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Absolutisme et droit pénal
Table ronde du 10 novembre 2005, Présentation de la table ronde
Par Éric GOJOSSO
Publication en ligne le 12 décembre 2018
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Absolutisme et droit pénal (version PDF) (application/pdf – 386k)
Texte intégral
1Si l’on veut tenter d’avancer une définition juridique de l’absolutisme, il faut sans doute dépasser les formules classiques telles que « ce qui plaît au prince a force de loi » ou « si veut le roi, si veut la loi ». Il faut prendre aussi et peut-être surtout comme point de départ le thème de la solutio legibus qui invite à poser en des termes nouveaux la question des rapports entre le monarque et la norme juridique. Car la prérogative législative n’est pas logiquement la marque première de l’absolutisme princier. Au fond, un monarque créateur de droit peut être tenu par les règles qu’il promulgue : c’est ce que soutenait Isidore de Séville et c’est en quelque sorte la situation de l’Etat souverain tel que le pense Carré de Malberg (Etat autolimité, qui s’astreint à observer les règles dont il est l’auteur tant qu’il ne les a pas formellement abrogées et remplacées). Ce n’est pas le cas du monarque de l’ancienne France, dont on devrait d’ailleurs peut-être dire qu’historiquement, il a d’abord été délié des lois avant d’être ensuite auteur de la loi.
2En effet, c’est à partir du milieu du XIe, que s’installe l’idée selon laquelle le roi peut abolir les mauvaises coutumes, même si le principe ne vaut dans un premier temps qu’à l’intérieur du domaine royal (c’est Philippe le Bel qui l’étend à l’ensemble du royaume). Ce n’est qu’au XIIe, avec un siècle de décalage, que le roi commence à recouvrer timidement le pouvoir législatif. Encore convient-il de rappeler que, jusqu’au début du XIVe, il lui faut encore le consentement de ses vassaux pour édicter une mesure à portée générale et que jusqu’à la fin du XVIe, il se heurte à l’activité concurrente des grands seigneurs qui, de leur côté, peuvent être à l’origine d’une véritable législation régionale. Ce n’est donc que tardivement que le roi acquiert le monopole législatif. Celui-ci est-il complet ? Formellement oui, mais dans les faits le roi doit composer d’une part avec des normes jugées supérieures (lois de Dieu et de nature, lois fondamentales), d’autre part avec des normes qu’il rend progressivement subalternes (droit canonique avec l’exigence de la réception et coutumes avec la rédaction) : on sait que la monarchie fait preuve d’une constante timidité à l’égard du droit privé. Elle n’intervient qu’en cas d’abus ou de lacune. En définitive, c’est sans doute parce qu’elle n’a pas su ni voulu instaurer un ordre juridique entièrement neuf qu’elle a continué d’utiliser la solutio legibus. Elle en avait besoin pour faire triompher sa conception de l’autorité publique.
3Quelle forme a donc pu prendre cette solutio legibus qui paraît primordiale ? Peut-on entendre par « délié des lois » : émancipé des règles du droit positif, tant sur le fond que sur la forme. L’étude du processus décisionnel le confirme au plus haut niveau : malgré la persistance de la théorie du conseil, le roi se rend progressivement maître de la décision en écartant tous ceux, personnages ou institutions, qui peuvent l’empêcher de décider souverainement. Ce qui est vrai concernant les procédures l’est autant sur le fond : Bodin l’a fermement établi et l’effectivité des lois fondamentales prête à discussion, au moins à l’échelle de quelques règnes majeurs (Henri III, Louis XIV). Pour être capital, ce n’est là qu’un aspect de la question. Il faut en revenir au roi médiéval, grand promoteur du principe de justice. Quand le roi abolit les mauvaises coutumes, c’est-à-dire des règles coutumières en vigueur, il fait œuvre de justice et ne néglige pas le domaine pénal, intervenant dans le domaine des pénalités ou de la procédure (on songe bien sûr à l’abolition du duel judiciaire).
4Si le monarque lui-même éradique d’abord certains usages en faisant droit aux plaintes qui lui sont présentées par ses sujets, la justice royale ne tarde pas à prendre le relais : à l’occasion des procès qui lui sont soumis, elle supprime les mauvaises coutumes. Recueillant ainsi une partie des prérogatives absolues du monarque qu’ils représentent (J. Krynen), les hauts magistrats et en particulier les conseillers des cours souveraines imposent une conception centralisée de la justice qui repose sur l’édiction et la mise en œuvre de règles dérogatoires à l’ordre coutumier, ayant notamment pour conséquence de consommer le naufrage du droit pénal coutumier (B. Schnapper). Si la justice retenue peut passer pour l’expression privilégiée de l’absolutisme du monarque, spécialement sa justice personnelle qui s’inscrit de plus en plus dans un registre pénal (ou politico-pénal), n’y a-t-il pas des traces de cet absolutisme dans la justice réglée, en particulier au criminel où les magistrats disposent de larges pouvoir (l’arbitraire des juges). Y a-t-il eu communication des pouvoirs absolus du roi aux juges (ce que soutient implicitement Jacques d’Ableiges au XVe) ? La magistrature en est-elle consciente ? Le revendique t-elle ? En est-il question dans la littérature doctrinale ? L’arbitraire est-il la manifestation judiciaire de l’absolutisme ? Y a-t-il finalement une cohérence générale, un système absolutiste à l’échelle de la justice pénale ? Autant de questions qui pourraient être soulevées à l’occasion de cette table ronde.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Éric GOJOSSO
Directeur de l’Institut d’Histoire du Droit (EA 3320),
Doyen de la Faculté de droit et des sciences sociales