époque moderne, où, au premier abord, l’union du Fief et de la Justice ne devait pas poser de problèmes, c’est bien celle de Poitou. En effet, alors que dans la plupart des coutumes de l’Ouest officiellement rédigées au XVIe siècle, cette union ressort principalement, on l’a dit déjà, de la confusion fréquente dans les textes des expressions « bas justicier » et « seigneur de fief », la N.C. de Poitou de 1559, en son article 17, – reprenant d’ailleurs presque mot pour mot les termes de l’A.C. de 1514 (art. 10) et même ceux du Vieux Coustumier dit de 1417 (n° 11)26 – exprime nettement cette union en ce qui regarde la basse justice contentieuse : « Celuy qui tient le fief noblement…, dit cet art. 17, est fondé d’avoir en sondit fief basse juridiction… et contrainte jusqu’à l’amende de sept sols 6 deniers »… Et le texte précise qu’en cette limite, il peut « connaître sur ses hommes en actions personnelles et réelles ». Qui plus est, il peut encore juger les causes d’injures dont l’amende n’excéderait également 7 sols 6 deniers. – L’art. suivant, le 18e, excepte de ces dispositions la châtellenie de Thouars, où le bas justicier n’a connaissance que de « l’étroit fonds » c’est-à-dire qu’il peut exercer seulement la justice foncière pour les droits féodaux et non la justice contentieuse27 – ce qui, sans difficulté, marque bien qu’ailleurs, le seigneur de fief bénéficie de l’une et de l’autre. Un peu plus loin dans la coutume, une incise de l’art. 108, concernant les diverses sortes d’hommage, confirme tout aussi nettement les dispositions de l’art. 17 : « Et, dit-il, quiconque a hommage pour raison d’aucune chose [c’est-à-dire le seigneur de fief] est fondé d’avoir sur icelle jurisdiction28. » Ces articles sont clairs : le simple seigneur de fief est fondé d’avoir sur ses hommes les deux sortes de basse justice, contentieuse et foncière…29
Avant Boucheul, la doctrine limite assez vite la basse justice à une juridiction seulement foncière
16Analysant les articles précités, les tout premiers commentateurs de la coutume de Poitou ne paraissent pas avoir contesté au simple seigneur de fief l’attribution et l’exercice de la basse justice dans toute sa portée.
17Le premier de ceux-ci, André Tiraqueau, n’a pas publié de commentaire du vieux coutumier ni de l’ancienne coutume, qu’il a seuls connus, concernant le sujet des juridictions30. – En revanche, Pierre Rat, a bien, quant à lui, fait paraître un entier commentaire de l’ancienne coutume de 151431, mais sur son art. 10 (correspondant à l’art. 17 de la nouvelle), il se contente de dire qu’aux plus petits vassaux est seulement attribué ce qui appartient au plus bas degré de la justice : l’amende prescrite qui en est le fruit ; puis il indique que, suivant Bartole, celle-ci ne peut dépasser 7 sols et demi. Sur l’art. 89 (N.C., art. 108), il explique qu’en matière féodale le seigneur use de sa juridiction propre et naturelle, ce qui n’est pas forcément exclusif32.
18Quant à Jean Constant, commentateur déjà moins ancien que les précédents, il rapporte, sur l’art. 17 de la N.C., un intéressant arrêt du Parlement de Paris de juillet 1601, confirmant une sentence du Présidial de Poitiers du 30 avril 1599, selon lequel la basse justice, semble-t-il globale, avait été reconnue à un certain seigneur de Verdilles, quoiqu’il n’en eût jamais joui lui-même ni ses prédécesseurs, ce qui montre bien qu’à cette date une telle juridiction est tenue pour inhérente au fief par la Cour. Ainsi Constant non seulement ne discute pas le contenu de l’art. 17, mais il en confirme l’application par l’important arrêt qu’il cite. Cette décision est d’autant plus remarquable qu’un aïeul de l’actuel adversaire du seigneur de Verdilles, le comte de La Rochefoucauld, seigneur de la principauté de Marcillac, dans la mouvance de laquelle se trouvait le fief de Verdilles, avait prétendu, lors de la réformation de la coutume de 1559, que les vassaux de sa principauté « n’étaient fondés d’aucune jurisdiction ni exercice de justice, sauf possession et exercice de ce droit prouvés par leurs aveux et dénombrements ». – Or, il est bien précisé, par le compte-rendu de l’arrêt, que le seigneur de Verdilles n’avait jamais joui, ni ses prédécesseurs, de la basse justice…33
19Jusqu’ici donc pas de discussion sur l’attribution de la basse justice au simple seigneur de fief.
20En revanche, plusieurs autres commentateurs de la N.C. de Poitou tels Nicolas Théveneau à la fin du XVIe siècle, Jacques Barraud, Jean Lelet et Jean Filleau34, au début et dans le courant du XVIIe, ont émis, sur l’art. 17, une opinion assez embarrassée. Certes, ils ne peuvent pas ne pas convenir, en le commentant, que (je cite ici Théveneau) celui « qui a droit de fief, il a droit de jurisdiction » ; mais il ajoutent, l’un après l’autre, que cela ne va pas « sans quelque limitation »35. Et Barraud, Lelet et Filleau, sauvegardant de la sorte, au moins pour partie, le principe « Fief et justice n’ont rien de commun ensemble », rendent compte des art. 17 et 108 en disant que le seigneur de fief a « au moins la basse justice foncière36, – laissant entendre par là, qu’il peut fort bien ne pas avoir la basse justice contentieuse. Qui plus est, Lelet et Filleau (au lieu cité à la note 36) disent que, sans cette justice foncière, le seigneur « ne pourrait avoir aucun droit de lods et ventes », remarque qui paraît restreindre celle-ci aux seules prérogatives de la directe, ce que Boucheul précisera plus tard.
Pour Boucheul, le simple seigneur de fief doit pouvoir prouver qu’il possède la basse justice contentieuse
21Joseph Boucheul, avocat au siège royal du Dorat dans la Basse-Marche, va tenter de donner, vers la fin du XVIIe siècle, une solution claire au problème de l’union du fief et de la justice dans la province, en un important ouvrage constitué de deux gros volumes in-folio, paru en 1727 plus de vingt ans après sa mort, et qui a pour titre Coutumier général, ou corps et compilation de tous les commentateurs sur la coutume de Poitou…37. Il y complète et fonde juridiquement ce qu’ont dit avant lui sur notre sujet Théveneau, Barraud, Lelet et Filleau.
22De prime abord, Boucheul paraît admettre sans réserve l’art. 17. Comme ses confrères poitevins mais aussi angevins et tourangeaux, il est amené à distinguer, sur l’art. 17, la basse justice foncière qu’il qualifie de « domaniale », et la basse justice contentieuse qu’il appelle « personnelle », cette dernière jugeant, comme on sait, les procès civils et criminels n’excédant pas 7 sols et 6 deniers : en fait, rectifie Boucheul, « elle connaît de toutes causes légères jusqu’à 60 sols, outre celles énumérées par la coutume, parce que c’est en quoi les coutumes et les arrêts ont borné le pouvoir des bas justiciers ». Et notre commentateur explique ainsi l’union des deux basses justices : comme la basse justice foncière, dit-il, est inséparable du fief « auquel elle est attachée pour la conservation des droits qui en dépendent, et comme ce pouvoir de se faire servir de ses droits… par le seigneur de fief est une espèce de supériorité sur ses vassaux et ses tenanciers, la coutume lui donne aussi Cour et jurisdiction sur eux, non seulement foncière… mais encore personnelle... ». Il souligne au surplus que le seigneur de fief « n’a pas besoin d’autre titre de sa justice basse que la coutume : c’est un droit formé en sa personne comme seigneur de fief, auquel le titre et le droit en est acquis par le seul bénéfice de la coutume »38. C’est là une affirmation très forte qui paraît justifier définitivement l’union du fief et de la basse justice, en toute son étendue, dans la coutume de Poitou.
23A l’appui de ce premier commentaire, Boucheul rapporte d’ailleurs deux arrêts du Parlement de Paris de juillet 1601 et du 8 mai 1610. Le premier, qui lui est fourni par Constant, nous est déjà connu. C’est celui qui avait adjugé au seigneur de Verdilles la basse justice au-dedans de son fief, « quoi qu’il n’en eût jamais joui non plus que ses prédécesseurs »39. Cette circonstance vaut d’autant plus la peine d’être soulignée qu’en Poitou, comme ailleurs, il existe des petits fiefs sans justice, ainsi que le dépouillement de nombreux aveux et dénombrements le révèle, et que pareil arrêt peut faire croire que, dans la province, cette absence de justice serait plutôt une question de fait que de droit…
24Par le second arrêt, les religieux Augustins de Mortemart, seigneurs de Limalonges, avaient été maintenus en la possession de la haute, moyenne et basse justice sur la paroisse de Vensay, « sauf au seigneur dudit Vensay de sa juridiction qui peut lui appartenir sur ses sujets jusqu’à 7 sols et 6 deniers d’amende suivant la coutume »40.
25On voit que par ces arrêts et par ces premiers commentaires de Boucheul, l’art. 17 conserve toute sa valeur et l’on peut penser qu’il a dû être la référence principale des rédacteurs des arrêts parisiens. Les commentateurs des autres coutumes du royaume se réfèrent d’ailleurs toujours à cet art. 17 pour reconnaître la basse justice au seigneur de fief dans la coutume de Poitou41.
26Mais voilà qu’un peu plus loin, dans son analyse dudit art. 17, Boucheul vient curieusement à déclarer, contre toute attente : « alors que la justice simplement foncière est inséparablement attachée au fief pour le payement et conservation de ses droits, au regard de l’autre basse justice, la maxime ordinaire que Fief et Justice n’ont rien de commun est véritable. » – « Cet article [17], précise-t-il ensuite, ne porte rien autre chose que celui qui tient noblement peut bien avoir juridiction basse et foncière… mais il ne s’ensuit pas qu’il ait toujours l’exercice d’icelle42. » Aussi en revient-il, mais cette fois clairement, à ce que ses prédécesseurs laissaient seulement entendre, sans justification expresse par rapport à la coutume : le seigneur de fief peut ne pas avoir, et pour Boucheul en droit, la basse justice personnelle !
27Alors, dira-t-on, sur quoi fonde-t-il, quant à lui, cette restriction apparemment si contraire à ce qu’il vient d’affirmer à l’instant ainsi qu’aux arrêts qu’il vient de citer ? – Il l’appuie notamment sur un certain art. 14 de la coutume qui ne paraît pas avoir jusqu’ici retenu l’attention des historiens du droit ; cet art. est ainsi conçu : « Celui qui a haute justice en aucun lieu est fondé par la coutume d’avoir en iceluy la moyenne et la basse si autre ne les y a par convenance ou usance ancienne43. » – Autrement dit, comme tout simple fief est presque forcément inclus dans le territoire d’un haut justicier, son seigneur immédiat ou l’un de ses suzerains, ce fief n’aura, de droit, la basse justice contentieuse que par concession de ce haut justicier, accord qui apparaîtra notamment en des aveux répétés, non « blâmés » i.e. non rejetés par lui44, – ou bien par une longue possession paisible, en l’occurrence immémoriale45. Et Boucheul de conclure : « quelque droit de fief qu’on ait, si l’on n’est pas en possession de cette basse justice [personnelle] i.e. en exercice d’icelle, on ne peut la prétendre sous prétexte de cet article (17) qui se doit entendre de ce qui est dit en l’article 14… »46.
28On ne laisse pas d’être quelque peu surpris de cette espèce de contradiction, entraînant apparemment celle du commentaire de Boucheul47, entre l’art. 17 et cet art. 14 lequel fonde, également en droit, le haut justicier à exercer cette même basse justice sur son territoire si quelqu’un d’autre ne peut prouver l’avoir par ses aveux ou par une longue possession. – C’est une contradiction, à moins qu’il ne faille comprendre : ou bien que l’art. 17 est une exception à l’art. 14 (mais alors celui-ci n’aurait-il pas dû dire « le haut justicier a également la moyenne, mais non la basse, si quelqu’un d’autre ne l’a par la coutume » ? – ou bien encore que l’art. 14 constitue un principe général dont il faut tenir compte pour interpréter l’art. 17 (mais alors pourquoi cet article utilise-t-il ces termes « Celui qui tient noblement est fondé d’avoir jurisdiction…etc. », qui peuvent difficilement avoir un sens relatif ou conditionnel ?…). L’art. 42 de la coutume d’Anjou, qui donne lui aussi au haut justicier la moyenne et la basse justice en tout son ressort, précise que c’est sans préjudice des droits que les seigneurs inférieurs ont sous lui48. Pour éviter une contradiction, c’est, semble-t-il, ce que devrait dire l’art. 14 de la coutume de Poitou, car son art. 17 donne par lui-même un droit de basse justice au seigneur de fief.
29Quoi qu’il en soit, Boucheul, on le voit, a choisi la deuxième solution, qui tient davantage compte du principe « Fief et Justice n’ont rien de commun », devenu presqu’un dogme juridique sous l’Ancien Régime49, comme aussi des virulentes critiques concernant les justices de villages50. Et puis, circonstance non négligeable, Boucheul est avocat au Dorat dans la Basse-Marche, où existe une coutume ôtant toute juridiction au simple seigneur de fief : certes, celle-ci n’a jamais été homologuée, mais elle n’est pas moins révélatrice d’une tendance régionale qui a pu influer sur l’opinion de notre commentateur51.
30On pensera peut-être d’ailleurs, non sans raison, que l’opinion restrictive de Boucheul n’est finalement pas trop étonnante ni même trop pénalisante pour les simples seigneurs de fief, au regard de ce que pouvait être en Poitou, comme en Anjou et en Touraine, la pratique par eux de la basse justice contentieuse. En effet, si un seigneur n’avait pas pour preuve d’une justice basse contentieuse des aveux continus non blâmés, il ne devait pas être facile pour lui d’acquérir et d’exercer un temps suffisant, contre un seigneur haut justicier la prétendant, une telle prérogative. Pouvait-il en effet y avoir, à l’époque moderne, (on l’aura pensé tout de suite, à la lecture de certains textes cités) beaucoup de causes ne dépassant pas 7 sols 6 deniers, ou même 60 sols, en intérêt ou en amende, sans doute déjà au XVIe siècle, davantage au XVIIe et plus encore au XVIIIe ? – Il est vrai que telle ou telle amende de 7 sols 6 deniers52 n’ayant jamais été revalorisée elle-même depuis le Moyen Age, pouvait correspondre à une contravention d’une relative importance. Je pense, par exemple, à ce dégât des animaux d’autrui dans le domaine du seigneur (qui ne concerne donc pas les droits féodaux), toujours puni à notre époque, par l’art. 76, de 7 sols 6 deniers d’amende…53 Mais cela ne devait pas tout de même offrir beaucoup d’opportunités ! Au surplus, en Poitou, comme ailleurs dans beaucoup de coutumes de l’Ouest, le bas justicier ne pouvait tenir ses assises que quatre fois par an : même si cela n’était pas observé à la rigueur, ce n’était peut-être pas assez pour suivre longuement un procès de quelqu’envergure…54
31Donc jusqu’ici rien finalement de trop étonnant, ni de trop gênant pour le simple seigneur de fief. – Mais il y a plus sérieux, à notre avis, au préjudice de ce dernier, dans la thèse de Boucheul, qui, là encore, va préciser ce que ses devanciers ont seulement laissé entendre.
Pour Boucheul et Harcher, la basse justice foncière
n’est pas autre chose que la directe féodale
32En effet, cette basse justice foncière que notre commentateur reconnaît inséparable du fief, il ne l’entend pas, à la différence de ses confrères normands, angevins et tourangeaux, d’ailleurs d’après leurs coutumes, comme constituant une vraie justice, malgré sa dénomination. Dès le début de son commentaire sur l’art. 17, il considère que la basse justice foncière qu’il vient de définir, n’est que le droit, pour le seigneur de fief, d’exiger les droits féodaux, les cens et rentes et autres devoirs qui lui sont dus, sans aucune forme de juridiction, i.e. sans posséder un tribunal, un juge et un sergent exécuteur : « C’est, dit-il, une juridiction réelle, foncière et domaniale pour le payement … des droits des seigneurs…, c’est à quoi cette basse justice se termine, aux exploits domaniaux pour les droits du fief55. » Et si l’on doutait encore de la portée réductrice de ces termes, on en aurait la confirmation, en lisant ce qu’il écrit sur l’art. 108 : « c’est-à-dire, rappelle-t-il, basse jurisdiction et foncière qui n’est rien autre chose que la féodalité et seigneurie directe avec droits et profits de fief, selon qu’il a été expliqué sur l’art. 17 ci-dessus56. »
33La justice foncière, ce n’est donc, pour lui, que les droits de la directe, i.e. de la propriété éminente du seigneur sur les tenures nobles et roturières qui dépendent de lui, ni plus ni moins. Il ne faut même pas comprendre, parmi les exploits domaniaux qu’il attache au fief, le droit pour le seigneur de saisir féodalement la terre de ses vassaux récalcitrants, ce qui pourrait apparaître comme l’exercice d’une certaine juridiction au moins domaniale.
34Car, à l’époque moderne, un seigneur ne peut plus, comme on sait, saisir féodalement par lui-même, il ne peut le faire que sur la commission d’un juge, fût-ce d’ailleurs le sien propre. Or, lorsqu’il parle de cette saisie, Boucheul indique qu’elle ne peut être faite par le seigneur de fief s’il n’a exercice de juridiction. Et s’il dit cela, c’est parce que ce seigneur n’a tout simplement pas de juge pour en donner le commandement. Aussi est-il obligé, pour la faire exécuter, de recourir au seigneur justicier le plus immédiat, afin que le juge de ce dernier en donne la commission à son sergent, qui l’exécutera57.
35En un mot, pour Boucheul, c’est peut-on dire le « tout ou rien », en ce qui concerne l’attribution de la justice au simple seigneur de fief : ou bien il est en possession de la basse justice contentieuse, et il est alors doté d’une véritable juridiction avec ses deux volets, – ou bien il ne l’a pas, parce qu’un autre l’a, et il n’a alors aucune véritable justice, pas même pour juger les causes concernant ses droits féodaux, – au contraire, on s’en souvient, des seigneurs normands, angevins et tourangeaux, qui semblent avoir toujours eu une « cour » pour ce faire, ou en tout cas le droit d’en réunir une58. Or, la faculté d’agir pour les revenus de son fief, chez un seigneur, c’est la partie de la basse justice dont il a le plus besoin, et c’est celle sans doute qui est la plus pratiquée par ceux qui sont dotés de toute l’étendue de cette juridiction.
36Après Boucheul, au XVIIIe siècle, le seul jurisconsulte de valeur, faisant preuve d’une opinion personnelle, c’est Jean-Baptiste Harcher. A sa suite, il y aura bien encore un auteur coutumier : Louis Marquet, mais ses Principes généraux de la coutume de Poitou (un petit in-12, en date de 1764) ne feront guère que paraphraser, utilement certes, mais sans grande originalité de pensée, ce que dit le texte59. En revanche, de Jean-Baptiste Harcher, dont je viens de parler, le Traité des Fiefs sur la coutume de Poitou, paru deux ans auparavant en 1762, est autrement intéressant en ce qui concerne du moins son objet60. L’auteur, cependant, y suit les conclusions de Boucheul. En effet, après avoir reconnu dans un chapitre que le seigneur de fief a la justice contentieuse61, il enseigne, dans un autre chapitre que « Cela n’empêche qu’un autre seigneur ne puisse avoir cette justice », parce que « fief et justice n’ont rien de commun »62. Et, pour ce qui est de la justice foncière, il l’assimile, lui aussi, à la directe féodale63.
37Peut-être est-ce à cause de cette peu encourageante doctrine, comme aussi en raison des obstacles de compétence et de procédure évoqués plus haut, qu’on ne retrouve plus après 1610, du moins à notre connaissance, de jurisprudence concernant l’union du fief et de la justice en coutume de Poitou. Au surplus, la moindre justice était quelque peu onéreuse à entretenir, et nombre de petits seigneurs poitevins, appauvris par un droit d’aînesse devenu partout rigoureux (aux deux tiers depuis 1514), n’avaient sans doute plus l’ambition de posséder et d’exercer la basse justice dans leurs fiefs. – Nous savons d’ailleurs, par Beauchet-Filleau, que, dans le ressort de la sénéchaussée et siège présidial de Poitiers, il n’y avait, en 1787-1789, au-dessous de quelque 300 hautes justices seulement une petite trentaine de basses justices, dont cinq au moins n’étaient pas exercées64.
Cependant la doctrine poitevine rattache quand même diverses prérogatives, comme le droit de déshérence et les banalités, à la basse justice foncière, donc au simple fief
38Il faut cependant noter, sans qu’on puisse s’y attarder dans le cadre restreint du présent article, que les prérogatives annexées à la basse justice dont il a été question dans l’introduction, comme le droit de déshérence sur les biens sans héritiers et les banalités de four et de moulin, se trouvent attribuées, sans que les textes les y obligent absolument65, à la basse justice foncière, i.e. au fief, par la plupart des commentateurs de la coutume de Poitou66. Alors qu’on s’attendrait plutôt, après ce qui vient d’être dit plus haut, à ce que ces auteurs fassent de ces droits une dépendance de la basse justice contentieuse. – Mais peut-être est-ce là le souvenir d’un temps où, basse justice contentieuse et foncière, déshérence, banalités et fief étaient tout à fait unis et confondus…
39En résumé, on peut considérer, au terme de cette 1ère partie, que le principe général « Fief et Justice n’ont rien de commun ensemble » fait, en Poitou, des progrès remarquables dans la doctrine dominante. Chez plusieurs auteurs apparaît presque une obsession, ou du moins une forte préoccupation, d’appliquer, autant qu’il est possible, cet axiome du droit commun. On va voir que celui-ci règne sans partage dans les Pays Charentais.
II. L’adhésion sans problème, en Angoumois, en Aunis et en Saintonge, au principe général « Fief et Justice n’ont rien de commun ensemble »
40Si la coutume de Poitou, l’une des plus importantes de l’Ouest coutumier et ses principaux commentateurs sont bien connus, les coutumes d’Angoumois, d’Aunis et de Saintonge et ceux qui les ont analysées le sont, peut-être, un peu moins. Rappelons donc brièvement, en premier lieu, à quels textes et à quels jurisconsultes nous allons avoir affaire.
Les filiales de la coutume de Poitou et leurs commentateurs
41Pour présenter en quelques mots les coutumes d’Angoumois, d’Aunis et de Saintonge, il convient principalement de rappeler qu’elles sont fondamen-talement poitevines67, ainsi que leur qualification, notamment par Jean Yver, de « filiales de la coutume de Poitou68 » le laisse bien entendre. Mais, poitevines par l’essentiel de leur contenu, elles n’en ont pas moins, comme d’ailleurs leur coutume mère, été ouvertes, sans doute dès avant leur rédaction officielle au début du XVIe siècle69, à bien des influences extérieures. A celle des coutumes du Centre et à celle des pays de droit écrit, voisins à l’est et au sud70 ; mais aussi, à l’époque moderne, à celle de la coutume de Paris, représentant largement le droit commun coutumier, qui, comme on sait, a vocation à s’appliquer quand, sur tel ou tel point, une coutume est muette, obscure ou suffisamment perméable à son influence71. – La raison de cette ouverture paraît être d’abord que les coutumes charentaises (on peut les appeler ainsi) sont toutes extrêmement brèves et lacunaires72. Comme si leurs rédacteurs avaient voulu uniquement retenir quelques règles à leurs yeux importantes, souvent conformes à la coutume de Poitou, mais parfois différentes d’elle. Et puis, ces coutumes sont de surcroît, comme il se voit sur la carte de Klimrath, dans une position géographique frontalière, dans le sud-est et le sud du groupe des coutumes de l’Ouest. A ce point que l’une au moins d’entre elles, celle de Saint-Jean-d’Angély, qui se maintient pourtant fermement en pays coutumier, est déjà dans le ressort du Parlement de Bordeaux, où elle rejoint sa parente, l’usance de Saintes. Les coutumes d’Aunis et d’Angoumois ont d’ailleurs failli, elles aussi, être détachées du Parlement de Paris, au XVe siècle, et connaître le même sort73. On se trouve donc là à la couture de deux grandes zones juridiques différentes, celle du Nord et celle du Sud.
42Une telle susceptibilité aux influences de voisinage explique peut-être que si les textes de la coutume de Poitou concernant fief et justice peuvent poser quelques problèmes et même sembler contradictoires, ceux de ses filiales sont au contraire clairs et nets sur ce point. L’amortissement, le glissement poitevin, trouve ici son aboutissement et sa fin. La maxime générale « Fief et Justice n’ont rien de commun », qu’expriment d’ailleurs la plupart des coutumes du Centre, y triomphe et n’embarrasse pas les juristes locaux.
43De ces derniers, on le comprend aisément, les commentaires sont d’autant plus utiles et précieux que leurs coutumes respectives sont plus brèves. Il n’est sans doute pas inutile, après avoir situé celles-ci pour l’essentiel, de faire ou refaire rapidement connaissance avec les jurisconsultes qui ont le plus contribué à combler leurs lacunes.
44En Angoumois, tout d’abord, sans trop s’arrêter à l’Exposition sommaire du premier commentateur, Pierre Gandillaud, il faut faire une place toute particulière, au XVIIe et XVIIIe siècles, à la dynastie des Vigier : Jean, Jacques et François, surtout à Jean, dont les descendants ont plus ou moins complété et mis à jour le travail, – ainsi qu’à Etienne Souchet, qui, écrivant sur la coutume à la veille de la Révolution, bénéficie donc des acquis de ses devanciers angoumoisins et étrangers, et confère ses explications avec le droit commun du royaume74.
45En Saintonge, au siège de Saint-Jean-d’Angély, il y eut bien en premier lieu une analyse latine de la coutume par Jacques Desvignes ou Des Vignes, mais les commentateurs les plus accrédités, au XVIIe siècle, sont Armand Maichin et Cosme Bechet. Ce dernier présentant l’intéressante particularité d’avoir annoté et comparé, dans une province juridiquement coupée en deux, la coutume de Saint-Jean et l’usance de Saintes. Un autre jurisconsulte nommé Dusault rapprochera également les deux textes, au premier quart du XVIIIe siècle75.
46Enfin, en Aunis, c’est sans doute bien plus à René Josué Valin qu’à son prédécesseur Etienne Huet, qu’il faut recourir pour combler les vides d’une coutume rochelaise seulement composée de 68 articles. Il publie son important commentaire au milieu du XVIIIe siècle, et, comme l’angoumoisin Souchet, il se réfère volontiers à la coutume de Paris et au droit commun76.
47Ces présentations faites, il faut tout de suite souligner que tant les coutumes filiales de celle de Poitou elles-mêmes que leurs commentateurs font une distinction capitale : il y a, dans leurs ressorts, les seigneurs qui ont une juridiction, et il y a ceux qui n’en ont pas. Au surplus, y sont séparées du fief non seulement la basse justice, mais aussi les prérogatives qui y sont ordinairement liées dans l’Ouest.
En Angoumois, en Aunis et en Saintonge, le simple fief est radicalement séparé de la basse justice
48En effet, la coutume d’Angoumois, quant à elle, oppose nettement le seigneur « ayant jurisdiction exercée » et le seigneur « sans exercice de jurisdiction » cependant que celle d’Aunis et de Saintonge parlent couramment de fiefs « ayant jurisdiction ou non »77. Ces expressions, qu’utilise ici et là Boucheul en Poitou pour les besoins de sa thèse, ont naguère piqué – plus précisément la « justice exercée » de la coutume d’Angoumois – l’intérêt de Jean Yver, sans qu’il ait eu le temps, sans doute, ou le loisir de pousser plus loin ses recherches78. De telles formules pourraient en effet laisser entendre que les seigneurs qui n’ont pas de juridiction exercée, en ont tout de même la capacité juridique, et que c’est seulement en fait qu’ils n’en ont pas l’exercice ; qu’il ne s’agit que d’une question de pratique ou de moyens ; et, par conséquent, que ces seigneurs ayant cessé un temps de tenir leurs assises, pourraient les reprendre à tout moment à leur volonté, – comme le seigneur de Verdilles, en Poitou, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe…79.
49Peut-être fut-ce le cas à l’origine, mais à l’époque moderne, l’interprétation, unanime, expresse ou tacite, des commentateurs de nos coutumes, c’est que celui qui n’a pas de justice exercée n’en a pas du tout, et n’a pas le droit d’en avoir :
50Ainsi Etienne Souchet, en Angoumois, affirme-t-il qu’un seigneur « n’a point de droit de justice en vertu seulement de son fief, et d’ajouter : « Tout seigneur… qui prétend avoir droit de justice, doit prouver son droit par des titres suivis de possession80. » D’ailleurs Cosme Bechet rapporte que, dans la coutume de Saint-Jean-d’Angély, « il y a quantité de fiefs qui n’ont aucune jurisdiction »81. Quant au rochelais Valin, il note qu’en Aunis « un fief peut exister sans que la jurisdiction y soit attachée, suivant la maxime Fief et Justice n’ont rien de commun », ce que son devancier Etienne Huet avait proclamé avant lui82.
51Mais si précisément, comme Souchet en expose le problème, le seigneur sans justice prétend en avoir une, quelle preuve devra-t-il fournir ? – On retrouve, chez les auteurs charentais à peu près le même système (c’est au reste celui du droit commun) que chez les jurisconsultes poitevins. Il faut, en principe, un titre de concession (que le roi, source de toute justice, est censé avoir au moins confirmé), ou, à défaut, une possession immémoriale. A cet égard, la coutume d’Angoumois reproduit, en son art. 6, le fameux art. 14 de la coutume de Poitou, suivant lequel un haut justicier a la moyenne et basse justice en tout son ressort, sauf convention ou possession contraire83. S’agissant d’un titre, l’acte de concession originel étant presque toujours perdu, la preuve habituelle sera, là aussi, une série d’aveux vérifiés et non blâmés. L’angoumoisin Souchet reconnaît en effet que « des aveux et dénombrements dans lesquels il est fait mention expresse de ce droit de justice… font présumer le titre primordial »84… Quant à l’usance ancienne, c’est la possession immémoriale qui est presque généralement exigée. En effet, toujours en Angoumois, si Jacques Vigier pense – précisant l’opinion de Jean, son père, qui parlait seulement d’« une longue possession », – que celle de 30 ans doit suffire85, Souchet veut une possession immémoriale au sens propre du terme. Par ce motif qu’« une possession fondée sur l’exercice de la justice dont on connaît l’époque ne peut faire présumer un titre légitime »86. En Aunis, Valin a la même exigence, qu’il fonde, comme Souchet, sur l’autorité des grands auteurs classiques du droit commun, tels Bacquet, Loyseau et Bourjon87. En usance de Saintonge, Dusault estime, en ce qui le concerne, que « le droit de justice peut se prouver par témoins d’une possession immémoriale »88. En somme, la justice, et c’est ce qu’enseignent la majorité des auteurs, n’est pas prescriptible, car la possession immémoriale ne fait pas prescrire, à proprement parler : elle donne un titre à qui n’en a pas (habet vim constituti).
Une justice foncière dans les coutumes charentaises ?
52On a vu, dans la première partie de cet exposé, que presque partout dans l’Ouest coutumier, une distinction est faite entre justice contentieuse et justice foncière ; que probablement cette dernière demeure une vraie juridiction en Bretagne, en Normandie et en Touraine-Anjou ; mais qu’elle n’est plus, pour une partie importante au moins de la doctrine poitevine, que l’équivalent des droits de la directe d’un seigneur sur sa mouvance noble et roturière. – Alors qu’en est-il dans les pays charentais ?
53La coutume d’Angoumois connaît, certes, une justice foncière en son art. 12. Mais il résulte, sans aucun doute possible, de son contenu qu’il ne peut s’agir, comme dans la thèse de Boucheul en Poitou, que de la directe féodale, puisque cette justice y permet à celui qui en est doté, en cas de vente du fief de son vassal, soit de percevoir les ventes et honneurs sur le prix (au 1/6e, comme en Poitou), soit d’exercer le retrait féodal89. – En revanche, il n’est même pas parlé de la justice foncière dans les autres filiales de la coutume de Poitou ni dans l’usance de Saintes. En Saintonge, les textes se contentent de distinguer, comme aussi d’ailleurs ceux de la coutume d’Angoumois, le seigneur justicier, ou qui a justice, et le seigneur foncier. Ainsi, la coutume de Saint-Jean-d’Angély en ses articles 18 et 29, et l’usance de Saintes à l’article 2890. N’offrant que trop peu d’articles concernant la justice et le fief, la coutume d’Aunis ne fait pas, de son côté, une telle distinction, mais Valin se reconnaît du même avis que le parisien Jean Bacquet lorsque celui-ci enseigne que la justice foncière n’est à la vérité qu’« une chimère »91… Il n’y a donc pas de chance, en ces ressorts charentais que la justice foncière attribue par elle-même à un seigneur une véritable juridiction : en Angoumois, elle est calquée sur celle que présente Boucheul pour le Poitou (à moins que ce soit le contraire !) et elle n’existe pas chez le seigneur qui n’est que foncier, i.e. le simple seigneur de fief92…
54La justice est donc, sans problème, séparée du fief dans le ressort charentais. Il s’ensuit, évidemment, que le seigneur sans juridiction n’a pas même le contentieux de la perception de ses droits féodaux. La coutume de Saint-Jean-d’Angély, à l’art. 24, prescrit à cet égard expressément au seigneur foncier qui n’a exercice de juridiction de poursuivre les amendes pour le non paiement de ses redevances « par devant le sénéchal ou juge du seigneur de qui il tient par hommage »93 (sous-entendu si ce dernier a lui-même juridiction, sinon il devra s’adresser à son suzerain ou, à défaut, au juge royal le plus proche), ce qui montre assez que ce simple seigneur foncier n’a ni juge ni officier pour le faire. Les autres coutumes ne donnent pas cette précision, mais, à coup sûr, parce que cela va sans dire. Aussi Bechet note-t-il, sous ce même art. 26 de la coutume de Saint-Jean-d’Angély, que, si l’usance de Saintes est muette sur ce point, « l’observation en est commune et générale » dans le ressort94. – Quant au rochelais Valin, il déclare : « Toute la différence qu’il y a entre le fief qui a jurisdiction et celui qui ne l’a pas, est qu’au premier cas, le seigneur peut en poursuivre le paiement [de ses droits féodaux], et qu’au second, il est obligé d’emprunter la juridisdiction de son suzerain », précisant que la basse justice suffit à une telle poursuite95. De son côté, l’angoumoisin Souchet tient à peu près le même langage96.
55D’ailleurs, nos trois coutumes, que suit de ce point de vue l’usance de Saintes, expriment indirectement cette incapacité du simple seigneur foncier à sanctionner lui-même le non paiement de ses droits, en ce qui regarde son moyen d’exécution essentiel, car ce n’est qu’au seigneur ayant juridiction qu’elles permettent de saisir pour cens et rentes non payés, hommages et autres devoirs non faits, etc…97
En Angoumois, en Aunis et Saintonge, le simple fief est également séparé des prérogatives qui sont ordinairement liées à la basse justice dans l’Ouest coutumier
56Mais voici un trait par lequel nos filiales et leurs commentateurs renchérissent sur leur coutume mère et les auteurs poitevins : dans une sorte de logique conduisant à réduire le fief à une autorité et supériorité purement privées, les unes et les autres le séparent non seulement de la basse justice mais aussi des prérogatives qui sont habituellement unies à celle-ci dans l’Ouest.
57En effet, on a vu à l’instant qu’en Poitou, si les banalités et le droit de déshérence (pris comme exemples) sont attribués par la coutume à la basse justice, que tout seigneur de fief n’a donc pas forcément, tous les commentateurs poitevins les reconnaissent, sans doute en tant que prérogatives domaniales, non à la basse justice mais à la justice foncière98.
58Or, la coutume d’Angoumois et celle de Saint-Jean-d’Angély accordent le moulin banal : la première seulement au seigneur « ayant justice exercée », et la seconde à la « basse jurisdiction », à l’exclusion par conséquent, en ces ressorts, du simple seigneur de fief99. Quant au four banal, il n’appartient, en Angoumois, qu’à celui qui a, de même, juridiction exercée100. On remarque cependant qu’à Saint-Jean-d’Angély, cette banalité de four est attribuée, soit au bas justicier, (c’est ce qu’on attend), soit au seigneur de fief, à la condition toutefois que celui-ci ait « bourg ou chef de bourg » dans un fief, i. e. une agglomération relativement importante, à l’exclusion du simple village, un bourg où il puisse construire et exploiter son four. Limitation tout à fait raisonnable d’ailleurs, et que prévoit aussi la coutume de Poitou, pour éviter que les sujets roturiers du seigneur qui habitent en des lieux isolés, soient obligés de se déplacer de loin pour faire cuire leur pain101. C’est le seul point semble-t-il où l’une de nos coutumes attache, possiblement, au simple fief – il est vrai ayant déjà une assiette relativement importante – une prérogative normalement liée par elles à la basse justice contentieuse.
59De l’autre côté de la Charente, l’usance de Saintes, qui n’a que 74 articles, ne parle pas des banalités, et Bechet dit qu’effectivement l’usance « ne reconnaît point les moulins banaux non plus que les fours ; de sorte, conclut-il, que ceux qui se trouvent en toute son étendue sont fondés sur des titres particuliers et les suffrages du temps »102. – Il est vrai qu’on se trouve déjà, ici, en pays de droit écrit où, comme d’ailleurs en droit commun coutumier, il faut généralement un titre pour pouvoir exercer les banalités…
60Quant à la coutume d’Aunis-La Rochelle, un peu plus brève encore que l’usance de Saintes, elle est tout aussi muette sur le sujet. Ce qui permet à René Valin, considérant que de telles contraintes sont de véritables servitudes, d’exiger, sur le modèle de la nouvelle coutume de Paris, en son art. 71, que ces droits soient prouvés, et, qui plus est, par un titre constitutif originel, comme serait un accord écrit passé entre le seigneur et les assujettis, ou, du moins, par des titres énonciatifs anciens et soutenus par une possession immémoriale103… On ne peut, sous l’influence de la coutume de Paris, s’écarter davantage du rattachement sans condition des banalités au simple fief !
61S’agissant d’autre part du droit de déshérence, notamment en la faculté, pour un seigneur de recueillir les biens des personnes décédées sans héritiers et sans avoir disposé de leurs biens, aucune de nos coutumes n’en parle. Mais leurs commentateurs – Etienne Souchet sur celle d’Angoulême104, Armand Maichin sur celle de Saint-Jean-d’Angély105 et René Valin sur celle de La Rochelle106 – reconnaissent ce droit au haut justicier, conformément au droit commun. Valin croit même devoir rappeler qu’une telle prérogative appartenait à l’origine au souverain seul, mais que le roi a finalement bien voulu en laisser jouir les hauts justiciers, qui, avec beaucoup d’autres, se l’étaient appropriée dans la suite des temps troublés du Moyen Age. Ils en bénéficient, ajoute-t-il, en récompense de la charge qu’ils ont de recueillir les enfants trouvés107.
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62C’est ainsi que l’union du fief et de la basse justice s’amortit en ces ressorts méridionaux des coutumes de l’Ouest de la France… Si au nord/nord-ouest du groupe, en Bretagne et en Normandie, quelques bribes de justice contentieuse ont pu rester entre les mains du bas justicier et simple seigneur de fief, déjà, dans le « Grand Anjou » au centre, cet aspect le plus honorable de la basse justice lui échappe en réalité pour n’être plus à son égard qu’un titre nu, parce que les conditions de son exercice ne sont plus par lui réalisables à l’époque moderne.
63Plus au sud, en Poitou, premier ressort étudié ici de manière approfondie, la dégradation apparaît autrement plus sérieuse : la coutume donne et ne donne pas, tout à la fois, la justice contentieuse à celui qui tient noblement un fief, étant donné la difficile compatibilité de ses articles 14 et 17. Ce qui entraîne une partie notable de la doctrine à l’en priver, sauf à fournir de sa part la preuve d’un titre ou d’une longue possession le faisant présumer. L’influence très attractive du principe général « Fief et justice n’ont rien de commun », qui a déjà contribué à faire adopter par les docteurs poitevins cette première décision, leur fait au surplus réduire la justice foncière, qu’il doivent en revanche reconnaître au fief, aux seuls droits de la seigneurie directe, à laquelle ils rattachent tout de même quelques prérogatives attribuées d’ordinaire à la justice, comme le droit de déshérence et les banalités.
64Mais en Angoumois, en Aunis et en Saintonge, second objet de la présente enquête, le glissement annoncé au nord du groupe trouve son complet aboutissement en ces frontières des pays de droit écrit. Le simple fief y est dépouillé de toute juridiction, contentieuse et foncière, et de toute prérogative publique ou quasi publique. Il y est, peut-on dire, largement « privatisé », comme dans le droit commun du royaume.
65On pourrait donner bien d’autres exemples d’une semblable atténuation, du nord au sud, des caractères originaux des coutumes de l’Ouest, à la suite de celui qui en a montré par ailleurs si brillamment l’unité. Par exemple, dans le secteur du droit privé, l’assouplissement, dans le même sens géographique, de l’obligation, pour l’héritier d’une succession roturière, d’y rapporter nécessairement ce qu’il a reçu du de cujus avant son décès108.
66Jean Yver a montré, en plusieurs de ses ouvrages et particulièrement dans l’un de ses derniers articles, que la coutume de Poitou était située « au carrefour des influences coutumières et de droit écrit »… Ce qui vient d’être dit montre que c’est encore plus vrai pour ses filiales d’Angoumois, d’Aunis et de Saintonge…
Notes
1 Cet article est issu d’une communication présentée à la « Journée d’Histoire du Droit et des Institutions des pays de l’Ouest de la France », tenue à Bayeux le 8 septembre 2004. On lui a conservé – sauf à compléter plus tard la recherche dans les documents de la pratique – son caractère purement coutumier et doctrinal. – On y utilisera les sigles et abréviations suivants : V.C. = vieux coutumier ; A.C. = ancienne coutume ; N.C. = nouvelle coutume ; B. de R. = Bourdot de Richebourg ; R.H.D. = Revue historique de droit français et étranger ; B.S.A.O. = Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest ; M.S.A.O. = Mémoires de la même Société ; Ex. = exemple ; i.e. = c’est-à-dire ; Art. = article.
2 R.H.D., 1952, p. 18-81 ; tirage à part, p. 1-64. On renvoie à cet ouvrage fondamental pour toute la partie médiévale du sujet ici traité.
3 J. Yver, art. cit., p. 27-50 (10-33). Voir la carte ci-jointe, réalisée à partir de celle de Henri Klimrath. Au nord du groupe, sont les coutumes de Bretagne et de Normandie, dont les caractères propres sont d’autant mieux défendus qu’elles sont toutes deux dotées d’un parlement particulier. – Au centre, se trouvent les quatre coutumes issues du Vieux Coutumier de Touraine-Anjou et des Etablissements de Saint-Louis, jumelles deux à deux : celles du Maine et d’Anjou et celles de Touraine et Loudunais. – Enfin, au sud, se rencontrent la coutume de Poitou et ses filiales d’Angoumois, d’Aunis et de Saintonge au siège de Saint-Jean-d’Angély. – A noter que la coutume du Grand-Perche, qui intègre le groupe en certains domaines, comme influencée par celle du Maine, s’en échappe, semble-t-il, en celui qui va nous occuper. – Les coutumes autres que celles de Bretagne et de Normandie font partie de l’immense ressort du Parlement de Paris, excepté celle de Saint-Jean-d’Angély, déjà incluse dans le ressort de celui de Bordeaux (comme l’usance de Saintonge qui la prolonge, à plusieurs égards, dans les pays de droit écrit).
4 Les coutumes du Centre sont celles de Berry, de Nivernais et de Bourbonnais, comme celles aussi de la Haute-Marche et de partie de l’Auvergne. – Tout le monde sait que la féodalité s’étant moins implantée dans le sud du royaume que dans le nord, les fiefs y étaient généralement moins nombreux et le droit féodal moins contraignant.
5 Loisel a fait de cette maxime une règle de ses fameuses Institutes Coutumières : « Fief, ressort et justice n’ont rien de commun ensemble », livre II, titre II, n° XLIV, éd. Laurière, 1765, t. Ier, p. 302-303 ; éd. M. Reulos, ibid., n° XLII, 1935, p. 47. Ce brocard, pourtant promis à grande fortune, ne se trouve curieusement exprimé qu’en d’assez rares coutumes officiellement rédigées au XVIe siècle, notamment en celles d’Auvergne (II, 4), de la Haute-Marche (I, 5), de Bourbonnais (I, 1) et de Berry (V, 57), toutes les quatre coutumes du Centre, et aussi en celle de Blois (art. 65), coutume du groupe orléano-parisien mais voisine des précédentes. – Plusieurs grands jurisconsultes en ont fait l’un des principes majeurs de leurs écrits, comme Jean Bacquet († en 1597) dans son Traité des droits de Justice, et Charles Loyseau (1566-1627) dans son célèbre Discours de l’abus des justices de villages.
6 J. Yver, art. cit. : sur l’union du fief et de la justice, voir p. 27-32 (10-15), sur les prérogatives liées à la basse justice p. 32-50 (15-33). On ne retiendra ici comme exemples que le droit de déshérence et les banalités de four et de moulin, qui se trouvent attachées à la basse juridiction ou au fief dans presque toutes les coutumes de l’Ouest.
7 Le problème de l’union du fief et de la justice en Poitou et dans ses pays satellites a déjà été abordé naguère par Robert Villers dans un article plus général intitulé « Observations sur fief et justice dans les coutumes de l’Ouest », auquel Jean Yver fait d’ailleurs référence dans ses « Caractères originaux », parus la même année. Mais dans ce très intéressant exposé de survol, l’auteur n’a pu étudier qu’un peu trop rapidement la coutume de Poitou, du moins pour l’époque moderne, et seulement en deux courtes phrases ses coutumes filiales (Mém. de l’Acad. des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, Nouvelle Série, t. XII, 1952, p. 219-243). Je me propose donc d’y apporter ici les compléments qui m’ont paru nécessaires.
8 Par ex. en Bretagne, N.C. de 1580, art. 74, où l’expression : « Les rôles et rentiers des juridictions » (qui doivent être réformés tous les dix ans) est de toute évidence mise pour les rôles et rentiers des fiefs et censives (B. de R., t. IV, p. 365). Hévin la commente d’ailleurs ainsi : « Nam ubique confundunt feudum cum iurisdictione » (cf. Poullain Du Parc, Coutumes de Bretagne, t. Ier, éd. de 1745, p. 317). Et en Anjou, coutume de 1508, art. 4 et 5, comme en Touraine, N.C. de 1559, art. 2 et 3, où, alternativement, soit le bas justicier soit le seigneur du fief est fondé d’avoir ventes et retrait (Anjou) et peut contraindre ses tenanciers à lui bailler déclaration de leurs devoirs (Touraine), B. de R. ibid., p. 530 et 643.
9 A noter que l’expression « justice foncière » n’a pas entièrement le même sens en tous les ressorts ni chez tous les auteurs qu’ici dans l’Ouest. Ainsi, pour le jurisconsulte Charles Dumoulin, ce n’est, pour le seigneur de fief, que le droit domanial, indépendamment de toute justice publique, de pouvoir saisir lui-même la censive ou le fief qu’il a concédé à son tenancier ou vassal pour la conservation de ses droits (In Cons. paris. sur l’art. 1er (A.C.), glose 4, n° 8 et s., éd. de 1554, fol. xxii et xxiii). Mais la doctrine dominante et la pratique commune n’ont pas suivi cette opinion, dépassée à l’époque moderne ; il faut désormais avoir au moins la basse justice contentieuse pour saisir féodalement, le seigneur de fief ne l’exerçant d’ailleurs pas lui-même, mais par un sergent sur commission de son juge.
10 B. de R., ibid., p. 465 et 529 : « [Il]… sera traité… des droits… qu’ont les seigneurs ayant seulement basse justice et justice foncière… qui est tout un. »
11 A quoi il faut sans doute ajouter le fait que, celles de Bretagne et de Normandie mises à part, presque toutes les autres coutumes de l’Ouest se trouvent incluses dans le ressort du Parlement de Paris et donc plus ou moins soumises à l’influence du droit commun coutumier…
12 B. de R., op. cit., ibid., p. 61.
13 Voir par ex., sur ces art. 24, 25 et 27 et sur les suivants, le commentaire de Pesnelle, augmenté des observations de Roupnel, Coutume de Normandie, éd. de 1759, p. 34-43.
14 Œuvres, éd. de 1709, t. Ier, p. 82.
15 Op. cit., p. 23. – A la veille de la Révolution, Houard, distinguant nettement la haute et la basse justice, pourra dire que cette dernière n’est qu’« une justice domestique » (Dictionnaire analytique, historique… de la coutume de Normandie, 1782, t. 2, p. 459.
16 C’est déjà sur l’art. 446 de l’A.C. de 1539 que le grand jurisconsulte breton présente son système et définit ainsi la compétence du bas justicier : « … est jus dicere de civili et pecuniario, aut soli subjecto actionibus personalibus, realibus, mixtis… Item de debitis et juribus omnibus ea lege et concessionne feudi debitis ut… de ventis, laudimiis, rachaptu… Item limitatio itinerum, quibus ab urbe in urbem commeatur, etc… » (D’Argentré, Commentarii in Cons. ducatus Britanniae, éd de 1664, col. 1544). Les rédacteurs de 1580 ne reprirent pas les attributions définies par d’Argentré pour chaque degré de juridiction seigneuriale : « si bien, remarque A. Giffard, qu’il y eut jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, dans la pratique et la doctrine bretonnes, des discussions sur la compétence respective des hautes, moyennes et basse justices », Les justices seigneuriales en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, th. Droit, 1902, p. 110, note 4.
17 Institution au droit françois par rapport à la coutume de Bretagne, tit. Ier, § 25, p. 50-51.
18 Principes du droit françois suivant les maximes de Bretagne, t. II, p. 423. – Dans les précieuses coutumes générales de Bretagne qu’il a publiées non seulement avec ses commentaires mais avec ceux de plusieurs de ses prédécesseurs (Dumoulin, d’Argentré, Hévin) Poullain Du Parc déclare, dans une note sur l’art 473 de la N.C., qu’en Bretagne « il n’est pas possible d’établir une règle certaine sur la distinction des différents degrés de justice, haute, moyenne et basse ». Il parle à cet endroit des limites que « l’usage seul » a établies en Bretagne entre les différents degrés de justice, Coutumes générales, t. III, éd. de 1748, p. 313.
19 Par ex., cout. d’Anjou, art. 21 : « … 7 sols 6 deniers tournois entre nobles et 10 sols entre roturiers » ; cout. de Touraine, art. 1er : « … jusqu’à 7 sols 6 deniers du roturier, et des nobles et gens d’Eglise jusqu’à 5 sols ». On verra plus loin que la compétence des bas justiciers poitevins va aussi jusqu’à 7 sols 6 deniers. A titre de comparaison, notons qu’en Normandie, l’art. 33 dit que les bas justiciers en tenant leurs plaids « peuvent lever 18 sols 1 denier d’amende… et non plus », B. de R., ibid., p. 530, 643 et 61.
20 Par ex., en cout. d’Anjou, art. 64 : « Et les hauts, moyens et bas justiciers pourront faire semblablement tenir leurs plaids quatre fois l’an et non plus », B. de R., ibid., p. 535. De même en cout. de Touraine, art. 1er : « Et doit [le seigneur bas justicier] faire tenir ses assises quatre fois l’an », B. de R., ibid., p. 643. – Toujours à titre comparatif, remarquons que le bas justicier normand, qui tient ses « gages-pleiges » une fois l’an, c’est-à-dire une assemblée solennelle de justice pour que soit élu le « prévôt » de la seigneurie, qui lèvera les redevances, et pour que les vassaux fassent déclaration des terres qu’ils tiennent (art. 185-193 de la coutume), ce bas justicier peut, en matière féodale, tenir des plaids ordinaires de quinzaine en quinzaine, ce qui donne une facilité d’exercer la justice, au moins foncière, autrement plus large que les quatre fois l’an des coutumes angevines (voir à ce sujet le commentaire de Pesnelle et la note 1 de Roupnel sur l’art. 185, Coutume de Normandie, éd. de 1759, p. 155- 157 ; et, pour plus de détails, Flaust, Explication de la coutume de Normandie, 1781, t. II, p. 353 et s. – Le mot de gage-pleige est expliqué de la façon suivante par Pesnelle sur l’art. 185 : « …. Parce que dans ces pleds les vassaux non demeurans dans l’étendue de la seigneurie sont tenus de gager ou bailler des pleiges [cautions]… demeurans dans l’étendue du fief, pour le paiement des rentes et redevances de l’année », op. cit., p. 155.
21 Coutumes… d’Anjou, éd. Pocquet de Livonière de 1725, t. Ier, p. 17. Le même Pocquet précise qu’en Anjou, le droit d’avoir juridiction « réglée et contentieuse », i.e. tenue à des dates régulières et rapprochées en affaires non féodales, n’appartient qu’aux seigneurs qui sont au moins châtelains, sauf prescription de la part des justiciers inférieurs, Traité des fiefs, éd. de 1756, p. 575.
22 Nouveau commentaire sur la coutume de Touraine, sur l’art. 1er, glose 5e, n° 6, éd. de 1787, t. Ier, p. 13.
23 En Normandie comme on l’a vu plus haut, note 20, les simples seigneurs de fiefs, outre les plaids ordinaires qu’ils peuvent tenir suivant les besoins de quinzaine en quinzaine, réunissent presque nécessairement chaque année leurs gages-pleiges, ce qui est une échéance régulière non négligeable. En revanche, Jean de La Monneraye constate qu’au Maine : « Il n’y a pas de période fixe pour la réunion de ce tribunal [de justice foncière] et qu’en fait ces assises se tiennent irrégulièrement », « Le régime féodal et les classes rurales dans le Maine au XVIIIe siècle », R.H.D., 1921, p. 205.
24 Juridiction dotée d’une Cour : Maine, art. 14 et 401 (B. de R., p. 467 et 506) ; Anjou, art. 14 et 391 (p. 531 et 571) ; Touraine, art. 1 et 8 (p. 643-644) ; Loudunais, ch. 1, art. 1 et 4 (p. 711-712). – Dotée d’un juge, sénéchal, bailli, greffier, sergent : Normandie, art. 108 et 112, (p. 65) ; Maine, art. 397 (p. 506) ; Anjou, art. 387, (p. 570) ; Touraine, art. 34 (p. 646). – Dotée d’officiers : Anjou, art. 5 (p. 530) ; Touraine, art. 110 (p. 652) ; Loudunais, ch. 11, art. 2 (p. 718). – Tenant des plaids ou assises : Normandie, art. 185 (p. 68) ; Anjou, art. 64 (p. 535) ; Touraine, art. 1er, (p. 643) ; Loudunais, ch. 1er, art. 1er (p. 711).
25 Concernant la Normandie, Basnage déclare, sur l’art. 24 de sa coutume, que : « pour les justices féodales ou basses justices, le seigneur est tenu de les faire exercer par un sénéchal et un greffier… » Mais les plaids seigneuriaux, précise-t-il, « se tiennent ordinairement dans le manoir du seigneur », op. cit., p. 82-83. – Pour ce qui est du Maine, le commentateur Olivier de Saint-Vaast parle à plusieurs reprises d’officiers, de plaids et assises de la basse justice foncière ayant pour but de condamner vassaux et censitaires aux amendes de coutume, etc. : ainsi sur les art. 4 et 6, Commentaire sur les coutumes du Maine et d’Anjou, éd. de 1778, p. 7 et 9. Qui plus est, de nos jours, J. de La Monneraye, dans l’article plus haut citée à la note 23, dit de la compétence foncière au Maine qu’ « elle permet au seigneur ou à son officier d’assises de se faire rendre en temps utile aveux et déclarations… et de poursuivre le règlement des droits de mutation ». – S’agissant de l’Anjou, on l’a vu au texte, Dupineau atteste que les seigneurs de fiefs y tiennent effectivement des assises pour la conservation de leurs droits ; et si, plus tard, Pocquet de Livonière souligne que seuls les châtelains y ont une justice réglée et contentieuse, il reconnaît aussitôt après que, suivant l’art. 64 de sa coutume, les seigneurs bas justiciers, qui n’ont donc que la justice foncière, peuvent tenir des plaids quatre fois l’an. – Enfin, en Touraine, Dufrémentel, parlant de la justice foncière, observe qu’en ce ressort, il n’est « point de seigneur de fief qui ne fasse de temps en temps tenir ses assises ; point d’exemple qu’aucun seigneur de fief ait recours à une justice supérieure… pour saisir et retenir par puissance de fief… »
26 Vieux Coustumier de Poictou, éd. Filhol, n° 11, p. 31-32 ; A.C., art. 10 ; N.C., art. 17, B. de R., t. IV, p. 744 et 777. – René Filhol, comme on sait, avait suivant la tradition daté le vieux coutumier de Poitou de 1417 ; Mlle P. Portejoie le situe plutôt vers le milieu du XVe siècle (« La date du Vieux Coustumier de Poictou », R.H.D., 1964, p. 247-282. – On aura l’occasion de se référer, dans le présent article à un coutumier de la seconde moitié du XIVe siècle, mêlant le droit de diverses régions, notamment de l’Anjou et du Poitou : Le livre des droiz et des commendemens d’office de justice, éd. Beautemps-Beaupré, 1865, 2 vol. in-8°. Marcel Garaud en faisait peu de cas ; mais Jean Yver, sans lui reconnaître un grand mérite, en tirait parfois d’intéressantes indications.
27 V.C., n° 12, p. 32; A.C., art. 11; N.C., art. 18, B. de R., ibid., p. 777: « … S’il n’est que bas justicier en Thouarçois, il n’aura connoissance fors de l’étroit fonds, et non de demande personnelle entre ses sujet ni autres… » Encore faut-il qu’il ait l’habitude d’y tenir ses assises, car, dans la phrase qui précède, ce même article 18, déclare qu’en la châtellenie de Thouars « nul n’a droit de tenir assise, si d’ancienneté ne l’a accoutumé tenir ». Au surplus, en ce dernier cas, tout justicier doit tenir son assise en la ville de Thouars « si par possession ancienne ne l’a accoutumé tenir en son fief ».
28 V.C., n° 624, p. 217 ; A.C., art. 89 ; N.C., art. 108, B. de R., ibid., p. 750 et 785. L’art. 108 de la N.C. énumère les sortes d’hommage qui existent dans le ressort de la coutume de Poitou et c’est à cette occasion que le texte rappelle que « quiconcque a hommage pour raison d’aucune chose, est fondé d’avoir sur icelle jurisdiction… »
29 De surcroît, en son premier chef, l’art. 18, avait précisé : « quiconque a jurisdiction est fondé de tenir assises, combien qu’autrefois ne l’eût tenue. »
30 Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter la thèse que Jacques Brejon a consacrée jadis à ce commentateur : Un jurisconsulte de la Renaissance, André Tiraqueau (1488-1558), Paris, 1937. Suivant l’auteur, Tiraqueau aurait bien commenté l’ensemble de l’ancienne coutume de 1514, mais ce travail n’aurait jamais été publié en entier, p. 88-89. On remarque qu’à un an près, André Tiraqueau n’a pas connu la réformation de la coutume de Poitou, réalisée en 1559.
31 Pierre Rat (« Le Rat » comme l’appellera plus tard Boucheul), avocat et maire de Poitiers, est né, suivant A. de La Bouralière, qui ne donne pas en revanche la date de sa mort, en 1497 ou 1498. (Toutes les dates relatives à la naissance et au décès des commentateurs de la coutume de Poitou nous sont données par la précieuse Bibliographie poitevine de cet auteur). P. Rat n’a écrit, en latin, que sur l’ancienne coutume, et son commentaire a été publié pour la première fois en 1548, in-folio ; il sera plus tard accommodé avec le texte de la nouvelle coutume dans une seconde édition de 1609, in-4°.
32 Petri Rat… in patrias Pictonum leges, quas vulgus Consuetudines dicit, glossemata…, sur l’art. 10 (N.C., art. 17), Vis « D’avoir en sondit fief jurisdiction » : « Enim vero minoribus… valvassoribus… tantummodo proprie dicuntur, quae sunt jurisdictionis infimae, … certa in subditos multa…, quae jurisdictionis fructus est… Bar. Notat quae septem… assibus, cum dimidio, non amplius constare, potest… » – Et sur l’art. 89 (N.C., art. 108) : « Hoc enim in feudalium rerum genere, propria dominus ac naturali jurisdictione utitur. »
33 Jean Constant (1571-1650), avocat au Présidial de Poitiers, a participé avec son fils et sont petit-fils à la rédaction d’un ouvrage contenant des « Réponses » de son oncle Jean Boiceau de La Borderie, et de lui-même, ainsi que des « Additions » de son fils et de son petit-fils, à des questions posées sur la coutume de Poitou depuis 1530 jusqu’à 1646. L’ouvrage, rédigé en latin, et publié en 1659 par son petit-fils, a pour titre : Responsa Joannis Bosselie Borderi… et Johannis Constantii… ad varias questiones… propositas in consuetudine Pictonum ab anno 1530 usque ad ann. 1646, etc…, 1659, in-folio. – Constant, sur cet art. 17 (p. 25-26), donne quelques détails sur l’affaire terminée par l’arrêt de 1601 qu’il rapporte ici : le seigneur de Verdilles (localité aujourd’hui en Charente mais ressortissant alors à la coutume de Poitou), qui l’emporte, est Charles de Livennes ; son adversaire est dame Claude d’Estissac, veuve du comte de La Rochefoucauld, en tant que tutrice de ses enfants. Comme il est dit au texte, le comte de La Rochefoucauld, prince de Marcillac, avait remontré en 1559, contre la teneur de l’art. 17, que les vassaux de sa principauté n’étaient fondés en aucun exercice de juridiction : et, tout en lui donnant acte de cette remontrance, les rédacteurs de la coutume avaient fait passer l’art. 17 sans préjudicier cependant aux droits particuliers (cf. P.-V. de la coutume de 1559, B. de R., ibid., p. 825). C’est pourquoi un arrêt interlocutoire (préparatoire) avait donné au comte de La Rochefoucauld appelant de la sentence du Présidial de 1599, ou à sa veuve, six mois pour faire instruire et juger cette opposition. La comtesse n’ayant pu le faire dans ce délai, un arrêt définitif favorable au seigneur de Verdilles était alors intervenu en 1601. – Cette basse juridiction de Verdilles était encore active à la veille de la Révolution : en témoigne Beauchet-Filleau, qui nous apprend qu’en 1787-1789 « cette justice était exercée par un juge, un procureur fiscal et un greffier » et qu’ « elle relevait par appel de la principauté de Marcillac ». Le procureur fiscal tenait un peu le rôle, dans les justices seigneuriales, du procureur du roi dans les justices royales, et était qualifié de « fiscal » parce qu’il veillait à la perception des redevances du seigneur. Il était rare dans les moyennes et basses justices, « Mémoire sur les justices royales, ecclésiastiques et seigneuriales du Poitou », M.S.A.O., 1845, p. 42. – Constant ne dit rien par ailleurs de significatif sur l’art. 108 de la coutume.
34 Nicolas Théveneau, lui aussi avocat au Présidial de Poitiers, est né vers 1525 et a écrit sur la coutume réformée de 1559 plusieurs ouvrages parus de 1561 à 1606, à peu près de même contenu, et intitulés : soit Paraphrase, soit Annotations, soit Briève et claire interprétation, concernant les lois municipales du Poitou, ou encore tout simplement Coustumes de Poitou, in-4°. – Jacques Barraud, avocat, est né vers 1555 et mort en 1626 ; dans ses Coutumes du pays et comté de Poitou, 1625, in-4°, il ne donne sous chaque article qu’une courte conférence avec d’autres coutumes, mais, après chaque titre, il développe d’importantes annotations, divisées en chapitres, sur un sujet donné ayant trait au titre concerné. – Jean Lelet, avocat au Parlement et au Présidial de Poitiers, est né en 1592 ; ses Observations sur la coustume… de Poitou ont connu plusieurs éditions : la première est de lui seul, en date de 1637, in-4° ; la seconde est augmentée des corrections et observations de Jean Filleau (1600-1682), premier avocat au siège présidial de Poitiers, de Joachim Thévenet et d’Etienne Riffault, avocats au même siège, recueillies par Mathieu Braud, avocat au Parlement de Paris, 1683, 2 vol. in-4° ; la troisième est encore augmentée par Mathieu Braud, 1710, in-4°.
35 Théveneau, Briève et claire interprétation des lois municipales… de Poitou, sur l’art.17, éd. de 1567, p. 19 ; Barraud, op. cit., tit. 1er, ch. 2, n° 4, in fine, p. 119-120 ; Lelet et Filleau, op. cit., sur le même art, vis « Basse juridiction », éd. de 1710, p. 45.
36 Barraud, ibid., p. 120 ; Lelet et Filleau, ibid., p. 46 ; ces derniers auteurs écrivent : « Cet article [17]… ne porte autre chose si ce n’est que celui qui tient fief noblement peut avoir jurisdiction à tout le moins foncière qui est la jurisdiction basse et la plus proche du fond. » Ils citent aussitôt après l’arrêt de 1601 en faveur du seigneur de Verdilles, comme si cette décision n’avait reconnu à ce dernier que la justice foncière, ce qui ne s’aperçoit pas dans le résumé qu’en donne Constant (voir note 33). Un autre ancien jurisconsulte poitevin, Pierre Liège, né vers 1615, n’a laissé dans ses Commentaires sur la Coutume… de Poitou aucune analyse significative sur les art. 17 et 108. Quant au bref ouvrage de Jean Ménanteau, qui est appelé Le Fruict de la Coustume… de Poictou, publié dès 1566, 116 p., in-8°, il n’a guère pour ambition que celle de montrer au lecteur le texte nouveau de la coutume réformée de 1559.
37 Dans cette importante somme, publiée par son fils, Boucheul rapporte effectivement sur chaque art. l’avis de ses prédécesseurs, puis il tranche et développe longuement le sien. Probablement est-il le plus réputé des analystes de la nouvelle coutume de Poitou.
38 Boucheul, op. cit., tit. Ier, sur l’art. 17, n° 1et 2, p. 46, col. 1 et 2.
39 Ibid., col. 2. Voir plus haut note 33. Boucheul dit déjà ici que cet arrêt de 1601 est « d’autant plus à noter » que, lors de la réformation de la coutume, le prince de Marcillac, suzerain du seigneur de Verdilles, avait formé opposition à l’art. 17 parce que ses vassaux n’étaient fondés en aucune juridiction. – A ce sujet, lorsqu’on lit le procès-verbal de cette réformation, on s’aperçoit que ledit prince de Marcillac ne fut pas le seul à s’opposer, et pour la même raison, à cet article. Le vicomte de Rochechouart fit de même, ainsi que le seigneur de La Vauguyon pour tout le pays de la Bassse-Marche (B. de R., ibid., p. 825). Boucheul publie d’ailleurs dans la préface de son ouvrage, les quelques articles particuliers de la coutume de la sénéchaussée du Dorat contraires à celle de Poitou, parmi lesquels on remarque l’art. IV : « Les seigneurs bas justiciers et plus prochains du fonds, n’ont aucune juridiction contentieuse pour raison de ladite féodalité, comme ils ont en Poitou. » Mais il ne laisse pourtant pas de reconnaître que « cette prétendue coutume du Dorat ne se trouvant pas confirmée par l’autorité du Roy, et par l’avis des Etats, non pas même enregistrée au greffe de la Cour… Elle n’a plus d’effet au préjudice de la coutume générale de Poitou, qui s’observe dans tout ledit pays de la Basse-Marche, en la ville du Dorat comme ailleurs… » (op. cit., p. xxvii, xxviii, xxix). On va voir que l’opinion de notre commentateur a quand même pu en être influencée.
40 Ibid. Boucheul indique qu’il tire cette décision des Arrêts de Laurent Bouchel, Livre Ier, chap. 28. – Dans cette affaire, on constate que la haute justice des seigneurs de Limalonges sur la paroisse de Vensay (actuellement dans les Deux-Sèvres) n’empêche pas le seigneur du lieu de jouir de la basse justice dans son fief. Dans l’édition de la N.C. de Poitou que donne B. de R., on trouve sur l’art. 17 la note suivante du jurisconsulte Toussaint Chauvelin, Vis « et a ledit bas justicier jurisdiction et contrainte » : « Le seigneur de fief peut avoir justice sur ses sujets en cette coutume, encore que la haute, moyenne et basse en l’étendue du fief appartienne à un autre. Jugé par arrest entre les religieux Augustins de Mortemart et Jacques de Constant, sieur de Chastellier, 8 mai 1610. » C’est la même date, les mêmes hauts justiciers, et sans doute est-ce Jacques de Constant qui était seigneur de Vensay (B. de R., ibid., p. 777, note b, sur l’art. 17).
41 Ainsi Toussaint Chauvelin à la note précédente et Vigier à la note 80.
42 Ibid., n° 3 et 4, p. 46 et 47. Boucheul développe ici les opinions de ses prédécesseurs : « parce qu’un seigneur, dit-il, peut bien avoir droit de fief sur ses sujets, et un autre droit de jurisdiction sur les mêmes sujets ; d’où il s’ensuit que la féodalité ne porte pas une conséquence nécessaire au droit de justice… » (n° 4, p. 47).
43 V.C., note n° 8, p. 3 (le texte dit « ou usance contraire ») ; A.C., art. 7 ; N.C., art. 14. D’ailleurs dès avant le Vieux Coutumier, Le Livre des droiz et des commendemens d’office et de justice annonce déjà la règle donnée au texte en ces termes : « Le baron ou hault justicier d’une chastellenie est fondé de droit commun d’avoir haulte justice, moïenne et basse,…. sur tous les lieux et habitans estans dedens les mectes de la chastellenie, qui ne voudroit monstrer droit espécial », éd. Beautemps-Beaupré, 1865, t. II, n° 1031, p. 328. – On retrouve, à l’époque moderne, le principe énoncé à l’art. 14 de la coutume de Poitou en bien d’autres ressorts, en vertu de la règle « qui peut le plus peut le moins ». Il est seulement assorti parfois de certaines modalités d’application, comme c’est ici le cas. Boucheul en même temps que l’art. 14 invoque aussi à cet endroit, l’art. 61 par lequel un seigneur de fief ne peut saisir les fruits des vignes tenues de lui à complant, taillées mais non travaillées d’ « autres façons accoutumées » s’il n’a fief et juridiction. Il s’agirait donc pour Boucheul d’un cas d’application particulier du fait qu’un seigneur de fief peut ne pas avoir de juridiction. Mais il n’est pas sûr que la coutume n’ait pas envisagé ici le cas d’un complant qui ne serait pas seigneurial mais seulement foncier, car le texte dit aussitôt après : « sinon le peut faire [saisir] par le seigneur de fief »… Quoi qu’il en soit, le recours à l’art. 14 paraît un point d’appui plus solide, un motif plus déterminant, comme remontant à un principe général.
44 La concession peut venir du haut justicier lui-même, s’il est le seigneur immédiat, mais elle peut, au cas contraire, venir d’un seigneur intermédiaire possesseur au moins de la basse justice concernée, attestée par des aveux continus au haut justicier sans contestation de sa part. Le roi, d’où vient en principe toute justice, est censé avoir collaboré ou consenti aux concessions seigneuriales de cette prérogative. En ce qui concerne l’aveu et le dénombrement, que tout possesseur d’un fief doit fournir, après son hommage, à celui de qui il le tient, il rappelle, de génération en génération, l’essentiel du titre d’inféodation (souvent perdu) par lequel ce fief a été originellement concédé. C’est pourquoi le seigneur immédiat peut, en comparant l’aveu qu’on lui fournit avec les précédents, le blâmer s’il est erroné ou incomplet, et en demander correction au vassal pendant un certain temps prévu par la coutume. Passé ce temps, le seigneur qui ne l’a pas blâmé est considéré comme l’ayant accepté et tenu pour exact. D’où la valeur probante des aveux non rejetés par le seigneur, ou éventuellement corrigés par le vassal après blâme, s’agissant du moins des conditions dans lesquelles il possède le fief et, par ex., du degré de justice avec lequel il lui a été concédé.
45 Pour Boucheul, qui suit alors divers auteurs classiques, il semble que la possession immémoriale soit nécessaire pour acquérir une juridiction, car elle seule fait présumer un titre perdu : elle se prouve naturellement par des actes publics et des registres de greffe, et non par des témoins. Mais Boucheul rappelle que cette possession ne doit pas, fût-elle de cent ans et plus, être contredite par un titre d’inféodation contraire qui montrerait éventuellement que le fief aurait été concédé à l’origine sans juridiction, op. cit., sur l’art. 14, n° 4, mais voir aussi les n° 5 à 7, p. 36. Il faut noter également que, suivant notre commentateur, si une juridiction peut s’acquérir par usance ancienne, elle peut pareillement se perdre par non usance si un autre l’exerce pendant un temps suffisant, op. cit., sur l’art. 18, n° 1, p. 51.
46 Op. cit., sur l’art. 17, n° 3, p. 46. Il est remarquable que les prédécesseurs de Boucheul qui tendent à limiter, sur cet art. 17, la juridiction du simple seigneur de fief à la seule justice foncière, tels Théveneau, Barraud, Lelet et Filleau (voir supra notes 35 et 36), ne le font apparemment que pour appliquer autant que faire se peut le principe « Fief et justice n’ont rien de commun », et non pas comme Boucheul avec, de surcroît, ce recours à l’art. 14. Certes, ils expliquent bien, sur ledit art. 14, comment on peut acquérir la moyenne et la basse justices aux dépens du haut justicier, mais ils ne font pas le lien, en tout cas pas du tout nettement, entre le droit qu’a le haut justicier à la basse justice dans tout son ressort et la limitation qu’ils donnent ensuite, sur l’art. 17, à la juridiction du simple seigneur de fief. C’est en cela que Boucheul complète et fonde juridiquement leurs commentaires.
47 Il est possible que Boucheul n’ait entendu ou voulu entendre, comme semble-t-il Lelet et Filleau (voir note 36) l’arrêt de 1601 que comme ne reconnaissant au seigneur de Verdilles que la seule basse justice foncière.
48 « Le haut justicier… a tous les autres droits de la moyenne et basse justices, sans préjudice des droits et émolumens que les inférieurs ont souz luy, chacun en sa nuesse [mouvance] », B. de R., ibid., p. 533.
49 L’expression de « dogme », heureuse et adéquate, est de R. Villers… « Nos anciens auteurs, écrit-il, … présentèrent la règle « Fief et Justice n’ont rien de commun » comme un dogme et condamnèrent, au nom de la souveraineté de l’Etat, les atteintes qui avaient pu y être portées », art. cit. p. 221-222.
50 De Charles Loyseau (1566-1627), le Discours de l’abus des justices de villages, particulièrement célèbre, aurait paru pour la première fois en 1605 et il a été ensuite publié à plusieurs reprises avec l’ensemble des œuvres de ce jurisconsulte. Il y souligne vigoureusement les inconvénients de la multiplication des justices et, s’agissant proprement de notre sujet, il affirme que « les simples fiefs n’en ont point [de justice] de leur propre droit, si ce n’est par cession ou usurpation », les Oeuvres de Me Charles Loyseau, Discours…, éd. de 1701, p. 3.
51 Voir supra note 39.
52 Le Vieux Coutumier de Poitou donne déjà, au XVe siècle, cette limite de 7 sols 6 deniers à la compétence du bas justicier (n° 11, p. 31-32).
53 « Tout homme qui a jurisdiction peut prendre ou faire prendre par son sergent… les bêtes qu’il trouvera malfaisant … en son domaine » (art. 75). « En ce cas, l’amende à payer est l’amende simple qui est de 7 sols 6 deniers tournois seulement » (art.76).
54 V.C., n° 14, p. 33 ; A.C., art. 13 ; N.C., art. 20, B. de R., p. 744 et 777. En effet, Boucheul, sur l’art. 20 de la N.C., remarque « que la multiplicité des procez a fait multiplier les plaids ordinaires ». C’est aussi ce qu’enseigne l’annotateur anonyme d’Harcher dans le Traité des Fiefs sur la Coutume de Poitou. Cet annotateur précise : « Aux plus basses justices, les audiences doivent être tenues de quinze jours en quinze jours ou de mois en mois pour le moins » (chap. VIII, § 27). Il déclare tirer son avis d’un commentaire de Jean Vigier sur l’art. 8, n° 2 de la coutume d’Angoumois (Les Coustumes… d’Angoumois, éd. de 1650, p. 24 ; éd. de 1720, p. 23).
55 Op. cit., sur l’art. 17, n° 1, p. 46.
56 Op. cit., sur l’art. 108, n° 7, p. 330. Voir également le même Boucheul, sur l’art. 34, n° 2, où il distingue « la basse justice personnelle… qu’on appelle… basse juridiction exercée, et la basse justice foncière et domaniale… qui n’est rien d’autre chose que la féodalité ou le droit de fief en soy » (p. 126). Adde sur l’art. 46, n° 7, p. 150.
57 Op. cit., sur l’art. 82, n° 6, p. 255 : « Ce n’est pas de son autorité privée [qu’il saisit…] mais par autorité de justice et ministère d’un sergent ayant mandement et commission du juge du seigneur saisissant, s’il a exercice de juridiction ; sinon du juge du seigneur supérieur ». Et Boucheul cite, à cet égard, Charles Dumoulin, sur l’art. 1er du titre II de la coutume de Loudun : « Si non habet jurisdictionem provideat sibi coram judice ordinario. » Le juge ordinaire est ici le seigneur ayant justice exercée le plus immédiat ou, le cas échéant, un juge royal.
58 Voir supra notes 24, 25.
59 Ces principes, qui sont classés plus rationnellement que les articles de la coutume elle-même, sont dédiés « A Messieurs les avocats du Présidial de Poitiers », auxquels par cette répartition nouvelle des rubriques, ils devaient être effectivement utiles. Louis Marquet († 1782) était lui-même avocat au parlement et au siège présidial de Poitiers.
60 Jean-Baptiste-Louis Harcher (1700-1753) était Lieutenant-Général au siège de la Duché-Pairie de Thouars, certainement l’une des justices seigneuriales les plus considérables de la province, à l’égal sans doute d’un véritable bailliage, et relevant comme pairie nuement du Parlement de Paris. L’ouvrage d’Harcher, en deux tomes réunis en un seul volume in-4°, a été publié, comme celui de Boucheul, post mortem par son fils en 1762. Il est augmenté des remarques précieuses d’un annotateur anonyme qui, comparant souvent la coutume de Poitou à celle d’Angoumois, pourrait avoir été angoumoisin d’origine. C’est semble-t-il bien la seule œuvre vraiment importante concernant la coutume de Poitou au XVIIIe siècle, mais elle a évidemment l’inconvénient de ne traiter que la matière des fiefs, des censives et des droits seigneuriaux.
61 Op. cit., ch. Ier, sect. I, § XV, t. Ier, p. 6 : « En Poitou, quiconque a le fief a la basse justice et jurisdiction foncière, personnelle et réelle, limitée par l’article 17 jusqu’à l’amende de 7 sols 6 deniers » ; ch. VIII, § II, 2ème al., t. II, p. 66.
62 Op. cit., ch. VIII, § III, t. II, p. 66.
63 Op. cit., ch. VIII, § II, t. II, p. 66, 1er alinéa : « … C’est cette jurisdiction [foncière] dont jouit en notre coutume celui qui tient fief noblement…, il peut contraindre ses sujets et vassaux pour le paiement des lots et ventes, cens, rentes, devoirs et rachats… » La première phrase de cet alinéa, non citée ici, marque bien qu’il ne s’agit que de pouvoir mettre la main sur un fonds féodal ou censuel, et non d’une véritable justice avec tribunal, juge et sergent. Encore cette mainmise ou saisie ne peut-elle, comme on sait, s’exercer, par qui n’a pas de juridiction contentieuse, que par le commandement du juge du seigneur supérieur le plus immédiat.
64 « Mémoire sur les justices royales, ecclésiastiques et seigneuriales du Poitou », M.S.A.O., XI, 1845, p. 417-464 ; tiré à part, p. 1-48, passim.
65 Bornons-nos aux trois exemples exprimés au texte : banalités de moulin : V.C., n° 396, p. 150 ; A.C., art. 25 ; N.C., art. 34, B. de R., p. 745 et 778 : « Si celui qui a … basse jurisdiction a en icelle hommes roturiers… et il a moulin en son domaine…, il peut lesdits hommes contraindre de moudre leurs bleds à sondit moulin. » – Banalité de four : V.C., n° 407, p. 153 ; A.C., art. 33 ; N.C., art. 46, B. de R., p. 745 et 779 : « La contrainte de fournoyer à aucun four dépend de basse jurisdiction… » A noter que cette contrainte ne peut s’exercer qu’ « en un lieu où ledit seigneur ait Ville, Bourg ou chef de Bourg », car les gens des villages ne peuvent être obligés de venir de loin pour cuire leur pain. – Le droit de déshérence sur les biens sans héritiers : V.C., n° 740, p. 248 ; A.C., art. 230 ; N.C., art. 299, B. de R., p. 761 et 804 : « Et défaillans les dessusdits [parents qui doivent ou qui veulent succéder] lesdits biens [vacans] appartiennent au bas justicier… » Rappelons qu’en droit commun, il faut un titre pour pouvoir exercer la contrainte de banalité, tenue pour défavorable, et, en ce qui concerne le droit de déshérence, que c’est au haut justicier qu’elle appartient, et non, comme dans l’Ouest, au bas justicier ou seigneur féodal.
66 Il est vrai qu’un commentateur ancien comme Nicolas Théveneau paraît séparer du fief non seulement la basse justice contentieuse, mais aussi les prérogatives dont nous parlons. Ce jurisconsulte est, par exemple, d’avis que la première condition pour qu’un seigneur possède la banalité de moulin, c’est « qu’il ayt jurisdiction ». Pour lui, si seigneur justicier et seigneur de fief sont distincts, c’est le premier qui aura la contrainte de moulin ; et son opinion paraît la même pour ce qui est de la banalité de four, Briève et claire interprétation des… coutumes… de Poictou, sur l’art. 34 et sur l’art. 46, éd. de 1567, p. 44 et 49. – S’agissant toujours des banalités, Jacques Barraud se détache déjà quelque peu de l’opinion de Théveneau quand il souligne : « Le droit de contraindre par le seigneur de moudre à son moulin n’est pas tant à cause de son fief que de la jurisdiction foncière de laquelle il dépend » ; mais comme, en Poitou, cette juridiction foncière est inséparablement unie au fief, tout seigneur féodal peut jouir du droit de moulin banal. Notre commentateur parle d’ailleurs, alternativement, du seigneur de fief et du bas justicier comme bénéficiaire du droit de déshérence, Coutume… de Poictou, titre Ier, ch. 26, n. 16 ; et tit. VII, ch. 4, n. 2, éd. de 1625, p. 190 et 386. – Quant à Boucheul, son attribution des deux banalités de four et de moulin à la justice foncière est tout à fait claire : « Quoique le seigneur féodal, dit-il, n’ait pas l’exercice de la basse juridiction pour être possédée par un autre, il ne laisse pas d’être fondé d’avoir moulin banal. » Il s’appuie d’ailleurs en cela sur l’avis de l’ancien commentateur Pierre Rat (sur l’art. 34, glose 1) et sur celui de Jean Constant (sur l’art. 17, glose 1). Même conclusion de sa part pour le droit de déshérence (op. cit., sur l’art. 34, n. 2 et 3 ; sur l’art. 46, n. 7, t. Ier, p. 126 et 150 ; et sur l’art. 299, t. II, p. 378. – Enfin, Jean-Baptiste Harcher reste dans la même ligne, Traité des Fiefs…, ch. XI, sect. 1ère, § 1 et 2, et sect. II, § 1, t. II, p. 100-101 et 114.
67 Peut-être d’abord à cause de la domination ancienne des comtes de Poitou, puis, par la suite, de l’influence continue des juridictions poitevines : d’une façon plus ou moins marquée suivant les époques et les pays.
68 Par ex. dans son article « De part et d’autre de la Charente, l’affrontement, en Saintonge, du droit écrit et du droit coutumier », Jean Yver écrit : « La coutume de Saint-Jean-d’Angély est l’une des trois petites coutumes qui constituent en quelque sorte les filiales de la grande coutume de Poitou, les deux autres sont celles d’Angoumois et de La Rochelle (Aunis), B.S.A.O., 1989, p. 290, 2ème al. – Ou encore dans « Le Poitou au carrefour des influences coutumières et de droit écrit », ibidem, p. 264, 2e al. – A l’étude de ces coutumes, on joindra celle de l’usance de Saintes, qui, bien qu’intégrée déjà, à cause de son régime successoral romain, dans les pays de droit écrit, reproduit, avec des nuances, certains traits de la coutume de Saint-Jean-d’Angély (voir, à cet égard, notamment le premier des articles cités ici de Jean Yver).
69 Les coutumes d’Angoumois et d’Aunis-La Rochelle en 1514 (comme l’A.C. de Poitou), et celle de Saint-Jean-d’Angély en 1520. On ne leur connaît pas de rédactions privées au Moyen Age. – L’usance de Saintes (ou de Saintonge), en revanche, n’a jamais, comme la coutume de Loudun, été rédigée officiellement. Les éléments en ont été réunis, publiés et commentés pour la première fois, on y reviendra, par Cosme Bechet en 1633. Elle ne pouvait donc être appliquée, dans un procès, que si les parties en étaient d’accord, ou si ses dispositions avaient été confirmées par divers jugements et surtout par des arrêts, ou encore établies par des actes de notoriété. Son texte n’en était pas moins, en lui-même, du plus grand intérêt, et le commentaire qu’en fait Bechet permet de penser qu’elle était couramment suivie dans son ressort. – Comme la coutume de Poitou, ses trois filiales et l’usance de Saintes se trouvent d’ailleurs dans le quatrième tome, 2e partie, du Nouveau Commentaire général de Bourdot de Richebourg, ce qui fait que lorsque cet ouvrage est relié en huit volumes, comme il arrive, elles sont dans le dernier.
70 Voir, à ce sujet, les deux articles de Jean Yver cités à la note 68.
71 Ce semble avoir été surtout le cas de la coutume de La Rochelle. A la fin du XVIIe siècle, à l’occasion d’un procès sur l’existence du parage en Aunis, le Parlement de Paris demande aux avocats de La Rochelle un acte de notoriété pour savoir si le parage était pratiqué en Aunis et, plus généralement, si, dans le silence de la coutume, on suivait celle de Paris ou celle de Poitou. Les avocats rochelais répondirent que le parage ne se pratiquait pas en Aunis (du moins sans l’assentiment du seigneur concerné) et qu’on suivait la coutume de Paris dans les cas non prévus par la leur. Voir, à ce sujet, R. J. Valin, Nouveau Commentaire sur la coutume de La Rochelle, sur l’art. 4, n° 50 et s., t. Ier, éd. de 1756, p. 197 et s. ; et le bel article de Mme Solange Ségala intitulé « La place de René Josué Valin dans la doctrine du droit commun coutumier… », Revue de la Saintonge et de l’Aunis, t. XXVII-2001, p. 91-133.
72 Ainsi la coutume d’Aunis-La Rochelle n’a-t-elle que 68 articles ; celle d’Angoumois 121, et celle de Saint-Jean-d’Angély 136. L’usance de Saintes n’en réunit, quant à elle, que 74. Par comparaison, notons que celle de Poitou en compte 465 ; celle d’Anjou 513, celle de Normandie 623 et celle de Bretagne 685 (sans les usances particulières).
73 L’Aunis fut rattachée quelques années seulement au Parlement de Bordeaux, peu après sa création, de 1463 à 1472 ; et l’Angoumois dut résister victorieusement, à cette époque, à son incorporation dans le même ressort, voir R. Favreau, « La ville de Poitiers à la fin du Moyen Age », M.S.A.O., 1978, t. II, p. 370 –371, et note 338 de cette dernière page.
74 Pierre Gandillaud, Exposition sommaire sur les coutumes… d’Angoumois, la première édition est de 1598, in-8°. – Jean Vigier, Les Coustumes… d’Angoumois, 1650, in-fol. ; une édition plus tardive comprend, avec le commentaire du même Jean Vigier, des corrections et augmentations de Jacques Vigier, son fils, et des notes et remarques de François Vigier, son arrière-petit-fils, 1720 et 1738, in-fol. : on y trouve également publié de nouveau le commentaire de Pierre Gandillaud. – Etienne Souchet, Coutume d’Angoumois… conférée avec le droit commun du royaume de France, 1780-1783, 2 vol. , in-4°.
75 Jacques Desvignes ou Des Vignes, Paraphrasis ad Consuetudinem Santangelicam, publiée après la mort de l’auteur, en 1638. Cosme Béchet dit que cette paraphrase « était une pièce de cabinet… pour sa propre instruction… et non pour la mettre au jour », et il ajoute que « sa veuve… n’a pas été heureuse en la rencontre d’une main pour la mettre au net ; car il s’y est glissé des fautes, etc. ». (L’Usance de Saintonge… Digression des parages, éd. de 1701, p. 129). – Armand Maichin, Commentaire sur la coutume de Saint-Jean-d’Angély, éd. in-4° de 1650 et 1708. – Cosme Béchet († en 1652), Coutume de Saint-Jean-d’Angély en Saintonge, in-4°, publiée par son fils en 1689 ; ce jurisconsulte des plus réputés a, comme il a été dit plus haut (note 68), publié les règles jusque là inédites de l’Usance de Saintonge entre Mer [Gironde] et Charente, en 1633, 3 vol. in-8° ; suivirent d’autres éditions en 1667, 1701 et 1715, un vol. in-4°. Au surplus, Béchet a donné au public une utile Conférence de l’usance de Saintes avec la coutume de Saint-Jean-d’Angély (en partant en réalité de cette dernière), éd. in-8° en 1644, in-4° en 1687, laquelle conférence a été encore ajoutée à la publication posthume de son commentaire sur la coutume de Saint-Jean-d’Angély en 1689. – Enfin il existe d’un sieur Dusault, une autre conférence de ces deux textes, intitulée Commentaire sur l’usance de Saintes conférée avec la coutume de Saint-Jean-d’Angély, 1722, in-4°. Jean Yver, dans son étude « De part et d’autre de la Charente », la qualifie de « médiocre », par comparaison sans doute avec celle de Béchet, à l’endroit où il la cite (p. 290, note 7) ; elle a néanmoins l’avantage d’avoir été écrite près d’un siècle après celle de son illustre prédécesseur et par conséquent de tenir compte des éventuels changements de jurisprudence.
76 Etienne Huet, Commentaire sur la Coutume de La Rochelle, 1688, in-4°. René Josué Valin, Nouveau commentaire sur la coutume de La Rochelle, 1756, 3 vol. , in-4° : l’ouvrage est d’autant plus volumineux, effectivement, que la coutume a plus de vides à combler, mais les annotations, divisées en assez courts paragraphes, sont toujours claires et agréables à consulter. Au surplus, l’angoumoisin Jean Vigier donne, à la suite du commentaire de sa propre coutume, une intéressante Comparaison de la coutume d’Aunis… avec celle d’Angoumois : dans l’édition de 1650, p. 421 ; dans celle de 1720, p. 539.
77 Par ex., la coutume d’Angoumois, en son art. 10, dispose que « celui qui tient fief… qu’il ait exercice de jurisdiction ou non, est fondé… d’avoir… ventes et honneurs » ; et, en son art. 11, que « le seigneur de fief… ayant exercice de jurisdiction, peut… saisir et faire saisir, etc… ». – La coutume de Saint-Jean-d’Angély dit, art. 11 : « Et si le seigneur châtelain prévient, sera tenu renvoyer [le procès] devant son vassal ayant jurisdiction… Et si le vassal n’a point de jurisdiction, la moitié de l’amende… appartient au seigneur justicier », etc. – De même, la coutume d’Aunis, art. 3 : « Tout seigneur non ayant jurisdiction… est fondé d’avoir les Ventes et Honneurs », etc. On trouve la même distinction dans l’usance de Saintes, ainsi à l’art. 6.
78 « Caractères originaux », p. 37 (p. 20) : « … seule la coutume d’Angoumois faisait entendre un son de cloche différent… en supposant… l’existence de seigneurs féodaux sans exercice de jurisdiction… Je ne vois pas qu’un problème de cette importance ait été posé par aucune autre de nos coutumes de l’Ouest. » On voit qu’il l’était par les autres filiales de la coutume de Poitou.
79 Voir supra note 33.
80 Op. cit., sur l’art. 6, n. 2, t. Ier, p. 39 – Avant lui, Jean Vigier avait constaté : « En Poitou, l’art. 17 donne la justice basse à tout seigneur de fief, ce qui ne convient pas à notre coutume et à notre usance », op. cit., sur les art. 12, 13, 14 et 15, éd. de 1650, p. 40, éd. de 1720, p. 49.
81 Coutume de Saint-Jean-d’Angély, éd. de 1689, p. 66. Dans sa Conférence de l’Usance de Saintes avec la coutume de Saint-Jean-d’Angély, Bechet donne d’intéressantes précisions concernant le ressort de l’usance, éd. de 1689, faisant suite à son commentaire de la coutume, p. 91. Voir infra note 94.
82 Op. cit., sur l’art. 3, t. Ier, éd. de 1756, p. 110.
83 « Celui qui a haute justice en aucun lieu… est fondé d’avoir en iceluy la moyenne et la basse, et les peut faire exercer si autre ne les y a par convenance ou usance ancienne. » C’est une répétition à peu près mot pour mot de l’art. 14 de la coutume de Poitou. Mais cet art. 6 ne pose en Angoumois aucun problème, parce que la coutume ne reproduit pas, en revanche, le fameux art. 17 de la coutume de Poitou, par lequel le seigneur de fief apparaît fondé, lui aussi, à avoir la basse juridiction sur ses hommes…
84 Op. cit., sur l’art. 6, n° 4, p. 39.
85 Op. cit., éd. de 1720, sur l’art. 6, n° 5, p. 20-21 : il s’agit d’une « addition » au commentaire de Jean Vigier, parlant au n° précédent, d’une « longue possession… continuée par si long-temps, qu’il se trouve suffisant pour s’estre assuré de la propriété par prescription », formule qui peut s’interpréter comme la très longue possession du droit romain. Et c’est ce que précise son fils, qui trouve que cent ans pourraient s’exiger contre le roi, s’agissant d’intérêt public, mais non pas « s’agissant seulement des prétentions d’un particulier contre un autre particulier », éd. de 1720, p. 20-21.
86 Cout. d’Angoumois, ibid., n° 5. Souchet continue ainsi : « Elle constate [ la possession dont on connaît l’époque] au contraire une usurpation, un titre vicieux qui condamne la possession ». En effet, l’exigence des cent années n’est là que comme un point de repère, et l’on sait qu’une aussi longue durée peut être contredite par un titre contraire que l’adversaire viendrait à produire.
87 Op. cit., sur l’art. 3, n° 17, p. 111.
88 Commentaire sur l’usance de Saintes conféré avec la coutume de Saint-Jean-d’Angély, sur l’art. 1er de l’usance, p. 6. Cependant Boucheul, voir supra note 45, et Valin, au lieu indiqué à la note précédente, estiment, citant Loyseau en son Traité des Seigneuries, ch. 4, n. 64, que la possession immémoriale doit être prouvée par des actes de la justice en question, actes qui ne peuvent pas ne pas exister, et non par de simples témoins.
89 « Droit d’avoir ventes et honneurs ou la chose vendue par puissance de fief dépend de la basse jurisdiction foncière », B. de R., t. IV, p. 841. L’art. 35 de cette même coutume d’Angoumois évoque aussi l’existence, en son ressort, d’une justice foncière : « Tout seigneur, châtelain ou… ayant haute, ou moyenne et basse, ou foncière avec territoire limité, est fondé… de soy dire… seigneur direct de tous les domaines, etc… », ibid., p. 843. La doctrine angoumoisine pose d’ailleurs nettement l’équation fief égale justice foncière. Ainsi Jean Vigier déclare-t-il : « Le fief en tant que fief, et la justice foncière, qui est une puissance et faculté résultante du fief, est une même chose » (op. cit., sur l’art. 35, n° 1, éd. de 1650, p. 109 ; éd. de 1720, p. 127). Et Souchet affirmera de même que la juridiction foncière « consiste dans cette supériorité et autorité que chaque seigneur de fief a sur ses vassaux et censitaires… Elle est sans exercice de justice ; elle est restreinte au paiement des droits et devoirs du seigneur »… op. cit., sur l’art. 12, n° 1 et 2, t. Ier, p. 142-143. – Boucheul, on le voit, pourrait avoir puisé là – au moins dans l’éd. de 1650 de Vigier – un des éléments essentiels de sa thèse sur la basse justice en Poitou.
90 A l’art. 18, la coutume de Saint-Jean-d’Angély parle du seigneur « qui a justice » et qui peut saisir féodalement, et, à l’art. 29, du seigneur « foncier » qui a droit aux ventes et honneurs. – Distinction analogue dans la coutume d’Angoumois en ses art. 11 et 12. – Quant à l’usance de Saintes, elle dispose, art. 28, que le vassal seigneur foncier pourra faire exécuter la sentence donnée par le juge du seigneur justicier, B. de R., p. 872-873, 841 et 884.
91 Là du moins où elle n’est pas admise expressément par la coutume. Op. cit., sur l’art. 5, n° 6, t. Ier, p. 221.
92 De toute évidence, quand nos coutumes parlent du seigneur foncier, c’est en tant que seigneur de fief.
93 Armand Maichin estime que le contenu de cet article est si clair qu’il n’a pas besoin de commentaire, op. cit., tit. IV, sur les art. 23 et 24 de sa numérotation par titres ( = art. 25 et 26 de la numérotation continue de Bechet et de Bourdot de Richebourg), éd. de 1708, p. 129.
94 Conférence de l’usance de Saintes avec la coutume de Saint-Jean-d’Angély, éd. de 1789 faisant suite à celle du commentaire de la coutume elle-même, p. 20-21. Bechet observe ici : « Les seigneurs de Trelebois et de Chassagnes en la chastellenie d’Arvert, qui n’ont pas de juridiction plaident tous les jours devant le juge du chastelain pour l’exaction de leurs droits seigneuriaux. Il y a quantité de semblables exemples en la seigneurie de Pons, et autres, qui sont notoires. »
95 Op. cit., sur l’art. 3, n° 15 et 16, t. Ier, p. 111.
96 Op. cit., sur l’art. 12, n° 2, t. Ier, p. 143.
97 Coutume d’Angoumois, art. 11 ; d’Aunis, art. 5 ; de Saint-Jean-d’Angély, art. 18 ; usance de Saintes, art. 12, B. de R., p. 841, 854, 872 et 884. – La coutume d’Angoumois, en cet art. 11, n’autorise le seigneur sans exercice de juridiction qu’à saisir verbalement, … « et s’il veut faire saisir réellement et de fait…, faire se pourra par commission de son seigneur suzerain ». – Souchet, sur cet article, explique que la saisie verbale « n’est qu’un avertissement donné par le seigneur à son vassal », donné d’ailleurs par le « ministère d’un sergent royal ou du sergent du seigneur suzerain ». Il indique en outre que « comme la saisie verbale ne rapporte aucun bénéfice au seigneur saisissant, elle est peu en usage », op. cit., t. Ier, art. 11, n° 22, p. 137. – Valin renvoie aussi le seigneur sans juridiction devant le juge de son seigneur immédiat pour en obtenir la permission de saisir, op. cit., sur l’art. 5, n° 4, t. Ier, p. 221 – Maichin, sur la coutume de Saint‑Jean-d’Angély, dit la même chose, op. cit., tit. IV, sur les art. 16, 17, 18, ch. VII, éd. de 1708, p. 103. – De même Bechet dans l’Usance de Saintonge, sur l’art. 12, éd. de 1701, p. 31-32.
98 Voir supra.
99 Coutume d’Angoumois, art. 29 : « … celuy qui a fief… avec jurisdiction exercée, peut entretenir ou de nouveau ériger, en sadite jurisdiction, four et moulin banniers », B. de R., p. 842 ; Coutume de Saint-Jean-d’Angély, art. 7 : « Seigneur qui a basse jurisdiction et icelle hommes roturiers couchans et levans, et moulin moulant en son domaine… [peut iceux contraindre] moudre les bleds en son moulin », B. de R., p. 871. Le texte de Bourdot de Richebourg, partiellement lacunaire, doit être complété par les mots mis entre crochets que donnent Maichin, op. cit., p. 86, et Bechet, Coutume, p. 40, dans le leur.
100 Voir note précédente, art. 29 (« four et moulin banniers »).
101 Coutume de Saint-Jean-d’Angély, art. 6 : « Seigneur ayant basse juridiction ou qui a bourg ou chef de bourg est fondé… de pouvoir contraindre ses hommes roturiers… à cuire leurs pastes en son four à ban ». La coutume de Poitou dit, art. 46 : « … que ledit four soit en un lieu où ledit seigneur ait ville, bourg ou chef de bourg », et précise « Et [le seigneur] ne les peut faire venir du village ni de loing. » Boucheul, sur cet article, conciliant les opinions diverses de ses prédécesseurs, dans le cas où il y a plusieurs seigneurs dans un bourg, est d’avis que le ban appartient alors au seigneur qui est chef de bourg, et que ce dernier est celui : « ou bien dont le fief porte le nom du bourg, ou bien, dans l’hypothèse où le fief de tous porte ce nom, celui qui est seigneur de la plus grande partie du bourg », op. cit., sur l’art. 46, n° 20 à 23, t. Ier, p. 152. – A noter, puisque tout de même on est ici en Saintonge, que Bechet, qui cite Barraud et Lelet sur la coutume de Poitou, mais ne peut, et pour cause, citer Boucheul, estime, toujours dans l’hypothèse d’une pluralité de seigneurs dans un bourg, qu’on peut dire que « les conseigneurs ont droit chacun en sa partie avec pouvoir d’empescher les autres », et que « l’ancienne possession en chacun bourg [en chaque portion de bourg ?] a de puissantes attaches pour arrester les différens qui peuvent naistre sur ce sujet » Coutume… de Saint-Jean-d’Angély, sur l’art. 6, éd. de 1689, p. 37.
102 Conférence de l’usance de Saintes avec la coutume de Saint-Jean-d’Angély, sur les art. 7 à 9 de la coutume de Saint-Jean-d’Angély, éd. de 1687 (faisant suite à celle de la coutume de Saint‑Jean), p. 9.
103 Op. cit., sur l’art. 1er, n° 61 et s., t. Ier, p. 20 et s. – Valin tient ici, avec le feudiste G.‑A. Guyot, que le titre constitutif doit être « quelque chose de plus que la simple obligation du seigneur de bâtir et entretenir… le four et le moulin », il faut qu’ « il ait fait quelqu’avantage à ses tenanciers…, par ex. qu’il leur ait concédé un pâturage, un droit d’usage… et qu’au surplus les deux tiers au moins des habitans y aient consenti ». – Quant aux actes énonciatifs qui suffisent pour lui, ce sont « des aveux et dénombrements bien suivis…, des déclarations portant reconnaissance de la part des tenanciers… et [il faudrait] que le seigneur eût d’ailleurs l’avantage d’une possession immémoriale et non interrompue ». Il s’appuie d’ailleurs sur l’opinion de Bechet, qui réclame, on l’a vu à l’instant au texte, « des titres particuliers et les suffrages du temps » pour le ressort de l’usance de Saintes. – L’art. 71 de la N.C. de Paris, auquel se réfère aussi Valin, porte que « Nul seigneur ne peut contraindre ses sujets au four ou moulin qu’il prétend banal… s’il n’en a titre valable ou aveu et dénombrement ancien ; et n’est réputé titre valable s’il n’est auparavant vingt-cinq ans ». On interprète généralement : vingt-cinq ans avant la réformation de la coutume, l’ancienne ne parlant pas des banalités, mais cette condition a fait couler beaucoup d’encre en doctrine, voir G.-A. Guyot, Traité des Fiefs, t. Ier, « Observations sur les banalités », éd. de 1767, p. 458 et s. ; et Olivier Martin, La coutume… de Paris, rééd. de 1972, t. Ier, p. 400 [362], qui résume les controverses doctrinales.
104 Op. cit., sur l’art. 1er, n° 23, t. Ier, p. 13.
105 Op. cit., tit. IV, art. 2, ch. 1er ( = art. 5 de la numérotation continue de B. de R. et de Bechet), éd. de 1708, p. 70.
106 Op. cit., sur l’art. 2, n° 44, t. Ier, p. 72.
107 Ibid., n° 53, p. 74.
108 Dans l’Ouest coutumier, le dégradé dans l’obligation, pour l’héritier, de rapporter les libéralités reçues revêt, en gros, la forme suivante : En Normandie et en Bretagne, au moins tous les immeubles doivent être rapportés en nature à la succession. – Dans les coutumes tourangeau-angevines, le rapport peut ne se faire que de l’excédent de la part successorale… En Poitou et dans les pays satellites, seuls les propres, et non les meubles et acquêts, doivent revenir à la succession, dans les conditions du droit tourangeau-angevin ; encore l’héritier peut-il conserver le tiers des propres dans la coutume de Saint-Jean-d’Angély, plus sensible ici aux influences venues du midi. – Pour plus de nuances et de détails, voir J. Yver, Egalité entre héritiers, Essai de géographie coutumière, 1966, p. 91 à 134, et la carte en couleur, très parlante, de la fin du volume.