Absolutisme et droit pénal
Preuve pénale et pluralité d’auteurs : notes sur la rationalité de la question préalable

Par Antoine Astaing et Amélie D’Innocenzo
Publication en ligne le 13 mai 2019

Table des matières

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Texte intégral

1L’étude des stratégies suivies par le droit pour « purger la Cité des méchants » (Charondas le Caron) regroupés en associations criminelles amène à considérer l’histoire de la procédure criminelle en d’autres termes que ceux habituellement retenus1. Le sentiment de l’urgence, la mesure de la gravité des périls ainsi que la volonté de maintenir la paix – diversement entendue – suscitent l’emploi de moyens exceptionnels2. La question préalable3, cette variante de la torture judiciaire utilisée pour obtenir révélation des complices d’un condamné à mort, en est une parfaite illustration. Le procédé, aux lointaines origines romaines4, est venu compléter la procédure à l’extraordinaire en un temps marqué par le développement de la Réforme et l’exacerbation des passions religieuses et politiques. L’hostilité de certains au protestantisme – notamment l’Université et le Parlement – favorise, dès l’avènement d’Henri II, la création d’une juridiction ad hoc : la Chambre Ardente5. La lutte ouverte contre les calvinistes aboutit à une innovation jurisprudentielle – un accident du besoin – devant permettre le démantèlement des communautés de croyants. Un arrêt du deux octobre 1548, rendu sous la présidence de Lizet, prévoit « néantmoins avant que procedder à l’exécution de mort […] que le dict prisonnier sera mis en torture et question extraordinaire pour luy faire nommer et indicquer ses compaignons et complices6. »

2Les prémices malheureuses de cette technique n’empêcheront pas sa transposition dans d’autres domaines de l’activité judiciaire et la généralisation de son emploi. Les articles trois et quatre du titre XIX de l’ordonnance de 1670 témoignent de cette métamorphose de la procédure criminelle7. Ce n’est que tardivement, sous le règne de Louis XVI, que, complétant l’édit du vingt-quatre août 1780 abolissant la question préparatoire, la déclaration du premier mai 1788 abroge la question préalable8. Dans le préambule, le roi rappelle son refus, quelques années auparavant, d’abolir cette forme de torture en raison de sa « nécessité » pour dénoncer aujourd’hui « l’illusion et [les] inconvénients » de celle-ci9. Le « progrès des Lumières » est désormais manifeste et le législateur exprime le vœu d’une « utile révolution » des lois criminelles10. Mais, fait remarquable, la mesure a un caractère expérimental : « Nous nous sommes donc décidé à essayer, du moins provisoirement, de ce moyen [les dernières déclarations du condamné faites sous serment, sans recours à la violence], nous réservant, quoique à regret, de rétablir la question préalable, si, d’après quelques années d’expérience, les rapports de nos juges nous apprenaient qu’elle fût d’une indispensable nécessité11. »

3L’étude de la doctrine permet de mieux comprendre cette forme de besoin. La pensée pénaliste régnicole accepte, dès le XVIe siècle, « l’esprit plus inquisitorial et plus répressif de la procédure pénale »12. Sans angélisme, lucide et parfois cynique, insistant sur le réalisme des moyens, elle reconnaît l’utilité de la question préalable et l’apprécie comme étant une exigence dans le cadre d’une procédure qui n’admet plus la torture des témoins, encore présente au début du XVIe siècle. Les auteurs considèrent cette forme de question comme un renfort apporté à une procédure rigoureuse, mais parfois défectueuse lorsqu’il s’agit de rompre les ententes criminelles et déchirer le contrat qui lie les complices13. Une telle perception des choses et de telles contraintes supposent d’ailleurs de rechercher sous la torture plus de renseignements que le simple nom de complices demeurés inconnus14. Résumant les apports doctrinaux de la période précédente, Rousseau de la Combe vante les « effets merveilleux » de cette torture « bien importante, car elle découvre souvent des complices et des associés »15. Serpillon, un auteur sensible à la pensée des Lumières et contempteur de la question préparatoire, voit dans cette ultime étape une dernière « occasion » d’obtenir la « vérité »16. Selon Jousse, la question préalable est « très utile » et « on en tire un grand bien pour la société civile. D’ailleurs, toutes les raisons apportées contre l’usage de la question préparatoire, cessent ici d’avoir lieu […]17. »

4Le ton indique assez que les croyances des criminalistes ne les poussent pas à débattre de la légitimité de l’institution, ni à choisir « une forme d’escrire douteuse en substance », ni à s’émouvoir de la « contenance de ces misérables » condamnés (Montaigne). Partant, il importe aux auteurs de présenter les différentes stratégies d’emploi de ce moyen rigoureux. Pour l’historien de la procédure criminelle, la difficulté est que ces utilités distinctes ressortent de contextes probatoires différents, le système des preuves ayant été renouvelé par touches successives. Un tel examen peut d’ailleurs décevoir car les commentaires de la doctrine proposent un agencement imparfait de la matière. Une approche plus sagace et une description serrée de l’institution étaient imaginables. En effet, l’emploi de la question préalable et surtout l’utilisation des déclarations obtenues sous les tourments altèrent la logique d’un procès officiellement dirigé par le système des preuves objectives, mettant à rude épreuve les principes de justice sur lesquels il repose. Il n’en demeure pas moins que l’étude des sources principales permet de mettre en lumière les influences croisées entre deux histoires : celle des progrès de l’intime conviction des juges (qui laisse habituellement de côté le thème de la pluralité d’auteurs) et celle de l’emploi de la question « pour avoir révélation des complices ». Cela ressort de l’examen successif des conditions d’application à la question préalable (I) et des effets de celle-ci (II).

I. Conditions

5La présentation des conditions d’application à la question préalable conduit à évoquer l’irrésistible progression de son emploi. Deux aspects sont à considérer : le premier est relatif à la nature des crimes, le second à la preuve.

6Limité aux origines à l’hérésie, l’emploi de cette variante de question a été ensuite étendu, au XVIe siècle, à toute une série de crimes méritant peine de mort, à une époque où la question préparatoire peut être encore ordonnée pour des crimes non capitaux, ce qui est une restriction notable. Les sources permettent ainsi d’évoquer la trahison, l’infidélité au roi et le crime de lèse-majesté18, le cas « des voleurs qu’on met à la torture pour leur faire dire et révéler leurs complices »19 ou encore celui des sorciers20. Au début du XVIIe siècle, Lebrun de la Rochette ne donne pas la liste des cas pour lesquels cette torture peut avoir lieu. Il rappelle seulement l’exigence d’une peine capitale, ce qui est un fort indice du développement de l’institution21. Au terme de cette évolution, l’article trois du titre XIX de l’ordonnance de 1670 énonce comme seule condition de son emploi un « jugement de mort »22. Encore faut-il préciser que l’ordonnance prévoit alors que la question préparatoire soit seulement utilisée, après confirmation de l’arrêt, « contre l’accusé d’un crime qui mérite peine de mort »23.

7Dans ce cadre, les criminalistes vont justifier l’emploi croissant de cette arme redoutable. Selon Bourdin, l’un des premiers commentateurs de l’ordonnance de 1539, cette technique est déjà utilisée par d’autres juges que ceux de la Chambre Ardente (entre-temps supprimée), au motif qu’« en France se multipliant le nombre des délits il a esté nécessaire d’excogiter nouvelles peines et augmenter la rigueur des lois »24. La notion de fréquence est employée par le criminaliste pour évoquer le changement de l’échelle des peines et le renforcement de leur sévérité mais aussi, dans le cas précis, pour parler du durcissement de la procédure, sans que l’auteur n’appuie son bref commentaire sur des références précises25. Et celle-ci l’est sans référence de lieu – tout le royaume est considéré – et sans limitation de durée. L’analyse du criminaliste, que tous les auteurs commenteront par la suite, rend compte du caractère exceptionnel de la question préalable. Dans le même temps, l’invocation de motifs impératifs sans considération de circonstances graves bien définies vise à asseoir l’institution sur des bases solides, tout en laissant entendre qu’une guerre permanente oppose l’Etat aux associations criminelles. Et pourtant, la fréquence des crimes peut être vue comme un argument contestable, comparable à la nécessité ou à l’urgence devant des périls graves (temporaires ou permanents), des notions discutées par la doctrine pénaliste et les penseurs politiques qui méditent sur les figures de la raison d’État26.

8Il existe ensuite des conditions relatives à la preuve dont la présentation soulève d’autres difficultés. Il faut ici laisser provisoirement de côté l’étude de la preuve du lien de complicité pour les infractions qui ne sont pas par nature collectives. Les aspects essentiels du problème paraissent alors lorsque sont considérés conjointement l’emploi de la question préparatoire et celui de la question préalable. Or, depuis le XVe siècle, les preuves objectives cèdent progressivement la place à un système d’intime conviction jusqu’à ce que la question préparatoire, autrefois soutenue par la théorie savante, ne tombe, après un long déclin, en désuétude. De la sorte, deux situations très différentes sont à considérer.

9Dans un premier temps, il faut envisager que les juges assemblés rendent un jugement interlocutoire de torture ordonnant l’emploi de la question préparatoire. Dans cette hypothèse, soit ceux-ci ne peuvent rien gagner contre l’accusé, soit la torture débouche sur des aveux de culpabilité. Il convient de partir de l’examen de ce dernier cas pour considérer la rationalité de la question préalable dans une ambiance juridique particulière, celle d’un système probatoire encore guidé par les règles du système des preuves objectives. Si les juges obtiennent une confession sous les tourments de la question préparatoire, et donc une preuve parfaite, le problème se pose de savoir s’ils pourront, lors du jugement définitif, décider de torturer à nouveau le condamné avant son exécution. A suivre le droit romain, ils ne le peuvent pas : « Is, qui de se confessus est, in caput aliorum non torquebitur, ut divus Pius rescripsit »27. Ce passage du Digeste a fait l’objet d’interprétations contradictoires. Selon Bourdin, « on a faict grand doute (…) attendu que la disposition du droit y semble estre répugnante (…) la loy civile dict, qu’on n’aye à interroger celuy qui confesse sur le faict d’autry »28. Mais, en dépit de cette controverse qui durera encore un siècle29, dès la création de la question préalable, la règle selon laquelle le confessus ne peut être torturé préalablement à son exécution est écartée30. Et le constat de la fréquence des crimes, raison donnée par Bourdin, Clarus, à la même époque, ou encore Bornier, un magistrat issu d’une vieille famille calviniste du Languedoc, à la fin du XVIIe siècle, suffit à justifier cette position31.

10Plusieurs raisons, qui ne paraissent pas nettement dans les sources ont favorisé le rejet de la règle romaine. La première est liée au double emploi de la question préparatoire que l’on trouve dans la pratique antérieure à la création de la question préalable32. La torture était alors utilisée pour obtenir des aveux de culpabilité mais aussi des renseignements sur les complices, un usage qui existe encore au XVIIe siècle « quand il s’agit de crimes atroces, comme meurtre, sacrilège, conspiration »33. Ce double emploi de la question préparatoire montre assez qu’il n’y a pas, dans l’esprit des praticiens, antagonisme entre volonté d’obtenir un aveu de culpabilité sous les tourments et recherche simultanée d’éléments de preuve sur les complices34. Il faut d’ailleurs noter que des juges ne peuvent envisager la responsabilité d’une personne dans le cadre d’une infraction collective sans l’interroger non plus sur ses complices éventuels et leurs participations respectives, à moins de considérer que la peine doive, pour diverses raisons (recours à la notion de fréquence, considération de la force du contrat liant les complices…), revêtir un aspect collectif35. Une seconde raison doit être envisagée. Le ius commune fournit un appui à la tradition ultérieure car une partie des docteurs avait interprété le droit romain dans un sens favorable à l’arbitraire du juge préparant ainsi le durcissement des rigueurs de la procédure36. Il faut dire que le respect de la règle romaine aurait entraîné une limitation considérable du champ d’application de la question préalable puisque seul le convictus37 aurait pu être soumis à cette forme de torture. Or ce cas n’est pas nécessairement le plus fréquent à se présenter si l’on tient compte des exigences probatoires de la théorie savante et des contingences pratiques habituelles. Une dernière raison, logique et péremptoire, peut être avancée. Celle-ci paraît si l’on considère le cas de l’accusé qui garde « bonne bouche » sous les tourments de la question préparatoire. Car, dans ce cas, le silence des suspects (ou la rétractation des aveux lors de leur réitération) purge toutes les preuves, désormais « couvertes ». La personne poursuivie est « élargie » et, en l’absence de condamnation à la peine de mort, la question préalable ne peut être ordonnée. Autrement dit, c’est bien dans le cas d’un aveu de culpabilité sous la question préparatoire que la question préalable trouve sa pleine utilité, ce qui rend la règle romaine inacceptable.

11Sur ce dernier point, il faut noter que les progrès de l’intime conviction des juges et l’emploi éventuel de la réserve des preuves, dès les années trente du XVIe siècle38, ne rendent pas possible l’utilisation de la question préalable. En dépit d’une condamnation sur la base des preuves réservées, cette ultime torture ne peut pas être ordonnée puisque la peine décidée n’est pas la mort. Si l’on considère l’ordonnance de 1670, qui consacre l’institution de la réserve des preuves, on constate que l’article deux du titre XIX de l’ordonnance de 1670 prévoit une condamnation maximale aux galères à perpétuité39. Mais deux exceptions sont à signaler. La première, de portée générale, se trouve dans le même article de l’ordonnance. Celui-ci précise que la peine de mort est écartée « si ce n’est qu’il survienne de nouvelles preuves depuis la question »40. On ne peut donc exclure l’hypothèse de son emploi, à condition toutefois que la « preuve considérable » réservée soit augmentée par l’ajout de charges supplémentaires aboutissant à une preuve complète41 : par le même arrêt, les juges pourront donc ordonner l’emploi de la question préalable. Le Parlement de Provence l’autorise quant à lui dans le cas d’une condamnation aux galères à perpétuité, ce qui vise principalement l’hypothèse d’une condamnation sur la base des preuves réservées sans apparition de charges complémentaires depuis l’échec de la question préparatoire42. Les indices ad torturam sont considérés comme suffisants pour ordonner la question préparatoire et condamner la personne poursuivie à une sévère peine d’élimination, ce qui est conforme au droit, mais les juges acceptent aussi qu’ils le soient pour ordonner la question préalable, ce qui est une violation manifeste de l’article trois du titre XIX.

12Dans un second temps, il faut supposer que les juges décident de ne pas avoir recours à la question préparatoire, tout en se plaçant dans un autre contexte probatoire. Lors des conférences sur l’ordonnance, la question préparatoire est jugée « inutile » et la question préalable ne suscite, elle, aucun débat43. Les rédacteurs consacrent alors la distinction jurisprudentielle entre la question préparatoire et la question préalable. C’est une étape importante de cette histoire. Car lorsque les progrès de l’intime conviction seront tels qu’ils permettront – en l’absence de preuve parfaite, sur la base des preuves au procès et sans emploi de la question préparatoire - de condamner à la peine ordinaire (en l’occurrence la peine capitale), la question préalable pourra être utilisée pour toutes les affaires graves. Et, de la sorte, le déclin progressif puis la désuétude de la question préparatoire dans le royaume n’entraîneront pas la disparition de la question préalable. On peut d’ailleurs se demander si l’importance de la question préalable dans la pratique des deux derniers siècles de l’Ancien Régime n’est pas précisément liée au déclin progressif de la question préparatoire44. Le législateur, lors de la rédaction de l’ordonnance de 1670, aurait fait le choix d’une double stratégie : l’une visant à un emploi limité de la question préparatoire, et l’autre cherchant à laisser aux juges une large faculté d’emploi de la question préalable en cas de crime capital (d’autant qu’avec le déclin de la question préparatoire, les juges perdaient, dans certains cas, un moyen d’interroger déjà le suspect sur ses complices éventuels). Outre la pauvreté relative de la pensée réformiste sur le thème de l’infraction collective, cela expliquerait l’abolition tardive de cette forme de torture ainsi que son caractère expérimental. L’examen des effets de la question préalable complète ce tableau et permet de mieux saisir les scrupules d’un législateur éclairé quoique pragmatique.

II. Effets

13Si l’abandon progressif des preuves objectives a encouragé l’emploi de la question préalable, l’étude des effets de cette torture permet de mettre en évidence le phénomène inverse. Car les nécessités liées à la répression de l’infraction collective ont vraisemblablement favorisé la progression de l’intime conviction des juges. Une telle question est vaste et seuls quelques aspects du problème seront évoqués ici. Le point central est évidemment celui de la valeur du témoignage des complices. Certes, les criminalistes ont le désir de ne pas transgresser trop ouvertement les principes de justice sur lesquels repose le système des preuves objectives45. Ils préfèrent le transformer par touches successives, comme l’atteste le développement de la théorie des témoins nécessaires46 dont la conséquence est de désarmer la procédure des reproches. Et ainsi, dans son travail d’organisation et de mise en ordre du droit, la doctrine ne propose pas un système contraignant pour les juges. C’est, au contraire, un cadre souple, à l’origine de nombreuses équivoques, qu’elle présente : la matière est devenue arbitraire. Aussi les criminalistes soulignent-ils la nécessité dans laquelle sont les juges de tenir compte des témoignages des complices. Et, puisque les déclarations de certains accusés peuvent jouer – selon toute une gamme de situations distinctes – contre leurs complices, le procès s’engage sur la pente d’une sévérité accrue. Tout dépend des magistrats qui pourront, à partir de là, lors du jugement définitif, choisir de frapper tout le monde, soit les seules brebis, soit les bergers du troupeau47. Deux remarques peuvent être faites.

14D’abord, pour la doctrine, le témoignage des complices exprime une « vérité » : cette qualité de la déposition des condamnés sous-tend les commentaires des criminalistes. L’expression revient souvent lorsqu’on envisage un droit d’exception, comme celui suivi dans les procès de sorcellerie où seule la notoriété joue un rôle aussi déterminant48. Et, dans ce type de procès, se trouve l’idée selon laquelle la perversité des suspects dénonçant leurs complices et a fortiori celle des condamnés accrédite la véracité de leur témoignage extorqués sous la douleur. Bodin est net sur ce point : « celuy qui meurt est présumé de dire vérité »49. Cette conviction est renforcée par la conscience aiguë de la rareté des preuves dans de telles affaires en raison de l’intervention supposée du diable à l’origine de contre-sociétés maléfiques. Et l’on peut ainsi se demander si la force du pacte unissant les affidés de Satan ne conduit pas à valoriser le témoignage du complice. Et pourtant, cette croyance se retrouve, à la même époque, dans toutes les sources doctrinales, en dépit du risque que le condamné « n’accusat des incoulpables »50, étant animé par une forte l’intention de nuire. Cela a pour conséquence d’amener à considérer ensemble les différents types de procès, ceux-ci perdant une part de leurs particularités distinctives alors que, d’un point de vue technique, la procédure pénale se caractérise par son pluralisme51. Plus tardivement, mais dans un univers mental renouvelé, on continue à trouver dans les sources cet argument, rapporté par Jousse de manière lapidaire : « l’accusé étant condamné à mort, n’a aucun motif pour cacher la vérité52. » Pour cette même raison, le silence éventuel du condamné sous la torture peut toujours être vaincu, les juges obtenant d’ultimes révélations relatives aux complices « sur l’échafaud ou à la potence »53. Finalement, dans la déclaration du premier mai 1788, ce rapport de proximité entre vérité matérielle et révélation des complices sous la torture sera contesté au motif que question préalable « ne conduit jamais sûrement à la connaissance de la vérité » : ses résultats égarent les juges sans les éclairer54.

15Ensuite, le droit attache une très grande importance pratique au témoignage des complices, considérant l’atrocité des crimes et l’hypothèse d’une disette des preuves, fréquente pour les infractions collectives, laquelle amène les juges à s’appuyer sur des indices. Les règles de l’instruction en témoignent et les sources législatives mériteraient d’être reconsidérées sous l’angle d’une telle approche55. Notons seulement ici l’existence d’une formalité essentielle : la confrontation du complice et du condamné l’ayant dénoncé : une « confrontation qui est très importante », portant l’autre nom d’« affrontation »56. Surtout, les criminalistes s’interrogent sur le point de savoir quelle valeur accorder aux révélations des complices lorsqu’il s’agit d’apprécier la « preuve considérable »57 permettant d’ordonner l’emploi de la question préparatoire contre la personne dénoncée.

16La matière est épineuse et les criminalistes présentent toute une gamme de situations distinctes en insistant sur la prudence qui doit être celle du juge. De manière générale, une pluralité de témoignages facilite l’obtention de la preuve. En présence d’un corps du délit constant et d’une présomption de complicité non équivoque, les juges peuvent en effet employer, sans difficulté particulière, la question préparatoire contre un tiers sur la base de deux témoignages de comparses58. On constate que les juges disposent ainsi des moyens juridiques (mais pas nécessairement matériels) leur permettant de démanteler les associations criminelles les mieux structurées et les plus étendues. En revanche, les choses sont rendues plus difficiles en présence du témoignage d’un complice seulement. C’est naturellement ce cas de figure qui retient toute l’attention des criminalistes. Mais la doctrine n’a pas de position ferme sur ce point essentiel. Les juges doivent faire plusieurs considérations et prendre en compte l’atrocité du crime, la qualité de celui qui est dénoncé59, de vile condition ou non, la force des charges déjà accumulées contre lui60, la nature du lien de complicité supposé61… Il n’en demeure pas moins que la question préparatoire peut être ordonnée, ce qui donne au procès une allure de sévérité inégalée62. Dès lors, on comprend mieux l’importance décisive que prendra le témoignage des complices dans une autre ambiance juridique. Car, avec le déclin puis la désuétude de la question préparatoire, avec la reconnaissance implicite, dans l’édit du vingt-quatre août 1780, d’un principe d’intime conviction des juges (le législateur mettant en avant, dans le même temps, le principe de la présomption d’innocence), les magistrats apprécieront librement les éléments de preuve au procès. Ceci explique d’ailleurs l’emploi détourné de la question préalable en vue de l’obtention d’un aveu de culpabilité du condamné comme dans le procès de Calas. Une telle pratique témoigne de la volonté des juges de chercher à apaiser, au dernier moment, leur conscience63.

17D’autres éléments montrent que les juges, en cas d’infraction collective, s’appuient sur leur intime conviction, parfois hâtivement acquise. D’une part, la preuve du corps du délit s’obtient souvent en ayant recours à la preuve indiciale, soit que les preuves aient été détruites, soit que les éléments matériels soient absents ou ténus comme pour l’hérésie ou la sorcellerie64. D’autre part, il faut une présomption de complicité pour que les juges puissent avoir recours à la question préalable. Pour certains crimes, cela ne pose pas de problème (conspiration, fausse monnaie, contrebande, etc.), mais ce n’est pas le cas pour d’autres formes de complicité. On trouve ainsi dans la doctrine une étonnante casuistique, celle-ci s’interrogeant longuement sur le thème de la participation morale (complicité par conseil, par mandat…) qu’il est bien difficile d’établir sans s’appuyer sur une conviction intime, en raison de l’importance accordée à l’analyse psychologique dans ce type d’approche de l’infraction65. De surcroît, les juges ne peuvent qu’être tentés de prendre en considération des éléments extérieurs aux faits qui leur sont soumis. Ceci s’explique en grande partie par l’existence de nombreux rapports entre deux questions abordées séparément par les criminalistes mais qu’il faut joindre pour une meilleure compréhension de la matière, celle de la pluralité d’infractions et celle de la pluralité d’auteurs, notamment parce que les associations criminelles ne se forment pas nécessairement pour accomplir un seul crime ni ne rassemblent que des délinquants primaires66. Pour le reste, même dans les cas graves, la défense produit à l’intention des juges, fréquemment de « manière souterraine » (Desgranges), faisant parfois appel à l’opinion publique, une argumentation contradictoire. Celle-ci est suscitée par la logique de discussion des preuves d’un système de certitude, celui de l’intime conviction, qui n’admet plus de hiérarchie entre les moyens de preuve, ni n’établit plus a priori la force des preuves prises isolément ou en réunion. Et la défense joue naturellement son rôle en mettant en avant les règles moribondes des preuves objectives pour atteindre ses buts67. Une parfaite illustration de cela se trouve dans le célèbre Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue de Dupaty où l’on trouve la critique de l’admission des témoins nécessaires, toujours très suspects, mais difficilement reprochables68.

18Enfin, une dernière remarque doit permettre d’éclairer certains aspects plus politiques des choses. La lutte contre certaines associations criminelles engagées dans des conspirations contre le prince ou l’Etat suscite, dans l’hypothèse d’un procès mené dans les formes (mais peut-être par commissaires), une question fondamentale, celle de la détermination du minimum de preuves nécessaire pour fonder une condamnation exemplaire. Car, en ce domaine, la question centrale est en réalité d’intervenir au bon moment, c’est-à-dire avant le complot ou la conspiration, d’agir plus à l’attaque qu’à la défense. Il n’est pas dans notre propos d’entamer l’examen de cette épineuse question, présente dans la doctrine pénale et, bien entendu, dans la littérature politique. Notons seulement ici l’existence d’un procédé qui permet d’obtenir le précieux témoignage du complice sans recours à la violence mais, au contraire, en faisant preuve d’une bienveillance calculée : celui des promesses d’impunité faites aux suspects qui livreront le nom de leurs comparses, proche de l’actuelle utilisation des révélations des « repentis ». Le procédé montre assez l’importance décisive du témoignage des complices qui exprime toujours, semble-t-il, la vérité. Surtout, cette question en apparence technique peut conduire à envisager, sous un autre œil, certains thèmes habituellement associés à l’histoire des idées politiques. Car, à la lecture de la doctrine, on se demande quel est le titulaire d’un tel pouvoir exceptionnel. Certains mettent en avant la nécessaire intervention du roi, qu’il y ait habilitation législative69 ou simple ordre70. D’autres, au contraire, insistent sur la force de l’arbitraire des juges, qui peut aller, en l’absence d’ordre ou d’injonction de la royauté, jusqu’à la décision prise par eux d’agir injustement en utilisant de « subtils moyens » (Charondas Le Caron)71. En autorisant l’emploi de ceux-ci, la doctrine cherche à défendre l'existence d'une dyarchie au sommet de l'Etat72. Mais, dans le même temps, elle est en contradiction avec sa propre philosophie politique. Les auteurs insistent en effet sur le fait que le roi lui-même ne peut renoncer à suivre ses propres lois73 pour s’arroger le pouvoir de transgresser les lois les mieux établies. Il y a donc loin des discours où les magistrats donnent un portrait flatté de leur fonction à certaines réalités : raison politique et raison juridique sont mal distinguées, l’exceptionnel se mêle au plus ordinaire, la frontière entre procédé tyrannique et légitime est changeante et ondoyante, les juges sont à la fois bêtes et anges.

Notes

1 Cette étude est le fruit d’un travail commun. Après une première recherche et rédaction par A. D’Innocenzo, et sur cette solide base, les ultimes dépouillements et corrections ont été faits par A. Astaing. On doit remarquer ici que la criminalité de groupe n’occupe pas la place qui devrait être la sienne dans les travaux consacrés à l’histoire du droit criminel. La thèse en cours d’Amélie D’Innocenzo, La pluralité d’infracteurs à la fin de l’Ancien Régime : approche procédurale (titre provisoire), comblera, au moins en partie, cette lacune dans nos connaissances et complètera cette première approche de la question préalable (not. par un dépouillement exhaustif des arrêtistes et de la doctrine non régnicole). Celle-ci permettra en outre de considérer, sous des aspects méconnus, certains thèmes habituellement associés à l’histoire des idées politiques (cf. la mise au point récente d’E. Gojosso, « L’Absolutisme et l’histoire juridique. A propos d’un ouvrage récent », Revue historique de droit français et étranger, 80 (4), 2002, p. 465-470).

2 Pour un aperçu, et considérant la doctrine pénale comme point de départ d’une approche politique du droit criminel, A. Astaing, « Justice pénale et Libido Dominandi : les critiques de la raison d’État dans la doctrine régnicole de la fin de l’Ancien Régime », Secret et Justice, Lille, 2000, p. 299-312.

3 C’est peut-être en raison de la formulation de l’ordonnance de 1670, titre XIX, art. 3, que cette variante de la torture a pris le nom de « question préalable » (v. note n°°7). Mais le vocabulaire utilisé pour qualifier le procédé n’est pas uniformément réglé, même après l’ordonnance.

4 La torture des condamnés peut être employée à titre de peine accessoire mais aussi pour forcer le condamné à mort à reconnaître d’autres infractions et à dénoncer d’éventuels complices. La règle générale est exprimée par Gaius, D.48,19,29 : « Qui ultimo supplicio damnatur […] Saepe etiam ideo servari solent post condamnationem, ut ex his in alios questio habeatur ».

5 N. Weiss, La Chambre Ardente. Etude sur la liberté de conscience en France sous François Ier et Henri II (1540-1550), suivie d’environ 500 arrêts inédits, rendus par le Parlement de Paris de mai 1547 à mars 1550, Paris, 1889. Sur le contexte répressif antérieur, B. Schnapper, La justice criminelle rendue par le Parlement de Paris sous le règne de François Ier, Voies nouvelles en Histoire du Droit, Paris, 1991, p. 127 s. On peut aussi se reporter pour une évocation de la répression des Vaudois, Luthériens et autres « loups » hérétiques, à J. Aubéry, Histoire de l’exécution de Cabrières et de Mérindol et d’autres lieux de Provence, Paris, 1555 (rééd. Paris, 1995, avec présentation de G. Audisio). Sur l’ambiance particulière du règne d’Henri II, quelques dates peuvent être évoquées : 1551, édit de Châteaubriant ; 1557, édit de Compiègne (il est sûr alors que le calvinisme est considéré comme une hérésie) ; 1557 : le roi songe à établir en France l’Inquisition ; 1559, arrestation et exécution de parlementaires parisiens suspects de calvinisme…

6 N. Weiss, La Chambre Ardente, n° 140, p. 246-247. Un retentum prévoit que si Chapière « persiste après la prononciation de l’arrest […] sera étranglé après avoir senty ung peu le feu » (p. 247). Les noms des magistrats, dont le Président P. Lizet, auteur d’une Pratique criminelle (malheureusement non consultée pour cette étude), figurent dans l’étude (p. 246). Y. Bongert, Cours d’histoire du droit pénal, Le droit pénal français de la fin du XVème siècle à l’ordonnance criminelle de 1670, Cours DES, 1972-1973, p. 212-213 indique qu’à partir de l’arrêt du 2 octobre 1548, on est passé du « double emploi de la question préparatoire à la question préalable ». Il faudrait, pour préciser les choses, considérer les arrêts des autres Chambres Ardentes du royaume.

7 Ordonnance de 1670, titre XIX, art. 3 : « Par le jugement de mort, il pourra être ordonné que le condamné soit préalablement appliqué à la question pour avoir révélation des complices », Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, Paris, 1829, t. 18, p. 412. L’art. 4 est évoqué plus loin. Signalons le travail de C. Rumbach, Complicité et preuve pénale : la question préalable du 16ème au 18ème siècle, Nancy, mémoire de DEA, Histoire du droit, année 2003-2004, qui, en dépit du titre, concerne essentiellement la période postérieure à l’ordonnance de 1670.

8 Isambert, Recueil, t. 28, Déclaration relative à l’ordonnance criminelle, 1er mai 1788, p. 532, art. 8 : « Notre déclaration du 24 août 1780 sera exécutée, et y ajoutant, abrogeons la question préalable ». Se reporter à M. Schmoeckel, Humanität une Staatsraison. Die Abschaffung der Folter in Europa…, Köln – Weimar – Wien, 2000, qui décrit l’abolition progressive de la torture judiciaire, s’intéressant d’abord à celle qui vise l’obtention d’aveux de culpabilité.

9 Isambert, Recueil, t. 28, p. 529.

10 Isambert, Recueil, t. 28, p. 527-528.

11 Isambert, Recueil, t. 28, p. 534.

12 B. Schnapper, « La répression pénale au 16ème siècle : l’exemple du Parlement de Bordeaux (1510-1565) », Voies nouvelles, p. 79.

13 On pourrait remonter très loin, notamment aux sophistes, pour évoquer un tel contrat (J. de Romilly, Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès, Paris, 1988, p. 204-205). La législation envisage évidemment la chose (par ex. ordonnance de Montils les Tours, art. 34 : « souventes fois ilz se conseillent, et forgent leurs matières et leurs réponses en telle manière qu’à grand peine et difficulté en peut-on avoir la vérité ») et l’examen de la doctrine, fort riche sur ce point, fera, ailleurs (cf. note n° 1), l’objet d’une analyse détaillée. La pensée réformiste s’intéresse au sujet, dès que sont formulées les critiques les plus radicales dans les procès de sorcellerie, et, au XVIIIe s. ce contrat est analysé en des termes juridiques (pour le côté plaisant, l’entente criminelle, comme envers de l’entente amicale, Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, verbo « Amitié », Paris, 1964 -éd. de 1765, 2e éd.-, p. 33) et en des termes économiques (par ex. Beccaria, Traité des délits et des peines, Paris, 1991 -1764, § 37, p. 160 s. : « analyse économique du droit » prenant comme objet les promesses d’impunité, évoquées plus loin dans cette étude, avec une utilisation des postulats de l’individualisme méthodologique. Mais on y trouve aussi une méditation sur la loi et le pouvoir arbitraire des juges).

14 Cette question n’est pas étudiée en détail ici car, à l’évidence, les juges cherchent plus que les noms des complices. Le vocabulaire même en témoigne : « accusation et nomination des complices » (Charondas le Caron), « témoignage » (A. Bruneau, P. Bornier) « révélation des complices » (ordonnance de 1670, titre XIX, art. 3), « nommer et avouer les complices » (D. Jousse), etc. On trouvera néanmoins plusieurs indices violents qui poussent à considérer les choses ainsi : l’existence d’une torture des témoins, le double usage (après le milieu du XVIe siècle) de la question préparatoire, l’analyse de la question préalable comme une forme de réitération des tourments, etc.

15 G. Du Rousseau(d) de la Combe, Traité des matières criminelles, Paris, 1768 (7ème éd.), 3e partie, chap. 18, p. 308.

16 F. Serpillon, Code criminel ou commentaire sur l’ordonnance de 1670, Lyon, 1767, vol. 2, 3e partie, sous titre XIX, art. 3, p. 924, un auteur qui dénonce dans un passage connu la question préparatoire (et donne, dans le même temps, un témoignage sur sa désuétude).

17 D. Jousse, Traité de la justice criminelle de France, Paris, 1771, partie 3, livre 2, titre 22, section 1, n° 2-3, p. 474-5 et p. 485.

18 Dès le XVIe siècle, la question préalable est utilisée en cas de trahison, infidélité au roi et lèse-majesté, Bongert, Cours d’histoire, p. 212 et 213, note 2, deux arrêts cités de 1549 et 1557, Isambert, Recueil, t. XIII, p. 88-91 et p. 186-188. Son emploi par le Parlement de Bordeaux date d’un arrêt du 25 octobre 1565, mais malheureusement le crime n’est pas précisé par B. Schnapper, « La répression pénale au 16ème siècle : l’exemple du Parlement de Bordeaux (1510-1565) », Voies nouvelles, p. 79 (confirmation en appel, première condamnation par le Sénéchal de Saintonge). Il ne s’agit ici que de jalons et une telle diffusion de l’institution mérite évidemment une étude approfondie.

19 G. Bourdin, Paraphrase… par A. Fontanon, Paris, 1606, sous l’ordonnance de 1539, art. 163, p. 368.

20 J. Bodin, De la démonomanie des sorciers, Paris, 1587, liv. IV, chap. I, p. 186. Avec une comparaison fort intéressante : dans des crimes « si exécrable(s) » qui se font « si couvertement », il faut « les avérer par complices et coupables du mesme faict, ainsi qu’on faict aux volleurs, et n’en faut qu’un pour en accusé une infinité ».

21 C. Lebrun de la Rochette, Le procès civil et criminel, Lyon, 1624 (1ère éd.1607), De la question, p. 156. Sur ce siècle, V. Pinson-Ramin, « La torture judiciaire en Bretagne au 17ème siècle », Revue historique de droit français et étranger, 72 (4), 1994, p. 554 (236 questions préalables contre 36 questions préparatoires), J. Hautebert, La justice pénale à Nantes au Grand Siècle, Nantes, 2001, p. 194-196.

22 Ordonnance de 1670, titre XIX, art. 3. On retombe sur la règle romaine. Pour la fin du XVIIe siècle et le XVIIIe siècle, B. Durand, Arbitraire du juge et droit de la torture, Fascicule de la société d’histoire des anciens pays de droit écrit, Montpellier, 1979, n° 10, p. 141-179, spéc. p. 148. Les études sur le XVIIIe siècle, qu’il est inutile de toutes citer ici, montrent, un emploi de la question préalable, encore ordonnée sous le règne de Louis XVI, G. Aubry, La procédure criminelle du châtelet de Paris pendant le règne de Louis XVI, Paris, 1969, p. 185 s.

23 Ordonnance de 1670, titre XIX, art. 1. Simplement, l’ordonnance prévoyant aussi l’emploi de la question préparatoire avec réserve des preuves (art. 2), il n’est peut-être pas étonnant qu’apparaisse au XVIIIe siècle - ce point sera examiné plus loin - une jurisprudence atypique qui envisage aussi le cas d’une condamnation aux galères perpétuelles.

24 G. Bourdin, Paraphrase… par A. Fontanon, Paris, 1606 (1ère éd. 1557, version en latin, ensuite traduite par A. Fontanon), sous l’art. 163, p. 368 : « En France se multipliant le nombre des délits il a esté nécessaire d’excogiter nouvelles peines et augmenter la rigueur des loix. Partant celuy qui est par sa confession convaincu d’hérésie est mis à la question pour lui faire révéler ses complices, estant le semblable observé à l’égard des voleurs qu’on met à la torture pour leur faire dire et révéler leurs complices. »

25 G. Bourdin, Paraphrase, sous l’art. 163, p. 368 qui s’inspire peut-être de la tradition antérieure évoquée, à la même époque, par J. Clarus, Practica criminalis, Venise, 1620 (1ère éd. 1560), liv. V, qu. 64, n° 8, p. 77, qui utilise, pour justifier la révélation des complices sous la torture par le confessus, l’argument de la fréquence des crimes, comme Bourdin. Ceux qui évoquent des affaires précises ne le font qu’à titre d’illustration, par ex. F. Des Maisons, Le parfait praticien français…, Paris, 1666 (1ère éd. 1662), p. 86 (De Thou et Cinq-Mars). Sur l’emploi de la notion de fréquence, A. Astaing, « La procédure criminelle dans les Decisiones de Michel de Vilar-Reynalt, avocat général au conseil souverain de Roussillon (fin XVIIe s. - début XVIIIe s.) », Revue historique de droit français et étranger, 77 (3), 1999, p. 341 (invocation, en Roussillon, de la fréquence des crimes pour justifier une augmentation de la peine, pour un vol et un abigeat, d’autres références se trouvant dans les études de B. Durand sur la jurisprudence du conseil souverain), p. 343-344 (invocation, dans le reste du royaume, de la multiplication des crimes pour justifier certaines rigueurs supplémentaires du droit criminel. En procédure pénale : justification de la suppression du droit d’asile dans les églises, des jugements en premier et dernier ressort rendus par les prévôts, critique de la procédure de contumace…).

26 On trouve de longs passages où ces notions sont analysées par la doctrine pénaliste (A. Astaing, « Justice pénale et Libido Dominandi »), qui doit être considérée conjointement avec la littérature politique relative à la raison d’Etat, et une invocation des notions par le législateur (ici, déclaration du 1er mai 1788, Isambert, Recueil, t. 28, p. 534).

27 Modestin, D.48,18,17, 1 ; aussi : C,9,2,17,1. P. Fiorelli, La tortura giudiziaria nel diritto comune, Milan, 1948, vol. 1, p. 43 s.

28 G. Bourdin, Paraphrase, sous l’art. 163, p. 368.

29 P. Bornier, Conférences des nouvelles ordonnances de Louis XIV… avec celles des rois prédécesseurs…, Paris, 1693, p. 228. Pour les Pays-Bas, et dans une perspective différente, puisque la question préalable est au départ analysée comme une forme de réitération, S. Dauchy, La question préparatoire dans les Pays-Bas français (1679-1790), La torture judiciaire, Lille, 2002, t. 2, p. 748.

30 Le premier à évoquer l’évitement de la règle romaine est G. Bourdin, Paraphrase, sous art. 163, p. 368, où il est question de « celuy qui est par sa confession convaincu d’hérésie » (et il semblerait que ce soit le cas dans l’arrêt du 2 octobre 1548 rendu par la Chambre Ardente où il était question de blasphème, mais rien n’est absolument certain) ; J. Clarus, Practica criminalis, liv. V, qu.64, n° 8, p. 77 ; Lebrun La Rochette, Le procès… criminel, p. 156-157 (deux citations ici, l’une relative au confessus, l’autre au convictus). Contra, A. Despeisses, Œuvres, Lyon, 1706, L.3, t. X, n° 9, p. 117. L’ordonnance de 1670, titre XIX, art. 3 évoque seulement « le condamné ». Pour la deuxième moitié du XVIIe siècle, v. par ex. Bornier, Conférences, p. 219. Sur l’argument de nécessité sociale, P. Fiorelli, La tortura giudiziaria, vol. 2, p. 98.

31 P. Bornier, Conférences, sous titre XIX, p. 219. L’a. réfute en cela l’opinion de Charondas le Caron.

32 J. de Mille, Praxis criminis persequendi, Paris, 1541, La pratique criminelle de Jean de Mille, Moulins, 1983, introduction, traduction et notes par A. Lebigre. L’a. relate les différentes étapes d’une procédure criminelle dirigée contre plusieurs auteurs d’un assassinat commis de nuit, à une époque où la question préalable n’est pas encore en usage. La recherche des complices se fait au moment même de l’application à la question provisoire qui a donc une double vocation : l’obtention d’aveu et l’obtention du témoignage des complices. Tout cela témoigne d’un net esprit de sévérité qui prépare les esprits à accepter la création de l’arrêt 2 octobre 1548 rendu par la Chambre Ardente. En ce sens, B. Schnapper, « La répression pénale… Parlement de Bordeaux (1510-1565) », Voies nouvelles, p. 79.

33 C. Lebrun de la Rochette, Le procès… criminel, De la question, p. 156 (dans ce cas, la révélation des complices peut être obtenue à l’occasion de deux séances de torture, une première fois sous la question préparatoire, une seconde fois sous la question préalable), et, plus tard dans le siècle, F. Des Maisons, Le parfait praticien, p. 86, P. Bornier, Conférences, art. VIII, p. 232.

34 Pour I. Damhouder, La practicque et enrichidion des causes criminelles, Louvain, 1555, chap. 38, n° 13, p. 71 (sur le cas particulier des Pays-Bas français, S. Dauchy, « La question préparatoire… », p. 746-748) : la « question préalable » est une forme de réitération de la « géhenne » en cas d’aveu de culpabilité. Une telle conception des choses permet l’évitement de la règle romaine mais elle a le « désavantage » de soumettre l’emploi éventuel de cette torture destinée à obtenir « révélation des complices » aux règles restrictives de la réitération des tourments.

35 Dans un domaine voisin – mais qui n’est pas sans rapport avec notre thème – celui de la pluralité d’infractions, on constate que les juges peuvent être amenés, d’une manière comparable, à interroger l’accusé sur des faits délictueux étrangers à l’affaire. Et notamment sous la question, P. Fiorelli, La tortura giudiziaria, vol. 1, p. 43 s. (bases romaines).

36 J. Clarus, Practica criminalis, liv. V, qu.64, n° 8, p. 77. Une synthèse chez P. Fiorelli, La tortura giudiziaria, vol. 2, p. 93-98. Le point est évoqué par A. Laingui, A. Lebigre, Histoire du droit pénal, t. 2, La procédure pénale, p. 117, note 37.

37 Le cas est évidemment envisagé par la doctrine, même si ce n’est pas l’hypothèse nécessairement la plus fréquente. Notons d’ailleurs que, dans ce cas, le moyen subsidiaire qu’est la question préparatoire ne peut être employé. C. Lebrun La Rochette, Le procès… criminel, p. 156 ; F. Des Maisons, Le parfait praticien, p. 86 ; P. Bornier, Conférences, p. 228. Il est inutile de citer ici toute la doctrine du XVIIIe siècle. Une référence est souvent faite à J. Papon, Recueil d’arrestz notables des cours souveraines de France, Lyon, 1662, livre 24, titre 9, arrêt 1, p. 628, mais la note est particulièrement obscure et l’interprétation difficile. Est-ce par désir que le convictus soit aussi confessus ? Cela est peu probable puisque J. Papon évoque leur habituelle « dénégation » faite ensuite à la question. Est-ce une référence faite à la réserve des preuves ? C’est possible, en raison de son apparition très précoce dans la jurisprudence du Parlement de Paris que J. Papon évoque ici. Mais cela est douteux, J. Papon évoquant auparavant le danger qu’il y aurait de mettre un accusé convaincu à la torture, et qu’ainsi le cas le plus fréquent n’est pas celui de cet accusé « pendu avec sa bonne bouche » (arrêt 2, p. 629). Est-ce une référence faite à une torture, sous forme de question préparatoire, qui viserait l’obtention de renseignements sur les complices ? C’est possible mais la chose n’est pas certaine, en dépit de la référence faite à cet arrêt par P. Bornier, Conférences p. 228.

38 L’institution apparaît avant la question préalable dans la jurisprudence du Parlement de Paris (vers 1535) (pour une synthèse, J-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, 2006, n° 214, p. 363 s.). Elle sera très vite défendue par la doctrine partout en Europe parce qu’elle est un moyen de lutter avec succès contre le silence des accusés (A. Astaing, G. Clément, « Les muets volontaires dans la procédure pénale française de l’époque moderne et contemporaine », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 2002, LXX 3-4, p. 291-316).

39 Ordonnance de 1670, titre XIX, art. 2 : « Les juges pourront aussi arrêter que nonobstant la condamnation à la question les preuves subsisteront en leur entier, pour pouvoir condamner l’accusé à toutes sortes de peines pécuniaires ou afflictives, excepté toutefois celle de mort, à laquelle l’accusé qui aura souffert la question sans rien avouer, ne pourra être condamné, si ce n’est qu’il survienne de nouvelles preuves depuis la question. » Isambert, Recueil, t. 18, p. 413.

40 Ordonnance de 1670, titre XIX, art. 2.

41 Pour D. Jousse, par ex., dont l’analyse est autant psychologique que juridique, la personne poursuivie « garde le silence comme une personne qui se sent coupable » sous la question préparatoire, ce qui est un indice permettant d’augmenter la « preuve considérable » réservée, Traité des matières criminelles, Paris 1771, chap. 6, « De la preuve (…) conjecturale », sect. 3, § 4, n° 284, p. 772 ; déjà P. Ayrault, L’ordre, formalité et instruction judiciaire, Paris 1610, 4e éd., livre 3, partie 3, XXV et XXVI, p. 489-492.

42 D. Jousse, Traité des matières criminelles, part. 3, livr.3, chap. 2, tit. XXII, sect. 3 ; n° 27, p. 485 (référence faite aux Causes célèbres).

43 Lors des conférences, alors que P. Pussort et G. Lamoignon constatent, tous les deux, « l’inutilité » de la première. Organisant une dispositif qui restreint autant que possible son emploi éventuel, après avoir songé à la supprimer, ils ne mettent pas en doute l’utilité de la question préalable, Procès-verbal des conférences..., Paris, 1709, ordonnance de 1670, titre XIX, sous art. 2, p. 224. On le sait, les criminalistes français dont les traités paraissent dans la deuxième moitié du siècle vantent, dans une belle unanimité, les effets merveilleux de cette forme de question par opposition à la question préparatoire. F. Serpillon, Code criminel, vol. 2, 3e partie, sous titre XIX, art. 3, p. 924, G. Du Rousseau(d) de la Combe, Traité des matières criminelles, 3e partie, chap. 18, p. 308 ; D. Jousse, Traité de la justice criminelle, partie 3, livre 2, titre 22, section 1, p. 485, etc.

44 Argument par a contrario tiré de la pratique judiciaire observée dans les Pays-Bas français, S. Dauchy, « La question préparatoire… », p. 746-748.

45 Se reporter à Y. Mausen, Veritatis adiutor. La procédure du témoignage dans le droit français et la pratique française (XIIe – XIVe siècles), Milan, 2006, spéc. p. 530 s.

46 B. Schnapper, Testes inhabiles…, Voies nouvelles…, p. 145-175, et spéc. p. 171-172.

47 Les stratégies suivies par les juges feront, ailleurs, l’objet d’un examen détaillé (cf. note n° 1).

48 Par ex. P. de Lancre, Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, Paris, 1982 (1ère éd. 1610), suivi par les Instructions pour un juge en fait de sorcellerie, art. 3, p. 174 : « […] l’on a remarqué que les sorciers qui ont confessé n’ont point été accusé habituellement par des gens qui ne sont pas du métier, ou du moins très suspects, à tel titre que Binsfeldius, suffragant de Trèves, écrit que sur cent sorciers, il s’en trouve tout juste un qui en accuse un autre sans raison. » Un procès de sorcellerie entièrement édité suivi de quelques études (notamment sur la preuve pénale) dans Le sabbat des sorciers (15ème-18ème siècles), Grenoble, Million, 1993. D’ailleurs dans ce type de procès, l’exception, en dépit de la rudesse des moyens d’instruction, c’est l’aveu de culpabilité, ce qui a pu faire dire à certains qu’une fois découvertes les raisons de ce silence, il pouvait être considéré comme étant un aveu implicite du crime, J. Bodin, Démonomanie des sorciers, p. 203 (la « taciturnité emporte effet de confession »).

49 J. Bodin, De la Démonomanie des sorciers, liv. IV, 1, p. 186. Contra H. Institoris, J. Sprenger, Malleus maleficarum, 1488, Grenoble, 1990, qu. XIV, p. 491 (d’où la nécessité d’avoir recours aux promesses d’impunité, évoquées à la fin de cette étude).

50 C. Lebrun de la Rochette, Le procès… criminel, De la question, I, p. 156 (raison invoquée pour justifier le fait que l’accusé ne puisse être interrogé « de la conscience d’autruy » sous la question préparatoire, sauf exception). P. Farinacius, Praxis et theoricae criminalis, Venise, 1603, t. 1, p. 1, qu. 43, n° 68 (un moyen subsidiaire). Plus tard, A. Bruneau, Observations et maximes criminelles, Paris, 1715, première partie, sous titre 21 (torture), n° 6, évoquera le cas de ces condamnés, « méchans jusqu’au précipice » et capables de dénoncer volontairement des innocents.

51 La même remarque peut être faite s’agissant de la perception par la doctrine de la douleur des accusés sous la question et des raisons que ceux-ci peuvent avoir de résister aux tourments (avec, d’ailleurs, du point de vue des croyances des criminalistes, une évolution comparable), A. Astaing, « Les douleurs de la question préparatoire et le remède des drogues », La Douleur et le Droit, Paris, 1997, p. 277-301.

52 D. Jousse, Traité de la justice criminelle, partie 3, livre 2, titre 22, section 1, n° 2-3, p. 485. F. Serpillon, Code criminel, vol. 2, 3e partie, sous titre XIX, art. 3, p. 924 : le condamné « ne fait ordinairement plus de difficulté de convenir la vérité ». En Bretagne, le testament de mort, assimilé au témoignage des condamnés sous la torture, n’exprime pas des choses fausses mais, au contraire, doit être considéré comme une sorte d’« oracle » (en cas de décharge), peut-être susceptible d’interprétation mais d’une grande valeur, le « chant du cygne » de celui qui va être exécuté (Despeisses), M.-Y. Crépin, Le chant du cygne du condamné : les testaments de mort en Bretagne au XVIIIe siècle, Revue historique de droit français et étranger, 70 (4), 1992, p. 491 s. Est ici laissée de côté la question des modalités de cette forme de torture, parfois ad terrendum (F. Des Maisons, Le parfait praticien, p. 85), parfois donnée en utilisant des moyens très durs, car « il n’y a pas grand ménagement à garder à l’égard d’un corps confisqué, et qui va être exécuté » (D. Jousse, Traité de la justice criminelle, partie 3, livre 2, titre 22, section 1, n° 2-3, p. 485). On peut se ranger de l’avis du criminaliste d’Orléans. En témoigne, sous le règne de Louis XVI, la déclaration du premier mai 1788 qui rapporte la croyance des condamnés en une éventuelle réitération des tourments : « elle est dangereuse pour l’innocence, en ce que la torture pousse les patients à des déclarations fausses, qu’ils n’osent plus rétracter, de peur de voir renouveler leurs tourments » (Isambert, Recueil, t. 28, p. 529).

53 G. Du Rousseau(d) de la Combe, Traité des matières criminelles, 3ème partie, chap. 18, p. 308, où l’a. s’interroge sur la qualité psychologique de ce silence : « […] est-ce par malice ? est-ce en vue de prolonger leur vie pour quelque moment, ou tout au plus de quelques heures ? » Sinon, de manière générale, les sources juridiques, traitant de la question préalable, évoquent rarement le silence des accusés (outre D. Jousse, v. par ex., F. Des Maisons, Le parfait praticien, p. 85 : mais, ici, il s’agit d’une torture ad terrendum). Les criminalistes traitent surtout de ce thème en abordant la question préparatoire. Sur l’intervention des confesseurs, P. Bastien, La parole du confesseur auprès des suppliciés (Paris, XVIIe-XVIIIe siècle), Revue historique, CCCVII/2, 2004 (utile analyse des manuels de confession, mais approche juridique faible).

54 Isambert, Recueil, t. 28, p. 544.

55 Les moyens mis à la disposition du juge sont à la fois des moyens communs à toutes les procédures, et, des moyens spécifiques utilisés pour démanteler des groupes criminels. La question est alors de savoir s’il est possible, en partant d’abord de la législation royale, de définir, en dépit du pluralisme des procédures, les étapes d’une sorte de procédure à caractère idéal typique applicable en cas de pluralité d’auteurs. Ce point fera l’objet d’un examen détaillé (cf. note n° 1).

56 Sur le cas général G. Du Rousseau(d) de la Combe, Traité des matières criminelles, 3e partie, chap. 18, p. 308. Sur ce point et sur le cas particulier des prévôts, v. ordonnance de 1670, titre XIX, art. 4. Quand l’accusé est condamné à mort par jugement prévôtal et qu’il révèle des complices à la question préalable, ceux-ci doivent être arrêtés sur le champ pour que la confrontation puisse avoir lieu rapidement, et ce, même si le prévôt n’est pas déclaré compétent pour connaître des complices. Il est alors tenu de faire juger sa compétence, ce qui permet une régularisation a posteriori d’un décret de corps vicieux pris dans l’urgence.

57 Notion utilisée par l’ordonnance de 1670, titre XIX, art. 1er.

58 Se reporter à D. Jousse, Traité des matières criminelles, part. 3, livr.1, tit. III, sect. 7 ; n° 396, p. 818 : « […] deux accusés qui chargent un troisième complice ; de deux impubères, etc. fait une preuve suffisante, quand il s’agit de crimes pour lesquels on ne peut avoir autrement la vérité ou quand il s’agit de crimes atroces […] », sur la base de P. Farinacius, Praxis criminalis, qu. 26 (n° 74‑75) et qu. 43 (n° 6-10). Sur cette question de la pluralité des témoignages de complices visant une même personne et celle de leur liaison et force, v. par ex. A. Bossius, Tractatus varii, Lyon, 1562, tit. 2 ; De indiciis et considerationibus ante torturam, spéc. n° 69 ; J. Bodin, De la démonomanie des sorciers, liv. IV, chap. I, p. 198-199 (ici absence de recours à la question préparatoire).

59 D. Jousse, Traité des matières criminelles, part. 3, livr. 1, tit. III, sect. 7 ; n° 398 s.

60 P. Fiorelli, La tortura giudiziaria, vol. 2, p. 100-103 fournit les premiers éléments, en cas de crimes atroces. La question essentielle est, pour la doctrine, de connaître sur la base de la déclaration d’un complice, quel est le complément de charge nécessaire pour pouvoir ordonner la question préparatoire. I. Damhouder, La practicque et enrichidion des causes criminelles, Louvain, 1555, chap. 38, n° 14, p. 71 (on peut « gehennier » par exception au principe : « ne fussent ou surviennent aultres indices » car pour mettre à la torture il faut des « indices suffisants ») ; A. Bossius, Tractatus varii, Lyon, 1562, tit. 2 ; De indiciis et considerationibus ante torturam, spéc. n° 11, 66, 68, 149 ; J. Clarus, Practica criminalis, liv. V, qu. 64, n° 8, p. 77 (débat sur les indices précédents contre celui qui est dénoncé) ; C. Lebrun de la Rochette, Le procès civil et criminel, De la question, III, p. 156, (« cette accusation toustefois ne fait pleine foy, s’il n’y a d’autres conjonctures concurrentes »), etc. Dans le cadre de l’ordonnance de 1670, il faut une preuve considérable, v. par ex. A. Bruneau, Observations et maximes, 1ère partie, sous titre 21, VII et VIII, dans les « crimes énormes » la question préparatoire peut être ordonnée ; il faut une déclaration sous la question préalable et « d’autres moindres indices ». Bien entendu, ce genre de développements sur les indices ad torturam, et les indices violents, conduit certains à évoquer, dans les cas graves, la possibilité d’une condamnation à la peine ordinaire sur simples indices (avec ou sans recours à la question préparatoire, avec ou sans réserve des preuves), par ex. J. Bodin, De la démonomanie des sorciers, liv. IV, chap. I, p. 198-199 ; C. Lebrun de la Rochette, Le procès civil et criminel, De la question, III, p. 157-158.

61 Un cas a particulièrement retenu l’attention des auteurs : celui du mandat. Bossius, Tractatus varii, Lyon, 1562, tit. 2 ; De indiciis et considerationibus ante torturam, spéc. n° 144 et s. ; pour une étude fouillée sur J. Clarus, A. Laingui, La théorie de la complicité dans l’ancien droit pénal, Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 1977, XLV, p. 27 s. ; C. Lebrun de la Rochette, Le procès civil et criminel, Lyon, 1624 (1ère éd.1607), De la question, III, p. 159.

62 La matière est arbitraire et les différentes stratégies des juges présentées par les criminalistes appellent une étude exhaustive (cf. note n° 1). Signalons ici que l’examen des effets de la question préalable incite à reconsidérer la portée d’un lieu commun de la littérature pénaliste qui se demande, en présence de plusieurs suspects fortement indiciés par qui elle doit commencer les séances de torture de la question préparatoire. Car si le plus faible est torturé, comme le fils devant son père, par exemple, on s’attend à des révélations spontanées du père mais également à des révélations du fils lequel, ayant avoué, pourra être soumis aux tourments de la question préalable. Car, comme bien des sources le supposent, le nom des complices n’est pas seul recherché (cf. note 15).

63 Le cas du procès Calas n’épuise pas l’examen de ce point. Par ex. B. Durand, « Arbitraire du juge et droit de la torture », p. 158 ; G. Aubry, La jurisprudence criminelle…, p. 190. Il s’agit là de la survie d’une vieille habitude évoquée par quelques auteurs antérieurs (mais dans un autre contexte probatoire). Car les juges peuvent aussi espérer que le convictus soit aussi confessus, sans pour autant renoncer à la peine ordinaire (c’est le résultat habituel d’un silence après application de l’accusé à la question préparatoire).

64 A. Astaing, « Les expertises et la preuve du corps du délit : notes sur la procédure pénale française de la fin de l’Ancien Régime », Procéder, Limoges, 2006, p. 209-218.

65 Se reporter à A. Laingui, La théorie de la complicité… p. 27 s. (analyse fouillée des questions relatives à la complicité chez Clarus).

66 Très net dans bien des exemples rapportés par la doctrine, les recueils d’arrêts ou encore les causes célèbres. Par ex., pour une province dont la jurisprudence est connue, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, ms 21, Noguer, Traité des crimes suivant la jurisprudence de la cour du conseil souverain de Roussillon, sur la question, f°151 v., 152, 152 v.

67 A. Astaing, Droits et garanties…, spéc. p. 92 s., 213 s., 226 s.

68 Dupaty, Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue, Avignon, 1786, avec, sur ce point, un commentaire de B. Schnapper, Testes inhabiles…, Voies nouvelles…, p. 172-174.

69 Un édit du mois de mars 1560 précise que « sa majesté promet, parole de Roi, de donner l’impunité et une somme d’argent aux complices de sédition, rébellion, ou assemblées illicites contre sa Majesté, qui dénonceront les coupables, et ceux qui forment des complots ». Le texte prévoit l’emploi de cette technique et n’incrimine plus –aux termes d’une complicité par participation- ceux qui parleraient pour dénoncer leurs complices (évidemment on ne peut alors leur reprocher l’abstention criminelle).

70 L’hypothèse d’un ordre du roi n’est pas un vain mot. En témoignent certains procès comme celui de Loudun (avec l’intervention de Richelieu) ou celui de Fouquet pour lequel on connaît les malheurs des juges trop scrupuleux (comme d’Ormesson). Pour certains auteurs, c’est le roi seul qui peut autoriser l’emploi d’une telle arme. Par ex. A. Favre (Codex fabrianus..., Lyon, 1641, liv. 7, tit. 25, def. 8), F. Serpillon (Code criminel..., livre 1, tome 1, sous titre XIV, article 2, p. 652 : « il n’y a que le roi qui puisse autoriser une semblable action »). Bien entendu, il est difficile ensuite de savoir qui, dans une juridiction collégiale tenue au secret des délibérés, a pu se conformer aux lettres du roi dans l’hypothèse où il y a eu ordre : mais la marge de manœuvre est dans ce cas bien limitée.

71 Pour d’autres, au contraire, les juges peuvent procéder ainsi de leur propre chef. Pour les procès d’hérésie et de sorcellerie, v. H. Institoris, J. Sprenger, Malleus maleficarum, p. 3, qu. XIV, p. 491 s. (mais promesse non tenue). Il y a ici un modèle que l’on retrouve chez les démonologues (avec l’emploi concurrent du procédé du mouton). Sinon, sont à ranger parmi ces auteurs : Jean de Mille Pratique criminelle, p. 94, C. Charondas le Caron (qui accepte en cas « de quelques véhemens ou probables indices » les « subtils moyens », Responses… du droit français, L XII, response LXVI, p. 617), F. Muyart de Vouglans (Instruction criminelle..., Paris, 1756, partie I, titre XIV, article 3, n° III, p. 299), Noguer, Traité des crimes, f° 91-93 (mais exceptionnel, l’auteur ne note que deux cas sur plus d’un demi-siècle). Les magistrats vont ainsi se mettre d’accord pour agir injustement au terme d’un jugement collégial.

72 J. Krynen, A propos des Treze livres des Parlements de France, Les Parlements de Province, Toulouse, 1996, pp. 691-705, du même auteur, « Qu’est ce qu’un Parlement qui représente le roi ? », Excerptiones iuris. Sudies in Honor of André Gouron, Berkeley, 2000, p. 353-366.

73 Ce qui est se souvenir de la loi Digna Vox. A cette idée se rattache naturellement l’affirmation de droits naturels de l’accusé, A. Laingui, Grotius et le droit pénal, XVIIe siècle, 1980, n° 126, pp. 37-58.

Pour citer ce document

Par Antoine Astaing et Amélie D’Innocenzo, «Absolutisme et droit pénal», Les cahiers poitevins d'histoire du droit [En ligne], Premier cahier, mis à jour le : 13/05/2019, URL : https://cahiers-poitevins.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiers-poitevins/index.php?id=91.

Quelques mots à propos de :  Antoine Astaing

Professeur d’Histoire du droit
à la Faculté de droit de Nancy

Quelques mots à propos de :  Amélie D’Innocenzo

ATER en Histoire du droit
à la Faculté de droit de Reims