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Histoire du droit, des institutions et des idées politiques
Louis Le Roy, entre monarchie mixte et absolutisme ou l’idéal à l’épreuve des guerres de Religion
Par Marie-Laure Duclos
Publication en ligne le 13 mai 2019
Table des matières
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Texte intégral
Louis Le Roy, entre monarchie mixte et absolutisme ou l’idéal à l’épreuve des guerres de Religion
1Louis Le Roy, dit Regius, naît à Coutances en 1510. Il fait ses études à l’école de l’évêché, puis au collège d’Harcourt à Paris, au moyen d’une bourse, et étudie enfin le droit à l’université de Toulouse. L’évêque de Comminges lui propose un préceptorat qu’il refuse car il répugne à se rendre dans les Pyrénées qu’il estime trop agrestes et trop sauvages. Un peu avant 1550, ayant étudié les belles lettres, il fait un voyage en Italie, en tant que secrétaire de François Errault, président du parlement de Turin, ainsi qu’en Angleterre et en Allemagne, pour augmenter ses connaissances et pour s’instruire sur les mœurs et les coutumes de ces contrées. A la fin du règne de François Ier, ayant fait sa cour au chancelier Poyet, il obtient un emploi à la chancellerie de France. Il présente des œuvres au duc François de Guise, à la duchesse de Savoie Marguerite de France, à François II et à Michel de L’Hospital. Il trouve un appui en la personne de Charles de Marillac, archevêque de Vienne et homme d’Etat, qui lui procure un emploi au parlement de Paris. Malheureusement pour lui, sa carrière politique ne connaît pas d’autres élans. Cependant, « docteur es droictz », helléniste, il est connu dans le monde des humanistes et des érudits et fréquente notamment le salon de Jean Morel, chargé de l’éducation du chevalier d’Angoulême, fils naturel d’Henri II. Il publie un certain nombre d’ouvrages et de traductions, et devient lecteur du roi en langue grecque en 15721. « Il [a] […] une vanité insupportable, qui lui [fait] croire que personne [n’écrit] aussi bien que lui tant en François qu’en Latin, et qui lui [fait] traiter avec mépris et critiquer sans miséricorde les ouvrages des plus beaux esprits de son temps. Cette vanité le [rend] odieux, et lui [fait] des affaires avec quelques savants, entre autres avec Joachim du Bellay, avec qui cependant il se [réconciliera]2. » Le Roy est nommé professeur de grec au Collège royal en 15723. Certains affirment qu’il doit sa nomination à sa politique et non à ses titres scientifiques. Il joue de la parole libre des professeurs du collège, déplore l’état lamentable du royaume et donne quelquefois des cours en français et non en latin. Au début du règne d’Henri III, il entre à l’Académie du Palais. Il se tourne de plus en plus vers le nouveau roi, alors que les poètes se sentaient plus proches de Charles IX4. « L’application qu’il [donne] à l’étude, lui [fait] toujours négliger ses affaires domestiques ; et cette négligence lui [cause] des chagrins sur la fin de sa vie ; car cet homme, qui [est] fier et hautain, et qui [n’a] jamais pu souffrir de supérieur, [est] obligé dans sa vieillesse d’attendre sa subsistance des autres et de vivre à leur dépens5. » Le 2 juillet 1577 à Paris, la mort interrompt sa carrière alors qu’elle prend un tournant favorable6.
2L’œuvre de Louis Le Roy est celle d’un homme partagé entre l’Antiquité et la fin de son siècle.
3Louis Le Roy est un humaniste et un helléniste. Humaniste, il croit « volontiers que la pensée des Anciens, aussitôt que révélée, [possède] la vertu miraculeuse de précipiter la transformation des hommes et le mouvement des choses »7. Il n’a aucun respect pour la scolastique. Pour lui, une bonne imitation de la sagesse des Anciens ne consiste pas à connaître toutes les choses qu’ils savaient, ni à s’inquiéter à propos de leurs problèmes. Cela consiste à adapter l’esprit de leurs recherches aux conditions du monde contemporain8. Il subit l’influence de nombreux auteurs, s’inspirant ainsi des différents courants de l’humanisme ; ainsi, l’humanisme transalpin est particulièrement représenté dans sa pensée par Claude de Seyssel en qui il reconnaît un véritable maître, et il ne faut pas oublier l’importance de la figure dominante de la pensée politique italienne au début du XVIe siècle, Nicolas Machiavel, une influence réelle bien que reniée par Le Roy. Helléniste, il s’attache à traduire de nombreuses œuvres comme Le Timée de Platon, traitant de la nature du monde et de l’homme en 1551, le Sympose de Platon, au sujet de l’amour et la beauté en 1559, ou encore Les Politiques d’Aristote en 1568 et La République de Platon publiée en 1600.
4Louis Le Roy, aspirant à un rôle politique plus conséquent que celui qu’il a obtenu, intéressé par les événements qui l’entourent, tente de mettre son humanisme et son hellénisme au service de son patriotisme et de son traditionalisme et d’influencer ses contemporains par sa pensée politique. Ainsi, il se passionne pour les événements qui ont déchiré la fin du XVIe siècle, les guerres de Religion. Le Roy est catholique, il n’épousera pas la Réforme mais ne rejoindra pas non plus la Ligue. Catholique modéré donc, il appartient au tiers-parti, le parti des Politiques, ces hommes qui, sous Henri III réprouvent les excès de la Ligue, refusent un gouvernement soumis à l’emprise espagnole, « envisagent le problème religieux sous l’angle politique et qui, de ce fait, sont amenés à affirmer la nécessité à la fois d’une concorde civile entre les confessions et d’un pouvoir royal fort »9. Ses écrits reflètent alors les préoccupations de ses contemporains comme en 1562 où il fait paraître Des Differends et troubles advenans entre les hommes par la diversité des opinions en la religion, Considération sur l’histoire françoise, et l’universelle de ce Temps, dont les merveilles sont succinctement récitées en 1567, l’ Exhortation aux français pour vivre en concorde et jouir du bien de la paix en 1570 ou bien De l’Excellence du gouvernement royal en 1575. Il dédie au dernier Valois les Douze livres de la Vicissitude ou variété des choses en l’univers et concurrence des armes et lettres par les premières et plus illustres nations du monde, depuis le temps où a commencé la civilité et mémoire humaine jusqu’à présent en 157510.
5Comme il l’énonce lui même dans De l’Origine, antiquité, progres, excellence, et utilité de l’art politique en 1567, Louis Le Roy estime que « …la Politique, qui est la plus digne, plus utile et nécessaire de toutes [les matières], est demeurée en arrière : sans laquelle les hommes sociables de leur naturel, ne peuvent maintenir aucunement leurs compagnies et assemblées »11 et qu’elle « méritait d’être cultivée »12 ; aussi, il s’attachera à pallier ce manque d’étude. Dans le contexte des guerres de Religion qui, après avoir mis à mal la royauté ont entraîné un vent d’absolutisme, une question va particulièrement soulever sa réflexion : celle du choix nécessaire entre monarchie mixte et monarchie absolue.
6Louis Le Roy affirme clairement sa préférence pour la monarchie mixte. Mais s’il voit en ce régime un idéal qui convient à toutes les époques (I), les guerres de Religion viennent à bout de ses réticences contre l’absolutisme et lui font entrevoir la monarchie absolue comme la seule solution à la crise (II).
I. La monarchie mixte, un idéal intemporel
7Selon Louis Le Roy, la mixité, c’est-à-dire la combinaison de la monarchie, de l’aristocratie et de la démocratie en un régime, représente la meilleure solution au problème de la dégénérescence des régimes simples. L’idée de changements est fortement présente dans ses écrits et particulièrement dans les Douze livres de la Vicissitude de 1575. Dans cet ouvrage, il passe « successivement en revue les mutations et alternatives de toutes choses, depuis les éléments et les sphères célestes jusqu’aux institutions des hommes dont il résume[ra] l’histoire en les prenant dans la plus haute antiquité et en les suivant jusqu’au XVIe siècle »13. Le changement lui apparaît comme intrinsèquement lié à l’évolution historique et particulièrement caractéristique de son époque. Les polices n’y échappent pas : « Il est certain que comme toutes autres choses commencées finissent, et augmentées diminuent, et vieillissent les unes tôt, les autres tard, selon la disposition de la matière dont elles sont composées, et par l’influence des corps célestes, desquels procède cette vicissitude continuelle de génération et de corruption : Ainsi sont les états publics constitués, accrus, maintenus, abaissés, changés, détruis, convertis et remu les uns des autres par l’ordre de nature14. » Dans le cas particulier des polices, Le Roy, comme Platon et Aristote, ne voit la mutation que dans un sens négatif : toute police va irrémédiablement vers sa dégénérescence. Il applique la théorie des quatre âges : comme la vie humaine, les polices naissent, se développent, dépérissent et meurent pour des causes extérieures ou intérieures.
8Ainsi, si Louis Le Roy juge que la royauté est le meilleur des régimes, une police voulue par Dieu et la Nature, elle n’échappe pas à la règle de la dégénérescence. Reprenant les causes énoncées par Aristote, il énonce quant à la monarchie qu’elle peut être mise à mal par l’injure, la crainte, le mépris et l’ambition. Il doute de « savoir s’il est meilleur qu’un seul, ou peu de gens, ou plutôt la commune soit préférée à la tuition des lois et à juger les causes, qui par elles ne peuvent être comprises. Combien que par la sentence de plusieurs, la domination et gouvernement Royal est estimé plus excellent que tous les autres, et la principauté d’un seul est la meilleure de toutes, qui a bon droit semble s’attribuer la dignité Royale, si la chose par soi est considérée : néanmoins pour le muable esprit de l’homme, et plus souvent enclin à la moins bonne ou pire partie, et pour la brièveté de la vie, aucuns pensent le bon état de tous ne devoir être sous tel gouvernement : mais plutôt l’intendance appartenir à la commune, car il n’y a encore eu guères de gouvernement Royal qui n’ait été tantôt converti en tyrannie. Au contraire, nous lisons maintes républiques avoir duré beaucoup, fleuri, triomphé en temps de paix, et guerre. Mais certes toute multitude de soi est mal propre au gouvernement : parquoy la compagnie civile dressée par accord et union sera rompue, sinon que par certaine raison soit faite une même chose, et réduite en un : dont advient que les plus sages […] déterminent la république devoir être tempérée de la monarchie, aristocratie et démocratie : afin que par cette température l’on évite les incommodités des gouvernements simples »15. Ces mots révèlent une certaine note de pessimisme dans la pensée de Le Roy. Trop de monarchies pures ont dégénéré en tyrannie. Il opte alors pour un régime mixte, ce qui dans sa pensée aboutit à la monarchie mixte.
9Louis Le Roy affirme sa préférence pour la monarchie mixte dans le premier livre de La République de Platon de manière discrète puis y fait plusieurs références dans Les Politiques d’Aristote. Il note dans ce dernier ouvrage que « chacune espèce de républiques établie à part soi seulement et simplement, dégénère soudain en son vice prochain, si elle n’est modérée et retenue par les autres »16. Ainsi, la monarchie, l’aristocratie et la république, ayant chacune leurs vices et leurs vertus, doivent être combinées. Le Roy se trouve au carrefour de l’évolution de la notion de régime mixte17.
10Louis Le Roy fait expressément référence aux Anciens dans son analyse de la mixité. Pourtant ses propos sont parfois si peu précis qu’ils ne permettent pas de localiser avec précision ses sources antiques.
11Comme eux, Le Roy affirme dans Les Politiques d’Aristote que la mixité est le plus important facteur de stabilité. Elle retarde la dégénérescence d’un régime, sans le rendre pour autant perpétuel, le changement étant inéluctable. « La redécouverte de l’Antiquité par les humanistes du XVIe siècle [va] […] donner une nouvelle vigueur à la vieille théorie du régime mixte appliquée aux républiques du temps. C’est naturellement l’Italie qui [doit] être le théâtre de cette renaissance, et plus particulièrement les républiques de Florence et Venise »18, qui sont comparées à Athènes et Sparte, respectivement19. Eprises de liberté, les villes italiennes délaissent de plus en plus les monarchies héréditaires pour devenir des républiques indépendantes. L’influence intellectuelle de l’Italie étant grande, les idées et préoccupations se répandent et atteignent Louis Le Roy. Les républiques italiennes se présentent à lui comme un champ d’expériences, elles permettent de mettre les théories d’Aristote à l’épreuve des faits20.Le Roy étudie les constitutions de Florence, Gènes et Venise. Il montre une grande admiration pour Venise et affirme que son succès est prouvé par la longévité de l’Etat qui n’a changé ni de gouvernement ni de religion. « Le secret de cette stabilité de Sparte et Venise [est] évidemment leur régime mixte21. » Pourtant, si Le Roy fait de Sparte le prototype du régime mixte dans Les Politiques d’Aristote, il hésite à utiliser Venise comme modèle car il y relève de notables défauts. Il se montrera en revanche beaucoup moins clairvoyant au sujet de la France. Elle serait l’exemple parfait de la monarchie mixte, les principes oligarchique et populaire s’y trouvant dans un équilibre presque parfait. Ainsi, si Le Roy fait d’Aristote le père de la notion de régime mixte, il opte pour une mixité tripartite, à la manière de Polybe et Cicéron. En 1559, Le Roy fait part au Cardinal de Sens Jean Bertrand de son dessein d’écrire au sujet du royaume de France qui est le meilleur statut royal parce qu’il repose, selon lui, sur un régime mixte, une monarchie tempérée du Sénat et de l’état populaire, tel que défini par Aristote, Polybe et Plutarque22. Cela s’expliquerait par l’égalité harmonique qui règne entre « les deux ordres ou principaux états [qui] sont le peuple et la noblesse, auxquels celui de l’Eglise a été ajouté tiers »23 ; si l’Eglise est considérée comme un troisième état, quoique, dit-il, elle participe des deux autres, c’est en raison de la « révérence »24 de la religion, de sa grande puissance morale et matérielle, et surtout à cause de ses revenus qui se montent annuellement pour le moins à quatre millions de livres. Le Roy est convaincu de la bonne répartition des honneurs entre les trois ordres. « Regius s’est persuadé que le système politique au milieu duquel il vit, réalise pleinement l’exacte pondération des forces sociales, réclamée par le Stagyrite comme l’essentielle condition de la stabilité et le gage certain de la durée25. »
12Si pour Le Roy le régime mixte est le meilleur facteur de stabilité, sa vision de ce système politique diverge sur certains points de celle des maîtres antiques, ce qui s’explique par l’évolution de la notion après l’Antiquité.
13Une importante évolution est en effet intervenue au Moyen âge sous la plume de saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle. Ce dernier s’est non seulement intéressé à la question de la nécessité d’un régime mixte, mais aussi à celle de savoir quel régime mixte il faut choisir. Saint Thomas a opté pour le régime mixte, un régime prôné par la loi mosaïque, parce qu’un tel régime lui semble éviter les inconvénients de chacun des régimes simples, tout en sauvegardant ce qu’il y a de meilleur en eux, c’est-à-dire leur principe. Le régime mixte est alors un agencement de trois principes, à savoir l’unité, la justice distributive et la liberté. Cependant, ces trois principes ne peuvent être égaux entre eux, sinon il s’ensuivrait de perpétuelles luttes intestines pour le pouvoir. Ainsi, saint Thomas avance l’idée de modération : mettant l’accent sur la supériorité de la monarchie, cette dernière doit être modérée par l’aristocratie et la démocratie, dans l’optique d’assurer la paix publique, finalité supérieure de la communauté humaine26. Cette évolution de la notion influe de manière déterminante sur la conception du régime mixte au XVIe siècle27 : dans le contexte des monarchies qui dominent, elle devient « un élément modérateur, un rempart contre le despotisme »28, contrairement à Polybe et Cicéron qui décrivaient la constitution mixte comme étant un simple aménagement au sein de l’absolutisme de l’Etat romain.
14Comme ses contemporains, Louis Le Roy considère que le régime mixte réalise la modération du pouvoir royal et s’interroge sur l’étendue du pouvoir donné aux différents éléments de la mixité et particulièrement aux rois.
15Louis Le Roy s’est en effet non seulement intéressé au principe même de la mixité, mais aussi à ses modalités d’application.
16« Etant au royaume de France les biens, honneurs et charges de la chose publique divisés et répartis entre tous les états, proportionnellement selon leur condition, et chacun d’eux gardé en sa prééminence et qualité : s’ensuit une convenance, qui est cause de l’avoir fait durer et prospérer si longuement entre tous les Royaumes dont l’on ait mémoire et connaissance. Car à le bien prendre il participe des trois. Premièrement, il y a le Roy qui est Monarque, aimé, obéi et révéré ensemble : lequel iaçoit qu’il ait toute puissance et autorité de commander, et faire ce qu’il veut : toutefois cette grande et souveraine liberté est réglée et limitée par bonnes lois et ordonnances, et par la multitude et autorité grande des officiers qui sont tant près de sa personne, qu’en divers lieux du Royaume, qu’à peine pourrait un Roy faire chose qui fut trop violente, ni trop préjudiciable à ses sujets. Les XII Pairs, les conseils secret et privé, les Parlements et grand Conseil, chambres des Comptes, trésoreries, et généralités des charges sont Aristocratiques. Les états tenus par chacun an és provinces, les maireries des villes, échevinages, consulats et capitolats, margueilleries des villages, sont Démocratiques29. » Ici, Louis Le Roy copie Seyssel et le dénature abusivement, sa conception des éléments aristocratiques et démocratiques étant beaucoup plus extensive. Dans ses commentaires des Politiques d’Aristote, Le Roy fait état de l’excellence du régime mixte de Sparte : la royauté y est représentée par les deux rois, l’oligarchie par la magistrature des gérontes et la démocratie par une assemblée populaire puis par les cinq éphores. Il affirme clairement sa préférence pour une mixité tripartite et s’intéresse à la question de la répartition des pouvoirs.
17Quels sont les pouvoirs du roi ? Louis Le Roy ne se préoccupe pas de la question de la souveraineté. Il est plus pragmatique et énumère dans beaucoup de ses écrits les nombreux pouvoirs du roi. Dans Les Politiques d’Aristote, la liste est longue et clairement détaillée ; elle fournit un commentaire instructif, le prince apparaît comme omniprésent. Elle est reprise dans De l’Excellence du gouvernement royal avec une dichotomie : en temps de guerre, le roi « peut dresser plus tôt armées, et en user comme bon lui semble, persuader aux uns, forcer les autres, et les gagner par argent, ou par pratiques, ou surprendre par ruses, et embûches »30 ; « en paix aussi il a meilleur moyen de récompenser les services faits au public, et d’avancer les gens de bien selon leurs mérites et qualités, […], corriger et réformer les abus des Gouverneurs, Ecclésiastiques, Juges […], et rémunérant les bonnes choses, blâmant, châtiant, et rejetant les mauvaises, introduire nouvelles lois, abroger les vieilles […] »31. Dans Les Monarchiques de 1570, Le Roy insiste sur le fait qu’il revient au seul prince de faire et d’interpréter les lois particulières, qui doivent prendre exemple sur la loi naturelle, la loi suprême. Le souverain magistrat doit être considéré comme la loi vivante, dont dépendent les autres lois et les magistrats. Toutefois, étant par dessus les lois, il s’y doit néanmoins soumettre et vivre selon celles-ci. De plus, les ordonnances de France n’ont pas d’autorité avant d’avoir été publiées par les cours souveraines32. Le Roy reprend ici la combinaison classique entre la « solutio legibus » qui découle de la « lex regia », composée du « princeps legibus solutus », l’idée que « le Prince est délié des lois », et du « quod principi placuit legis habet vigorem », qui pose le principe que « ce que veut le Prince a force de loi », et le « legibus alligatus » de la « lex digna », qui s’est affirmé comme étant « l’affirmation d’une obligation morale liant l’Empereur [ou le Prince] à ses lois et […] le rappel de l’origine légale du pouvoir »33, combinaison provenant respectivement du Digeste de Justinien et du Code34. « Malgré l’incontestable renforcement des tendances monocratiques, [le XVIe siècle n’ira jamais] jusqu’à contester la soumission des rois à un certain nombre de règles »35 et a réalisé un compromis des deux notions. Si les romanistes et les monarchomaques protestants se montrent volontiers hostiles au « legibus solutus » et font fréquemment référence à la lex digna, les Politiques défendent l’idée que le roi, seul législateur, n’est pas lié par les lois existantes. En réalité, de nombreux auteurs et les institutions de l’époque ne vont jamais aussi loin : le roi est au dessus de la loi mais il est préférable qu’il s’y soumette36. C’est un compromis que l’on retrouve dans les écrits de Le Roy comme dans la pensée du chancelier Michel de L’Hospital. Si le roi a de nombreux pouvoirs, il existe donc aussi des limitations à ce pouvoir, non pas dans son existence mais dans son exercice. Dans Les Politiques d’Aristote, Le Roy énonce que le roi doit respecter les bonnes lois, ordonnances et coutumes du royaume ; ainsi que les trois freins empruntés à Seyssel (la religion, la justice et la police) dont Le Roy ne précise pas le contenu. Les limitations du pouvoir ne sont pas des restrictions et « demeure toujours la dignité et autorité Royale en son entier, non pas totalement absolue, ni aussi restreinte par trop : mais réglée et refrénée »37. Dans cet ouvrage, Le Roy énonce encore d’autres limites subsidiaires comme celles encadrant l’inaliénabilité du domaine.
18Dans la pensée de Louis Le Roy, les éléments aristocratiques et démocratiques n’ont qu’un rôle accessoire ; un rôle accessoire mais indispensable pour éviter à la royauté de dégénérer en tyrannie.
19Quels sont les pouvoirs de l’élément aristocratique ? Cet élément est composé de nombreux organes, dont beaucoup sont juste cités par Louis Le Roy. Dans Les Politiques d’Aristote, il décrit avec détails le fonctionnement et les compétences des conseils entourant le roi. Mais l’originalité de l’élément aristocratique réside dans le rôle attribué aux Parlements, contrairement à Claude de Seyssel qui considère qu’ils n’appartiennent pas à l’aristocratie. Le Roy voit en eux un pouvoir et un garde-fou et développe particulièrement ce dernier point. Les Parlements agissent comme une protection de la monarchie mixte dans le sens où ils doivent protéger le roi de la malveillance des grands s’il vient à soutenir le peuple et inversement. Les parlements des diverses provinces du royaume émettent un jugement tiers et neutre « représentant chacun en son endroit comme la majesté d’un Sénat secourable aux bons, et épouvantables aux mauvais, ayant connaissance sans appel en dernier ressort de toutes matières civiles et criminelles : où se trouvent grand nombre de savants et notables personnages, lesquels sans la charge et blâme du Roy reprennent les puissants, et tiennent la main aux petits »38. Machiavel partage cette vision du parlement comme un « tiers juge »39 dans Le Prince. Pour Le Roy, le parlement assure donc « la pondération des forces adverses, la durée de l’équilibre entre [les] ambitions opposées, en un mot la stabilité du pouvoir »40. L’identification au Sénat de Rome, référence fréquente dans les écrits au XVIe siècle, est d’ailleurs éloquente. Ayant donné un rôle important au Parlement, Le Roy, ferme royaliste, rappelle que le roi doit lui aussi veiller à ce qu’un état n’écrase pas les autres ; c’est donc une puissance partagée, ce qui dans un sens rabaisse le rôle du parlement. L’on peut émettre une remarque sur l’importance que Le Roy confie au parlement. En effet, le parlement est un organe judiciaire dépendant du pouvoir royal, qui agit par délégation ; aussi, comment ses membres pourraient-ils exercer un contrôle sur un pouvoir dont ils dépendent ?
20Curieusement, Louis Le Roy est presque muet sur les pouvoirs de l’élément populaire. Cela révèle une certaine méfiance de sa part. L’idée n’apparaît jamais chez Le Roy que le droit royal est borné par l’Assemblée des Etats. Cela n’est pas sans raison. La majorité des écrits de Le Roy s’étalent entre 1550 et 1575. Or, si les Etats Généraux sont souvent réunis depuis 1560, ils ne l’avaient pas été depuis la fin du XVe siècle, ce qui atténue leur autorité. Dans Les Politiques d’Aristote, il se limite à énoncer que « les Etats étaient assemblés pour diverses causes, et selon l’occurrence et les occasions qui se présentaient : ou pour demander secours de gens, et deniers, ou pour donner ordre à la justice et aux gens de guerre, ou pour les apanages des enfants de France […] ou pour pourvoir au gouvernement du Royaume, ou autres causes »41. Le Roy manque de précision. Il est important de remarquer qu’il ne s’intéresse que très peu à la question controversée de l’origine des Etats généraux. Dans Les Politiques d’Aristote, il n’y fait qu’une rapide allusion. Il énonce que les anciens rois français avaient pris l’habitude de tenir souvent des états, qui étaient des assemblées de tous les sujets ou de leurs députés, pour communiquer sur les plus grandes affaires, prendre leurs avis et conseils et entendre leurs plaintes et doléances. Le roi connaissait aussi bien des plaintes générales que des particulières. Le Roy affirme qu’une scission s’est faite au sein de cette assemblée appelée jadis Parlement, sans donner de renseignement sur la date de cette scission. Le nom de Parlement fut confié aux audiences privées et particulières, tenues par un certain nombre de juges établis par le roi. Les audiences publiques et générales que le roi s’est réservé ont pris le nom d’Etats. Le Roy rejoint alors en tous points le chancelier Michel de L’Hospital dans sa Harangue prononcée à l’ouverture de la session des Etats généraux à Orléans le 13 décembre 1560, contrairement à Etienne Pasquier qui « refuse expressément de voir dans les placita carolingiens les ancêtres des Etats généraux »42. Dans De l’Excellence du gouvernement royal, Le Roy ne semble plus prendre position. Il fait seulement une certaine concession à la thèse de François Hotman en reconnaissant que dans le passé, les Etats généraux ont eu un rôle important. Peut-être estime t-il que l’origine des Etats généraux est à trouver dans les institutions franques ? Cependant, il affirme aussi que les choses et les institutions changent.
21Finalement, il est difficile d’entrevoir le mécanisme par lequel l’aristocratie et la démocratie viennent pondérer une royauté trop absolue. Louis Le Roy énonce la nécessité de la monarchie mixte pour la conservation de la royauté mais elle semble bien virtuelle dans son application. En tout cas, il n’encourt pas le reproche d’être novateur. S’il ne cite pas toujours ses devanciers comme Claude de Seyssel ou Guillaume Budé, il emprunte largement leurs idées43. Seyssel, par exemple, a relevé dans la monarchie française un mélange heureux des trois formes de gouvernement distinguées par Aristote : « Car, à bien le prendre le total de cet empire français, il participe de toutes trois les voies du gouvernement politique44. » « Seyssel, Budé, Grassaille estiment le Roi souverain législateur, tenu au-dessus des lois par sa souveraineté même, toutefois contenu dans l’exercice de son pouvoir par sa propre sagesse, par des institutions et des coutumes, qu’il laisse accomplir, dans l’intérêt de l’Etat et du trône, leur fonction régulatrice45. »
22Comme les Anciens, Louis Le Roy estime que la mixité est la seule solution possible à l’inéluctable dégénérescence des régimes ; comme les Modernes, il ne l’envisage que dans le cadre d’une monarchie dominant l’aristocratie et la démocratie. Mais cela reste grandement théorique dans sa réflexion. Le contexte des guerres de Religion et son déchaînement de haine le rappelleront à la réalité et il en viendra à louer un pouvoir royal fort et respecté à travers la monarchie absolue.
II. La monarchie absolue, une réalité contextuelle
23Les guerres de Religion ont eu une double influence sur le choix entre monarchie mixte et absolutisme : après avoir fait vaciller la royauté et fait progresser la notion de mixité, les écrits monarchomaques ont entraîné une réaction favorable à l’absolutisme de la part d’hommes effrayés par les troubles.
24Louis Le Roy illustre cette évolution avec une première critique des Etats généraux qui aboutit finalement à une remise en cause complète de la mixité.
25Dans De l’Excellence du gouvernement royal, Louis Le Roy jette un total discrédit sur les Etats généraux : « Comment il est meilleur que le Royaume de France soit […] administré par l’autorité du Roy, et de son Conseil ordinaire, que par l’avis du peuple non entendu ni expérimenté és affaires d’état46. » Le Roy énonce lui-même la raison d’un tel changement : « Il est besoin répondre à quelques uns, lesquels simulant avoir odieux les changements, proposent néanmoins occasions de changer très préjudiciables, ayant mis naguère en avant, que le Royaume de France était anciennement électif, et gouverné plus par l’avis du peuple, que par l’autorité du Roy et de son Conseil47. » Ce « quelques uns » désigne sans équivoque les monarchomaques protestants et plus particulièrement François Hotman et sa Franco Gallia de 157348.
26Les monarchomaques protestants accordent dès le début des guerres de Religion une grande importance aux Etats généraux. Ces derniers apparaissent dans au moins trois thèmes récurrents chez ces penseurs : la condamnation de l’absolutisme et l’idéal du régime mixte ; la théorie du contrat avec le peuple, qui fonde le pouvoir d’Etat ; et enfin, la déposition du roi indigne, en vertu dudit contrat. La Franco Gallia s’efforce de codifier la constitution coutumière de la France, en la reconstituant, pièce par pièce, depuis l’époque gauloise/franque jusqu’au XVIe siècle49. « L’essentiel pour lui est de démontrer que l’Etat français est historiquement et juridiquement une monarchie tempérée ou, si l’on préfère, une monarchie mixte »50, où s’exerce un véritable partage des pouvoirs dans la constitution de l’ancienne France. « En effet, selon lui, le pouvoir du prince se trouve borné par plusieurs "contrepoids" externes à l’institution royale, qui lui évitent de verser dans la tyrannie : ce sont les droits du peuple51. » Le peuple n’est pas à entendre comme la multitude, c’est une entité organisée dont les Etats généraux sont l’organe essentiel de représentation. Les pouvoirs accordés au peuple sont de deux ordres : des droits concurrents, qui amènent à une étude du partage des pouvoirs entre le roi et les Etats généraux et qui conduisent le peuple à être associé pour tout ce qui concerne la chose publique, et des droits exclusifs du peuple en ses Etats, qui sont le droit de nommer et, éventuellement, de révoquer les rois52.
27Percevant les dangereuses conséquences pour la royauté de ces théories monarchomaques qui décrivent les Etats généraux comme l’organe exerçant la souveraineté populaire, Louis Le Roy éprouve le besoin de les contrecarrer : « Je prendrai pour fondement la sentence très grave du divin philosophe Platon […]. La dissimilitude des hommes, et des actions, et l’instable condition des choses humaines, ne permet qu’aucun art puisse constituer simplement quelque cas universel de tous affaires, et toujours durable : car il est impossible mettre quelque ordre certain, et d’une sorte et simple, és choses qui toujours varient, et ne sont jamais d’une sorte. […] L’instabilité des choses humaines variables est telle, que ne demeurent jamais en même état. […]. Parquoy il n’est possible constituer art, ou règle certaine en cas si muables, consistants plus en opinion qu’en nature, et dont la diversité est si grande entre les hommes, mais contient s’accommoder à la condition des temps, et disposition des affaires, en se departant quelquefois des lois, et coutumes inveterees, comme l’utilité publique le persuade faire53. » Il est assez étonnant de voir Le Roy recourir à Platon et à l’instabilité des choses humaines pour affirmer qu’il faut savoir se détacher du passé alors que c’est un grand conservateur dans l’âme. « Tout ce que les devanciers ont fait, encore qu’il soit écrit, n’est meilleur, ou doit être suivi, mais chaque âge a du bien et du mal mêlé. Puis donc qu’en toutes choses qui ont été amendées avec le temps, il a profité changer les commencements grossiers, et les polir peu à peu : ni a doute qu’il ne soit profitable faire le semblable és affaires politiques, sans s’arrêter aux vieux décrets, la plupart iniques, et inutiles54. » Il ironise sur la manie de prétendre retourner aux origines et décrit les Francs comme des guerriers barbares et grossiers aux coutumes rudimentaires. Il ne faut en rien chercher à les imiter notamment sur la prétendue importance qu’ils accordaient aux assemblées du peuple. Ainsi, les rois actuels ont raison de ne rien attendre des Etats généraux55. « Donc pour venir à l’assemblée des états, les Rois ont trouvé par expérience n’être sûr de communiquer en telle multitude les affaires qui doivent être tenue secrètes, ou d’en attendre quelque résolution de gens ne les connaissant par savoir, ni par usage56. »
28Louis Le Roy avance alors deux arguments pour rejeter le rôle politique des Etats généraux, développant de manière plus importante le second. Le premier est l’idée que les Etats généraux sont « une multitude de soi inutile au gouvernement »57. Le Roy reproche ici le grand nombre de députés. Le deuxième est l’idée que ces députés ne sont pas qualifiés pour tenir un rôle politique. Il énonce que ce sont des laboureurs, des marchands qui se nourrissent de leur labeur et trafic ; des clercs, des curés et chanoines résidents en leur bénéfice ; des nobles, des gentilshommes demeurant épars par les champs, vaquant le plus souvent à la chasse. Ainsi, ces gens ont des manières de faire et de penser qui sont bien éloignées de celles de l’Etat et du gouvernement. Le Roy s’oppose alors au « concept implicite de totalité organique »58 de l’Aristote « démocrate » de Francis Wolff : « une assemblée du peuple, comme la cité elle-même, a des qualités propres : c’est un tout et non un tas ; en y mêlant qualités et défauts individuels, on obtient une unité d’un autre ordre59. » Cet autre ordre est généralement supérieur, et non inférieur, aux individus qu’il regroupe. Le Roy ajoute que par les rares convocations de l’assemblée, ces personnes ne sont amenées à s’intéresser aux affaires de l’Etat que très peu souvent, ce qui n’améliore pas leur sens politique. Le Roy conclut sur l’idée qu’il vaut mieux que les affaires politiques soient maniées par des conseillers perpétuels, qui en font un exercice permanent et qui devront agir dans « la crainte de Dieu, l’honneur et service du Roy, et l’utilité publique du royaume »60.
29Louis Le Roy ne remet pas en cause l’existence des Etats généraux. Il estime que c’est « belle chose »61 que d’entendre les doléances des sujets, tant que ces sujets ne passent outre leur condition. Il limite donc simplement les Etats généraux à un rôle consultatif.
30La question qui se pose est de savoir si Louis Le Roy s’est limité au rejet des Etats généraux à l’intérieur de la mixité, optant ainsi pour une mixité bipartite, ou s’il condamne désormais toute mixité.
31Dans De l’Excellence du gouvernement royal de 1575, Louis Le Roy ne fait plus aucune référence à la monarchie mixte. En l’absence d’énoncé clair de son opinion, il est possible de trouver des éléments confirmant le rejet ou l’infirmant.
32Il est nécessaire de rappeler que Louis Le Roy n’a jamais apporté une grande importance à l’élément démocratique de la monarchie mixte, ayant toujours préféré l’élément aristocratique, en particulier le Parlement. Après 76 ans d’interruption, les Etats généraux connaissent un regain d’intérêt en la deuxième moitié du xvie siècle et il est assez ironique de voir Le Roy rejeter la mixité et l’importance des Etats généraux en 1575, un an avant les Etats généraux de Blois de 1576 où une coalition de huguenots et de Malcontents allait évoquer en France une monarchie mixte62. Le Roy prend sans nul doute peur à l’idée d’une monarchie divisée par les Etats généraux, et cette crainte est assez intense pour triompher de ses réticences à l’égard de la puissance absolue. L’on doit se demander si Le Roy écarte la monarchie mixte ou simplement la participation des Etats généraux à cette mixité. L’absence de référence à la mixité, dans une œuvre portant sur la royauté et ses institutions, semble plutôt indiquer un rejet total de la mixité. De plus, Le Roy énonce clairement que le gouvernement doit se faire par grand conseil : la puissance appartient donc au roi seul et il ne fait que prendre conseil auprès des autres sans partager nullement sa puissance souveraine avec eux.
33En repoussant la monarchie mixte, après l’avoir prônée, pour se tourner vers la monarchie absolue, Louis Le Roy suit ici le cheminement qu’a connu Claude de Seyssel. Seyssel a craint une dérive du pouvoir, aussi il a imposé une stricte limitation de l’autorité63 : « Demeure toujours la dignité et autorité royale en son entier, non pas totalement absolue, ni aussi restreinte par trop, mais réglée et réfrénée par bonnes lois, ordonnances et coutumes, lesquelles sont établies de telle sorte qu’à peine se peuvent rompre et annihiler64. » Enoncé que Le Roy reprend : « … l’autorité du Roy y a été jusques à présent, modérée par bonnes lois, et coutumes, à fin qu’elle ne fut totalement absolue, ni trop astreinte65. » Seyssel limite alors les pouvoirs du roi par trois freins internes : la religion (l’obligation pour le prince de respecter l’autonomie et les valeurs du pouvoir spirituel), la justice (l’influence des parlements « institués principalement pour cette cause et à cette fin de réfréner la puissance absolue dont voudraient user les Rois »66) et la police67. Les deux premiers ne posent pas véritablement de problème, en revanche le sens de « police » soulève quelques difficultés ; il semble que cela ne puisse être limité aux seules lois fondamentales mais regroupe plutôt « un ordre légal » établi par le temps et les rois antérieurs, auquel le roi présent doit se soumettre68. Si la puissance absolue n’avait pas ces freins, « elle en serait pire et plus imparfaite : tout ainsi que la puissance de Dieu n’est point jugée moindre pour autant qu’il ne peut pécher ni mal faire ; mais en est d’autant plus parfaite »69. Dans De l’Excellence du gouvernement royal, Le Roy reprend les trois freins de Seyssel sans le citer : « …à fin que le Monarque en puissance tant immense n’enorgueillisse outre mesure, devenant tyran insupportable, il convient modérer son autorité par la crainte de Dieu, révérence de justice, et observation de bonnes lois, et anciennes coutumes du pays70. » L’énoncé de limites au pouvoir royal en dehors de toute référence à la mixité vient confirmer son rejet.
34Incidemment, l’on peut aussi remarquer en faveur de l’abandon de la mixité que Louis Le Roy ne fait aucune référence à un rôle prépondérant du parlement dans De l’Excellence du gouvernement royal.
35Des nuances doivent cependant être apportées au changement d’opinion de Louis Le Roy. En effet, dans deux écrits datant de la même période que De l’Excellence du gouvernement royal, il affirme encore sa préférence pour la monarchie mixte. Le premier de ses ouvrages est Les Douze livres de la Vicissitude de 1575 : « Adonc la république fut très bonne et sainte, d’autant que pauvreté et épargne y étaient en estime, et que les trois espèces de gouvernement s’y trouvaient ordonnés et établis si également et convenablement qu’on n’eut eu dire si elle était toute Aristocratique, ou Démocratique, ou Monarchique71. » Il s’agit ici de la république romaine antique. Il est important de remarquer que de nombreux passages de cet ouvrage sont des reprises de précédentes oeuvres. Le deuxième écrit est la traduction intégrale de La République de Platon, où il reconnaît le gouvernement royal être le meilleur mais qu’en raison du « muable esprit de l’homme »72, il se corrompt facilement et dégénère en tyrannie : « Parquoy le bon gouvernement établi pour durer longuement, ne doit être simple, ni d’une seule espèce : mais convient que les vertus et propriétés des autres soient assemblées en lui : à fin que rien ne prenne accroissement disproportionné : qui le fasse abâtardir à son vice prochain, et conséquemment ruiner »73. Là encore, il est important de remarquer que cet extrait est tiré du premier livre de La République de Platon, livre qui fut traduit en 1555. Si l’on en croît le témoignage de Federic Morel dans sa dédicace à Philippe Desportes, conseiller du roi et abbé de Tiron, Le Roy n’a poursuivi la traduction qu’à l’extrême fin de sa vie et s’il a eu le temps de la terminer, il semble qu’il n’en soit pas de même des commentaires. Ils sont incomplets pour les livres III à IX. L’on peut imaginer que Le Roy a conservé les commentaires tels quels au livre I.
36L’on peut donc se demander quelle opinion Louis Le Roy adopte à la fin de sa vie. Les auteurs sont partagés. En effet si A. Henri Becker ne traite quasiment pas de l’opuscule De l’Excellence du gouvernement royal74, si Jacqueline Boucher ne se prononce pas sur la question75, d’autres ont donné des avis contradictoires. Werner L. Gundersheimer commente De l’Excellence du gouvernement royal et affirme que Le Roy n’a pas changé radicalement ses points de vue politiques76. Jean Jehasse ne fait que citer le titre de l’ouvrage sans développer et reste sur la position de la monarchie mixte77. Seule Arlette Jouanna signale un changement d’opinion, Le Roy abandonnant l’idéal de la monarchie mixte pour se convertir à un pouvoir fort78. En marge, il est important de noter que certains auteurs soutiennent que Le Roy fut depuis longtemps inspiré par un roi fort et absolu. Par exemple, J.-C. Margolin énonce que les commentaires de La République de Platon79 dans son édition de 1558 réalisaient déjà une « assimilation du philosophe-roi de Platon, gouvernant par la raison et ne souffrant aucun partage dans l’exercice du pouvoir, au monarque français, souverain incontesté et absolu »80.
37En délaissant son idéal de la monarchie mixte pour opter pour un pouvoir royal fort en 1575, Louis Le Roy se révèle dans la droite ligne de la pensée des Politiques. Aucun des Politiques n’aime le désordre. Il convient de les distinguer, même s’ils ont en commun leur souci de concorde civile, des Malcontents, qui sont surtout des nobles désireux de renforcer leur influence dans l’Etat, alors que les Politiques sont essentiellement des juristes qui partagent souvent avec les premiers l’idéal de la monarchie mixte, mais que leur horreur des désordres incline peu à peu à penser que la souveraineté ne peut être partagée81. Après les massacres de la Saint-Barthélemy et les audaces des théoriciens monarchomaques et des propagandistes Malcontents pendant la cinquième guerre (1574-1576), les Politiques commencent à acquérir une certaine visibilité publique82. Alors que certains d’entre eux étaient de fermes adversaires de la puissance absolue, ils sont peu à peu amenés à croire que seul un pouvoir fort est capable d’assurer l’ordre nécessaire83. Etienne Pasquier symbolise cette évolution84. Avocat au parlement de Paris depuis 1549 avant d’être avocat général à la Chambre des comptes de 1585 à 1604, il exerce, par son activité d’historien, les Recherches de la France, de théoricien politique, les Pourparlers, et d’épistolier, une forte influence sur ces lecteurs. Il contribue ainsi à diffuser l’idée chère aux parlementaires selon laquelle la puissance absolue des rois doit être réduite sous la civilité de la Loi85. Il est favorable au principe de modération qu’il formulera d’abord en 1560 dans le Pourparler du prince, puis dans le second livre des Recherches de la France86, principe qu’il reprendra dans un plaidoyer prononcé le 4 février 1576 pour la ville d’Angoulême devant le Parlement de Paris87. Pasquier identifie classiquement trois espèces de république : la royale, l’aristocratique et la populaire et il énonce que vient s’y ajouter une quatrième composée des trois ensemble. Pourtant il ne combinera que deux des trois formes simples : la royale et l’aristocratique, la seconde ayant pour fonction de modérer la première, et il met en avant le parlement, dévalorisant considérablement l’élément populaire incarné par les Etats généraux88. L’attachement porté à la monarchie mixte par Etienne Pasquier sera en partie ébranlé par le spectacle des désordres apportés par la cinquième guerre. Ainsi, dans ses Lettres, il énoncera que, si de deux maux il faut choisir le moindre, il préfère à la guerre civile, une tyrannie dans la paix même si elle est odieuse à Dieu et au monde89.
38Ainsi, les dangers des excès d’autorité finissent par sembler à Louis Le Roy moins redoutables que ceux du désordre. Pour cet homme soucieux de faire respecter l’autorité royale qu’il voit dangereusement menacée, le remède aux troubles passe par le renoncement aux idéaux et par l’obéissance à un roi fort.
Notes
1 Cf. Jacqueline Boucher, v° « Le Roy, Louis », in Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, éd. Robert Laffont, 1998, p. 1030-1031.
2 Nicéron, v°« Louis Le Roy », in Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres dans la république des lettres, avec un catalogue raisonné de leurs ouvrages, Tome 29, Paris, éd. Chez Briasson, 1739, p. 222.
3 Il existe une controverse parmi les auteurs sur la date de nomination de Louis Le Roy au Collège royal. Alors que la date qui peut être considérée comme la plus fiable énonce qu’il y a été nommé en 1572 (date affirmée dans Le Collège de France (1530-1930), Paris, éd. PUF, 1932, p. 22), le discours d’ouverture de Le Roy faisant état d’un nouveau roi bouscule cela, étant donné que Charles IX est mort en 1574, et que le roi dont Le Roy fait mention est son successeur Henri III. La solution est peut-être dans l’article de Louis Delaruelle, « Compte rendu », in Revue d’Histoire littéraire de la France, IV : 4, Paris, éd. Armand Colin et Cie, Octobre 1897, p. 616 : Louis Le Roy a probablement été nommé en 1572 et ne serait monté à sa chaire qu’à la fin de l’année 1574.
4 Cf. Jacqueline Boucher, v° « Le Roy, Louis », art. cit., p. 1031.
5 Niceron, art. cit., p. 222.
6 Cf. Jacqueline Boucher, v° « Le Roy, Louis », art. cit., p. 1030-1031.
7 A. Henri Becker, Un humaniste au XVIe siècle, Louis Le Roy, thèse présentée à la faculté des Lettres de Paris, Paris, éd. Société française d’Imprimerie et de Librairie, Lecène, Oudin et Cie, 1896, p. 185.
8 Cf. Werner L. Gundersheimer, The life and works of Louis Le Roy, in Travaux d’Humanisme et Renaissance, Tome 82, Genève, éd. Librairie Droz, 1966, p. 90.
9 Arlette Jouanna, v° « Politiques », in Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, Royaume de France XVI-XVIIIe siècle, Paris, éd. PUF, 1998, p. 995.
10 Cf. Jacqueline Boucher, v° « Le Roy, Louis », art. cit., p. 1031.
11 Louis Le Roy, De l’Origine, antiquité, progrès, excellence, et utilité de l’art politique, Lyon, Benoist Rigaud, éd. de 1568. in-8°, p. 5-6.
12 Ibid, p. 7.
13 A. Henri Becker, op. cit., p. 245.
14 Louis Le Roy, Les politiques d’Aristote, esquelles est montré la science de gouverner le genre humain en toutes espèces d’états publics, Paris, éd. Drouart, éd. de 1599. in-fol, p. 267.
15 Ibid., p. 197.
16 Ibid., p. 93.
17 Sur l’évolution de la notion de régime mixte, cf. Henri Morel, « Le régime mixte ou l’idéologie du meilleur régime politique », in Centre d’Etudes et de Recherches d’histoire des Idées Politiques, L’influence de l’Antiquité sur la pensée politique européenne (XVIe-XXe siècles), coll. d’Histoire des idées Politiques dirigée par Michel Ganzin, éd. Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1996, p. 95-112.
18 Ibid., p. 101.
19 Ibid., p. 100-101.
20 Cf. A. Henri Becker, op. cit, p. 200.
21 Henri Morel, art. cit., p. 102.
22 Cf. Jean Jehasse, « Loys Le Roy, maître et émule de Jean Bodin », in Travaux d’Humanisme et Renaissance 270 Etudes sur Etienne Dolet, Paris, éd. Librairie Droz, 1993, p. 254.
23 Les Politiques d’Aristote, op. cit., p. 294.
24 Ibid., p. 294.
25 A. Henri Becker, op. cit., p. 202.
26 Sur l’étude du régime mixte par saint Thomas d’Aquin, cf. Jean-Claude Ricci, « La théorie thomiste du régime mixte », in Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, sous la direction de Marcel Waline et Georges Berlia, Paris, Librairie Générale de droit et de Jurisprudence, Juillet-Août 1974, n° 4, p. 1559-1609.
27 Cf. Henri Morel, art. cit., p. 104-105.
28 Ibid., p. 96.
29 Les emprunts textuels aux écrits de Claude de Seyssel sont mis en évidence par Jacques Poujol dans Claude de Seyssel, La monarchie de France et deux autres Fragments politiques, établissement et présentation des textes, Paris, éd. Librairie d’Argences, 1961, Bibliothèque Elzévirienne Nouvelle série Etudes et Documents, p. 226-227 ; d’après Louis Le Roy, Les politiques d’Aristote, op. cit., p. 94.
30 Louis Le Roy, De l’Excellence du gouvernement royal, Paris, Federic Morel, éd. de 1575. in‑4°, f. 9 v°.
31 Ibid, f. 9 v°.
32 Cf. A. Henri Becker, op. cit., p. 220.
33 Antoine Leca, « La place de la « lex digna » dans l’histoire des institutions et des idées politiques », in Centre d’Etudes et de Recherches d’histoire des Idées Politiques, L’influence de l’Antiquité sur la pensée politique européenne (XVIe-XXe siècles), coll. d’Histoire des idées Politiques dirigée par Michel Ganzin, éd. Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1996, p. 132.
34 Sur l’évolution de notion de lex digna, cf. Antoine Leca, art.cit., p. 131-158.
35 Ibid., p. 147.
36 Ibid., p. 147-158.
37 Les Politiques d’Aristote, op. cit., p. 367.
38 Ibid ,p. 172.
39 Nicolas Machiavel, Le Prince, éd. Marie Gaille-Nikodimov, Paris, Libraire Générale Française, 2006, p. 135.
40 A. Henri Becker, op. cit., p. 204.
41 Les Politiques d’Aristote, op. cit., p. 256.
42 Eric Gojosso, « Etienne Pasquier ou l’histoire au service de la modération (1560-1565) », in Association Française des Historiens des Idées Politiques, coll. d’Histoire des Idées Politiques dirigée par Michel Ganzin, XVII, Actes du colloque d’Aix-en-Provence (12-13 mai 2005) L’histoire institutionnelle et juridique dans la pensée politique, PUAM, 2006, p. 208.
43 Cf. A. Henri Becker, op. cit., p. 221-222.
44 Claude de Seyssel, Prohème en la translation de l’histoire d’Appien, 1510, éd. Jacques Poujol, Paris, Librairie d’Argences, Bibliothèque Elzévirienne Nouvelle série Etudes et Documents, 1961, p. 80.
45 A. Henri Becker, op. cit., p. 222.
46 De l’Excellence du gouvernement royal, op. cit., f. 25 v°.
47 Ibid., f. 25 v°.
48 Sur les droits du peuple dans l’ouvrage Franco-Gallia de François Hotman, cf. Antoine Leca, « Les droits du peuple dans les « Franco-Gallia » de F. Hotman (1573-1600) », in Revue de la Recherche Juridique, Droit prospectif, éd. Presses Universitaires d’Aix-Marseille, n° 48, 1992-1, p. 277-290.
49 Ibid, p. 278.
50 Ibid., p. 279.
51 Ibid., p. 280.
52 Ibid., p. 277-281.
53 De l’Excellence du gouvernement royal, op. cit., f. 25 v°-26 v°.
54 Ibid., f. 26 v°.
55 Cf. Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, op. cit., p. 259.
56 De l’Excellence du gouvernement royal, op. cit., f. 27 r°.
57 Ibid., f. 27 r°.
58 Francis Wolff, Aristote et la politique, Paris, éd. PUF, 1991, p. 112.
59 Ibid., p. 112.
60 De l’Excellence du gouvernement royal, op. cit., f. 28 r°.
61 Ibid., f. 27 v°.
62 Cf. Laurent Bouchard, La perception du régime mixte sous l’absolutisme, Mémoire de DEA d’Histoire du Droit, Poitiers, 2002-2003, sous la direction de Monsieur le Professeur Eric Gojosso, p. 15-28.
63 Cf. Eric Gojosso, Le concept de république en France (XVIe-XVIIIe siècle), Aix-en-Provence, éd. Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1998, p. 73-74.
64 Claude de Seyssel, La monarchie de France, 1515, éd. Jacques Poujol, Paris, Librairie d’Argences, Bibliothèque Elzévirienne Nouvelle série Etudes et Documents, 1961, p. 115.
65 De l’Excellence du gouvernement royal, op. cit., f. 20 r°.
66 Claude de Seyssel, La Monarchie de France, éd. J. Poujol, Paris, Librairie d’Argences, Bibliothèque Elzévirienne Nouvelle série Etudes et Documents, 1961, p. 117.
67 Ibid., p. 115-119.
68 Cf. Eric Gojosso, op. cit., p. 74.
69 Claude de Seyssel, La Monarchie de France, éd. Jacques Poujol, op. cit., p. 120.
70 De l’Excellence du gouvernement royal, op. cit., f. 13 r°.
71 Louis Le Roy, Douze livres de la Vicissitude ou variété des choses en l’univers et concurrence des armes et lettres par les premières et plus illustres nations du monde, depuis le temps où a commencé la civilité et mémoire humaine jusqu’à présent, Paris, Pierre L’Huilier, éd. de 1575. in-folio, f. 71 v°.
72 Louis Le Roy, La République de Platon, Paris, Ambroise Drouart, éd. de 1600. in-folio, p. 32.
73 Ibid., p. 32.
74 Cf. A. Henri Becker, op. cit., p. 211-242.
75 Cf. Jacqueline Boucher, v° « Le Roy, Louis », art. cit., p. 1030-1031.
76 Cf. Werner L Gundersheimer, op. cit., p. 81.
77 Cf. Jean Jehasse, art. cit., p. 260.
78 Cf. Arlette Jouanna, La France du XVIe siècle. 1483-1598, Paris, éd. PUF, 1996, p. 529-530.
79 Les livres I, II et X de La République de Platon ont été traduits par Louis Le Roy dès 1555.
80 Jean-Claude Margolin, « Le Roy, traducteur de Platon et la Pléiade », in Lumières de la Pléiade, Paris, éd. Librairie Philosophique J. Vrin, 1966, p. 56.
81 Cf. Arlette Jouanna, op. cit., p. 258-259.
82 Cf. Arlette Jouanna, v° « Politiques », in Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, op. cit., p. 1211.
83 Cf. Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, op. cit., p. 254-258.
84 Sur la question de la modération dans la pensée d’Etienne Pasquier, cf. Eric Gojosso, art. cit., p. 205-214.
85 Cf. Arlette Jouanna, op. cit., p. 258.
86 Cf. Eric Gojosso, art. cit., p. 205.
87 Cf. Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, op. cit., p. 258.
88 Cf. Eric Gojosso, art. cit., p. 207-214.
89 Cf. Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, , Guy Le Thiec, op. cit., p. 258-259.