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L’accès à la Cour de cassation des esclaves et des libres de couleur : l’élargissement du principe de gratuité de la justice (Monarchie de Juillet)
Par Adrien LAUBA
Publication en ligne le 25 juillet 2019
Table des matières
Texte intégral
1Puissance coloniale esclavagiste en 1789, la France l’est encore lors de la révolution de février 1848 d’où naît la Deuxième République1. Pourtant, dans l’intervalle, l’esclavage des Noirs a été aboli par la Convention le 16 Pluviôse an II. Elle « déclare [en effet] aboli l’esclavage
2esclavage
3
la Révolution est finie ! 2344Recroquevillée sur elle-même la société coloniale obtient du pouvoir exécutif l’application sélective des lois françaises, l’adoption de textes particuliers à l’Outre-mer et surtout la restauration de l’ensemble de la législation d’Ancien Régime de l’esclavage. On entend au fond promulguer les codes napoléoniens « avec les distinctions constituant essentiellement le régime colonial [et notamment] réserver la condition d’esclave »5. L’édit royal de mars 1685 touchant la police des îles d’Amérique, le fameux Code noir, demeure donc le corpus de textes de référence6.
5Ainsi, conformément aux articles 30, 31 et 32 : « ne pourront les esclaves être […] experts ou témoins tant en matière civile que criminelle »7 ; « ne pourront aussi les esclaves être parties ni être en jugement ni en matière civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle, sauf à leur maître d’agir et de défendre en matière civile et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été commis contre leurs esclaves » ; mais « pourront les esclaves être poursuivis criminellement, sans qu’il soit besoin de rendre leur maître partie, sinon en cas de complicité : et seront les esclaves accusés, jugés en première instance par les juges ordinaires et par appel au conseil souverain, sur la même instruction et avec les mêmes formalités que les personnes libres ». De la sorte, abandonné au fond de l’aven du déni de la pleine personnalité juridique l’esclave ne peut pas obtenir que sa cause soit entendue en justice. En outre, l’article 9 de l’ordonnance du 4 juillet 1827 précise qu’ « il n’y a lieu, pour les esclaves, qu’au recours à la clémence du roi ». Et pourtant, comme n’importe quel autre individu, ils peuvent être traduits devant les juges et condamnés à des peines sévères allant bien souvent jusqu’à la mort8. Ainsi, malgré les progrès accomplis par la codification napoléonienne et un certain libéralisme initié par la Charte constitutionnelle du 4 juin 18149 (repris par celle du 14 août 1830), la situation du justiciable de couleur n’a pas foncièrement changée depuis la fin du XVIIe siècle : les Noirs demeurent privés de la possibilité de former un recours pour faire cesser une situation qui leur fait grief. Or comme le proclamait en 1793 Cambacérès, « la justice n’est-elle pas la première dette du corps social ? ».
6Les libres de couleur qui regrettaient, déjà en 1789, c’est-à-dire avant l’abolition de la Convention, que ne leur soit pas appliquée la « Déclaration des droits de l’homme blanc et du citoyen blanc »10 réclament l’assimilation pure et simple et ferraillent dur contre la Restauration et la Monarchie de Juillet11. Or en décembre 1823, la découverte, en Martinique, par le mulâtre Bissette de deux brochures en faveur de l’égalité, légalement publiées en France, déclenche toute une procédure qui s’aggrave d’une accusation de complot tendant à établir que Bissette et ses comparses auraient tenté d’organiser une insurrection d’esclaves sur l’île12. Poussés à bout, les mulâtres ne vont-ils pas bientôt s’allier aux esclaves et tenter, par la force, de renverser l’ordre établi ? Lorsque le fils de Philippe Egalité monte sur le trône de ses cousins, le risque est réel. Le nouveau roi dont on présuppose, dans les milieux intellectuels les bonnes intentions, a sans doute en tête le souvenir des événements révolutionnaires. C’est pourquoi le régime agit avec une certaine promptitude. Tout en maintenant l’esclavage, il conserve l’abolition de la Traite13 voulue par Louis XVIII en 181714 et établit l’égalité des libres de couleur en même temps qu’il cherche à favoriser les affranchissements. Diverses lois et ordonnances garantissent effectivement l’assimilation, par exemple en leur donnant le droit de faire des études de médecine et de devenir médecin15, en facilitant les démarches pour prouver la liberté16 ou en supprimant la taxe sur les affranchissements17. Le texte le plus essentiel est sans aucun doute celui du 29 avril 1836 qui revient au principe selon lequel le sol de France affranchit et donne la liberté à tout esclave débarquant en métropole et à ceux qui s’y trouveraient ; c’est ce qu’un contemporain appelle « le miracle du sol français »18.
7C’est dans ce contexte que Gatine, Bissette et Fabien réclament, à la Chambre des députés la possibilité pour les Noirs des plantations de se pourvoir en cassation19. Il faut dire que s’ils obtiennent ce droit, cela implique par voie de conséquence pour eux, qu’ils puissent saisir en amont les juges du fond et interjeter appel. Malgré leur bon vouloir et leur motivation, ils ne parviennent pas à convaincre les parlementaires qui campent sur leur position. D’ailleurs, jusqu’à l’abolition de 1848, sans doute par crainte de se mettre à dos les propriétaires d’Outre-mer et par de-là les changements très ponctuels initiés par Louis-Philippe, il y a une constance dans l’attitude du législateur qui consiste à ne pas remettre en cause de manière significative, les prérogatives des planteurs. Au fond, l’esclave « pauvre de droits subjectifs »20 ne semble pas pouvoir avoir l’espoir de sortir de « l’abîme de la chosalité »21 dans lequel il se trouve. Il n’a de la sorte pas d’autre choix que de prendre acte de sa situation d’incapacité permanente et de sa soumission au bon vouloir du maître.
8Le législateur ayant déclaré forfait, c’est finalement la Cour de cassation qui va peu à peu faire évoluer les choses. D’ailleurs, pour Lingendes, dans les « vieilles sociétés, les lois ne peuvent parvenir que peu à peu à opérer quelques modifications sur les mœurs, celles-ci résistent et pour les changer tout à fait, il faut un bouleversement social » ; selon lui, ce bouleversement social ne peut qu’être le fait de la justice22. Rouvellat de Cussas, un ancien conseiller près les cours royales de la Guadeloupe et de la Martinique, considère également que « tout progrès est impossible dans le régime colonial actuel. Où la justice n’est point, la civilisation ne progresse plus »23.
9L’arrêt Antoine du 17 août 183824 permet à la Haute juridiction de poser en principe qu’elle entend désormais également contrôler l’application des lois à l’égard des non-libres. Antoine est un esclave réfugié d’une île anglaise à la Martinique. Sur le sol de la colonie française il est donc un libre de couleur. Il est traduit devant la cour d’assises de Fort-Royal qui le condamne à une peine sévère pour un vol mineur commis en réunion avec des esclaves martiniquais. Il forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation. En tant qu’homme libre, il est d’ailleurs le seul à pouvoir contester la décision des magistrats coloniaux. L’affaire qui est ainsi présentée à la Haute juridiction est une aubaine pour elle. Elle entreprend en effet d’examiner également les peines prononcées à l’encontre des autres esclaves. Elle se justifie tout simplement en disant qu’il s’agit de « coauteurs ou complices » d’Antoine. Ceux-ci apparaissent par là même comme des demandeurs indirects au pourvoi dans les affaires les mettant en cause à côté d’hommes libres qui peuvent saisir le juge du droit. La Cour se fonde sur l’ordonnance du 4 juillet 182725 qui permet à un esclave condamné devant une cour d’assises, pour complicité avec un libre, de voir son affaire soumise au contrôle de la Haute juridiction. Elle profite en fait de ce texte pour l’étendre à toutes les situations, qu’il y ait ou non saisine préalable d’un libre. Elle arrête ainsi de refuser aux esclaves « les droits du citoyen… [et] les droits de l’homme »26 ; elle en profite pour ouvrir les salles d’audiences à tous les Noirs sans distinction de leur statut et quel que soit le degré de juridiction. Cela ne veut cependant pas dire pour autant que les juges du fond seront systématiquement diligents et objectifs dans leur prise de décision, mais cela a au moins le mérite de permettre aux hommes de couleur de se tourner, en usant des voies de recours, du côté des juges du droit désormais acquis à leur cause.
10Mais il ne suffit pas que le droit d’agir en justice leur soit reconnu ; encore faut-il que celui-ci soit effectif en pratique. En effet, comme en métropole, malgré le principe de gratuité de la justice27, il reste à la charge du plaideur divers frais ou dépens28 c’est-à-dire « des sommes déboursées ou des dépenses faites ou à faire à l’occasion d’un procès »29, lesquelles peuvent d’ailleurs s’avérer particulièrement importantes. De la sorte, bien qu’il soit communément admis que « la justice est une si belle chose qu’on ne saurait trop cher l’acheter »30, il faut se rendre à l’évidence : les procès coûtent cher, à raison des frais de procédure, des droits divers dont il faut s’acquitter et des honoraires des avocats. Ainsi, par delà les changements organisationnels et institutionnels initiés depuis la Révolution, les choses n’évoluent pas réellement concernant l’accessibilité du justiciable au juge, ni avec le Consulat et l’Empire, ni même d’ailleurs avec la Restauration et la Monarchie de Juillet. Pourtant dans un ouvrage qui paraît en 1820, le philosophe Bentham dont l’influence est grande en Europe propose même d’accorder une récompense à tous ceux qui font des procès car, dit-il, celui qui fait triompher le droit, ne fût-ce que dans sa personne, rend service à l’humanité31. Néanmoins, les régimes qui suivent immédiatement la Révolution semblent particulièrement avares lorsqu’il est question de doter leur système judiciaire32. Aussi, en dépit du principe de l’égalité de tous devant la loi, les justiciables les moins fortunés, se trouvent-ils, bien souvent, dans l’impossibilité matérielle de faire valoir leur droit en justice de telle sorte qu’en ce début de XIXe siècle, le principe de gratuité doit être regardé, en France et Outre-mer, comme limité33 ; il s’agit en quelque sorte d’un desideratum dont on peut difficilement affirmer qu’il est totalement satisfaisant.
11En somme, maintenus dans une grande misère, y compris en ce qui concerne les libres de couleur (esclaves affranchis ou fils et filles d’anciens esclaves), les Noirs sont extrêmement peu nombreux à pouvoir réunir l’argent nécessaire pour payer les frais résultant d’une procédure. Ce qui fait dire à Schoelcher : « Ah ! Si tous les esclaves cruellement opprimés là-bas avaient assez d’argent et de persévérance pour venir demander justice ! »34.
12Les colons profitent de la situation car si par un heureux hasard un Noir parvient à disposer des fonds indispensables pour intenter une action en premier ressort, ils espèrent bien que les moyens lui manqueront pour interjeter appel ou former un pourvoi en cassation. Ainsi, sans scrupule aucun, les propriétaires d’esclaves n’hésitent pas à multiplier les recours pour faire durer la procédure et conserver par de vers eux, le plus longtemps possible, les esclaves ou les mères et enfants d’affranchis. Ils savent de surcroît que les juridictions coloniales (en particulier du second degré) composées en majorité de créoles leur donnent fréquemment raison. Il convient également de relever qu’en métropole, si la Cour de cassation ne leur est pas vraiment favorable, ils peuvent espérer, que la cour de renvoi contredise la Haute juridiction. L’expérience leur a en effet montré que les magistrats bordelais et nantais par exemple, sans aucun doute plus sensibles à la cause négrière que quiconque en France, font traîner les affaires et refusent même parfois de se plier aux prescriptions de l’autorité hiérarchique. Les colons espèrent au fond qu’en multipliant les obstacles et en les obligeant à dépenser toutes leurs économies dans une procédure longue et ruineuse, les esclaves et les libres de couleur finissent non seulement par se décourager, mais aussi par abandonner faute de moyens. Il y a en définitive de multiples dérives qui auraient desservi la cause de la liberté et méconnu le principe de gratuité de la justice si la Haute juridiction n’était pas intervenue.
13C’est en effet dans ce contexte que les juges du droit se laissent convaincre par des procureurs généraux, hommes de cœur et humanistes, particulièrement persuasifs. Ensemble, ils mettent en avant le droit naturel, la dignité, la liberté et l’égalité. Au fur et à mesure des espèces qui leur sont soumises, ils donnent Outre-mer toute son effectivité au principe de gratuité de la justice. Ils assouplissent en effet peu à peu les conditions d’accès au juge en permettant aux justiciables Noirs les plus pauvres (quasiment tous) de former un pourvoi en cassation sans qu’ils n’aient à payer quoi que ce soit. Ils participent donc ni plus ni moins à l’amélioration du sort réservé à l’esclave et aux libres de couleurs en ouvrant en grand les portes du Temple de Thémis.
14La Cour de cassation agit concrètement en deux étapes successives et complémentaires : d’abord, elle met les dépens systématiquement à la charge des maîtres (I) ; ensuite, elle ne contraint plus les justiciables Noirs à consigner l’amende pour former un pourvoi en cassation (II). Les esclaves et libres de couleur se trouvent ainsi déchargés du poids financier que peut représenter un procès puisqu’ils n’ont presque plus rien à payer pour faire reconnaître leur droit en justice.
I – Suppression du risque de la condamnation aux dépens
15Il est entendu que saisir le juge coûte cher et que la justice est onéreuse dès la première instance. Or, à l’époque, il n’existe pas, comme aujourd’hui, un système d’assistance judiciaire. Les justiciables de métropole et des colonies doivent donc payer sur leurs propres deniers les frais de justice ainsi que les dépens. Afin de contourner le risque de la condamnation aux dépens qui peut dissuader les Noirs de saisir le juge pour faire cesser une situation qui leur fait grief, malgré l’opposition des juges du fond qui font feu de tout bois pour maintenir une situation qui tourne à l’avantage des colons (A), la Cour de cassation fait preuve, dans un arrêt essentiel du 3 juillet 1838, d’un certain humanisme en laissant systématiquement ces dépenses à la charge du maître et ce, qu’il ait ou non perdu son procès (B). L’objectif est avant tout de décourager les planteurs de multiplier les recours tout en incitant les Noirs à saisir le juge sans prendre le risque d’avoir peut-être à payer des sommes importantes si l’issue de l’affaire leur est défavorable.
A. Opposition des juges du fond
16En 1834, le mulâtre Paul, appartenant au sieur Gouyer, mais se croyant libre de fait c’est-à-dire affranchi par son ancien maître, un dénommé Poulet, s’adresse au procureur du roi de Fort Royal pour obtenir un titre légal de liberté. Il obtient l’inscription provisoire sur les registres de l’État civil35, mais avant que le titre régulier ne lui soit remis, Gouyer forme opposition. Celui-ci se justifie en apportant un acte de vente prouvant que l’esclave lui appartient toujours et qu’il n’a en conséquence pas été affranchi par son ancien maître. Malgré le soutien du ministère public envers l’esclave qui le défend comme partie principale36, le tribunal de première instance valide l’opposition et interdit qu’aucun acte d’affranchissement soit délivré à Paul. Le juge estime en effet que l’esclave n’a pas été en mesure de prouver son affranchissement, celui-ci n’ayant pas pu remettre d’acte attestant de sa mise en liberté. En outre, sur la question des dépens, ledit tribunal déclare n’y avoir pas lieu à les mettre à la charge de la Caisse coloniale ce qui revient, implicitement, à les faire supporter par le seul propriétaire.
17Sur l’appel principal du ministère public et l’appel incident de Gouyer au chef que ses conclusions à fin de dépens ont été rejetées, Paul produit un titre d’affranchissement. Mais la signature apposée sur celui-ci n’est pas authentifiée par les héritiers de l’ancien maître (le sieur Poulet). Une enquête est alors ordonnée, mais la vérification d’écriture n’est pas favorable au Noir. C’est pourquoi le 13 août 1836, la Cour royale de la Martinique confirme au principal le jugement et statue sur l’appel incident en mettant les dépens à la charge de la Caisse coloniale. Le procureur général forme alors un pourvoi en cassation sur ce dernier chef seulement en ce que le ministère public, quand il agit comme partie principale dans l’intérêt de la loi et pour son exécution, ne peut jamais (ni lui ni le Trésor) être condamné aux dépens. Il se fonde sur la violation des articles 117, 118, 119 et 120 du tarif des frais en matière criminelle37 et la mauvaise application de l’article 130 du Code de procédure civile38. Pour lui, ayant agit devant le tribunal de première instance et la Cour royale dans l’intérêt de la morale et de la société, les dépens n’auraient pas dû être mis à la charge de la Caisse coloniale.
B. Réaction de la Haute juridiction
18La Cour de cassation casse l’arrêt39 et rappelle que : « attendu qu’il est de principe que toutes les fois que le ministère public agit comme partie principale dans l’intérêt de la morale et de l’ordre public, dans celui des lois et pour leur exécution, le Trésor ne peut être condamné aux frais. Attendu que le ministère public, chargé par les lois de poursuivre la rectification des actes d’état civil à l’égard des hommes de couleur, libres ou esclaves, lorsqu’ils y ont intérêt et de soutenir leur demande en liberté, lorsqu’ils sont dans le cas de réclamer, agit ainsi au nom de la morale et de la société, qui sont intéressées à ce qu’un homme qui a droit à la liberté voit son état assuré et ne soit pas retenu en servitude. Attendu que tel étant, dans l’espèce, le caractère de l’action intentée par la ministère public, les dépens faits par Gouyer, quoiqu’il eût succombé (le ministère public), ne devaient pas tomber à la charge de la Caisse coloniale, qui n’était d’ailleurs pas en cause et qu’en le condamnant à les payer, la cour royale de la Martinique a violé les articles précités du tarif, homologué dans la colonie et faussement appliqué l’article 130 du Code de procédure civile. Par ces motifs, la cour casse et annule ledit arrêt rendu par la cour royale de la Martinique, le 13 août 1836 contre lequel le pourvoi a été dirigé ; et, dans le chef attaqué par ce pourvoi, remet les parties au même état où elles étaient avant ledit arrêt et pour leur être fait droit, les renvoie devant la cour royale de la Guadeloupe ; ordonne la restitution des sommes qui auraient pu être payées en vertu de l’arrêt ci-dessus annulé ». La Haute juridiction rappelle ainsi le principe selon lequel, lorsque le ministère public agit comme partie principale, dans l’intérêt de la morale et de l’ordre public, dans celui des lois et pour leur exécution, le Trésor ne peut être condamné aux frais, bien que l’action engagée par le Parquet soit repoussée. Il s’agit d’un principe de droit public40.
19La demande de Paul visant à obtenir la reconnaissance en droit de sa liberté aurait, en toute logique, dû être analysée comme une matière relevant de l’intérêt individuel ou privé. Mais, faisant fi du caractère personnel de cette demande, dans l’intérêt du demandeur, la Cour de cassation opère un glissement en la rattachant artificiellement à une question d’intérêt public. Cela implique ainsi que le procureur du roi, normalement chargé des matières relatives à la rectification des actes d’état civil, soutienne sans avoir à assumer aucun risque quant aux dépens, les demandes en liberté des esclaves ou des libres de couleur. Comme le relève Magaret Tanger, la Haute juridiction fait montre, en l’espèce, pour la bonne cause, d’une interprétation très largement extensive du premier article de l’ordonnance du 12 juillet 1832 qui retient que le procureur du roi reçoit les déclarations d’affranchissement et en assure la publicité par voie d’affichage et d’insertion41.
20Au fond, en se référant à la morale et à l’intérêt de la société « à ce qu’un homme qui a droit à la liberté voit son état assuré et ne soit pas retenu en servitude », la Cour de cassation fait feu de tout bois pour donner aux gens de couleurs qui se tournent vers elle la liberté à laquelle ils aspirent42.
21L’intérêt de l’affaire Gouyer ne se situe pas seulement là. En l’espèce, l’affranchissement de Paul n’est pas confirmé par la Haute juridiction de telle sorte qu’il est maintenu en servitude. En revanche, son arrêt a le mérite de poser en principe que malgré l’article 130 du Code de procédure civile, en matière de liberté, c’est toujours le propriétaire qui doit assumer les dépens quand bien même il gagnerait. De la sorte, concernant les esclaves comme Paul, en raison de leur insolvabilité (systématique et permanente), cette décision permet, quelle que soit l’issue d’une affaire, de rémunérer les auxiliaires de justice et de payer les divers frais de procédure. Ils lèvent ainsi un obstacle essentiel à la saisine des juridictions en vue de faire proclamer la liberté d’un esclave. Quant aux libres de couleur dont elle veut promouvoir l’égalité de traitement, il s’agit là bien évidemment d’une décision de bon sens visant à ne pas les écraser, bien qu’ayant perdu un procès, non seulement sous le poids de la déception, mais également sous celui des frais et dépens, lesquels peuvent s’avérer relativement importants. Elle présente également pour les Noirs, quels qu’ils soient, l’avantage de ne pas les dissuader dans leur intention d’obtenir satisfaction devant le juge, eu égard à un hypothétique risque d’avoir à payer, pour le cas où ils succomberaient, les frais et dépens liés au procès. En d’autres termes, il est incontestable qu’indirectement, cette jurisprudence est bienveillante car elle élargit la portée du principe de gratuité de la justice.
22Elle présente en outre l’intérêt de dissuader les colons par trop procéduriers et d’inciter les accords à l’amiable. C’est notamment le cas en 1845 en Martinique43. Un grand-père, libre de couleur et qui vient d’acheter son petit fils a l’intention de saisir le juge afin d’obtenir de lui la libération de la mère de l’enfant. Ayant été informé du projet du vieil homme, le propriétaire de la mère décide spontanément de l’affranchir. Celui-ci n’a visiblement agit sans aucune générosité particulière ; il craignait simplement d’engager des frais par trop importants dans un procès dont l’issue était acquise d’avance à la cause du jeune Noir et de sa mère. En effet, durant la Monarchie de Juillet, la Cour de cassation prend toute une série d’arrêts dans lesquels, en s’appuyant sur l’article 47 de l’Edit de mars 168544, elle prend fait et cause, souvent contre les juges du fond, pour éviter la dispersion des familles d’esclaves. En portant cet article « à sa plus haute puissance morale et rationnelle », elle estime qu’il est applicable non seulement au cas de vente, mais également au cas d’affranchissement sans les enfants et vice versa45, ainsi qu’aux legs.
23L’intention bienveillante de la Haute juridiction à l’égard des esclaves et des libres de couleur transparaît manifestement à travers l’arrêt Gouyer de 1838 et les décisions qui suivent. Il faut peut-être relativiser quelque peu les choses, car il est possible que les hauts magistrats aient cherché à ménager l’opinion publique créole ainsi que les finances de la Caisse coloniale et corrélativement, celles de la communauté des colons en imposant, qu’en matière de liberté, les frais de justice soient automatiquement supportés par le seul maître quelle que soit l’issue du procès. Il convient, à cet égard, de rappeler que la Caisse coloniale est alimentée par les cotisations des planteurs, propriétaires d’esclaves ou non ; il aurait donc été injuste de sanctionner des colons non responsables de la situation de précarité des Noirs. Par ailleurs, en faisant jouer le pourvoi dans l’intérêt de la loi qui appartient aux procureurs généraux, les hauts magistrats cherchent par-là même à préserver et à développer un moyen efficace leur permettant de contrôler et de sanctionner les arrêts des cours coloniales46, faute pour leurs victimes d’obtenir le certificat d’indigence leur permettant d’agir directement.
24Quoi qu’il en soit, l’autorité centrale va bientôt au-delà de cette jurisprudence « d’avant-garde » en finançant, avec la loi du 19 juillet 1845, le rachat de la liberté de nombreux esclaves entre les mains de leurs propriétaires47. La Cour de cassation a-t-elle joué un rôle moteur dans l’adoption de cette loi ? On peut le penser sans en avoir toutefois la certitude absolue.
25Finalement, en ce qui concerne le principe de gratuité, tel qu’il est appliqué par la Cour de cassation, force est de constater que celui-ci ne concerne, dans un premier temps, que les effets d’un procès infructueux, c’est-à-dire les dépens ; les autres frais demeurent à la charge du justiciable. C’est pourquoi la Haute juridiction s’efforce, dans un second temps, d’étendre sa jurisprudence bienveillante.
II – Suppression de la consignation préalable au pourvoi
26Il importe de préciser que la saisine de la Haute juridiction impose des dépenses particulières. En effet, le règlement du 28 juin 1738 sur la forme de procéder devant les conseils du roi, texte encore en vigueur durant la Monarchie de Juillet pour régir la procédure devant la Cour de cassation, retient que « le demandeur sera tenu de consigner la somme de 150 livres pour l’amende envers sa majesté […] et sera la quittance de consignation jointe à la requête en cassation, sinon ladite requête ne pourra être reçue »48. Cette exigence rigoureuse et absolue a été modifiée par un décret de la Convention nationale le 8 juillet 1793 puis par une loi du 14 Brumaire an V qui porte la somme devant être consignée à 165 francs et qui ordonne « la stricte observation du règlement ».
27Néanmoins, ce même texte précise que « les citoyens indigents n’ayant pas la faculté de consigner l’amende en sont dispensés sous la condition de présenter un certificat qui constate leur indigence »49. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’un système d’assistance judiciaire tel que nous le connaissons aujourd’hui, celui-ci a toutefois le mérite de permettre aux justiciables les moins fortunés de ne pas avoir à se démunir d’une somme qui pourrait leur être utile pour s’acquitter d’autres frais ou se procurer des fonds qu’ils n’ont pas. Autrement dit, saisir le juge du droit n’engendre pas, a priori, pour eux de dépenses supplémentaires. Les esclaves et les libres de couleur doivent donc Outre-mer, solliciter ces officiers d’état civil. Or ceux-ci sont des créoles souvent à la tête de plantations étendues où travaillent pour eux une multitude d’esclaves. Ils sont de la sorte nombreux à mettre peu de zèle dans l’accomplissement de leurs fonctions. Relayés par des juges coloniaux conciliants, les Noirs se trouvent finalement dans l’incapacité de se tourner du côté de la Cour de cassation (A). Celle-ci prend alors fait et cause pour le justiciable de couleur et s’efforce de contrecarrer les effets négatifs du manque de diligence de l’administration et de la justice coloniales (B), ce qui donne au principe de gratuité une certaine effectivité.
A. Résistance de l’administration et de la justice coloniales
28A la fois juge et partie, les administrateurs coloniaux apportent dans leurs fonctions tout leur racisme et font preuve d’une très grande mauvaise foi en contestant l’état de pauvreté des esclaves et des libres de couleur. Or il est bien évident que les Noirs, plus particulièrement les esclaves qui sont dépourvus de revenus, ne peuvent pas réunir les fonds nécessaires pour consigner l’amende et former un pourvoi en cassation.
29Ainsi par exemple, le 6 novembre 1845, saisi en faveur de trois jeunes esclaves de 13, 5 et 3 ans, l’adjoint Bolle motive ainsi son refus : « le maire ne peut considérer comme indigents les mineurs au-dessous de 14 ans. Le mineur sous la tutelle de ses parents reçoit d’eux tous les soins que son âge comporte. Le mineur libéré de l’esclavage est sous la direction d’un patron et n’est pas non plus indigent, puisque le maire, en recevant la déclaration de son affranchissement, reçoit l’engagement, de la part du patron, de pourvoir à tous les besoins de l’enfant libéré. En conséquence, le maire ne croit pas devoir délivrer de certificats d’indigence aux mineurs ci-dessus dénommés »50. L’officier d’État civil Bolle développe donc toute une série d’arguments spécieux pour ne pas avoir à délivrer le fameux sésame. Le maire de Saint-Pierre à la Martinique, le très cynique Gosset, retient même, lorsqu’il est sollicité pour délivrer un certificat à son propre esclave, que « les esclaves ne sont jamais indigents ayant un maître ! »51. On se plaint alors vivement aux procureurs royaux, mais ceux-ci restent trop souvent sourds aux réclamations.
30Dans un jugement de la Cour royale de Saint-Pierre, du 14 novembre 1845, un magistrat condamne néanmoins l’officier d’État civil à remplir son devoir. L’affaire ne concerne pas le refus de délivrance d’un certificat d’indigence, mais celui d’enregistrer un acte d’affranchissement. Il est toutefois intéressant de faire allusion à cette affaire, car elle est tout à fait révélatrice du degré de résistance des colons. En l’espèce, le libre de couleur Célestin, achète au planteur Donneau, sa fille Victoire alors âgée de 12 ans. Pensant se conformer aux prescriptions de l’ordonnance du 11 juin 1839 qui impose l’enregistrement des actes d’affranchissement, Célestin se tourne du côté du maire du Prêcheur, un dénommé Huc, pour obtenir de lui que soit mentionnée sur un registre spécial, la nouvelle situation de la fillette. Il convient de préciser que l’enregistrement n’est pas, dans ce cas, obligatoire, celui-ci étant de droit par le simple fait qu’en achetant sa propre fille mineure alors qu’il est lui-même libre, Célestin lui confère automatiquement sa condition. Huc, qui se garde bien de lui préciser, se contente de lui opposer un refus hautain. Le libre de couleur, réclame alors l’intervention du procureur du roi lequel, à deux reprises, le 25 août et le 22 septembre 1844, requiert malgré le caractère non obligatoire de l’inscription qu’une mention soit néanmoins portée sur le registre d’état civil. Huc, qui fait fi des réquisitions de l’autorité supérieure, maintient de façon péremptoire son refus. C’est ainsi que la Cour de Saint-Pierre le condamne à s’exécuter ainsi qu’à une amende, à des dommages et intérêt et aux dépens52. Il est en effet inconcevable, pour le juge martiniquais, qu’une administration ou un fonctionnaire municipal se croit permis de ne pas faire ce que la loi lui impose.
31Or, force est de constater que Huc n’a pas fait autre chose et que bien de ses homologues en font de même. On peut donc imaginer, comment les maires reçoivent ceux qui viennent solliciter des certificats d’indigence. Ils repoussent tout simplement les demandes et ce, sans s’inquiéter qu’il y ait ou non dans leur refus, un flagrant abus d’autorité. Ils n’ont du reste pas de scrupule à empêcher les Noirs de saisir la justice pour faire cesser des situations pourtant injustes.
32Schoelcher explique ainsi que les esclaves et les libres de couleur se trouvent dans la quasi-impossibilité d’obtenir de tels documents. Il rappelle à cet égard l’affaire suivante. Dans les années 1839, le libre de couleur Julien achète son fils alors âgé de 18 mois au colon Roussel. Six ans plus tard, il demande, au titre de l’article 47 de l’Edit de mars 1685, que la mère, encore esclave, puisse profiter du bénéfice de l’interdiction de la séparation de la mère et de ses enfants. Mais Roussel s’y oppose catégoriquement. Afin d’obtenir gain de cause, Julien saisit la juridiction de première instance et obtient d’elle un jugement favorable. L’affaire est portée, en appel, devant la Cour de la Guadeloupe, laquelle, contre la jurisprudence ordinaire de la Cour de cassation en la matière, infirme le jugement de première instance. Mais le libre de couleur, qui a engagé toutes ses économies dans les deux procès, n’a plus les moyens de former un pourvoi en cassation. Il convient en outre de préciser, que Roussel s’est arrangé avec un ami, propriétaire terrien, pour déloger l’ancien esclave d’un lopin de terre qu’il exploitait afin de le priver de revenu. Ecrasé par le désespoir et se sentant dans l’impasse, Julien meurt quelques semaines plus tard laissant derrière lui son jeune fils racheté quelques années auparavant. Le sieur Botherel, libre de couleur lui-même, accepte la tutelle du garçonnet et s’empresse d’écrire à Pinan, maire des Trois-Rivières, pour obtenir de lui un certificat d’indigence afin de former un pourvoi en cassation au nom de l’enfant. Mais l’officier garde le silence. Le gouverneur est saisi et les faits lui sont rapportés. Bien que celui-ci ait soutenu qu’il tienne à s’occuper personnellement de cette affaire digne d’intérêt, rien n’est fait. Ce n’est qu’au bout de longues semaines et suite aux multiples visites d’un tuteur soucieux du sort de son pupille que, sans doute lassé de voir cet importun dans son cabinet, le haut fonctionnaire finit par donner des ordres : le certificat d’indigence est enfin délivré. Au total, il aura fallu un « peu » plus de 8 mois au vieil homme pour obtenir un simple formulaire. Finalement, la résistance des officiers d’état civil et la lenteur de la réaction d’une administration coloniale conciliante, conjuguées à la multiplication des recours intentés par les propriétaires d’esclaves devant des juridictions souvent acquises à leur cause, font qu’après des mois d’épreuve, la majorité des justiciables Noirs se décourage et renonce.
33C’est le cas de Clémence qui attend en vain une réponse du gouverneur à son appel du 13 janvier 1846 pour contrer le refus du maire de sa localité de lui délivrer un certificat d’indigence53. Elle cherche par ce biais à obtenir du juge sa libération sur la base l’article 47 de l’Edit de mars 1685 puisque son fils impubère a été affranchi quelques mois auparavant. Mais faute de réponse et sans le sou, Clémence abandonne tout simplement.
34Cette situation particulièrement inconfortable dans laquelle se trouvent les esclaves et les libres de couleur ainsi que le manque de sécurité juridique qui les touche émeut les magistrats de la Cour de cassation qui vont intervenir, au besoin en adaptant les règles de procédure.
B. Élargissement jurisprudentiel de la Cour de cassation
35Pétri de générosité l’avocat général Gatine près la Haute juridiction, publie dans la Réforme un véritable plaidoyer qui dénonce publiquement ce problème54. Il explique que « le certificat peut seul ouvrir aux familles noires l’accès de la Cour de cassation. Cependant, il est presque toujours impossible pour elles de l’obtenir. Les maires, presque tous des possesseurs d’esclaves, refusent de le délivrer ». Or l’esclave et le libre de couleur doivent être regardés comme étant en « état d’indigence légale et constatée, indépendamment de tout certificat […]. L’esclave n’est-il pas en état d’indigence constaté par sa condition même ? […] Ce certificat n’est-il pas dans la condition même de l’esclave ? N’est-il pas dans son impuissance de posséder et d’acquérir, dans l’incapacité absolue qui de fait, sinon en droit, aujourd’hui, absorbe et stérilise toutes ses facultés ? […] Et en conséquence, dans les causes de liberté, en Cour de cassation, n’est-on pas dispensé, non seulement de consigner l’amende de 165 francs, mais même de produire un certificat d’indigence ? […] Concluons donc que l’esclave est en état d’indigence légale ou si ces mots outragent la loi, en état d’indigence constatée, indépendamment de tout certificat […] ». Il appelle ainsi la Haute juridiction à aligner la situation des esclaves sur celle des condamnés des cours d’assises, lesquels sont dispensés (en métropole et Outre-mer) de l’obligation de consigner l’amende ou de produire un certificat d’indigence55. En matière criminelle en effet, le condamné par un jury populaire en assises à mort ou la prison n’est pas assujetti à l’amende ou au certificat d’indigence lorsqu’il se pourvoit en cassation ; c’est là un principe de bon sens que le droit de la défense implique56. Ainsi, par analogie, selon Gatine, « l’esclave, ce condamné de la loi civile, enchaîné au travail sans salaire, doit pouvoir aussi revendiquer sa liberté sans plus d’entraves, avec les mêmes immunités. Les positions sont pareilles, en ce sens que dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’un droit de l’homme dont la défense ne peut échouer devant des fins de non-recevoir, devant des obstacles de procédure ou de fiscalité civiles »57.
36Le 9 août 184658, la Chambre des requêtes doit se prononcer sur la difficulté dans l’affaire d’un enfant nommé Anténor devenu libre et réclamant, comme conséquence de sa liberté, que sa mère Marie-Noël restée esclave, soit libérée (conformément à l’article 47 de l’édit de mars 1685). Après avoir obtenu gain de cause en première instance, le jeune garçon échoue devant la cour royale de la Martinique qui infirme le jugement rendu. Pour se pourvoir en cassation, son tuteur, demande que lui soit remis un certificat d’indigence afin qu’il soit dispensé de consigner l’amende de 165 francs, somme qu’il est incapable de verser. Mais le maire de Saint-Pierre n’accède pas à sa réclamation. Le tuteur qui ne se démotive pas par ce refus tente le tout pour le tout. Il forme en effet un pourvoi en cassation et pour suppléer à ce certificat, il joint à son recours une attestation signée de plusieurs habitants dans laquelle ceux-ci témoignent que Marie-Noël est dans « l’indigence la plus extrême ». Les signatures sont « légalisées » ou authentifiées par le maire, mais celui-ci porte au bas du document la mention suivante : « le maire ne connaissant pas dans quelle position sociale se trouve la personne ci-dessus dénommée, ne peut attester de son état d’indigence ».
37La question qui se pose alors à la Haute juridiction est celle de la recevabilité de ce document en lieu et place du certificat exigé par la loi. Traditionnellement la Cour a sur ce point une jurisprudence plutôt sévère se retranchant derrière le Code de procédure civile qui impose le rejet pur et simple du pourvoi.
38Mais, l’avocat-général Chégaray, interpelle les hauts magistrats en espérant les émouvoir eu égard à une situation très particulière qui implique de leur part, un assouplissement dans leur jurisprudence. Pour lui en effet, « il est déplorable de voir un maire, un fonctionnaire nommé par le roi faire cet usage de son autorité, déclarer qu’il ignore la position sociale de qui ? d’un esclave ! au lieu de s’enquérir et de rechercher les faits »59. Suivant son réquisitoire, à l’unanimité, la Chambre des requêtes se prononce, contre la décision de la cour royale de la Martinique, pour l’admission du pourvoi et donc pour la recevabilité de l’attestation sus évoquée. Il s’agit certes en l’espèce d’un revirement de jurisprudence, mais celui-ci ne concerne que des situations coloniales dans lesquelles des esclaves ou des libres de couleurs sont impliqués. L’hostilité quasi systématique des fonctionnaires créoles envers les esclaves, explique ni plus ni moins cette prise de position.
39A partir de 1847, la Haute juridiction va plus loin encore puisqu’elle se déclare résolue à tout simplement se passer des certificats d’indigence dont les maires des colonies refusent avec cynisme la délivrance. En effet, le 27 avril60, elle admet treize pourvois contre des arrêts des Cours royales de la Guadeloupe et de la Martinique sans que l’amende ne soit préalablement consignée et sans que des certificats d’indigence ne soient délivrés. L’admission a été prononcée sur le rapport de Pataille et sur les conclusions de l’avocat général Chégaray. La Haute juridiction rend par-là même incidemment effectif le principe de gratuité du pourvoi en cassation pour l’esclave et le libre de couleur. Il est intéressant de noter que l’esprit des Lumières semble donc bel et bien avoir gagné les hauts magistrats parisiens car comme le souligne Shoelcher, Chégaray fait fi de toute autre considération que le bien être des Noirs car il condamne avec véhémence les jugements de magistrats créoles dont quelques uns sont, pour lui, des amis proches61.
40On pourrait néanmoins relativiser cet élan de générosité. Des sondages ciblés, dans la jurisprudence des dernières années de la Monarchie de Juillet, n’ont pas permis de déterminer si les juges du droit ont admis les recours des Noirs, en l’absence de certificats d’indigence, dans d’autres espèces que celles qui mettent en cause la liberté. En effet, dans les treize affaires sus évoquées, il est question de revendications de liberté, intentées soit par des mères affranchies qui demandent que leurs enfants restés esclaves leur soient rendus, soit par des enfants affranchis réclamant leurs mères ou leurs frères et sœurs retenus en servitude. Or dans des affaires ne mettant pas en jeu la liberté, il semble que les juges du droit qui font preuve de beaucoup moins de souplesse vis-à-vis des règles de procédure, continuent à exiger la consignation de l’amende et la délivrance des fameux certificats d’indigence. L’analyse de la jurisprudence n’a pas permis de déterminer avec certitude si cette différence de traitement est bien réelle et dans l’affirmative, si elle obéit à une ligne de conduite particulière. Les enjeux liés à la liberté pourraient sans aucun doute expliquer cette éventuelle distinction, d’autant plus que les Noirs saisissent essentiellement (pour ne pas dire systématiquement) la Cour de cassation d’espèces concernant cette matière.
41Finalement, la jurisprudence de la Haute juridiction élargit considérablement le principe de gratuité et le rend quasi-général lorsqu’il s’agit d’actions intentées par des Noirs, esclaves ou libres. Elle va ainsi beaucoup plus loin que ce qu’elle fait, au même moment, pour les affaires métropolitaines puisque ce philanthropisme dont font preuve les juges du droit ne concerne que les Noirs des colonies. Ils ne prennent effectivement pas fait et cause pour les indigents de métropole se contentant d’appliquer strictement la législation positive et se réfugiant derrière le Code de procédure pour continuer à exiger de tous les justiciables, riches ou moins riches, blancs ou pas, le paiement des frais de justice et des dépens. Cette différence d’attitude en faveur des esclaves et des libres de couleur s’explique indiscutablement par la nature de la quasi-totalité des demandes, puisque celles-ci concernent presque toujours une noble cause, la liberté. Il faut dire que pour des hommes qui ont pour quelques-uns connu la Révolution dans leur jeunesse, qui gravitent dans les milieux intellectuels plus ouverts au progrès et qui ont été marqués par les Lumières qui traversent le siècle, la situation d’extrême précarité dans laquelle se trouvent les Noirs des colonies ne peut qu’être scandaleuse et méprisable. Dans leur esprit, il faut ainsi promouvoir l’émancipation des esclaves et faciliter l’insertion des libres de couleur dans un monde ultramarin particulièrement rétrograde. La Cour de cassation entend au fond donner le premier élan vers l’abolition totale et définitive en mettant peu à peu le législateur aux prises avec sa conscience.
42En ce qui concerne la métropole, ce n’est que quelques années après l’abolition de l’esclavage, en 1851, que le législateur finit par se pencher sur cette question de la gratuité en donnant naissance à l’assistance judiciaire. Il est intéressant de remarquer, qu’ayant mis fin à l’esclavage en 1848, les Noirs se trouvent finalement sur un pied d’égalité avec tous les justiciables. Ainsi, durant une courte période de près de trois ans, ils sont à nouveau dans une situation fort inconfortable. Affranchis par la loi et délaissés par des maîtres désormais peu soucieux de leur sort, les gens de couleur demeurent particulièrement pauvres. Rares sont ceux qui en si peu de temps sont parvenus à faire fortune ; la plupart vivote. En fait, en abolissant l’esclavage, la raison d’être de la jurisprudence protectrice de la Cour de cassation, donnant naissance à une situation exorbitante du droit commun, n’existe plus. D’ailleurs, dans la mesure où il n’y a plus de maîtres, ceux-ci ne sont plus susceptibles de prendre systématiquement à leur charge les dépens. Ainsi, entre 1848 et 1851, comme n’importe quel justiciable de France et des colonies, les hommes de couleur doivent s’acquitter des frais de justice quels qu’ils soient et payer eux-mêmes les dépens. Ils semblent en effet ne plus pouvoir bénéficier des avantages octroyés par la Haute juridiction. Le juge du droit paraît alors se désintéresser de leur sort. Il n’en est rien en réalité, mais la nature des demandes ne concernant plus sa liberté, l’enjeu est sans aucun doute jugé moins digne d’intérêt.
43Ainsi, ce n’est qu’avec la création de l’assistance judiciaire en 1851 que, comme n’importe quel indigent, ils peuvent à nouveau espérer pouvoir saisir le juge. Le 22 janvier en effet, bienveillant à l’égard des pauvres, le législateur adopte un texte prévoyant une prise en charge des frais de justice. Pour autant, les difficultés persistent. L’inégalité n’est effectivement pas véritablement supprimée, de nombreux frais restant à la charge du justiciable, quel qu’il soit.
44En outre, les réformes pratiques qui verront le jour depuis le milieu du XIXe siècle ne diminuent pas véritablement le prix d’un procès, loin sans faut. Pendant longtemps, l’objectif des pouvoirs publics n’est pas de faire baisser le nombre des affaires et la charge des magistrats, il est surtout d’assurer une sorte « d’autofinancement » de la justice. Ainsi par exemple, en 1875, le Parlement élève dans des proportions considérables les droits d’enregistrement en justice de paix. Une mesure inique parmi d’autres qui ne frappe bien évidemment que les plus pauvres des citoyens accentuant par là même l’inégalité entre les justiciables. Les frais de justice restent bien trop lourds pour les plus modestes dont les Noirs des colonies, alors même que par le biais des taxes judiciaires la justice ne représente pas véritablement une charge importante pour l’État.
45Aujourd’hui, l’accès à la justice est considéré comme le corollaire de l’égalité des droits car comme l’enseignait jadis Saint Louis, il faut faire « droiture et justice à chacun, tant aux pauvres comme aux riches »62. D’ailleurs, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 selon laquelle les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit est intégrée au bloc de constitutionnalité. Aussi, la loi ne doit-elle comporter aucune exclusion puisqu’elle est censée s’appliquer à tous indifféremment. A cet égard, l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme du 4 novembre 195063, en posant dans l’Union européenne le droit à un procès équitable suppose, pour les États qui l’ont ratifiée (c’est le cas de la France en 1974), l’obligation de rendre effectif le droit de toute personne physique ou morale, française ou étrangère, d’accéder à la justice. Saisir le juge implique notamment que le justiciable n’y soit pas empêché pour des raisons financières, d’où la mise en place, dans chaque État membre d’un système d’aide judiciaire ou juridictionnelle64. Or, malgré les efforts de l’État providence et les prescriptions européennes, il apparaît que l’égalité n’est pas pleinement effective en France : le principe de gratuité a certes gagné en effectivité, mais la justice n’en demeure pas moins un service coûteux auquel tous les citoyens ne peuvent pas avoir accès65. C’est pourquoi l’article 700 du Code de procédure civile66 permet au juge de faire supporter à la partie perdante une fraction des frais non compris dans les dépens, dont les honoraires de l’avocat adverse, s’il lui « paraît inéquitable de lui en laisser la charge ». Pour les autres frais qui constituent les « dépens », ceux-ci sont en principe à la charge de la partie perdante. La loi du 30 décembre 1977 relative à la gratuité des actes de justice devant les juridictions judiciaires67 et administratives a en outre tenté de réduire le prix des procès, notamment en laissant à la charge de l’État le coût d’un certain nombre de formalités de procédure68 telle que la délivrance des copies, des extraits et des grosses des décisions de justice. Le 10 juillet 1991, sur la base du texte du 22 janvier 1851, a de surcroît été créée l’aide juridictionnelle ou aide juridique, pour venir en aide aux justiciables les plus démunis. Cette aide est en effet accordée pour tous les types de procès (civil, pénal, administratif) quelle que soit la nature de la procédure engagée (recours contentieux portés devant les tribunaux ou gracieux adressés à l’autorité qui est à l’origine de la décision contestée…), qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur, à tous les individus (français, ressortissants de l’Union européenne et étrangers résidant habituellement et régulièrement en France) ainsi qu’aux associations, dès lors que leurs ressources sont insuffisantes. Cette aide n’est cependant pas la panacée car une frange de la population dont les revenus demeurent modestes, mais supérieurs au plafond réglementaire, est obligée de faire l’avance de provisions parfois élevées, qui sont de nature à les dissuader de faire valoir leur droit tant en demande qu’en dé-fense . Par ailleurs, pour financer l’accroissement de son coût suite à la réforme de la garde-à-vue du 14 avril dernier (100 millions d’euros contre 15), le Parlement réfléchit actuellement à la création d’une nouvelle taxe judiciaire. Ainsi, avant toute saisine, le justiciable sera au préalable tenu d’acheter un timbre fiscal d’une trentaine d’euros. Si ceux qui ont déjà accès à l’aide juridictionnelle en seront d’office exemptés, les autres dont les revenus restent pourtant peu élevés devront néanmoins s’en ac-quitter faute de pouvoir faire entendre leur droit en justice. Le procédé risque finalement d’en dissuader plus d’un.
46Au fond, malgré les principes constitutionnels, la pleine égalité des droits n’est pas encore, à l’heure actuelle, totalement réelle parce que la gratuité de la justice n’est pas totalement effective. Le sera-t-elle demain ? Il est bien difficile de le dire même si les réformes de ce début de XXIe siècle ne permettent pas d’envisager l’avenir sous les meilleurs auspices. Quoi qu’il en soit, il est essentiel de rappeler que la justice a jadis été gratuite. C’était durant la Monarchie de Juillet et dans un domaine limité : la liberté des Noirs des colonies et l’intégration des libres de couleur dans la société du temps.
Notes
1 Il convient de préciser qu’au lendemain de l’Empire qui a abandonné les veilles colonies de plantation à leur triste sort, celles-ci se trouvent, au début de la Restauration, déchues de leur primauté ancienne et subissent de plein fouet une grave crise. Le sucre de betterave comblant un tiers de la consommation française, il a trop de sucre. Le maintien de l’Exclusif mitigé et de l’interdiction de raffinage empêchent en outre les îles de rechercher de nouveaux débouchés. Cf. MARTIN (J), L’empire renaissant (1789-1871), Paris, Editions Denoël, 1987, pp. 17 à 85 ; BLET (H), Histoire de la colonisation française, Paris, Arthaud, 1946, tome II (Les étapes d’une renaissance coloniale 1789-1870), pp. 9s
2 BENOT (Y), La démence coloniale sous Napoléon
3 Loi du 30 Floréal an X, article 1er : « dans les colonies
4 NYS (E), « L’esclavage noir devant les juristes consultes et les cours de justice », in. Revue de droit et de législation comparées, I, n°22, 1896, p. 272.
5 Arrêté du 7 novembre 1805, article 2. Cf. DURAND-MOLARD, Code la Martinique, Saint-Pierre, sn., 1814, tome V, p. 75.
6 Cf. SALAA-MOLINS (L), Le Code noir ou le calvaire de Canaan, Paris, PUF, 2002.
7 Avant même qu’elle n’œuvre pour permettre aux esclaves d’ester en justice (cf. Infra) et pour rendre le principe de gratuité pleinement effectif Outre-mer, la Cour de cassation a peu à peu admis le témoignage des esclaves en justice ; il s’agissait sans aucun doute d’une première étape essentielle vers l’accès au juge. Sur ce point, cf. LAUBA (A), « Le contrôle des juges coloniaux par la Cour de cassation : un rôle de modération en faveur de l’esclave (Restauration et Monarchie de Juillet) », dans le cadre du colloque sur Les fonctions du contrôle organisé par les Facultés de droit de Poitiers et de Nimègue, Poitiers, 4 et 5 juin 2010, actes à paraître en 2011 (LGDJ).
8 Edit de mars 1685, articles 33s.
9 Sur ce point, cf. LAUBA (A), La Restauration (1814-1830). Bilan juridique et institutionnel, Sarrebruck, Editions universitaires européennes, 2010, tome I (Instauration d’un compromis constitutionnel durable), pp. 31s.
10 Le 26 août 1789 le quarteron (ou mulâtre) Raimond rend visite aux colons réunis à Paris au sein du Club de Massiac (cette anecdote est rapportée par Philippe Régent, in. La France et ses esclaves de la colonisation aux abolitions (1620-1848), Paris, Grasset, 2007, p. 213). Il souhaite leur proposer un accord préservant la Traite et l’esclavage, mais reconnaissant l’égalité des droits civiques aux libres de couleur. Cette rencontre, certes courtoise, durant laquelle les colons ont écouté avec attention, s’est révélée infructueuse. Le même jour, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est adoptée. Elle est censée permettre au quarteron d’envisager l’avenir avec optimisme. Mais la tête entre les épaules, le regard fixe vers le sol, il rentre chez lui l’esprit lourd se rendant à l’évidence que cette Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est uniquement celle des droits de l’homme blanc et du citoyen blanc (cf. Esclavage, colonisation, libérations nationales de 1789 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 187).
11 Les libres de couleurs et les esclaves peuvent compter sur le soutien de nombreux intellectuels abolitionnistes qui, s’inspirant de l’exemple de l’ancienne Société des amis des Noirs fondée le 19 février 1788, s’organisent dans une multitude de sociétés antiesclavagistes, à l’image de la Société de morale chrétienne, de la Société française pour l’abolition de l’esclavage ou de l’Abolitionniste français
12 Bissette
13 Cf. CRETE (L), La Traite des nègres sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 1989 ; CUGOANO (O), Réflexions sur la Traite et l’esclavage des nègres d’Ottabah Cugoano, Africain, esclave à la Grenade et libre en Angleterre, Londres et Paris, sn., 1788. Par ailleurs, sur le mouvement contre la Traite durant la Restauration, entre autres, cf. BENOT (Y), DORIGNY (M) (dir), Grégoire et la cause des Noirs (1789-1831). Combats et projets, Paris et Saint-Denis, Société française d’Outre-mer et APECE, 2005 ; BENOT (Y), Les Lumières, l’esclavage, la colonisation, Paris, Editions la Découverte, 2005, pp. 284s.
14 Ordonnance du 8 janvier 1817 (sur ce point, entre autres, cf. LAUBA (A), La Restauration (1814-1830), op. cit., tome I, pp. 298s). Nota. Malgré l’interdiction de la Traite
15 Ordonnance du 14 janvier 1831.
16 Ordonnance du 18 janvier 1831.
17 Ordonnance du 5 mars 1831.
18 Il s’agit là de la formule de Gatine. Cf. ANSOM., Généralités, cote C162d1326, séance du 3 mars 1848.
19 Pétition à la Chambre des députés relative au droit dénié aux esclaves de se pourvoir en cassation, Paris, Imprimerie Auguste Mie, 1831.
20 « L’esclavage
21 Ibid., p. 195.
22 JOM, 26 décembre 1846, p. 1. Il convient de rappeler que la Cour de cassation n’a pas attendu 1846, année de publication du Journal officiel, pour faire preuve d’humanisme. Pour autant, il faut bien se rendre à l’évidence que l’abolition n’est pas encore acquise et que les résistances sont nombreuses.
23 Situation des esclaves dans les colonies françaises. Urgence de leur émancipation, Paris, Pagnerre, 1845, p. 25.
24 Crim., 17 août 1838, S., 39, I, 70 ; Bull. crim., 1838, n°43, p. 405. Egalement, cf. Infra.
25 Article 9 : « Il y a lieu, pour les esclaves, qu’au recours à la clémence du roi […], à moins qu’ayant été condamnés par complicité avec des individus de condition libre, le pourvoi n’ait été formé par ces derniers ».
26 GATINE (A), BISSETTE (C), FABIEN (L), Pétition à la Chambre des députés relative au droit dénié aux esclaves de se pourvoir en cassation, op. cit., p. 11.
27 Dans le prolongement du débat philosophique initié par les hommes des Lumières, ceux de la Révolution proclament la gratuité de la justice pour tous. Enoncé en même temps que l’abolition de la vénalité des offices par l’article 7 de la loi des 4, 6, 7 et 8 août 1789 (« La vénalité des offices de judicature et de municipalité est supprimée dès cet instant : la justice sera rendue gratuitement »), puis repris par plusieurs textes révolutionnaires notamment l’article 2 du titre II de la loi des 16 et 24 août 1790 (« La vénalité des offices de judicature est abolie pour toujours ; les juges rendront gratuitement la justice et seront salariés de l’État »), le principe est même constitutionnellement consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que par les préambules des constitutions du 3 septembre 1791, de l’an I, de l’an III et de l’an VIII. Il signifie que le particulier n’a pas à payer le juge puisqu’il s’agit d’un fonctionnaire rémunéré par l’État. Nota. Le principe est notamment aujourd’hui rappelé par la loi du 30 décembre 1977 instaurant la gratuité des actes de justice devant les juridictions civiles et administratives.
28 CRESPIN (H), Les frais de justice au XIXe siècle, Paris, LGDJ, 1995 ; LAUBA (A), « Le principe de gratuité du début du XIXe siècle, un principe à la portée limitée », in. Actes du colloque de Bordeaux sur la Gratuité de la justice des 12 et 13 mars 2010, à paraître ; SCHNAPPER (B), « Le coût des procès civils au milieu du XIXe siècle », in. RHD, 1981, n°4, pp. 621 à 633.
29 ROUSSEAU (R), LAISNEY (E), Dictionnaire théorique et pratique de procédure civile, commerciale, criminelle et administrative aux formules de tous les actes, Paris, 1880-1896, tome III, p. 606 (article dépens). Egalement, cf. BOURIGNON (J), Les frais de justice en matière civile et commerciale, Bordeaux, Imprimerie Y. Cadoret, 1902, p. xi (introduction). Par ailleurs, cf. CRESPIN (H), ibid., p. 2.
30 LESAGE (AR), Crispin, rival de son maître, Paris, Librairie générale française, 1999. Nota. L’ouvrage a été publié pour la première fois en 1707.
31 CARSONNET (E), Traité théorique et pratique de procédure civile et commerciale en justice de paix, Paris, Larose et Tenin, 1938, tome II, p. 212, note 14.
32 Sur l’histoire du budget de la justice, cf. ASSELAIN (JC), Le budget de la justice en France de la Restauration au seuil du XXIe siècle, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2009.
33 LAUBA (A), « Le principe de gratuité du début du XIXe siècle, un principe à la portée limitée », ibid.
34 SCHOELCHER (V), Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années, Paris, Pagnerre éditeur, 1847, p. 87.
35 Cf. Ordonnance du 12 juillet 1832, article 7.
36 Cf. Ordonnance du 24 septembre 1828 (sur l’organisation judiciaire des colonies), article 81 et ordonnance du 12 juillet 1832 (sur le mode d’affranchissement), article 7.
37 Décret du 18 juin 1811.
38 « Toute partie qui succombera sera condamnée aux dépens ».
39 Civ., 3 juillet 1838, S., 1838, I, 298. Egalement, cf. Annales maritimes et coloniales, Paris, Imprimerie royale, 1838, 23e année, 2e série, Partie officielle, n°126 ; Journal des avoués, Paris, sn., 1838, tome 55, 2e partie, p. 543.
40 A plus forte raison, le ministère public ne peut être personnellement condamné aux dépens. Cf. « Dépens », in. Dictionnaire général de procédure, Paris, sn., 1838, p. 183, n°126.
41 Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation (1828-1848), Paris, Editions Economica, 2007, p. 54.
42 Il convient à cet égard de préciser que la morale et la société auxquelles les juges du droit font allusion sont celles de la société française marquée par les Lumières et la Révolution et non celles, bien évidemment, plus rétrogrades de la société coloniale du temps.
43 Courrier adressé au ministre de la Justice, in. SCHOELCHER (V), op. cit., p. 74.
44 Selon ce texte, « ne pourront être saisis et vendus séparément, le mari et la femme et leurs enfants impubères, s’ils sont sous la puissance d’un même maître ; déclarons nulles les saisies et ventes qui en seront faites ; ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sous peine, contre ceux qui feront les aliénations, d’être privés de celui ou de ceux qu’ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplément de prix ». Ce texte était « rayé » par les colons selon l’expression de Schoelcher ; les juges coloniaux faisaient de même en refusant de l’appliquer en faveur des esclaves (SCHOELCHER (V), op. cit., p. 41). A propos de cette jurisprudence, cf. LAUBA (A), « Le contrôle des juges coloniaux par la Cour de cassation : un rôle de modération en faveur de l’esclave (Restauration et Monarchie de Juillet) », op. cit.
45 Civ., 16 avril 1845, S., 1845, I, 195. Egalement, cf. TANGER (M), op. cit., pp. 77 et 78. Surtout, cf. SCHOELCHER (V), ibid., pp. 62s. Nota. Pour Barrot, « la jurisprudence de la Cour de cassation est fondée sur un principe d’humanité qui ne permet pas de séparer l’enfant de la mère. Cela est un commentaire humain, puisé dans les sentiments mêmes de la nature et qu’il ne faut pas affaiblir » (ibid, p. 17).
46 Plus largement, sur cette question, cf. LAUBA (A), ibid.
47 Loi du 19 juillet 1845 (sur les formes à suivre aux colonies pour faire concourir les fonds de l’État au rachat des esclaves) et ordonnances du 26 octobre et du 13 novembre 1845.
48 Titre III, article 5.
49 Articles 1 et 2.
50 SCHOELCHER (V), op. cit., p. 101.
51 TANGER (M), op. cit., p. 49.
52 SCHOELCHER (V), ibid., pp. 99 et 100.
53 SCHOELCHER (V), op. cit., p. 106.
54 Ibid., pp. 107 à 110.
55 TANGER (M), op. cit., p. 50.
56 Code d’instruction criminelle, article 420.
57 SCHOELCHER (V), ibid., p. 108 in fine. Nota. Est-il besoin de préciser que les causes de l’esclave et du condamné devant une cour d’assises sont très différentes en ce que le premier, contrairement au second, n’est pas un criminel ? Il est même pourrait-on dire, la « victime » de l’esclavage.
58 Ibid., pp. 110s.
59 Ibid., p. 111.
60 Ibid., p. 128.
61 Ibid., p. 131.
62 Cf. CHATEAUBRIAND (FR de), Itinéraires de Paris à Jérusalem, Paris, Folio, 1999.
63 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».
64 Cf. CEDH (Ass. Pl.), 21 février 1975, Affaire Golder contre Royaume-Uni, n°4451/70. Surtout, cf. CEDH, 9 octobre 1979, Affaire Airey contre Irlande, n°6289/73.
65 Notamment, cf. RIALS (A), L’accès à la justice, Paris, PUF, 1993.
66 Entre autres, cf. REMBAUVILLE-NICOLLE (P), « Du bon usage des dispositions de l’article 700 du NCPC », in. Gaz. Pal., 8-12 avril 2007, pp. 2 à 9.
67 L’article 6 de la loi précise que « les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ne sont soumises ni au droit d’enregistrement ni au droit de timbre ». Cet article réserve uniquement le cas où une décision donnerait ouverture à un droit proportionnel ou progressif tel la décision portant sur la mutation d’un immeuble (cf. FREYRIA (C), « Défunte, la fiscalité des actes judiciaires ? », in. Mélanges offerts à P. Hébraud, Toulouse, Université des sciences sociales, 1981, pp. 339 à 351). En outre, selon l’article 9, les actes de procédure ne sont plus soumis au droit de timbre de dimension, même lorsqu’il s’agit de ceux des techniciens désignés par un tribunal judiciaire. Enfin, les actes émanant des secrétariats des juridictions judiciaires ne sont désormais soumis ni au timbre, ni à l’enregistrement, ni même à aucune autre taxe que prévoirait le Code général des impôts (article 10).
68 Cf. GODE (F), Rev. Trim., 1978, pp. 450s.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Adrien LAUBA
d’Histoire du Droit de l’Université de Poitiers