Note sur les crimes du Corps expéditionnaire français en Italie (1943-1944)

Par Éric GOJOSSO
Publication en ligne le 25 juillet 2019

Texte intégral

1Au cours de la dernière décennie, la question des crimes commis par des éléments du Corps expéditionnaire français en Italie (CEF), notamment au printemps 1944, à l’heure où se développait l’offensive qui allait conduire à la chute de Rome, a été éclairée d’un jour nouveau par la publication en langue française du livre de Jean-Christophe Notin et de deux articles de Tommaso Baris.

2Pour les lecteurs peu familiers de notre histoire militaire et abusés peut-être par la vision inexacte qu’en véhicule le film de Rachid Bouchareb, Indigènes (2006), il n’est pas inutile de rappeler les grandes lignes de l’engagement français dans la péninsule aux côtés des troupes alliées. De novembre 1943 à juillet 1944, le CEF, intégré à la Ve armée américaine du général Clark et placé sous le commandement du général Juin, prit une part décisive à la rupture de la ligne Gustav et à la progression vers la Toscane. En janvier 1944, la 3e division d’infanterie algérienne s’empara du Belvédère, dans le massif des Abruzzes, enfonçant un premier coin dans le système défensif allemand. En mai, le CEF tout entier perça le dispositif ennemi à la faveur de l’audacieuse manœuvre du Garigliano, permettant ainsi la prise de l’abbaye du Mont Cassin sur laquelle les Alliés buttaient depuis le début de l’année et ouvrant la route de Rome, libérée en juin. Après avoir conquis Sienne, en juillet, les unités françaises furent retirées du front et rejoignirent l’armée B (future 1ère armée) du général de Lattre de Tassigny pour prendre part au débarquement en Provence, en août 1944.

3Articulé dans son ordre de bataille définitif en 4 divisions, complétées par d’importants éléments de réserve générale (ERG) dont les goums marocains, le CEF comprenait un grand nombre d’indigènes, Maghrébins pour l’essentiel, mais aussi Noirs, Malgaches et Océaniens. Selon les indications fournies par le colonel Pierre Le Goyet, ils représentaient 41,8 % de l’effectif global de la 1ère division française libre (officiellement 1ère division motorisée d’infanterie), 52,6 % de la 2e division d’infanterie marocaine, 51,8 % de la 3e division d’infanterie algérienne, 66 % de la 4e division marocaine de montagne, 49,4 % des éléments de réserve générale et 91,7 % des groupements de tabors marocains (GTM)1. Ces chiffres masquent évidemment une grande diversité de situations. Les indigènes constituaient en effet la majorité des hommes de troupe des 2e DIM (60 %), 3e DIA (60 %) et 4e DMM (75 %). S’ils assumaient des fonctions d’encadrement, soit en tant que sous-officiers (16 à 17 % du total des sous-officiers du CEF), soit plus rarement en qualité d’officiers (1,2 % environ du total des officiers), celles-ci étaient majoritairement prises en charge par les Européens, davantage formés aux techniques de commandement dans un contexte, il est vrai, discriminatoire2. Dans cet ensemble, les goums, troupes semi-régulières recrutées parmi les tribus de la montagne marocaine, formaient un cas particulier qui tenait non seulement à la très forte proportion d’autochtones, en l’occurrence berbères, parmi les hommes du rang3, mais aussi à la faiblesse de l’encadrement européen, le général Augustin Guillaume concédant que celui-ci était « moitié moindre que dans les unités régulières »4. La remarque n’est pas anodine, comme on le verra plus loin.

4L’engagement important des indigènes dans les opérations italiennes doit être précisé au regard du poids respectif des populations d’Afrique du Nord. Au Maroc, la France ne fit appel qu’à des volontaires. En Algérie et en Tunisie, au contraire, elle procéda à une mobilisation par voie de tirage au sort parmi les recensés déclarés aptes au service, dans la limite de contingents fixés par le gouvernement. D’après le général Juin, dans une note en date du 25 mars 1945, les départements algériens fournirent ainsi la grande majorité des troupes destinées à combattre avec un effectif de 134 000 hommes correspondant à 2,13 % de la population globale, les classes 29 à 43 étant à des degrés divers concernées, suivis en cela par l’empire chérifien (73 000 hommes soit 1,20 % de la population) et la régence tunisienne (26 000 hommes soit 1,08 % de la population)5. Toutefois, pour significatif qu’il soit, l’effort consenti par les indigènes d’Algérie s’avère en réalité inférieur du tiers, voire de moitié, à ce qu’il avait été durant le premier conflit mondial, ce qui pourrait s’expliquer par la crainte d’une généralisation de la conscription susceptible d’engendrer des troubles6. En comparaison, la population française non musulmane vivant en Afrique du Nord fut plus largement mise à contribution qu’en 1914-1918 où elle avait compté 12,5 % de mobilisés : avec, en 1944, plus de 176 000 hommes sous les drapeaux et vingt-cinq classes appelées ou rappelées, ce chiffre s’éleva à 16,4 %7. L’effort de guerre des Français du Maghreb fut donc dix fois supérieur à celui des indigènes, ce dernier s’élevant à 1,58 % de la population de l’ensemble des trois territoires.

5La question des pertes subies par les différents contingents du CEF requiert aussi des éclaircissements. Durant la campagne d’Italie, l’armée française eut à déplorer entre 6 500 et 7 000 tués pour 20 000 à 23 000 blessés et 2 000 à 4 000 disparus8. Le seul nombre de morts correspond à 6,5 %-7 % de l’effectif global engagé. Ces chiffres bruts masquent une nouvelle fois de réelles disparités. Les 2e DIM et 3e DIA, engagées très tôt sur le théâtre d’opérations, de même que les GTM furent davantage éprouvés (avec des taux respectifs de 10 %, 8 % et 7,6 %) que les 4e DMM (4,6 %) et 1ère DFL (4,3 %), les ERG se situant ici dans la moyenne (6,6 %)9. Quelle est en l’espèce la part des musulmans nord-africains ? Selon Belkacem Recham, il serait impossible de le savoir10. Paul-Marie de La Gorce, s’appuyant sur des renseignements communiqués par le service historique de l’armée de terre (SHAT), fait néanmoins état de 4 000 morts pour les combats en Corse et en Italie11, rejoint en cela par le général André Lanquetot qui porte ce chiffre à 4 600 sur un total de 7 037 décédés12. Représentant globalement 55 % du CEF (55 091 hommes sur 99 091), les indigènes auraient donc eu à supporter 65 % des décès, avec un ratio propre d’un niveau plus élevé que la moyenne, soit 8,3 % (4 600 morts indigènes sur un effectif indigène total de 55 091).

6L’ampleur des pertes nord-africaines trouve son explication principale dans l’emploi massif des Maghrébins au sein des unités d’infanterie où ils formèrent 69 % à 77 % de l’effectif des régiments de tirailleurs et 77 % à 78 % de celui des GTM13. Ils servirent peu dans les armes techniques pour des raisons qui tiennent moins à la volonté d’en faire de la « chair à canon » qu’au préjugé les créditant d’une moindre capacité d’adaptation aux exigences de la guerre moderne14. Au reste, la proportion des officiers morts en Italie (423 sur 3797, soit 11 %15) fut supérieure à celle des soldats et sous-officiers indigènes. Au 4e RTT, le régiment du Belvédère, les officiers qui correspondaient à 3,06 % de l’effectif total représentèrent 7,95 % des pertes16. Leur sacrifice est la preuve de l’implication réelle des cadres européens dans les combats aux côtés de la troupe, ce qui démontre l’existence d’une authentique fraternité d’arme17 sans laquelle les succès français en Italie demeureraient incompréhensibles.

7Ces précisions ayant été apportées, la réalité des crimes commis par les éléments maghrébins du CEF au détriment des civils italiens, en 1944, ne saurait être occultée. A la différence des mémorialistes, souvent muets sur le sujet tel le maréchal Juin, les historiens l’évoquent régulièrement. En amont de la grande offensive alliée du printemps, déclenchée le 11 mai, B. Recham signale ainsi plusieurs séries de méfaits révélés par la prévôté de la Ve armée, les uns relevant de la catégorie des vols sans violence, les autres étant au contraire constitutifs d’atteinte à la personne déclinée sous forme de viols ou de meurtres18. De tels agissements, en particulier les viols, se multiplièrent après la percée des lignes allemandes dans les monts Aurunci et le Latium méridional.

8D’emblée, il convient de souligner que le débat historiographique porte moins sur les atteintes aux biens que sur les violences commises à l’encontre des personnes. Il est notoire que les indigènes, les goumiers marocains spécialement, ont pratiqué le vol durant toute la campagne d’Italie. Leurs cadres français, dans les ouvrages de souvenirs rédigés au lendemain de la guerre, en fournissent d’abondantes illustrations. En ont été victimes, bien sûr, les prisonniers allemands, fréquemment dépouillés de leurs effets de valeur19, mais aussi, dans une moindre mesure, les Américains et les combattants français, européens comme indigènes20. La population eut également à subir des actes de cette nature sans qu’il faille leur donner un tour systématique, bien au contraire, car, en plusieurs occasions, les Français partagèrent leur nourriture avec des civils affamés ayant trouvé refuge dans la montagne21. A en croire Jacques Augarde, officier de réserve ayant servi au 1er GTM et futur ministre de la IVe République, ce furent donc surtout les fascistes qui furent visés22. L’assertion est à vérifier, les témoignages susceptibles de l’infirmer ne paraissant pas trop difficiles à réunir23. En s’adonnant au vol, les combattants musulmans obéissaient à une double motivation. Leur intention était d’une part d’améliorer un ordinaire caractérisé par des rations américaines peu variées et en majeure partie à base de porc, de même que par des quantités insuffisantes de pain, d’huile, de café et de sucre24. Au cours de l’offensive du Garigliano, le ravitaillement prit même un retard qui conduisit les soldats à vivre encore davantage sur le pays. Il s’agissait d’autre part, dans une logique de butin, d’amasser de l’argent ou des objets négociables et transportables dont, au moment du départ, l’acheminement ne fut pas sans causer des difficultés, comme l’expliqua Augarde25.

9Si les officiers européens n’ignoraient donc rien de telles pratiques, tant chez les goumiers que chez les tirailleurs26, ils les considéraient néanmoins avec une certaine indulgence –qui leur fut d’ailleurs reprochée sur le terrain27– dès lors qu’elles restaient dans certaines proportions. Le capitaine Lyautey, par exemple, semble regretter la sévérité dont l’autorité militaire fit preuve en procédant, à Amaseno, au sud de Frosinone, à la fouille des paquetages et à la confiscation des « objets non réglementaires », envoyés à des hôpitaux : « Après tant d’exploits, nos hommes méritaient d’expédier à leur famille dans les douars de l’Atlas un drap, une serviette, une couverture. Cette douce compensation leur a été refusée. (…) Bonaparte était plus large avec les soldats de Lodi et d’Arcole »28. Augarde fait preuve à leur égard d’une semblable complaisance :

Nos compagnons avaient souvent été traités de pillards et l’on considérait bien à tort qu’ils se livraient à des razzias systématiques. Ils se permettaient, en fait, comme tous les combattants, des larcins sans grande conséquence. (…)

Aux humbles qu’ils ont rencontrés sur leur longue route, ils ont manifesté les sentiments les plus humains. Jamais ils n’ont fait de tort à des pauvres ou à des victimes innocentes. (…)

Dans tous les pays du monde, ce qui est dans le fossé est pour le soldat. Ils n’ont pas eu autre chose. On ne les a pas trouvés effectuant des prélèvements sur les mobiliers, approvisionnements ou marchandises des entrepôts des grandes cités libérées ou occupées. Ils sont restés aux portes des villes avec toutes leurs richesses sur le dos, dans le barda ou la chkara.

Parce qu’on a pu les voir quelquefois, dans les villages qu’ils venaient de conquérir grâce à leur vaillance, parcourir les ruines ou fouiller dans les décombres, on a mal interprété leurs intentions et formulé des jugements que l’expérience a prouvés hors de raison.

« La légende du goumier millionnaire fait sourire…29.

10René Pellabeuf, lieutenant au 4e GTM, rapporte pour sa part que le commandant Aunis, qui dirigeait le 8e tabor, avait interdit aux goumiers « de rafler des moutons ou des volailles chez les paysans » de Castel San Vincenzo, voulant « éviter tout incident avec la population locale puisque le maire était très serviable »30. On devine aisément ce qu’il en aurait été dans le cas contraire ! Le même évoque aussi les craintes qui naquirent chez tous les cadres à l’idée de voir les Marocains débarquer en France et reproduire des comportements analogues. « Attention », répliquèrent les intéressés, « quand nous serons en France, nous serons chez nous, et, chez nous, nous savons nous bien tenir »…31.

11Sur le terrain des violences commises à l’encontre des personnes, la question primordiale est celle des témoignages et de leur fiabilité. D’elle dépend une chronologie criminelle qui reste à établir avec précision et devrait permettre d’évaluer le nombre de victimes et d’identifier les corps d’appartenance des délinquants, trop rapidement désignés comme « Marocains »32. Les points de vue se heurtent ici car ils sont construits sur des sources contradictoires dont l’interprétation est elle-même dominée par des préjugés.

12Le livre de Jean-Christophe Notin, dans lequel un chapitre entier est consacré aux crimes du CEF, est habité du souci de réhabiliter un épisode glorieux mais oublié de notre histoire militaire. Ses sources sont essentiellement françaises, puisées dans les fonds de l’ancien service historique de l’armée de terre (aujourd’hui département de l’armée de terre du service historique de la défense) et du dépôt centre d’archives de la justice militaire (aujourd’hui dépôt central des archives de la justice militaire). Elles font état d’un total de 160 informations judiciaires conduites par les juridictions militaires françaises pour l’Italie, mettant en cause 360 combattants. Ces tribunaux prononcèrent 125 condamnations pour viol, tentative ou complicité, 12 pour attentat à la pudeur ou tentative et 17 pour meurtre, tentative ou complicité. Par ailleurs, dans une cinquantaine de cas environ, les coupables pris en flagrant délit furent immédiatement sanctionnés par leur chef d’unité, certains d’entre eux étant passés par les armes sans autre forme de procès33.

13Tommaso Baris se place pour sa part dans une optique différente qui pourrait même être qualifiée d’antagonique, n’épargnant pas au passage J.-Chr. Notin dont l’ouvrage, « apologétique » selon lui, « comprend un certain nombre d’oublis et de faits inexacts »34. Dans un premier article, publié par Vingtième siècle en 2007, il conteste d’emblée aux Français le rôle majeur dans la percée de la ligne Gustav, pointant en la matière le manque d’objectivité des écrits des militaires (maréchal Juin, généraux Carpentier et Chambe, colonel Goutard) comme de l’historiographie récente (Notin, Mourrut)35. Conscient sans doute du caractère discutable de son point de vue, il fait cependant marche arrière dans un second texte, co-signé avec Yannick Beaulieu et publié en février 2008. Le ton y est différent : « le succès décisif pour la libération de Rome » de l’offensive du Garigliano y est reconnu ; c’est donc « à juste titre » que le mérite de la victoire a été attribué au CEF et à ses hommes36. Il est vrai qu’il était difficile de nier davantage l’évidence, le général Clark lui-même ayant déclaré au général Juin, lors de leur entrée dans la capitale italienne, le 5 juin 1944 : « sans vous, nous ne serions pas là ! »37. Rédigé sous l’égide du War Department américain, le volume V de la Fifth Army History, « the drive to Rome », s’ouvre du reste sur un chapitre révélateur : « the FEC breakthrough »38. Ce revirement ne remet pas toutefois en cause la thèse principale de l’auteur pour qui les troupes françaises ont perpétré des « violences de masse » à l’encontre de la population italienne. Celles-ci ont été rendues possible par l’attitude passive du commandement français, les officiers subalternes ayant pour leur part autorisé, sinon encouragé les comportements criminels, ainsi que par une répression insuffisante, la justice militaire n’étant pas au surplus « foncièrement sévère » d’après l’opinion de Louis Casamayor reprise par T. Baris.

14Pour défendre ses conclusions, l’auteur convoque plusieurs types de sources, toutes italiennes. Certaines sont contemporaines des événements et émanent de l’institution militaire (fonds AUSSME, ASMAE, ANG, ACS39). D’autres, postérieures de quelques années, s’échelonnent de juin 1945 à octobre 1947, et ont été produites par les autorités civiles locales (fonds des archives communales d’Esperia, des archives d’Etat de Frosinone, ACS). Les dernières, enfin, sont constituées par des témoignages oraux recueillis dans la province de Frosinone (à Esperia spécialement), entre 1999 et 2004, dont l’exploitation a par ailleurs donné lieu à un article en espagnol40.

15Les travaux de T. Baris mettent en lumière toute la difficulté qu’il y a à interpréter une documentation en plusieurs strates, dont le découpage chronologique couvre plus d’un demi-siècle. En cela, il avait à relever le même défi que Gabriella Gribaudi qui, dans sa Guerra totale, choisit d’abord de présenter les souvenirs des femmes de Campodimele et Lenola, avant d’exploiter les pièces d’époque41. La démarche ne manque pas de pertinence. Manifestement, les viols et homicides commis par les « soldats coloniaux » ne peuvent se réduire à la liste des affaires tranchées par la justice militaire française. Lorsqu’il y eut dénonciation, un certain nombre d’auteurs ne purent être identifiés du fait de la guerre de mouvement que constitua la ruée vers Rome42. En outre, comme il advient souvent en cas de viol, toutes les victimes ne se manifestèrent pas. Pour Robert Lilly qui s’est attaché aux violences commises par les GI’S en France, en Angleterre et en Allemagne, seuls 5 % des crimes sexuels auraient fait l’objet d’une dénonciation43. Dans de telles conditions, il est tout à fait légitime d’élargir le champ de la recherche en sollicitant d’autres sources. Leur utilisation n’est pas toutefois sans appeler de grandes précautions.

16Peut-on se fier totalement aux plaintes contemporaines de l’offensive alliée, recueillies par les autorités italiennes et transmises telles quelles à la prévôté de la Ve armée ? Non de toute évidence, si l’on en croit J.-Chr. Notin qui rapporte une affaire « éclairante », élucidée par la gendarmerie française au début du mois de juillet 1944. Un architecte romain accusait les Marocains d’avoir abusé de cinq femmes à la ferme de Tenuta Cavalere (sans doute Tenuta del Cavaliere dans la banlieue de Rome). Après enquête, il s’avéra qu’il n’y avait eu qu’une seule victime, tuée par des soldats américains, trois semaines plus tôt44. L’exemple est-il isolé ? La question vaut d’être posée. En outre, les accusations ont très souvent été relayées par les carabiniers qui eurent de fréquents différends avec les soldats français45. Se pourraient-ils alors que ceux-ci aient cédé à l’exagération en désignant volontiers ceux-là comme coupables ?

17L’attitude des Italiennes à l’égard des combattants du CEF mérite aussi d’être reconsidérée. Sans évoquer la prostitution particulièrement répandue à Naples, mais qui l’était peut-être moins dans le Latium méridional, il faut compter avec les cas de « fraternisation », passés sous silence côté italien mais parfois relevés côté français ou marocain46. Certes, il ne pouvait s’agir des relations quasi-maritales décrites par le capitaine Georges Gaudy, qui s’établirent dans le Sud, la ligne de front étant stabilisée47. Il n’empêche, les femmes et jeunes femmes ne furent pas insensibles au charme des libérateurs. Lyautey parle des « regards d’effarouchement, d’envie, de désir » que les « belles filles » jettent sur les « beaux goumiers »48, de « l’union des corps à la belle étoile » entre des « hommes ivres d’offensive » et des « femmes enivrées de l’air conquérant des vainqueurs », « Italiennes trop belles et trop peu farouches »49. Il s’amuse de la réaction de la comtesse Pecci laquelle craint pour la vertu de ses caméristes alors que celles-ci, ont, chacune, sans attendre, « adopté un militaire »…50. Pour lui, il était donc acquis que « ce n’est pas toujours le goumier qui a courtisé l’Italienne ; souvent l’Italienne a séduit le goumier »51.

18De son côté, le commandant Berteil, du 6e RTM, narre une histoire rocambolesque dont il eut à connaître en qualité de juge d’un tribunal militaire, en août 1944, avant que le CEF ne quitte la péninsule. Les événements s’étaient déroulés aux environs de Roccamonfina, en Campanie. Gagné par l’ennui, un canonnier marocain de 2e classe servant dans un groupe de DCA avait déserté et trouvé refuge dans un village de montagne dépourvu de prêtre. N’ayant aucune arme, il était néanmoins parvenu à imposer son autorité aux deux cents habitants qui, par crainte, respect ou admiration, avaient accepté sa domination. Il s’était même choisi dans la population féminine un certain nombre de « sultanes », menant de la sorte « la bonne vie de caïd ». Il en avait été ainsi pendant trois semaines, jusqu’au jour où un jeune garçon, « furieux d’avoir vu sa fiancée devenir une des favorites », s’en était allé saisir les carabiniers qui avaient transmis la plainte à l’AMGOT qui en avait avisé la prévôté de la Ve armée qui avait elle-même répercuté aux Français, si bien qu’un matin, deux gendarmes étaient venus s’emparer du déserteur. Celui-ci n’avait opposé aucune résistance, mais il n’en avait pas été de même de ses « épouses » qui « comprenant que les prévôts étaient venus enlever leur « seigneur et maître » » s’étaient ameutées pour les en empêcher. Il avait fallu que les hommes du village les en dissuadent à coups de triques. Le plus étonnant dans cette affaire est que lorsque le procès eut lieu, les femmes que les autorités civiles avaient convoquées comme « victimes » se transformèrent en « témoins à décharge, vantant la gentillesse et le sens de l’équité de l’accusé, suppliant le tribunal qu’on ne lui fit aucun mal ! ». Le Marocain ne fut finalement condamné que du chef de désertion, mais il fallut vite l’évacuer vers son pays « car ses provisoires épouses assiégeaient la porte de la prison pour lui apporter des gâteries »52. L’épisode en dit peut-être long sur les relations entre les combattants du CEF et certaines Italiennes…

19Partant est-il envisageable que des femmes, ayant eu des rapports sexuels consentis, aient pris ensuite le parti d’endosser le rôle de victime pour éviter la réprobation attachée à un tel comportement, aggravée par la stigmatisation croissante des « Marocains » auxquels étaient imputées les pires atrocités53. Le cardinal Tisserant le pensait, qui évoquait, dans un courrier au cardinal Maglione du 18 juin 1944, le « morbide désir d’expériences sexuelles à caractère exotique », poursuivant : « il est ensuite très facile aux femmes de se justifier en prétendant avoir été violentées »54. Ces éléments à décharge, dont il conviendrait bien sûr d’apprécier la portée, n’ont aucune place dans les travaux de T. Baris.

20La même prudence s’impose de manière générale au regard des documents postérieurs à la fin de la guerre, telle cette lettre du maire d’Esperia du 11 octobre 1947 venant abonder la thèse d’exactions systématiques, qui perd en crédibilité quand on sait que le gouvernement italien versa quinze mille lires par dépôt de plainte à une époque où la misère sévissait dans la péninsule55. Ainsi pourrait s’expliquer, en partie au moins, l’inflation procédurale caractéristique de l’après-guerre. T. Baris n’y prête pas cependant grande attention. S’il reconnaît bien l’existence de « quelques fausses déclarations » suscitées par « l’espoir d’obtenir un dédommagement du gouvernement français et plus tardivement une pension de l’Etat italien », il n’y voit qu’un aspect très marginal de la question. Pourtant, ce qu’il écrit dans la foulée sur « l’attitude ambiguë du gouvernement italien » est pareillement de nature à entretenir le doute : les autorités du royaume, avant la chute de la maison de Savoie, voulurent recenser les violences commises par les Marocains pour mieux répondre aux accusations proférées à l’encontre des Italiens dans les territoires qu’ils avaient occupés. Qu’elles aient alors cherché à grossir les chiffres ne paraît pas inenvisageable, si l’on admet, dans l’autre sens, comme le fait Baris, que le gouvernement républicain écarta ensuite un certain nombre de requêtes au motif officiel qu’elles tendaient à « escroquer l’Etat », en réalité selon lui parce que « la définition de nouveaux équilibres au cours de la guerre froide, rend[a]it superflu le rappel des viols commis par le corps expéditionnaire français »56. Vénalité et manipulation pourraient donc compromettre l’enquête par delà les Alpes, répondant ainsi à la complaisance et à l’impunité qui auraient sévi dans le même temps côté français.

21Que dire enfin des témoignages oraux de la fin du XXe et du début du XXIe siècle dont T. Baris établit parfaitement qu’ils relèvent d’une mémoire collective déformée par l’imputation au général Juin, voire aux Américains57, d’une déclaration garantissant aux soldats maghrébins cinquante heures d’impunité après la rupture des défenses allemandes. Partant, comment démêler le vrai du faux dans le récit des interviewés, lors même qu’un avocat qui n’avait que 7 ans au moment de l’offensive alliée, adhère encore, en 2004, à une fable forgée au milieu des années 60 et récupérée par certains politiques, dont l’inexactitude n’a échappé à aucun historien58. Cette mémoire n’est pas au demeurant plus fiable chez les Marocains. Moshe Gershovich qui a interrogé certains d’entre eux entre 1997 et 2000, l’a constaté59.

22Il n’est donc pas seulement impossible de dresser un bilan complet des violences commises par les combattants du CEF, comme l’affirme T. Baris60 ; il est surtout impossible d’en dresser le bilan exact. Des chiffres circulent pourtant. En 1966, le député italien A. Covelli estima le nombre de viols à 60 00061. En 1996, les sénateurs Magliocchetti et Bonatesta le ramenèrent à 2 000 dans un texte reprenant implicitement à son compte l’invention des cinquante heures et expliquant le retrait des goumiers du front italien par un ordre de Roosevelt62 ! L’Unione Donne Italiane, organisation féminine de gauche, s’en tint quant à elle à 12 000, évaluation jugée crédible par Baris mais repoussée comme extravagante par Notin63. Aucun de ces auteurs ne s’est toutefois livré au collationnement des différentes sources –reproche qui vaut moins pour Notin dont le livre n’aborde la question qu’en passant que pour Baris qui la place au centre de ses préoccupations. L’un s’est borné à ce qu’il trouvait dans les archives militaires françaises, l’autre n’a considéré que la documentation italienne, enrichie par des témoignages oraux, sans procéder à une analyse critique. Ce manque de distance se traduit par une accumulation d’approximations. Sans s’arrêter à certaines erreurs qui dénotent une méconnaissance au moins partielle de l’histoire militaire64, il convient de rétablir la vérité sur le cas de la ville d’Esperia, théâtre d’atrocités dont l’ampleur reste à déterminer, qui ne fut pas conquise par le corps de montagne65, formé essentiellement de Marocains, mais par la 3e DIA66, réunissant Algériens et Tunisiens. Une enquête sérieuse reste à conduire qui confronterait les différentes sources, rapportant les accusations italiennes, tant celles de l’année 1944, largement présentes dans les archives anglaises ou américaines, que de l’immédiat après-guerre, non seulement aux affaires jugées par la justice militaire française, mais aussi aux journaux de marche des unités et aux récits des opérations, qu’ils procèdent des témoins ou des historiens. Un tel travail permettrait assurément d’y voir plus clair. Il serait ensuite intéressant de croiser les résultats ainsi obtenus avec les témoignages de la fin du XXe siècle recueillis par T. Baris ou G. Gribaudi.

23Quelle que soit l’ampleur des crimes commis par les « Marocains », ceux-ci n’auraient pu avoir lieu sans la complicité, au moins passive, de l’encadrement européen. T. Baris le soutient, mais il n’est pas le seul, y compris dans la communauté scientifique. M’barak Wanaim, auteur d’une thèse sur les « goumiers, spahis et tirailleurs marocains dans l’armée française » l’affirme également, bien qu’il n’ait pas réellement repris la question67. Pour examiner le bien-fondé d’une telle accusation, il convient de distinguer selon la position dans la hiérarchie militaire.

24Le premier mis en cause est naturellement le général Juin, commandant en chef du corps expéditionnaire et par voie de conséquence principal responsable. En écartant le prétendu blanc-seing criminel de cinquante heures qui tient uniquement de l’affabulation, il lui est reproché d’avoir tardé à réagir, ne se départant jamais au surplus d’une attitude ambiguë à l’égard de l’Italie –sur laquelle nous reviendrons plus loin car elle passe pour expliquer le comportement des officiers français. Il aurait attendu le 24 mai, soit dix jours après le début des violences dans le Latium méridional, selon T. Baris, pour appeler les généraux des quatre divisions et le général commandant les goums à prendre « sans délai, toutes les mesures qui s’imposent pour faire cesser tous actes que réprouvent la morale et la dignité du vainqueur »68. Or, même si la prévôté de la Ve armée avait bien eu connaissance de méfaits et en avait aussitôt informé les autorités françaises, les incidents majeurs ne furent signalés qu’après cette date, par exemple à Ceccano les 29, 30 et 31 mai69 –ce qui soulève un autre problème, celui de l’exécution des ordres du général Juin par ses subordonnés, mais dénote en tout cas la volonté de ne pas laisser se perpétuer une situation inadmissible. Les faits rapportés en amont, entre le 15 et le 18 mai, à Esperia, par T. Baris, ne visent que quelques victimes et ne sont connus qu’à travers des sources postérieures au conflit70. Cette dernière remarque vaut aussi pour les violences infligées à Lenola, autour du 22 mai, ou aux alentours de Frosinone, entre les 2 et 5 juin71. De surcroît, si la question apparut secondaire au général Juin, ce qui reste à démontrer, le contexte pourrait bien expliquer une telle attitude. Pour les chefs alliés et plus spécialement pour lui, le premier à avoir obtenu la rupture de la ligne Gustav, la période concomitante aux crimes des soldats coloniaux fut dominée par des préoccupations militaires primordiales : après la percée des 12 et 13 mai, il importait d’exploiter « à toute vitesse » pour éviter le rétablissement des forces allemandes sur la ligne Hitler, objectif finalement atteint le 21 mai, puis de poursuivre en direction de Rome, que Clark voulait atteindre avant le début du débarquement en Normandie. La progression des Alliés se heurta du reste à la résistance acharnée de l’ennemi72. A soixante ans de distance, il est facile d’écarter de telles considérations, mais l’historien ne se doit-il pas de prendre en compte tous les éléments des événements qu’il étudie ?

25Les cadres subalternes auraient-ils été plus complaisants que les généraux ? Jean Ciaux, sergent au 6e RTM, le dit de quelques uns73. Certains exemples le donnent à penser. Au moment de quitter l’Italie, le père Durant, aumônier du 1er GTM, reprocha ainsi aux officiers d’avoir « fermé les yeux », de n’avoir pas été « assez fermes », condamnant même l’un d’entre eux pour avoir encouragé le vol. Il signala aussi un incident dont le texte d’Augarde ne permet d’apprécier exactement la gravité, mettant en cause un goumier du 12e tabor qui s’en serait pris à une jeune Italienne de 18 ans, blessée à la main. Les plaintes de la victime et de son père ne suscitèrent sur l’instant aucune réaction ; le coupable échappa à toute punition74. Pellabeuf relate de son côté un épisode qui en dit tout aussi long : une patrouille du 8e tabor inspecte une « baraque » pleine de « pékins ». Le narrateur entend de « longs hurlements » qui ne choquent pas outre mesure le capitaine se trouvant à peu de distance : c’est lui-même, jeune lieutenant, qui doit demander à son supérieur l’autorisation de rappeler la patrouille car « il faut faire cesser ces choses-là »75. Certains combattants interrogés un demi-siècle plus tard vont dans le même sens. Ahmed Ben Bella se souvient de la promesse de pillage faite par les officiers français avant le départ pour l’Italie76. Bagari El Houssaine explique pour sa part que les mêmes encourageaient les troupes indigènes à maltraiter la population italienne77. Bizarrement, ces deux hommes, les seuls à rapporter de tels propos, combattront après la Seconde Guerre Mondiale la présence française en Afrique du Nord, l’un en Algérie avec le destin que l’on sait, l’autre plus modestement au Maroc. La coïncidence est curieuse.

26Au-delà et faute d’avoir pu recueillir davantage de témoignages côté français, il est somme toute logique de postuler la connivence des officiers et sous-officiers, compte tenu de la composition des différentes unités. Au départ, les critiques s’étaient focalisées sur les goumiers qui se trouvaient être les plus faiblement encadrés78. Il n’en demeurait pas moins que chaque section et, à plus forte raison, chaque goum avaient à sa tête un Français à la surveillance duquel les soldats maghrébins ne pouvaient longtemps échapper. Partant les accusations ne devaient plus seulement se limiter aux soldats des troupes supplétives, mais englober aussi ceux qui, à tous les niveaux, les commandaient.

27Au total, il n’y aurait donc qu’une alternative : ou les crimes ont été massivement commis et n’ont pu l’être, dans ces conditions, qu’avec la complicité au moins passive des officiers français ; ou les méfaits sont restés marginaux et spécialement ici les viols (car les vols ont été d’une plus grande ampleur, que nul ne conteste), limitant par là la responsabilité de l’encadrement européen. Une autre piste pourrait conforter cette dernière hypothèse. Mise en avant par le général Guillaume, elle transfère les agissements criminels sur des « hommes appartenant aux services, souvent recrutés dans les bas-fonds des ports », innocentant ainsi les « combattants de première ligne »79. P. Gaujac présente dans son livre quelques éléments qui donnent corps à cette explication80. Dans quelle mesure correspond-elle à la réalité ? La question reste en suspens. Georges Gaudy, capitaine de réserve au 4e RTM et vétéran de la Première Guerre Mondiale, n’exonère pas pour sa part les combattants de première ligne81. Pour lui, les viols sont incontestables, même s’ils ne furent pas aussi fréquents qu’on le dit : « … l’étonnant n’est pas que certains aient violé, mais qu’un si petit nombre se soit livré à ces excès. L’imagination italienne, la propagande anglo-saxonne ont beaucoup exagéré ». Plusieurs facteurs expliquent ces crimes. « L’atavisme millénaire » vient en tête. Dans tous les conflits, la femme, « méprisée dans le monde islamique », est une proie légitime. Face à des Italiennes qui appartiennent au monde des vaincus et qui n’hésitent pas à se vendre pour cinq lires ou pour un tube de bonbons vitaminés, les Marocains se laissent finalement aller à « leur instinct », à « leur penchant ». En cela s’accomplit ce qui est écrit. Tous les avertissements, toutes les sanctions fussent-elles les plus sévères, n’y peuvent rien.

28Ponctuelle ou générale, ce qui reste également à établir, la passivité de l’encadrement européen s’expliquerait par l’hostilité à l’égard de l’Italie en vertu d’une position parfaitement incompréhensible pour T. Baris –qui surprend lorsqu’on sait que les résistants italiens eux-mêmes étaient taraudés par un sentiment brûlant de faute à l’égard des Français, et se voyaient comme les citoyens d’un « pays vaincu et coupable »82. D’emblée, l’ordre du jour du général Juin du 15 novembre 1943 laisse discrètement percer le ressentiment, tout en fixant une ligne de conduite dénuée de toute équivoque : « … fraternels avec nos alliés, sachez garder vis-à-vis des populations italiennes si oublieuses, elles, du passé, une attitude faite de réserve et de correction qui leur impose considération et respect. Ni familiarité indécente, ni morgue excessive ou brutalités qui pourraient nuire à notre cause »83. A maintes reprises s’exhale pourtant au sein du CEF une rancune qui trouve son origine dans la déclaration de guerre mussolinienne du 10 juin 1940, véritable « coup de poignard dans le dos » porté à l’heure où la défaite face à l’Allemagne était consommée. René Pellabeuf prévient : « nous n’avions guère de considération pour les Italiens (à cause de leur agression de dernière heure en 1940) »84. Le sous-lieutenant Jean Lapouge, du 7e RTA, est à l’unisson : « Nous avions débarqué pleins de résolution farouche à l’égard des Italiens, bien décidés à venger nos réfugiés mitraillés sur les routes, à faire expier le « coup de poignard » de juin 1940 »85. Le capitaine Heurgon fait état d’un sentiment analogue, unanimement partagé86. Le lieutenant Pierre Hugot qui sert dans l’un des bataillons de marche de la 1ère DFL, surenchérit en exprimant toute la haine et le mépris que lui inspire, à son arrivée, l’attitude italienne durant la guerre87. Le commandant Berteil précise l’étendue des griefs88. Chez certains, tels Georges Gaudy, entre même une part de xénophobie qui ne vise en réalité que les populations de Campanie89.

29De là à conclure que l’emploi des contingents indigènes, prévenus de sauvagerie et bestialité, avait été décidé pour punir la population italienne, le pas fut vite franchi tant par le président du conseil Ivanoe Bonomi, dans un mémorandum du 13 juillet 1944, que par les habitants des villages traversés par les soldats français. T. Baris qui répercute une telle opinion90, paraît la faire sienne dans la mesure où il ne la dément pas –mais il est vrai que sa méthode consiste à prendre le contre-pied de l’historiographie française qui remet les exactions « dans un certain contexte, de telles sortes [sic] qu’elles sont minimisées voire excusées »91. Le refus récurrent et plus général d’examiner les circonstances, gênant pour l’historien, finit par nuire à l’intelligence des événements. En effet, comment comprendre la composition du CEF sans se référer d’une part à la difficulté du recrutement européen (métropole occupée, très nombreux Français en âge de combattre captifs en Allemagne, Empire surtout peuplé d’indigènes), d’autre part à la nature même de la guerre en Italie qui passait par l’emploi de troupes aptes à évoluer en montagne. D’où le recours massif aux Marocains, aux Berbères et aux Kabyles.

30Il est plus conforme à la vérité de souligner que la question des relations franco-italienne se dévoilait sous un jour éminemment complexe92 qui ne fut pas sans effets sur le terrain, les uns anecdotiques, les autres plus graves eu égard au comportement de certains combattants. Dans le premier registre, le général Juin dut, par exemple, composer avec la présence momentanée au sein du CEF d’éléments italiens de la valeur d’une division93 dont il ne voulut connaître « qu’au point de vue tactique »94. Il n’entendait pas en revanche avoir de « contacts politiques » avec le gouvernement Badoglio « pour la raison que le gouvernement provisoire d’Alger n’avait pas été partie à la signature de l’armistice conclu à Palerme »95. Il évita en conséquence toute rencontre avec le prince de Piémont, héritier du trône, venu inspecter les troupes transalpines96. Approuvée par le général de Gaulle, la position du commandant en chef trouvait bien son explication dans le fait que la France avait été tenue à l’écart des négociations conduites par les Alliés avec l’Italie, en dépit de plusieurs tentatives pour y être associée. Une fois conclu l’armistice de 1943 avec la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’Union soviétique, les autorités du royaume du sud s’employèrent en outre à ne pas donner satisfaction aux revendications françaises : il fallut ainsi attendre la chute de Rome, en juin 1944, pour qu’un décret abolisse l’armistice de juin 1940, et le tournant 1944-1945 pour que les conventions de 1896 sur la Tunisie soient abrogées, deux exigences majeures du CFLN réitérées depuis novembre 1943. A l’instar de la Grèce et de la Yougoslavie dont les griefs étaient analogues, la France refusa donc longtemps de reconnaître la cobelligérance et d’établir des relations diplomatiques normales –le processus de normalisation ne débuta qu’en février 1945. Qu’il y ait eu de sa part une réelle intransigeance, le fait est indiscutable97. Il fallait s’attendre à ce que celle-ci rejaillisse sur le corps expéditionnaire. Elle culmina moins cependant dans les exactions commises à l’encontre de la population que dans le défilé triomphal de la Via del Impero, le 15 juin 1944, et surtout dans la cérémonie expiatoire qui se déroula le 17 juin, à la villa Incisa, à l’Olgiata, à l’initiative d’un capitaine du 8e RTM98. En ce lieu, le 24 juin 1940, les plénipotentiaires français avaient été contraints par l’Allemagne à signer l’armistice avec une Italie qui n’avait pas obtenu la moindre victoire99. A quatre ans de distance, il importait de laver le double affront. Seule l’armée qui avait enfoncé les lignes allemandes et ouvert la route de Rome pouvait le faire.

31En outre, l’oublierait-on, les territoires situés en deçà des lignes allemandes étaient en zone ennemie, non seulement parce qu’ils étaient occupés par les troupes du Reich, mais aussi parce qu’ils relevaient nominalement de la République de Salo dirigée par Mussolini. Au surplus, même s’ils restèrent minoritaires, certains Italiens dont les convictions fascistes n’avaient pas été entamées par les défaites, furent loin d’accueillir les Alliés en libérateurs, s’efforçant par tous les moyens de leur nuire. Les Français eurent à en pâtir. Le sous-lieutenant Altieri-Leca, du 3e RTA, fut ainsi capturé par les Allemands après avoir été trompé par un ouvrier italien qui, du reste, paya de la vie sa fourberie100. L’adjudant Lamorlette, du 7e RTA, fut pour sa part victime d’un franc-tireur italien qui le visa dans le dos101. L’adjudant Gadian, du 64e goum (12e tabor, 1er GTM) ne dut qu’à sa défiance vis-à-vis des civils italiens, défiance alimentée par plusieurs précédents, de n’être pas surpris par l’ennemi102. Le commandant Berteil, du 6e RTM, se trouvait dans un état d’esprit similaire durant les combats en Toscane103.

32Enfin, sans attendre d’être influencés par les Français, les soldats maghrébins s’étaient forgés leur propre opinion sur les Italiens que nombre d’entre eux avaient combattus en Tunisie, en 1943. Ils en savaient la faible valeur militaire. Jacques Augarde explique ainsi que pour prévenir les exécutions sommaires, il avait été décidé lors de cette campagne de donner une prime par ennemi capturé. Il fallut vite arrêter cependant car les Italiens se rendant trop facilement –il y eut jusqu’à huit cents prisonniers par jour–, les caisses des goums se seraient vidées rapidement104. Les Marocains se mirent alors à vendre leurs prisonniers aux Américains désireux d’étoffer leur bilan, qui payaient plus cher un simple soldat de l’Afrika-Korps qu’un chef de bataillon italien105. Ils ne comprirent pas ensuite que l’Italie pût accéder au statut de co-belligérance et conservèrent à l’endroit des « Fratelli » « qui capitulent avant même que leur pays soit envahi », un mépris tenace106.

33Pourtant la majeure partie des combattants du CEF changea rapidement d’attitude à l’égard de la population italienne qui réussit globalement à désarmer les préventions, comme le déclare le général Chambe : « A la fin des hostilités, il n’y aura pas de haine de la part de la France à l’égard des pauvres gens d’Italie »107 ou le capitaine Lyautey : « Au débarquement, huit sur dix parmi les nôtres étaient italophobes. La population italienne aura conquis les cœurs »108. Le correspondant de guerre Pierre Jarry dresse un constat analogue109, partagé par J. Ciaux110. Le récit de Jean Lapouge donne un relief particulier à cette palinodie. N’ayant jamais eu qu’à se louer de l’accueil que lui réservèrent les Italiens tant à proximité du front qu’à l’arrière, il noua même des relations amicales avec une famille de réfugiés installés au hameau de Portella ou avec une autre, plus tard, à Contursi où son unité avait été mise au repos, et avec une dernière, enfin, à Casi, avant le départ pour la France111. Pierre Hugot, au terme de son séjour à Nusco, abandonna lui aussi toute rancune112. Sans doute en alla-t-il diversement selon les lieux et les hommes. Le commandant Berteil, s’il qualifie de correctes les relations entre la troupe et les Italiens lors du séjour du I/6e RTM à Tavola, dans les Abruzzes, détaille par le menu les difficultés rencontrées ultérieurement à Bassiano, dans le Latium : sabotage de la ligne téléphonique puis de la conduite d’eau potable, dénonciation calomnieuse d’une Italienne se prétendant victime d’un vol de bétail113. Il est du reste l’un des rares à cultiver à l’égard de la population péninsulaire un mépris persistant qu’il justifie par les vols et trafics dont il a été témoin à Naples, mais aussi par l’attitude des hommes valides attendant, « à l’abri des incertitudes des combats, que leur ville ou leur village fût libéré »114.

34Quoi qu’il en soit, tous les témoignages s’accordent sur la sévérité avec laquelle les autorités militaires françaises réprimèrent les crimes commis par les hommes du CEF115. Certains d’entre eux l’attestent sans fournir d’exemples précis, à l’instar de l’ambulancière Solange Cuvillier, ayant entendu à Spigno des hurlements de femmes violées, qui écrit : « le Commandement français ne pardonnant pas ces crimes fit fusiller sur-le-champ un certain nombre de coupables »116. Les capitaines Lyautey et Gaudy tout comme le sergent Ciaux sont sur la même ligne117.

35D’autres témoins s’arrêtent avec plus de précision sur quelques unes des condamnations à mort prononcées sur le terrain et immédiatement exécutées. L’aspirant Henri Juan, du 3e RTA, se souvient ainsi d’un épisode survenu après la libération de Rome. Un Italien vient se plaindre du viol de sa fille. Une enquête est immédiatement réalisée qui aboutit à l’identification de trois coupables, un sergent et deux soldats. Le sous-officier est exécuté le lendemain, les hommes du rang renvoyés devant un tribunal militaire118. Le sous-lieutenant Altieri-Leca, du même régiment, rapporte de son côté qu’il fut chargé de fusiller un sergent-chef musulman, convaincu du viol d’une Italienne119. Henri Tartaroli, capitaine au régiment d’artillerie coloniale du Levant, garde le souvenir des corps de cinq goumiers, exposés publiquement à Casale di Pari, au sud de Sienne, après avoir été exécutés sur ordre du général Guillaume120.

36Enfin, dans certains cas, sans doute plus rares, la sanction prit la forme d’une ordalie. Il faut se reporter ici au récit de Louis Berteil. Au village de Vallelucia, durant l’hiver 1943-1944, se trouvait une Italienne quasiment paralysée et abandonnée par sa famille qui était nourrie et soignée par les goumiers. Lorsque la position fut abandonnée car trop exposée à un coup de main ennemi, à la mi-mars, il fut également décidé d’évacuer la population et la vieille femme, cette dernière étant confiée au soin de quatre brancardiers du 6e RTM. Loin de remplir leur mission, ceux-ci choisirent plutôt de l’étrangler, déclarant qu’elle était morte en cours de route. Des bavardages firent rapidement éclater la vérité, mais sans aveu ni preuve formelle, il était tout à la fois impossible et inopportun de les traduire devant un tribunal militaire. Le commandant Berteil se résolut alors à solliciter le « jugement de Dieu ». Sachant que son unité serait au rang de celles qui supporteraient l’effort principal de l’offensive de printemps, il obtint le détachement des assassins qui relevaient normalement de la compagnie régimentaire. « Allah se prononça ! ». Le « triste quatuor » fut tué pendant la nuit sanglante du 11 au 12 mai121. D’autres chefs paraissent bien avoir procédé de manière analogue122. Partant, même si des incertitudes subsistent sur l’ampleur de ces pratiques, il n’en demeure pas moins que la thèse du laxisme de l’encadrement européen face aux agissements criminels indigènes s’effondre au regard des faits.

37Les viols dont furent victimes les femmes italiennes trouvent un faible écho dans la littérature française de témoignage. Ces viols eurent lieu et ni l’honneur de la France hier, ni aujourd’hui les exigences politiquement correctes d’une société multiculturelle et pluriethnique ne sauraient le dissimuler. La chose est au-delà de tout doute. Pourtant la plupart de ceux qui ont participé à la geste française en Italie, dans les goums ou chez les tirailleurs, n’en font pas état123, le récit de J. Ciaux étant en la matière exceptionnel124. Il n’y a guère à ce silence que deux explications. La première, qui ne manquera pas de recueillir des suffrages de l’autre côté des Alpes, tient du mensonge par omission. Elle conforte la thèse du manque de probité des Français qui est au cœur de la démonstration de T. Baris. La seconde, en revanche, valide l’hypothèse de crimes restés somme toute marginaux puisque aussi bien aucun des mémorialistes du CEF n’en a été le témoin direct. De ce point de vue J.-Chr. Notin aurait raison. En l’état de la documentation, il n’est pas sûr que la question puisse être tranchée dans un sens différent de celui que commandent les sensibilités et passions nationales.

Notes

1 La participation française à la campagne d’Italie (1943-1944), Paris, impr. nationale, 1969, pp. 287-296. Des chiffres avoisinants sont donnés par Paul Gaujac, Le corps expéditionnaire français en Italie, Paris, Histoire et collections, 2003, p. 31.

2 Chiffres calculés à partir du tableau des effectifs du CEF au 15 juin 1944 reproduit par Belkacem Recham, Les musulmans algériens dans l’armée française (1919-1945), Paris, L’Harmattan, 1996, pp. 238-239, les données présentées par P. Le Goyet étant en la matière lacunaires. Sur le statut inférieur des officiers et sous-officiers indigènes, cf. Serge Douceret, Paul Gandoet général, Paris, Lavauzelle, 1987, p. 41 ; B. Recham, op. cit., pp. 71 et suiv. Cf. aussi, à propos des officiers marocains, l’aveu du général André Lanquetot, Un hiver dans les Abruzzes, Vincennes, SHAT, 1991, p. 19 : « nous ne réservions pas à ces jeunes officiers des carrières correspondant à leurs capacités et à leur dévouement ».

3 P. Le Goyet, op. cit., p. 296, fait état de 53 soldats européens pour 7188 indigènes.

4 Homme de guerre, Paris, France-Empire, 1977, pp. 109-110.

5 « L’effort de guerre en Afrique du Nord. La mobilisation », Extraits du Bulletin de renseignements de l’Etat-major de la Défense nationale, 25 mars 1945, reproduits in maréchal Juin, Mémoires, Paris, Fayard, 1959, t. 1, annexe n°1, p. 365. Ces statistiques sont admises par l’historiographie contemporaine, cf. B. Recham, op. cit., pp. 234-236.

6 Jacques Frémeaux, « La participation des contingents d’outre-mer aux opérations militaires (1943-1944) » in Les armées françaises pendant la Seconde Guerre Mondiale, Paris, 1986, p. 357 ; B. Recham, op. cit., p. 236.

7 Maréchal Juin, Mémoires, op. cit., t. 1, annexe n°1, p. 362.

8 B. Recham, op. cit., pp. 242-244.

9 Calculs effectués à partir des informations fournies par P. Le Goyet, op. cit., pp. 287-296.

10 Op. cit., pp. 243-244.

11 L’empire écartelé, Paris, Denoël, 1988, p. 497.

12 Op. cit., p. 216.

13 P. Gaujac, op. cit., p. 33, encadré.

14 Cf. le point de vue de Georges Marey, « Le réarmement français en Afrique du Nord (1942-1944) », RPP, oct.-déc. 1947, p. 48.

15 Résultat obtenu en croisant les chiffres de P. Le Goyet et d’A. Lanquetot.

16 Adolphe Goutard, Le corps expéditionnaire français dans la campagne d’Italie (1943-1944), Paris, Lavauzelle, 1947, p. 215. Un constat analogue est dressé par Louis Berteil, commandant le 1er bataillon du 6e RTM après les attaques des 11 et 13 mai 1944, Baroud pour Rome, Italie 1944, Paris, Flammarion, 1966, pp. 125-126 : son bataillon a perdu un officier sur deux, un sous-officier sur trois, un tirailleur sur quatre. L’ampleur des pertes au sein de l’encadrement a frappé Jean Lapouge, sous-lieutenant au 7e RTA, qui y revient à plusieurs reprises dans ses carnets de guerre, De Sétif à Marseille, par Cassino, Parçay-sur-Vienne, éd. Anovi, 2007, notamment pp. 142-143.

17 A. Goutard, op. cit., p. 2 ; B. Recham, « Les militaires nord-africains pendant la Seconde Guerre mondiale » in http://colloque-algerie.ens-lyon.fr/communication.php3?id_article=262. De l’aveu de Ben Bella, recueilli par Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Paris, Gallimard, 1965, p. 53, « entre Français et Marocains régnait, au front, une solidarité admirable ».

18 Op. cit., pp. 267-268.

19 Selon Jacques Augarde, Tabor, Paris, France-Empire, 1952, p. 37, « les montres, bagues, portefeuilles, menus objets » enlevés aux prisonniers sont, selon le goumier, « la juste récompense du plus fort ». Dans le même sens, René Chambe, L’épopée française d’Italie 1944, Paris, Flammarion, 1952, p. 245. René Pellabeuf, Ma campagne d’Italie dans les tabors marocains (1943-1944), Aix-en-Provence, 1994, pp. 151-152, relate pour sa part l’anecdote significative du portefeuille d’un prisonnier allemand, subtilisé par un goumier et finalement restitué. L. Berteil, op. cit., p. 124, indique toutefois que les tirailleurs de son unité ne s’intéressaient pas aux portefeuilles en raison de l’argent allemand « qui ne valait rien » mais pour les « photos de filles « artistiques » ».

20 Cf. le récit du capitaine Pierre Lyautey, neveu du maréchal et officier de liaison à l’état-major des goums, qui mentionne, le 14 mai, La campagne d’Italie 1944, Paris, Plon, 1945, p. 24, le vol de la carabine d’un officier de liaison américain, précisant à cette occasion que les goumiers couchent sur leurs armes, et qui explique, le 21 mai, p. 58, avoir dormi en tenant son cheval par la bride « car les chevaux se volent comme les jeeps et les cartes et les revolvers et les crayons et les casques ». Son casque lui est d’ailleurs dérobé peu après, p. 61. Au témoignage de L. Berteil, op. cit., p. 241, les Américains aussi commirent de nombreux vols.

21 François de Linarès, Campagne d’Italie 1943-1944, Paris, Lavauzelle, 2009, p. 96, p. 130 ; Roland Cabanel, Carnet de guerre d’un sergent de Cassino, s.l., CEL éditeur, 1978, p. 63.

22 Op. cit., pp. 103-105.

23 Fr. de Linarès, op. cit., p. 358, rapporte ainsi le témoignage de la Liliana Rizza dont le père, sans engagement politique particulier, fut dépouillé par deux goumiers. R. Pellabeuf, op. cit., p. 153, revient pour sa part sur le cas d’un vol de moutons à un paysan par des hommes du 8e tabor. R. Cabanel, op. cit., p. 69, narre l’épisode d’un tirailleur du 3e RTA qui, ne parvenant pas à acheter une poule à un fermier, finit par la dérober sans savoir qu’elle appartenait en réalité au pape !

24 B. Recham, op. cit., p. 256.

25 Op. cit., pp. 116-118.

26 Cf. A. Lanquetot, op. cit., p. 14. Voir chez J. Augarde, op. cit., pp. 46-47, l’anecdote du goumier occupé à piller une église qu’un lieutenant parvient à raisonner en lui expliquant « qu’il est dans une mosquée des roumis et qu’Allah risque de le punir s’il emporte quelque chose ».

27 Cf. les plaintes du père Durant, aumônier au CEF, rapportées par J. Augarde, ibid., pp. 118-120.

28 Op. cit., p. 85.

29 Op. cit., pp. 280-281.

30 Op. cit., p. 83.

31 Ibid., p. 244.

32 Les unités marocaines (tirailleurs, spahis, goumiers) sont en effet très présentes dans le dispositif français. Il faut toutefois rappeler que les soldats chérifiens blessés ou tués ont souvent été remplacés par d’autres Maghrébins. Ainsi, le 3e bataillon du 6e RTM a-t-il été reconstitué à partir du 3e bataillon du 9e RTA, passé tout entier en renfort, cf. A. Goutard, op. cit., p. 210, note 1.

33 La campagne d’Italie. Les victoires oubliées de la France, 1943-1945, Paris, Perrin, 2002, chapitre 5 de la Ve partie, pp. 500-513, en particulier pp. 505-508 pour les aspects statistiques. B. Recham, dont l’ouvrage est antérieur, n’avait pu avoir accès à l’intégralité des archives susceptibles d’éclairer la question. J.-Chr. Notin s’est manifestement trouvé dans la même situation.

34 « Le corps expéditionnaire français de la Sicile à l’Ile d’Elbe : la France comme puissance d’occupation en Italie entre 1943 et 1944 » in Y. Delbrel, P. Allorant et Ph. Tanchoux (dir.), France occupée, France occupante, Orléans, PUO, 2008, p. 78. Relevons en passant le caractère discutable de ce titre, la France n’ayant jamais eu rang de puissance occupante dans la péninsule : elle ne participa pas à l’AMGOT ; ses troupes, intégrées à la Ve armée américaine, furent toujours placées sous commandement allié. Sur leur statut inférieur dans le dispositif allié, cf. André Cousine, « La participation française à la campagne d’Italie et au débarquement de Provence, 1943-1944 » in Les armées françaises, op. cit., pp. 370-372 ; Julie Le Gac, « Le corps expéditionnaire français et l’armée américaine en Italie (1943-1944) : une alliance asymétrique » in Revue historique des armées, n°258, 2010, pp. 57-66.

35 « Le corps expéditionnaire français en Italie. Violence des « libérateurs » durant l’été 1944 », Vingtième Siècle, 2007/1, n°93, p. 47.

36 « Le corps expéditionnaire français de la Sicile à l’Ile d’Elbe », art. cité, p. 70.

37 R. Chambe, op. cit., p. 318.

38 Fifth Army History, part V, Milan, Pizzi and Pizio, s.d., pp. 33-54.

39 AUSSME : Archivio dell’Uficio Storico dello Stato Maggiore dell’Esercito ; ASMAE : Archivio Storico del’Ministerio degli Affari Esteri ; ANG : Archivio Nicola Gallerano ; ACS : Archivio Centrale dello Stato.

40 « Entre historia y memoria : las violaciones en masa a lo largo de la linea Gustav en 1944 » in Historia, Antropologia y Feuntes Orales, n°33, 2005, pp. 80-103.

41 Guerra totale, Turin, Bollati Boringhieri, 2005, pp. 514-549 notamment.

42 R. Pellabeuf, op. cit., p. 193, se souvient avoir « marché nuit et jour durant 21 jours, sans répit ». Alors correspondant de guerre, Pierre Ichac, Nous marchions vers la France, Paris, Amiot-Dumont, 1954, p. 201, parle d’une « course folle », tout comme Yves Salkin et Jacques Morineau, Histoire des goums marocains, Paris, Public-Réalisations, 1987, t. 2, p. 132. Le capitaine Heurgon dans La victoire sous le signe des trois croissants, Alger, Pierre Vrillon éd., 1946, t. 1, p. 166, qualifie de « précipité » le rythme auquel était menée la poursuite. Pour le capitaine Georges Gaudy, Combats libérateurs, Paris, Lardanchet, 1946, p. 131, ce fut une « course sans merci ». D’après le sergent Cabanel, op. cit., p. 67, « l’avance tient de la marche forcée ». « Nous foncions sans arrêt » dit Ben Bella à Robert Merle, op. cit., p. 56.

43 La face cachée des GI’S, Paris, Payot, 2003, p. 40.

44 Op. cit., p. 508. A Morolo, le 6 juin, le capitaine Gaudy, op. cit., pp. 182-183, assisté de quatre tirailleurs, fit cesser le viol d’une Italienne par deux artilleurs américains qui furent arrêtés. Très souvent loué, le comportement des Allemands à l’égard des femmes ne fut pas plus exemplaire, à en croire le même, ibid., p. 220, et Jean Normand in Fr. de Linarès, op. cit., p. 179.

45 Sur les rapports difficiles entre soldats français et italiens, cf. G. Gribaudi, op. cit., pp. 552-556.

46 Voir l’enquête de Moshe Gershovich, « Responsabilidad y enfrentamientos en la II Guerra Mundial » in Historia, Antropologia y Feuntes Orales, n°33, 2005, pp. 75-77. J. Lapouge, op. cit., p. 211.

47 Op. cit., p. 191. Voir dans le même sens l’anecdote rapportée par R. Cabanel, op. cit., p. 60.

48 Op. cit., p. 40.

49 Ibid., p. 85.

50 Ibid., p. 90.

51 Ibid., pp. 166-167. En Allemagne, où les tabors stationnèrent de manière plus durable, les nombreuses liaisons entretenues par les goumiers avec les Allemandes conduisirent parfois à des désertions, cf. M’barak Wanaim, « Goumiers, spahis et tirailleurs marocains de l’armée française », thèse histoire, Université de Paris I, 2008, pp. 169 et suiv.

52 Op. cit., pp. 242-245.

53 La diabolisation est au demeurant antérieure à l’offensive de printemps, cf. J. Lapouge, op. cit., p. 202.

54 Dans J.-Chr. Notin, op. cit., p. 513.

55 L’information, rapportée par J.-Chr. Notin, ibid., p. 509, n’est pas démentie par T. Baris.

56 « Le corps expéditionnaire français en Italie », art. cité, p. 53.

57 Ce point est évoqué par T. Baris dans son article cité en espagnol, « Entre historia y memoria… », pp. 91-92, mais dans aucune de ses contributions françaises.

58 « Le corps expéditionnaire français en Italie », art. cité, pp. 51-52.

59 Article cité, pp. 71-79.

60 « Le corps expéditionnaire français en Italie », art. cité, p. 53.

61 Chiffre rapporté par J.-Chr. Notin, op. cit., p. 504.

62 Senato della Repubblica, 13 legislatura, n. 1081, Disegno di legge, 25 juillet 1996.

63 T. Baris, « Le corps expéditionnaire français en Italie », art. cité, p. 54 et « Le corps expéditionnaire français de la Sicile à l’Ile d’Elbe », art. cité, p. 73 ; J.-Chr. Notin, op. cit., p. 505.

64 T. Baris se trompe lorsqu’il écrit, « Le corps expéditionnaire français en Italie », art. cité, p. 48 : « Formé de deux cents membres, chaque goum se subdivisait en tabors, formation plus restreinte composée de cinquante à soixante-dix hommes… ». Il se trompe encore lorsqu’il écrit, « Entre historia y memoria », art. cité, p. 83, que les Alliés sont entrés dans Rome le 4 juin. Les autres chercheurs étrangers qui se sont intéressés à la question ne sont pas exempts de reproches, telle Daria Frezza, « Memorias locales e internacionales de la II Guerra Mundial (Cassino, 1943-1944) », Historia, Antropologia y Feuntes Orales, n°33, 2005, p. 67, qui situe le nord de Cassino dans le secteur français où sévirent les tabors et fait de Ferhat Abbas l’un des plus illustres leaders du parti communiste.

65 T. Baris, « Entre historia y memoria », art. cité, p. 83.

66 Cf. La victoire sous le signe, op. cit., pp. 165-170 ; A. Goutard, op. cit., pp. 126-129 ; G. Boulle, Le corps expéditionnaire français en Italie (1943-1944), Paris, impr. nationale, 1973, t. 2, pp. 97-100.

67 Thèse citée, p. 155.

68 Note de service n°5684 CEF/1 du 24 mai 1944, reproduite in P. Gaujac, op. cit., p. 43. Le même jour, le commandement des prévôtés du CEF réagit à son tour pour combattre les omissions ou retards qui nuisent à la répression des crimes et délits, ibid.

69 B. Recham, op. cit., pp. 268-269 ; J.-Chr. Notin, op. cit., p. 504.

70 T. Baris, « Le corps expéditionnaire français de la Sicile à l’Ile d’Elbe », art. cité, p. 71.

71 Ibid., p. 72.

72 G. Boulle, op. cit., t. 2. ; P. Le Goyet, La campagne d’Italie (1943-1945). Une victoire quasi-inutile, Paris, NEL, 1985.

73 De Naples à Florence avec le 6e Tirailleurs Marocains, s.l., J. Ciaux éd., 1966, suite de la note 1, p. 35, où il évoque des « actes de sauvagerie que quelques rares cadres subalternes n’ont pas cru devoir sanctionner au début ».

74 J. Augarde, op. cit., pp. 118-120.

75 Op. cit., p. 166.

76 D. Frezza, art. cité, p. 65. Corrigeons l’erreur de D. Frezza : Ben Bella n’était pas un officier commandant un escadron de Marocains, mais sergent au 5e RTM. Sa conduite au feu fut, en Italie, exemplaire.

77 M. Gershovich, art. cité, p. 77.

78 C’est le sens d’un document trouvé par G. Gribaudi, op. cit., p. 535, au Public Record Office de Londres, rédigé par un commissaire anglais et daté du 25 mai 1944, qui impute les troubles à l’absence d’encadrement européen.

79 Op. cit., p. 139.

80 Op. cit., pp. 44-45.

81 Op. cit., pp. 187-191.

82 Claudio Pavone, Une guerre civile. Essai historique sur l’éthique de la Résistance italienne, Paris, Seuil, 2005, p. 236. Cf., dans le même sens, la confidence de la petite Italienne de Casi à J. Lapouge, op. cit., p. 260 : « Siamo tutti traditori » ! ou l’aveu d’un marquis napolitain à Pierre Hugot, Baroud en Italie, Flammarion, 1945, p. 47 : « Nous avons été traîtres deux fois… ».

83 En annexe à P. Le Goyet, La participation, op. cit., p. 315.

84 Op. cit., p. 166.

85 Op. cit., pp. 163-164. Arrivant à Naples, le 21 décembre 1943, il écrit, ibid., p. 116 : « Le peuple italien donne une pénible impression de misère et de manque de dignité ».

86 Op. cit., p. 20, il note que les soldats de l’armée d’Afrique « ressentaient encore, au creux des omoplates, la déclaration de guerre du 10 juin 1940 ».

87 Op. cit., pp. 5-6.

88 Op. cit., p. 170 : outre la déclaration de guerre elle-même, il pointe du doigt le bombardement inutile de Blois, le mitraillage des colonnes de réfugiés au sud de la Loire, les vexations et sévices de l’occupation du Midi et de la Corse. Même énumération chez J. Ciaux, op. cit., p. 34.

89 Op. cit., pp. 109-114 et spécialement p. 113 : « On entrevoit parfois les vestiges d’une société napolitaine. Il existe sans doute, au bord du golfe, des hommes dignes de ce nom ; ils sont noyés dans une masse qui recouvre comme un limon le paysage, et dont les traits sont si frappants que nous avons trouvé partout, dans le reste de l’Italie, des juges plus sévères que nous pour cette humanité déchue ». Même notation, plusieurs tons en dessous, chez L. Berteil, op. cit., p. 181 ou J. Ciaux, op. cit., p. 44.

90 « Le corps expéditionnaire français en Italie », art. cité, p. 56 et pp. 59-60 ; « Entre historia y memoria », art. cité, p. 92 et pp. 96-97.

91 « Le corps expéditionnaire français de la Sicile à l’Ile d’Elbe », art. cité, p. 74.

92 « Le corps expéditionnaire français en Italie », art. cité, p. 56.

93 Cf. P. Le Goyet, La campagne, op. cit., p. 152, note 1.

94 A en croire P. Ichac, op. cit., pp. 112-113, le général Guillaume, sous les ordres directs duquel furent placés les Italiens, ne mâcha pas ses mots lorsqu’il les accueillit : « La France et l’Italie, pour des raisons différentes, n’ont guère lieu d’être fières de leurs exploits de 1940, encore que vous ayez plus que nous besoin de faire votre examen de conscience… ».

95 Mémoires, op. cit., t. 1, pp. 283-284.

96 J.-Chr. Notin, op. cit., p. 283.

97 Sur tous ces points, cf. P. Guillen, « Les relations franco-italiennes après la chute du fascisme » in Mélanges de l’Ecole française de Rome, 1986, n°98-1, pp. 433-464 ; P. Le Goyet, La participation, op. cit., pp. 26-29.

98 J.-Chr. Notin, op. cit., p. 441. Les photos illustrant cette cérémonie sont volontiers reproduites dans les ouvrages consacrés à la campagne d’Italie. Deux d’entre elles figurent dans l’album Victoires des Français en Italie, Paris, R. Schall, 1946, non paginé.

99 Giorgio Rochat, « La campagne italienne de juin 1940 dans les Alpes occidentales » in Revue historique des armées, n°250, 2008, pp. 77-84.

100 Fr. de Linarès, op. cit., pp. 305-307.

101 Ibid., p. 311.

102 J. Augarde, op. cit., p. 103.

103 Op. cit., p. 201.

104 Op. cit., p. 131.

105 L. Berteil, op. cit., p. 30.

106 Ibid.

107 Op. cit., p. 244.

108 Op. cit., p. 113.

109 Propos reproduits par le capitaine Heurgon, op. cit., p. 20.

110 Op. cit., p. 43.

111 Op. cit., pp. 166-167, 177, 182-183, 201-202, 209, 256-261.

112 Op. cit., pp. 152-153 : « L’Italie, ce n’est plus pour nous Mussolini, ni le coup de poignard, ni même cette trop réelle politique de duplicité chère à ses diplomates, de Crispi à Ciano. C’est de la vie, du sang, de la jeunesse ».

113 Op. cit., pp. 84-85, 167-170.

114 Ibid., pp. 85-89 et 171.

115 B. Recham, op. cit., p. 269.

116 Tribulations d’une femme dans l’armée française, Paris, éd. lettres du monde, 1991, p. 46.

117 P. Lyautey, op. cit., p. 85: « … chez nous la discipline est terrible. Tout flagrant délit est immédiatement puni. L’officier a le droit de faire fusiller sur-le-champ, sans attendre les arrêts du tribunal militaire » ; G. Gaudy, op. cit., p. 188 : « Les Marocains pris sur le fait sont fusillés » ; J. Ciaux, op. cit., suite de la note 1, p. 35 : les viols « ont été rapidement et rigoureusement réprimés ».

118 Fr. de Linarès, op. cit., pp. 407-408.

119 Ibid., p. 408.

120 P. Gaujac, op. cit., p. 44.

121 Op. cit., p. 48, pp. 55-56.

122 J.-Chr. Notin, op. cit., p. 507.

123 Dans son récit de la campagne d’Italie, op. cit., pp. 78-79, le lieutenant Hugot, de la 1ère DFL, rapporte avoir été saisi directement d’une plainte pour viol dirigée contre l’un de ses hommes, en l’occurrence un tirailleur sénégalais d’origine tchadienne (non un Maghrébin), accusé d’avoir abusé de la bonne d’une comtesse à Tivoli. Il lui fut cependant impossible de vérifier l’exactitude des faits allégués.

124 Le 21 juillet 1944, à Mensanello, en Toscane, trois Marocains violent une mère et sa fille et abattent les voisins venus à leur secours avant d’être mis en fuite par d’autres combattants français du 6e RTM. Rapidement identifiés, les indigènes ont, semble-t-il, été fusillés sans jugement, en présence de la population, dans les jours qui suivirent, op. cit., pp. 190-191.

Pour citer ce document

Par Éric GOJOSSO, «Note sur les crimes du Corps expéditionnaire français en Italie (1943-1944)», Les cahiers poitevins d'histoire du droit [En ligne], Troisième cahier, mis à jour le : 25/07/2019, URL : https://cahiers-poitevins.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiers-poitevins/index.php?id=207.

Quelques mots à propos de :  Éric GOJOSSO

Professeur à l’Université de Poitiers, Doyen honoraire de la Faculté de droit et des sciences sociales