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La romanité juridique en droit des obligations : le cas des restitutions contractuelles
Par Elise FRÊLON-ALLONNEAU
Publication en ligne le 25 juillet 2019
Table des matières
Texte intégral
1Le droit écrit, qui se compose des lois romaines, a civilisé l’Europe. La découverte que nos aïeux firent de la Compilation de Justinien, fut pour eux une sorte de révélation1. Portalis, dans son Discours préliminaire sur le projet de Code civil, rend ici à César2 ce qui est à César.
2Rome est à la science juridique ce qu’Athènes est à la science politique ou philosophique : un apport fondamental pour la civilisation occidentale. C’est à Justinien et à nul autre que revient le mérite d’en avoir légué (par sa Compilation) un instrument majeur. Sans cet empereur romain3 du VIe siècle, le droit français n’appartiendrait pas à la tradition juridique dite romano-germanique. La seule tradition romaniste est autrement qualifiée de civiliste, au motif qu’elle est, à l’origine, celle du droit civil des Romains (ius civile Romanorum). Or c’est à l’initiative de Justinien Ier (527- 565) d’Orient4, que tout le droit des citoyens (cives) depuis la fondation de Rome (753 av. J.-C.) est compilé. Dans un remarquable effort de synthèse, quatorze siècles d’expérience juridique sont unifiés en un support magistral de quatre ouvrages : le Code (530), le Digeste et les Institutes (533), les Novelles (565).Toutes les sociétés secrètent du droit, des règles contraignantes. Mais les Romains sont les premiers à faire du droit – plus exactement du ius – un art : celui du bon et de l’équitable, jus est ars boni et aequi5. Ce terme latin de ius n’a pas son équivalent en français. Il est systématiquement traduit par Droit alors même que ius n’a rien à voir, ni étymologiquement, ni sémantiquement, avec directus. Le Ius évoque le juste, iustus. Son génitif iuris donne au mot juridique sa racine. La précision n’est pas seulement terminologique, elle est technique. Substituer l’expression « romanité juridique » à la traduction consacrée de « droit romain » permet de mieux évoquer le Ius Romanum.
3À la mort de Justinien, en 565, l’empire romain d’Occident n’existe plus depuis près d’un siècle puisque, en 476, le barbare Odoacre avait renversé Romulus Augustule, l’empereur en titre. La Compilation justinienne n’a pas été promulguée en terres franques. Ceci explique cela : ce n’est pas avant le XIe siècle, à la faveur d’une découverte fortuite en Italie d’une copie du Digeste datant du VIe ou du VIIe siècles, que cette somme pénètre dans ce qui constituaient jadis des provinces impériales romaine. Diffusé depuis Bologne, il est bientôt rebaptisé corps du droit civil (Corpus Iuris Civilis) et enseigné dans toutes les facultés de droit médiévales créées à cet effet. À la faveur de cette renaissance, les compilations justiniennes forment à nouveau un véritable droit commun (ius commune) cette fois à l’échelle de l’Europe. L’histoire de l’enseignement juridique se confond alors, et pour des siècles, avec l’étude des Compilations de Justinien, de leur glose, de leurs commentaires qu’une seule spécialité théorique, elle aussi romaine – le droit canonique –, vient concurrencer. En France, où les monarques gallicans ont tant à cœur de se démarquer des modèles impérial et pontifical, il faut attendre 1679 (Edit de Saint Germain) pour que Louis XIV créé au sein des facultés juridiques des chaires de droit français, dévolues à l’enseignement autonome des ordonnances royales et des coutumes du royaume (celle de Paris en particulier).
4En 1804, le Code civil des Français se situe au carrefour de cette double tradition (du latin tradere : transmettre) de sources juridiques, dont l’une est d’origine romaine et l’autre d’origine germanique (franque) et plus encore française. Bien davantage qu’une « transaction entre le droit écrit et les coutumes »6 qui se superposerait à une rupture Sud/Nord de l’hexagone7, ses rédacteurs paraissent assumer en réalité une transaction à la fois juridique et politique entre la spécificité parisienne et l’universalité romaine. À Paris correspond l’influence des ordonnances royales, de la principale coutume du pays (rédigée en 1510, réformée en 1580), de la jurisprudence (déviée toutefois de son sens originel) du premier Parlement de France, de la doctrine d’illustres auteurs hexagonaux – Domat et Pothier en particulier – et enfin du droit intermédiaire que constitue une décennie de législation des assemblées révolutionnaires. À Rome appartient la tradition des droits savants romain et canonique. Face à ce pluralisme juridique, si emblématique de l’ancien régime, le génie de Bigot de Préameneu, Maleville, Portalis et Tronchet est bel et bien d’être parvenus à réaliser l’unité d’un droit civil depuis lors presque confondu avec le droit privé. Quelle place alors a été - et reste - véritablement réservée à ce qu’il est convenu d’appeler le droit romain ? Peut-on encore concevoir une certaine romanité juridique dans le droit français contemporain ?
5Héraut moderne de la tradition civiliste, Aldo Schiavone8 tient le Ius pour originel dans nos systèmes juridiques contemporains. Indéniablement, le ius civile Romanorum demeure une racine vivante de tout notre droit français, tant public que privé. Son ancienneté n’est nullement incompatible avec notre modernité normative. En revanche, et pour filer la métaphore, étouffer ou (pire) couper délibérément cette racine, c’est irrémédiablement tuer la plante elle-même et vouer à une mort certaine la fine fleur des droits positifs actuels.
6Si la confusion entre droit civil (droit des citoyens) et droit privé (droit des particuliers) est désormais consacrée, elle fait encore la part belle aux « fondements »9 romains en cette matière. Matrice originelle, l’abondante source du droit romain irrigue toujours aussi bien le droit positif des personnes que celui des biens ou des obligations. Plus encore qu’en toute autre spécialité, c’est en cette dernière que la romanité originaire est actuellement la plus affirmée. La science des jurisconsultes y est d’autant plus à l’honneur qu’elle nourrit une réflexion actuelle sur la volonté de codifier un droit supra-étatique, dans un nouvel espace économique européen (EEE)10, ralliant même les suffrages de juristes de common law11.
7En France, cette mise en perspective n’est pas l’exclusivité des (trop) rares spécialistes de droit privé romain12. Elle appartient traditionnellement aux historiens du droit (privé de préférence) qui rappellent de façon quasi-incantatoire dans leurs manuels combien est grand le tribut du Code de Napoléon aux Compilations de Justinien. Pour certains, « le droit romain demeure incomparable et irremplaçable »13. Son apport - antique est synonyme non pas d’archaïque mais de technique14 - est « fondamental à plusieurs égards »15. D’autres disent16 sa permanence.
8Tous admettent (avec plus ou moins de force) sa pérennité17. Pour autant l’enjeu n’est pas exclusivement historique : il est plus encore juridique. Car « étudier le droit romain n’est pas une œuvre réservée à l’historien, mais un devoir du juriste »18 ! Les civilistes en sont sans doute conscients, puisque « les manuels de droit civil modernes ne manquent pas de rappeler ce que le droit actuel des obligations doit au droit romain »19.
9Cette primauté du droit romain s’accentue plus encore dans la matière du contrat, véritable « pilier du Code »20. La corrélation n’est pas nouvelle : elle date de la renaissance même du Corpus Iuris Civilis (au XIIe siècle) dans un contexte de renouveau économique, avide d’instruments juridiques pour servir les échanges commerciaux. Au XIXe siècle, si la société est désormais industrielle, elle a tout autant besoin de la technique juridique romaine des contrats pour accompagner sa révolution. Dans un tel contexte, il n’y a rien de surprenant à ce que ses législateurs ne consacrent à leur tour cette tradition romano-juridique pluriséculaire. C’est du moins ce qui ressort des travaux préparatoires du Titre « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général »21. Aucun de ses rapporteurs ne tarit d’éloge sur le droit romain. Tous reconnaissent tour à tour combien il a été fondamental pour la matière qu’ils présentent. Pour s’en convaincre, il convient d’exhumer leurs propos. Souvent, c’est la supériorité technique du droit romain qui emporte l’adhésion non seulement des rédacteurs mais aussi, successivement, des conseillers d’Etat auxquels les projets de lois étaient soumis, des tribuns qui assumaient les discussions, des députés du Corps législatif enfin, qui en votaient les textes.
10Au cours des séances des 3, 10, 17, 24 novembre et 8 décembre 1803, le titre III précité est discuté et adopté en Conseil d’Etat. C’est à Bigot-Préameneu que revient le soin d’en présenter et d’en lire le projet. Dans son exposé des motifs, il dit que « les dispositions du titre qu’il présente sont puisées presque en entier dans le droit romain en écartant cependant quelques subtilités qui le déparent »22. Le rédacteur (il est l’un des quatre membres de la commission de rédaction du Code civil désignée par Bonaparte) tient là expressément le droit romain classique pour la source fondamentale du droit français des obligations contractuelles. Source essentielle, source unique même dans la mesure où il n’évoque pas d’autre source juridique. Ce titre n’est que de droit romain. Mais non de tout le droit romain sur ce thème ! C’est en réalité le seul tempérament apporté que celui de ces « quelques subtilités qui le déparent » et qui, pour ce motif (rhétorique ?) n’auraient pas été retenues.
11Le 28 janvier 1804, c’est à nouveau Bigot-Préameneu que le premier consul Bonaparte désigne pour présenter le titre dans sa version définitive (après des corrections ponctuelles du Conseil d’Etat) au Corps législatif. Cette fois, dans un discours plus étayé23, il appuie davantage encore son hommage au droit romain, le parant des plus beaux atouts : équité, immortalité, quasi-exhaustivité, clarté, moralité et sagesse, universalité et surtout rationalité ! Au début du XIXe siècle, le droit romain ne se distingue plus du seul fait de sa nature écrite (en opposition aux traditions « barbares », germaniques puis féodales, orales) puisque l’écrit avait, à cette date, envahi le droit coutumier depuis plusieurs siècles déjà (rédaction puis réformation de nombreuses coutumes).
12Il tient sa supériorité non pas de l’écrit mais de sa rationalité. Il n’est pas seulement droit écrit : il est raison écrite (ratio scripta) que l’éditeur du discours imprime en majuscules pour la mettre davantage encore en relief. Le droit romain doit ainsi sa popularité auprès des bourgeois « éclairés » à sa rationalité. Pour des hommes épris de rationalisme, il devient incontournable précisément à partir du moment où il est vu à travers ce prisme de la raison24 et, dans une moindre mesure, de l’équité25.
13Le 29 janvier, le Corps législatif arrête la communication officielle (transmission du projet et de l’exposé des motifs) au Tribunat. Sa section de législation nomme à son tour deux rapporteurs pour rendre compte du titre en son assemblée générale des 3 et 4 février : les tribuns Favart et Jaubert. Ils ne sont pas moins enthousiastes dans leur allégeance au droit romain. Pour le premier, ce droit n’est rien moins que synonyme de « vérité »26. Quant au second, il harangue ses pairs avec emphase27 : le travail des romains dans la partie des contrats devenant « chef-d’œuvre de la raison humaine ». Inspirés des discours ceux qui l’ont précédé, ses propos n’évitent pas toujours les lieux communs28.
14Le 6 février, le Tribunat émet un vœu d’adoption qu’il fait porter le lendemain au Corps législatif. Pour cette ultime discussion, le tribun Mouricault expose en son discours par quels motifs le Tribunat, à l’unanimité, en a voté l’adoption et le présente à la sanction de la chambre. Sans surprise, il se rallie à la belle unanimité que suscite le droit romain qu’il confond pour sa part avec le droit naturel autant qu’avec la raison29. Le lendemain, le Corps législatif rend son décret d’adoption. La loi est promulguée le 27.
15Pour chacun de ces jurisconsultes modernes, la présomption de paternité de la science juridique romaine – tenue pour véritable ratio scripta au pays même de Descartes ! – vis-à-vis de leur droit des contrats paraît irréfragable. Pour autant, cette tradition civiliste revendiquée si haut et si fort par les orateurs n’est pas toujours facile à percevoir entre les lignes des articles de la loi votée. Et, le cas échéant, dans quelle mesure, dans quelles proportions est-elle reçue ? La matière des obligations contractuelles reste trop vaste pour être épuisée en une seule étude, sauf à trop embrasser et mal étreindre le thème.
16Plus modestement, il paraît judicieux de s’en tenir à un seul concept, et de l’évaluer à l’aune de cette relation de « paternité/filiation » juridique présumée entre ius romanum et droit français. En juin 2010, un colloque franco-italien consacré aux restitutions contractuelles30 - point technique31 - a offert à cette démarche (encore expérimentale32) son premier thème de recherche.
17Qu’est-ce que la restitution contractuelle ? Et d’abord, qu’est-ce que la restitution ? C’est l’action de restituer, son résultat. Qu’est-ce alors que restituer ? Dans un sens commun, c’est soit rendre ce qui a été pris ou qui est possédé indûment ; soit rétablir, remettre dans son premier état. Quel est le sens juridique de la restitution ? En droit français moderne33, la restitution s’accorde avec les deux sens littéraires de rendre et de rétablir. Dans le sens de rendre, c’est « le fait de remettre au propriétaire une chose dont il avait été indûment ou involontairement privé. Et, par extension, le fait de remettre à qui de droit une chose que l’on doit rendre mais que l’on ne détenait pas injustement. ». Dans le sens de rétablir, c’est « l’annulation d’un engagement, la rescision d’un acte, emportant pour son bénéficiaire l’effacement des conséquences de l’acte annulé (restitutio in integrum). Par extension (au pluriel) opérations de remise en ordre consécutives à l’annulation d’un acte. ». De façon remarquable, les civilistes contemporains associent la restitution à son précédent antique de restitutio in integrum34. C’est là un premier gage, sérieux, de romanité juridique dans le thème offert à notre réflexion.
18Qu’est-ce ensuite que la restitution « contractuelle » ? Aucune des définitions juridiques précitées ne s’arroge ce qualificatif. Est (pré)supposée contractuelle toute restitution non seulement qui est stipulée par un contrat (par exemple dans ceux de commodat, de dépôt, de séquestre où la restitution de la chose est au cœur de l’obligation du débiteur) mais qui, plus largement, touche la matière des contrats.
19Sur ce thème particulier de la restitution contractuelle, quelle est la part exacte de la romanité juridique ? Que lègue la compilation justinienne au droit napoléonien ? Qu’est-ce qui - dans notre législation civile - provient du Corpus Iuris Civilis ?
20Une approche comparatiste, en l’occurrence de droit civil comparé dans le temps, pourrait permettre de répondre à cette interrogation. Mais à partir de quelles sources dans ce cas un commentaire comparé devrait-il être conduit ? Sans hésitation, le Code civil de Napoléon Ier et le Digeste de Justinien Ier, ces deux œuvres juridiques majeures de deux empereurs ont été choisies pour instruments de cette mesure. En exploitant les ressemblances (puisque, davantage que les dissemblances, elles attestent de la postérité de tel ou tel aspect du Corpus Iuris Civilis) comme autant de réceptions de la jurisprudentia romaine par le législateur français au début du XIXe siècle.
21Pourquoi, des compilations justiniennes, n’exploiter que le Digeste ? Parce que la restitutio in integrum romaine est d’abord une institution prétorienne. C’est donc l’Édit du prêteur et ses commentaires (celui d’Ulpien recueilli au Digeste en particulier) qui demeurent la source la plus conséquente pour cette matière. La restitutio figure dans le Code de Justinien, ou dans ses Novelles, mais les constitutions (nombreuses) qui en traitent ne sont que des précisions impériales d’un mécanisme prétorien. Des précisions apportées par l’empereur mais aussi, c’est à noter, une « récupération » par l’empereur. Car, au Bas Empire, à en croire le juriste Callistrate35, ce n’est plus guère auprès du prêteur que l’on requiert le bénéfice d’une restitutio, mais auprès des sénateurs ou du prince. Ce sont alors des constitutions impériales (et non plus des commandements prétoriens) qui l’accordent. Elles préfigurent une catégorie de lettres royaux : celles de rescision36, privilèges individuels de l’ancien droit français accordés par le souverain capétien. Ces lettres sont de rescision et non pas de restitution, mais sans doute la confusion ultérieure entre les deux termes trouve son origine dans cette pratique.
22Pourquoi cet ancien droit gallican (médiéval37 ou des Temps Modernes38 ; savant39, royal, parlementaire40 ou coutumier) ne pas l’envisager sur le thème choisi ? Pourquoi ne pas en sélectionner certains de ses auteurs, à commencer par ceux qui - tels Domat ou Pothier41 - ont exercé l’influence la plus notoire sur les rédacteurs du Code civil ? Parce que dans ce cas l’approche serait évolutionniste et non plus comparatiste. Peu importe - dans cette étude délibérément limitée - que le droit romain ait pu être adapté, modifié entre le VIe et le XIXe siècles ; et bien sûr qu’il l’a été largement ! L’idée de ce présent travail est de s’en tenir au Digeste comme terminus a quo (533) et au Code comme terminus ad quem (dans sa version initiale de 180442), en choisissant sciemment de ne pas exploiter les multiples strates juridiques qui les séparent. Et ce, afin d’identifier d’éventuelles permanences. Les continuités seraient telles (ce serait le cas de tout ce qui n’aurait pas changé entre les deux termes chronologiques choisis) qu’elles pourraient confirmer (ou à l’inverse infirmer à défaut du moindre continuum) au profit du droit romain son statut de droit fondamental, à la base des systèmes juridiques occidentaux contemporains.
23Une telle mise en perspective - systématique - des sources impériales permet d’identifier quelques convergences essentielles entre elles. Mais assez peu en définitive. Sur le thème étudié des restitutions contractuelles, le droit français et le droit romain partagent la terminologie (I). C’est là l’apport majeur de la romanité juridique. Dans une moindre mesure, ils paraissent avoir en commun la casuistique juridique, les causes de la restitution rappelant celles de la restitutio (II).
I. La terminologie des restitutions contractuelles : un apport majeur de la romanité juridique
24Il faut préciser ce que l’on peut réellement comparer dans les deux sources civiles étudiées, Code et Digeste. Sur quoi doit porter la comparaison ? Avant d’entreprendre toute interprétation juridique, une première mise en perspective peut être terminologique. La terminologie est une discipline exigeante : elle vise l’étude non seulement des termes mais des également des concepts et des objets (instruments) utilisés en tel ou tel savoir. La terminologie ne se conçoit qu’associée à une discipline scientifique. La terminologie juridique, étude des termes propres à la science juridique, n’est pas une spécialité des facultés de droit, alors même que des enseignements strictement terminologiques, un peu ingrats mais ô combien fondamentaux, sont proposés aux étudiants d’autres disciplines universitaires. Pourtant, elle est nécessaire au juriste dans la mesure où son art lui révèle des termes inconnus ou méconnus du profane. La restitution contractuelle est l’un d’eux. Il convient de s’arrêter d’abord sur les mots de la restitution, puis sur l’origine du terme (analyse étymologique), avant de revenir enfin sur son sens (analyse sémantique).
Les mots de la restitution
25Cette restitution (ou ses déclinaisons) figure-t-elle dans l’une et l’autre des deux œuvres ? Oui : des articles du Code emploient la restitution et des fragments du Digeste déclinent la restitutio.
26Cette restitution, cette restitutio, où les rencontre-t-on ? Si l’on compare la structure des deux ouvrages, à lire leurs tables des matières43, on constate que le Code, dans ses intitulés (livres, titres, chapitres, sections) passe la restitution sous silence. En revanche, le Digeste décline la restitutio dans plusieurs titres44 (et, au-delà, implicitement, dans un livre entier non intitulé45). Là est une première disparité, flagrante : la restitutio figure dans le plan même du Digeste, mais la restitution ne figure pas dans celui du Code. Ce qui suppose a priori de longs développements en droit romain, mais peu (voire pas) de développements en droit français. A cet égard, il paraît difficile de parler d’influence des jurisprudentes romains sur les législateurs français. La restitutio du droit romain, qui couvre un livre entier du Digeste (et presque quarante titres du Livre II du Code de Justinien) n’a pas même un paragraphe qui lui soit exclusivement consacré dans le Code Napoléon. Des centaines de fragments du Digeste – ce qui représente bien davantage que ces quelques « subtilités qui le déparent » suggérées par Bigot-Préameneu – ne se retrouvent pas dans les articles du Code. Cette disparité serait sans appel si, en deçà des intitulés de la table des matières, la restitution ne se rencontrait pas dans le corps, dans le texte même du Code. A défaut de toute mention de restitution, on pourrait conclure que la restitutio est décidément trop romaine pour pouvoir figurer dans le Code.
27Pourtant, un sondage du Code en atteste, les termes de la restitution ne sont pas absents de ses prescriptions. On peut notamment relever une certaine concentration du champ lexical de la restitution dans huit articles successifs. C’est un peu maigre mais cela peut justifier une comparaison, nonobstant la disproportion des sources françaises et romaines sur ce thème. Les articles 1306 à 1313 emploient les termes « restitution »46, « restituable »47, « restituer »48 ou « restitués »49. A défaut de restitution, l’intitulé de la section qui décline ces articles consacre la « rescision ». Restitution et rescision qui sont a priori deux termes distincts du droit civil français. Comme le sont restitutio et rescisio en Ius civile Romanorum.
28Aucune des deux sources étudiées ne consacre l’expression entière de « restitution contractuelle ». Il faut présupposer l’association de ces deux ternes, en français comme en latin. En l’espèce, la restitution française peut effectivement être tenue pour contractuelle au vu de sa place dans le Code. Les articles qui la consacrent se trouvent au titre III sur les « contrats ou obligations conventionnelles », au chapitre V « de l’extinction des obligations », à la section V sur « l’action en nullité ou en rescision des conventions »50. La matière étant indiscutablement contractuelle, la restitution peut être qualifiée comme telle. Pour ce qui est de la restitutio romaine, laissée à l’appréciation du prêteur, puisqu’elle concerne quelque acte juridique que ce soit en général, elle peut être associée au contractus en particulier.
29Les mots étant ainsi identifiés, il faut s’attarder ensuite sur l’origine et le sens de ces termes restitution/restitutio et rescision/rescisio.
L’origine des termes
30Une analyse étymologique peut paraître historique. Pourtant elle ne devrait en rien être l’apanage de l’historien du droit, doué d’une sensibilité exacerbée aux origines de toutes sortes. « Une bonne étymologie éclaire la forme et l’emploi du mot »51, les juristes l’oublient souvent. Ils gagneraient pourtant à faire leur la formule du grammairien : « la concordance ne saurait être fortuite ».
31Si l’on s’en tient aux seuls termes, restitution et/ou rescision, la terminologie juridique contemporaine est incontestablement d’origine romaine. Alphabétiquement comme phonétiquement (parce que les langues, vivantes, évoluent autant à l’écrit qu’à l’oral) la proximité de la restitution et de la restitutio (comme celle de la rescision et de la rescisio) suffit à deviner la parenté entre les termes romains et français, latins et romans. Il est excessif de tenir le latin pour une langue morte tandis qu’il sous-tend encore très fortement toutes les langues romanes contemporaines.
32Encore faut-il distinguer deux apports linguistiques de la civilisation romaine : l’un qui est celui de la langue parlée progressivement vulgarisée : ce sont les langues romanes ; et l’autre qui est celui du latin écrit, technique, juridique, étudié à compter de la redécouverte des compilations de Justinien. La romanité donne aux langues romanes un incontestable avantage juridique sur toutes les autres traditions linguistiques. Comme le latin littéraire a donné aux langues romanes ses mots, le latin juridique a donné au droit de tradition civiliste ses termes juridiques. Que le Corpus Iuris Civilis ait donné ses mots, son vocabulaire technique au droit civil français (et dans une certaine mesure européen) est d’une telle évidence que les auteurs finissent par la négliger. Comme tel, le latin demeure la langue – vivante ! – de la science juridique, à l’instar du grec langue de la science politique et philosophique. Là est un enjeu décisif de la romanité juridique.
33L’étymologie atteste d’une première filiation avérée, incontestable, puisque la langue française est d’origine latine. Mais, pour autant que cette tradition relève de l’évidence, encore ne faut-il pas passer ses conséquences sous silence. Cette filiation linguistique du français a permis la transmission de termes juridiques sans déformation majeure. Cette familiarité est telle, qu’elle est inconsciente, telle l’expression d’un enfant dans sa langue maternelle. Cette pureté des termes, des juristes d’une autre tradition linguistique - germanophone par exemple52 - qui, par leur traduction, prennent le risque d’interpréter, de déformer le sens originel, peuvent nous l’envier à juste titre. Des siècles avant que Savigny ne soit confronté aux difficultés à restituer le latin des jurisprudentes en sa langue, les poètes et philosophes romains dressaient déjà en toute humilité le constat de difficultés similaires à restituer le grec en leur langue53.
34Cette proximité des mots restitution et restitutio n’a pourtant pas suffit, dans le temps, à protéger les concepts romains du risque de leur déformation. Les termes ont évolué dans leur signification juridique entre 533 et 1804, à tel point que les plus éminents juristes du XVIIIe (et, dans leur suite, les rédacteurs du Code civil) confondent restitution et rescision.
Le sens des termes
35Pour mémoire, la restitution peut avoir deux acceptations en droit français. Dans le sens de rendre, c’est « le fait de remettre au propriétaire une chose dont il avait été indûment ou involontairement privé. Et, par extension, le fait de remettre à qui de droit une chose que l’on doit rendre mais que l’on ne détenait pas injustement. » Dans le sens de rétablir, c’est « l’annulation d’un engagement, la rescision d’un acte, emportant pour son bénéficiaire l’effacement des conséquences de l’acte annulé (restitutio in integrum). Par extension (au pluriel) opérations de remise en ordre consécutives à l’annulation d’un acte. »
36Puisque la parenté du point de vue conceptuel est établie avec la restitutio il faut tenter de la définir précisément. Elle désigne en droit romain un mécanisme - prétorien à l’origine - qui a pour spécificité de rétablir, bien davantage que de rendre. Cette restitution est parfois qualifiée d’« intégrale »54 mais il vaut mieux ne pas traduire in integrum par « en entier »55. C’est « une décision par laquelle le magistrat [le prêteur] remet dans sa situation primitive celui qui a subi, en vertu des règles mêmes du droit, un préjudice que le magistrat estime injuste, par laquelle le magistrat répute non avenu le fait duquel résulte ce préjudice. »56. A priori, les différences entre les deux notions (restitution française et restitutio romaine) ne sont pas flagrantes, ce qui conforte à cet endroit la présomption de paternité du droit romain à l’égard du droit français. La nuance réside essentiellement dans le motif de la restitution/restitutio : une privation indue ou involontaire en droit privé français, un préjudice injuste (littéralement contraire à l’essence même du ius) en ius civile Romanorum. Si cette idée d’injustice a persisté aujourd’hui c’est à travers la lésion, sanctionnée par la restitution ou rescision, les deux termes étant fréquemment confondus.
37Qu’est-ce que la rescision ? Aujourd’hui, elle n’a plus de sens littéraire. Elle se résume à une signification uniquement juridique qui est celle de l’« annulation judiciaire d’un acte pour cause de lésion ». La rescision n’est plus en droit civil contemporain qu’une catégorie d’espèce ; l’annulation judiciaire57, l’action en nullité58 étant le genre.
38L’étymologie de la rescision est - comme celle de la restitution - d’origine latine. Le mot rescision est issu du terme latin rescissio : annulation ; rescision, abrogation. Encore faut-il remarquer que scindere, scinder en latin, avait pour sens premier déchirer, fendre, sans aucune connotation juridique. Sauf, peut être, à imaginer un formalisme particulier supposant de déchirer physiquement, voire symboliquement, un contrat pour l’annuler juridiquement. Qu’est-ce que la rescissio en droit romain59 ? L’institution qui figure dans notre législation civile actuelle, l’annulation pour lésion, est ignorée du droit classique ; mais non les termes de rescissio ou rescindere qui ne sont pas rares dans les sources (classiques et post-classiques). Qui rescinde ? Le praetor, le praeses provinciae, le princeps, le senatusconsultum, la lex et même l’homo privatus. Que rescinde-t-on ? Le testamentum, la venditio, l’obligatio, la capitis deminutio, le iudicium, la libertas. Enfin, l’on peut rescinder per legem ou ipso iure60. Le verbe rescindere est utilisé dans de très nombreux contextes et avec une acception pas toujours univoque : le pouvoir de rescinder un acte n’est pas la prérogative d’un seul organe, et l’acte à rescinder peut être de l’espèce la plus variée. Cette seule considération devrait inviter à la prudence. Mais la doctrine n’en a pas tenu compte, arrivant souvent à des résultats dont il n’est pas certains qu’ils soient conformes à la pensée juridique romaine, en engendrant une confusion avec la restitutio61.
39En réalité, ce n’est pas au Digeste mais au Code62 de Justinien, sous la rubrique « de rescindenda venditione » que figure une constitution de Dioclétien (a. 285), qui introduit pour la première fois l’institution qualifiée de rescision pour lésion (de plus de moitié, donc énorme : laesio enormis). Depuis, la restitution est inévitablement associée à la rescision puisque le vendeur lésé a le droit de demander la restitution de la chose, en restituant le prix lui-même. C’est à cette seule rescision, pour lésion énorme, que font référence les rédacteurs du Code Napoléon (les travaux de discussion du projet en attestent63). Savigny le précise : c’est au seul hasard que l’on doit la mention de cette référence romaine dans le droit français64. Voilà qui tempère froidement le legs de la romanité juridique au droit napoléonien. Le grand pandectiste n’est pas particulièrement gallomane. Pour autant, en toute objectivité, l’apport terminologique de la romanité ne peut être que nuancé.
40Les mots du droit français sont puisés dans le vocabularium technique du ius. Etymologiquement, le latin donne ses racines aux termes juridiques de la tradition civiliste. Pour évidente que soit cette filiation étymologique, encore faut-il l’exposer puisque là est l’apport majeur de la romanité juridique aux restitutions contractuelles du droit français. Sémantiquement toutefois, la restitution n’est pas la restitutio in integrum. Surtout, la restitutio in integrum n’est pas la rescissio. La restitution n’est pas non plus synonyme d’action en nullité ou de rescision. Sauf à confondre le sens exact de tous ces termes. Sauf à confondre la cause (rescision) et l’effet (restitution). Une confusion qui est assumée par les juristes français (anciens65 et a fortiori contemporains) mais que ne conçoivent pas les jurisconsultes classiques romains66 qui ne comptent pas la rescissio (ni la nullitas) parmi leurs catégories juridiques (alors que la restitutio est pour eux une institution à part entière). Si l’on tient pour inévitable cette confusion, alors le droit romain peut redevenir cette source du droit français à laquelle Bigot-Préameneu affirme avoir puisé ; car les motifs de l’action en nullité ou en rescision du Code rappelent ceux des de in integrum restitutionibus du Digeste. En comparaison de la terminologie, la casuistique passe pour un apport mineur de la romanité juridique en matière de restitutions contractuelles.
II. La casuistique des restitutions contractuelles : un apport mineur de la romanité juridique
41Le Code n’a jamais eu la prétention d’être aussi casuistique que le Digeste. Bien au contraire puisque ses rédacteurs s’en dé-fendent. En des articles brefs, succincts, ils font systématiquement le choix du rationalisme cartésien au détriment du pragma-tisme romain. Le Code est aussi laconique que le Digeste est technique. Toutefois, dans des formes différentes, les deux envisa-gent des motifs a priori similaires à leurs restitution/restitutio respectives.
42Ainsi commencent (en 1804 ) les développements du Code sur la rescision et ceux du Digeste sur la restitutio :
C. civ., art. 1304
Dans tous les cas où l’action en nullité ou en res-cision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une convention particulière, cette action dure dix ans.
Ce temps ne court, dans les cas de violence, que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts ; et pour les actes passés par les femmes mariées non autorisées, du jour de la dissolution du mariage.
Le temps ne court, à l’égard des actes faits par les interdits, que du jour où l’interdiction est levée, et à l’égard de ceux faits par les mineurs, que du jour de la majorité.
Ulpien : D. 4. 1. 1.
Sub hoc titulo plurisariam praetor hominibus vel lapsis, vel circumscriptis subvenit ; sive metu, sive calliditate, sive aetate, sive absentia inciderunt in captione
Sous ce titre, de plusieurs manières, le prêteur vient en aide aux hommes qui, soit de crainte, soit d’habileté [à proximité de la ruse], soit d’âge ou d’absence se sont trompés ou ont été dupés.
Paul : D. 4. 1. 2.
Sive per status mutationem, aut justum errorem.
Soit par un changement d’état, ou une juste erreur.
43En précisant les délais de l’action en nullité ou en rescision, l’article 1304 évoque les motifs de ladite action. En l’espèce : la violence, l’erreur, le dol, l’incapacité (de la femme mariée, de l’interdit67, du mineur). En d’autres termes, dans le droit de Napoléon, la classification tripartite des vices du consentement ou l’incapacité contractuelle du contractant justifient une nullité ou rescision contractuelle.
44Pour le prêteur républicain, lapsus ou justa error (lapsus ou juste erreur), circumscriptio (dol), metus (crainte), calliditas (ruse), aetas (âge), abstentia (absence) ou status mutationem (changement d’état) sont autant de motifs de restitutio in integrum. Autant de causes que le Digeste précise et complète dans ce même livre 468.
45Plusieurs titres spéciaux suivent, consacrés à la crainte69, au « mauvais » dol70, aux moins de 25 ans71, au changement d’état (déchéance civile)72, aux plus de 25 ans pour certaines causes73, à l’aliénation frauduleuse au cours d’un procès en revendication74. Si l’on exprime ce qui précède en des termes plus contemporains, dans le droit de Justinien, des vices du consentement (erreur, dol, crainte, ruse, fraude) ou une incapacité du contractant (incapacité civile : minorité de 25 ans, changement d’état ; ou incapacité concrète : absence) peuvent justifier une restitution contractuelle.
46La comparaison de ces deux extraits permet d’affirmer que le Code et le Digeste partagent a minima les vices du consentement et la minorité comme autant de causes de restitution et/ou de nullité. De façon plus générique, on peut même dire que les causes de la nullité en droit français sont les (lointaines) héritières des causes de la restitutio in integrum en droit romain. Là pourrait être - établie à grands traits - une première filiation casuistique. Une filiation qui cependant ne résiste guère à la technicité du droit romain. Les codificateurs paraissent affranchis de l’expérience juridique des jurisconsultes romains tant en vices de consentement, qu’en incapacités, a fortiori en cas de minorité (de 25 ans).
Vices de consentement
47Le Code comme le Digeste consacrent chacun l’erreur, le dol, la violence. Ce sont trois motifs de restitutio en droit romain ; trois vices de consentement, causes d’annulation juridique du contrat en droit français. Néanmoins, les vices du consentement romain ne sont pas tout à fait les vices du consentement français. Metus (la crainte) n’est pas vis (la violence). Cette nuance, il se trouve que les jurisconsultes Romains eux-mêmes, qui associaient l’une et l’autre dans l’Edit du prêteur, en avaient conscience . C’est bien une subtilité mais qui, objectivement, ne dépare pas tellement les deux droits.
48Surtout, dans le Digeste, la crainte (dont la violence est une cause) et le dol donnent lieu à une casuistique extrêmement pré-cise, qui expose les deux de façon exhaustive. Cette casuistique du Digeste se retrouve d’autant moins dans le Code que les ju-risconsultes français, pétris de rationalisme y répugnent, tenant ladite casuistique pour synonyme d’insécurité juridique .
Incapacités
49Le Code comme le Digeste consacrent chacun l’incapacité civile comme l’exception, la capacité demeurant la règle. Mais, parce que la condition des personnes diverge d’une société à l’autre et d’une époque à l’autre, les incapables du droit civil français ne sont pas les incapables du ius civile Romanorum. Encore qu’il faille ici préciser les catégories d’incapables en matière non pas civile mais plus spécifiquement contractuelle.
50En droit napoléonien, en vertu de l’article 1124, « les incapables de contracter sont les mineurs, les interdits, les femmes ma-riées, dans les cas exprimés par la loi, et généralement tous ceux auxquels la loi a interdit certains contrats. » L’article 1304 précité ne fait que reprendre les principales incapacités énumérées : femmes mariées non autorisées, interdits, mineurs, sans s’embarrasser des incapables de contracter par interdiction de la loi. Ces autres incapables privés d’énumération, auraient pu être (en 1804) les esclaves (l’esclavage aboli en 1794 est rétabli en 1802), les étrangers, les personnes privées de droit civils par la perte de qualité de français, ou par suite de condamnation judiciaire.
51En droit romain, la capacité juridique suppose de réunir trois états. Etre libre (status libertatis), être citoyen (status civitatis), être chef de famille (status familiae), ces trois conditions cumulées constituent le caput (la capacité, pleine et entière). A contrario, le défaut de l’un de ces états constitue une capite minutis (une moindre capacité). Sont incapables civilement les non libres (es-claves), les non citoyens (mais la catégorie juridique de pérégrin n’a plus guère de portée depuis l’Edit de Caracalla) et les non chefs de famille (les épouses et les enfants non émancipés de leurs chefs de famille, maris et pères).
52A ces incapacités de droit, le droit romain ajoute des incapacités de fait qui tiennent à l’âge (enfance, proximité de l’enfance, proximité de la puberté qui sont autant de catégories d’impuberté), au sexe (les femmes, du moins quand elles ne sont pas sous l’autorité d’un époux), à l’altération des facultés mentales (furieux, fou) et à la prodigalité. L’enfant (qui n’a pas atteint les 7 années de l’âge de raison) ou le furieux ne peuvent pas intervenir dans un acte juridique parce qu’ils sont dans l’impossibilité de donner un véritable consentement. Les autres incapables (en matière contractuelle) peuvent au contraire manifester un consen-tement mais le droit n’en tient pas compte. Ils sont de la sorte frappés soit de l’incapacité de prendre part à tel ou tel contrat, soit d’y jouer le rôle de débiteur. Ces incapables ce sont les impubères sortis de l’enfance, les fils et filles de famille pubères, le pro-digue mit en curatelle et interdit, les femmes mariées. Or, telle ou telle de ces incapacités, si elle frappe le contractant, n’est pas (comme en droit français) une cause de nullité du contrat ; elle en empêche la formation. Dans ces cas d’espèce, il n’y a pas de contrat.
53C’est ce qui explique qu’aucune de ces causes d’incapacité civile ne soit retenue par le prêteur pour accorder une restitutio in integrum. Il n’a pas lieu de l’accorder aux incapables puisque leur incapacité même les empêche de contracter ! Soit qu’ils ne peuvent avoir de consentement, soit que leur seul consentement ne soit pas reconnu pour les obliger valablement. Ce ne sont pas stricto sensu les incapables du droit civil qui peuvent bénéficier d’une restitutio prétorienne. Parce qu’ils ne peuvent pas contrac-ter ou se lier par des obligations.
54A contrario, peuvent en bénéficier des personnes d’ordinaire considérées comme capables - capables au regard du droit civil de s’obliger - mais à qui le droit prétorien reconnaît une certaine faiblesse, une certaine atteinte à leur capacité qui peut justifier une restitutio. Dans le premier cas, incapables civils, l’obligation n’existe pas. Alors que dans le second, capables en situation de faiblesse, elle existe. Elle est de surcroît civilement valable, mais ses conséquences peuvent être annulées au moyen de la restitu-tio. Au nom de l’équité qui gouverne l’action du magistrat et alors même que le droit civil a été respecté. Quelles raisons peuvent dans ce cas justifier une restitutio ? L’aetas (âge), l’absentia (absence), le status mutationem (changement d’état) de celui qui souffre le préjudice. Ces individus, capables civilement mais incapables équitablement, le Digeste les énumère en autant de titres successifs dans ce même livre 4 : ce sont les minoribus vigintiquinque annis (moins de 25 ans), les victimes de capite minu-tis (moindre capacité) et ex quibus causis majores vigintiquinque annis in integrum restituuntur » (pour certaines causes les plus de 25 ans en intégrité restituables).
55Si l’âge est énuméré tel un cas reconnu de restitutio in integrum, il n’est pas pour autant question des mineurs au sens con-temporains du terme. Parce que ne sont pas ici concernés les incapables en défaut d’âge - les enfants, les impubères - mais les minoribus vigintiquinque annis (moins de 25 ans) exposés au titre 4. Ceux-ci ne sont pas stricto sensu des mineurs, des per-sonnes qui n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité légale. Ce ne sont, littéralement, que des moins de 25 ans. Cet âge n’est pas en droit romain assimilable à une majorité légale pleine et entière puisque, sauf émancipation, le fils de famille reste alieni juris (attaché juridiquement) à son père qui est, lui, sui iuris (capable juridiquement). Et ce tant que l’un et l’autre sont en vie. La traduction consacrée en français de « mineur de vingt-cinq ans » n’a guère de sens. En revanche, celle de « moins de vingt-cinq ans » peut se concevoir pour tous ceux qui sont capables civilement parce que sortis de la puberté, c’est-à-dire au-delà de 14 ans. La protection prétorienne s’adresse de la sorte aux personnes - entre quatorze et vingt-cinq ans - qui sont sui iuris (juridiquement capables), mais trop jeunes encore pour savoir bien contracter. Et pas aux impubères incapables. De même que s’explique aussi l’adjonction non pas d’un tuteur (associé aux incapables impubères qui ne sont pas concernés par la restitutio) mais d’un cura-teur.
56Le changement d’état correspond à la capitis minutio (moindre capacité) développée au titre 5. La diminution de capacité qui affecte la condition juridique de la personne, son statut, peut être la conséquence d’une perte de liberté, d’une perte de citoyen-neté, d’une perte de statut de chef de famille. La protection prétorienne est ainsi une nouvelle fois en faveur de personnes ca-pables, qui l’étaient lorsqu’elles ont agi en général, contracté en particulier, mais qui ont été depuis amoindries dans cette capaci-té. Et pas en faveur d’incapables de droit (esclaves, étrangers, femmes mariées, fils de famille) puisque, répétons-le, la capacité même de contracter leur est refusée.
57Enfin, toutes les causes qui peuvent justifier une restitution au profit des plus de 25 ans sont développées au titre 6. Ces causes en réalité sont toujours associées à l’absence. Ce titre décline quels motifs d’absence peuvent justifier une éventuelle restitutio: le service de la République, un séjour en prison, la servitude. Une fois encore, ce ne sont pas aux majeurs incapables (et comme tels représentés, protégés par un tuteur ou un curateur) que le prêteur accordera le bénéfice d’une restitutio mais à des majeurs ca-pables juridiquement, incapables d’être présents et ce, pour des motifs impérieux.
58Le Ius de Justinien est d’une méticulosité rare, c’est un euphémisme de croire que quelques subtilités seulement le déparent du droit napoléonien. Si, grossièrement, sans que la raison moderne ne s’embarrasse trop d’anciennes subtilités. Les motifs de la nullité ou rescision au Code et de la restitutio au Digeste paraissent communs, dans le détail, le thème de la restitution des mi-neurs devrait l’être également.
Mineurs de 25 ans
59Après un article 1304 qui fait figure d’introduction à la section V (action en nullité ou en rescision des conventions), l’article 1305 du Code poursuit sur le thème de la rescision en lui associant celui de la lésion. Une rescision qui est accordée aux seuls mineurs, contre toutes sortes de conventions, le cas de la lésion des majeurs ayant été relégué (après discussion du projet de loi ) à l’article 1313. Par conséquent, dans l’ordre du Code, les articles 1305 à 1312 inclus s’intéressent spécifiquement aux mineurs (tantôt à leur rescision, tantôt à leur restitution). Et ce, sans qu’il soit possible d’affirmer que la lésion soit systématiquement re-quise (celle du mineur n’est précisée qu’aux articles 1305 et 1306).
60Ce thème de la lésion comme cause de rescision ne figure pas au Livre 4 du Digeste comme étant l’une des sept causes en-visagées successivement de restitutio. Au contraire, un commentaire de Callistrate indique que certains jurisconsultes, même s’ils ne font pas l’unanimité, acceptent que la restitutio soit sollicitée auprès du prêteur pour de « petites choses », « minimam rem » . Peut être cet extrait là est-il à l’origine de l’adage « de minimis pratetor non curat » ?
61Suivent dans le Code huit articles - 1306 à 1313 - qui abandonnent (sans explication) le vocabulaire de la rescision au profit de celui de la restitution. Peut être est-ce pour le Code une occasion de renouer avec la restitutio du Digeste ? Peut être est-ce pour le droit français une opportunité de consacrer la jurisprudence romaine ? A cet endroit, une autre comparaison entre les deux œuvres retenues peut se concevoir : celle entre les articles 1306 à 1312 du Code qui envisagent stricto sensu une restitution des mineurs (et non plus leur rescision) et le titre du Digeste consacré à la restitutio des moins de vingt-cinq ans (D. 4. 4.). Titre dont les 50 extraits de jurisconsultes envisagent cette « minorité » comme une cause de restitutio. En réalité, cette comparaison s’avère décevante en termes de romanité influente. Rares sont les prescriptions du Code qui paraissent littéralement empruntées au Di-geste. Une confrontation systématique des sept articles aux 50 extraits en atteste : il est parfois bien difficile d’affirmer que les seconds sont à l’origine des premiers.
62En somme, si les causes de restitution contractuelle du droit napoléonien et celles du droit romain paraissent se rejoindre, ce n’est que de façon superficielle. La permanence de la tradition civiliste est relative lorsque l’on s’attarde quelque peu sur la ca-suistique. Le droit napoléonien n’admet pas tout à fait les mêmes cas de restitution contractuelle que le droit romain. En droit napoléonien, les incapables civils peuvent demander le bénéfice de la nullité ou rescision de leurs conventions. En droit romain, ce ne sont pas des incapables civils qui peuvent demander le bénéfice de la restitutio. Il n’est pas exact de parler d’incapacités lé-gales comme causes de restitutio. Si celle-ci est accordée par le prêteur, c’est à des personnes capables civilement, mais dont les faits ou les actes pourraient être remis en cause au nom de l’équité. En droit français au contraire, et c’est là une différence, dans la section sur la nullité ou rescision qui sert notre comparaison, ce sont les incapables civils qui sont énumérés et qui peuvent bé-néficier d’une rescision contractuelle. Parce que l’incapacité est cause de nullité contractuelle en droit français, tandis que la même incapacité est cause d’impossibilité contractuelle en droit romain. C’est peut être cette divergence fondamentale qui ex-plique sans doute que le droit français n’ait pas retenu à cet endroit les cas particuliers d’absence ou de déchéance civile (la mort civile existe encore en 1804) comme autant de motifs à la restitutio.
63Que peut-on conclure de ce qui précède ? Sur le thème des restitutions contractuelles, qu’est-ce qui finalement, dans la législation civile napoléonienne, procède du ius civile Romanorum ? La terminologie juridique, quelques motifs partagés, une attention particulière accordée aux mineurs. Cela paraît assez peu en somme mais c’est pourtant l’essentiel. Les fondements juridiques, romains, sont pour ainsi dire saufs. Au-delà du vocabulaire juridique, le concept même de restitution - remise dans l’état antérieur - demeure, même si Code et Digeste n’en partagent pas les mêmes causes.
64Si les juristes du XIXe siècle ont consacré la nullité moderne du contrat, ils ont presque totalement abandonné la restitutio ou la rescisio classiques. La nature de la restitutio romaine n’a pas pour autant disparu dans la restitution contemporaine. Il s’agit encore et toujours de remettre une situation en son premier état : avant que l’acte n’ait été produit, avant que le contrat n’ait été établi et a fortiori avant qu’il n’ait été rescindé ou annulé. En droit français, la restitution est une conséquence de l’illégalité d’un acte. Le contrat qui enfreint les prescriptions du Code (conditions essentielles pour la validité des conventions, art. 1108 à 1133 C. civ.) est sanctionné par la nullité. Or la nullité est rétroactive. C’est donc la rétroactivité qui justifie la restitution. La restitution n’est plus qu’une conséquence indirecte de la nullité, elle-même sanction de l’illégalité. En Ius, la restitutio est une sanction directe de l’iniquité d’un acte. Le contrat qui ne respecte pas les principes de l’équité (appréciés par le prêteur en connaissance de cause D. 1. 4. 3.) est sanctionné par la restitutio in integrum. Illégalité et iniquité peuvent être synonymes parfois : c’est ce qui explique que les vices du consentement (erreur, dol, violence) ou l’incapacité du contractant (minorité en particulier) du Code soient autant de thèmes de l’Edit du prêteur, commenté au Digeste en trois titres sur metus, dolus, minoribus vigintiquinque annis. Les pres-criptions du Code, l’Edit du prêteur, ses commentaires par les jurisprudentes au Digeste, peuvent bien varier à l’infini dans les détails, sur l’essentiel, ils se rejoignent en ce qu’ils visent un même idéal, une même finalité de ius, de juste. La restitutio est du ius (honorarium), la restitution est juste. Pour autant, la restitutio in integrum classique n’a pas été consacrée dans le droit moderne comme une institution juridique à part entière. La restitution dans le Code n’est en somme qu’un résidu de la restitutio in inte-grum du Digeste.
65Pourquoi ? Parce que c’est une de ces subtilités du droit romain qui le déparent du droit français ? La restitutio in integrum est-elle une subtilité ? Une institution qui occupe un livre entier au Digeste ne peut pas être une subtilité qui, pour cette seule rai-son, n’aurait pas sa place au Code. Sauf à concevoir le Digeste in extenso comme un raffinement excessif de la pensée juridique romaine. Dans ce cas, c’est passer à côté de la richesse même de la jurisprudentia romaine. Sur ce thème de la restitution, inexo-rablement lié à celui de la rescision, la législation impériale réunie dans le Code de Justinien et ses Novelles n’a pas été plus géné-reusement exploitée, puisqu’une seule constitution a été sollicitée : celle qui, pour les ventes, tente de remédier à la lésion énorme. Les Institutes de Justinien n’ont pas été exploitées davantage sur le thème de la restitutio in integrum, faute de pouvoir l’être puisque cette institution prétorienne n’y est pas développée (contrairement à la rescindenda venditione). N’y a-t-il pas une cer-taine contradiction à vouloir prétendre puiser au droit romain le titre des contrats presque en entier et à en refuser la technicité de ses sources?
66Il faut croire que la restitution (comme la rescision) appartiennent à ces détails que les législateurs contemporains ont préféré confier aux juges et à la jurisprudence. Mais, à s’en tenir à des catégories juridiques plus larges, force est de constater que le droit napoléonien ne reprend pas non plus les classifications romaines qui portent sur les extinctions des obligations. Paiement, accep-tilation, stipulation, novation, consentement contraire sont les moyens envisagés aux Institutes de Justinien. Paiement, novation, remise volontaire, compensation, confusion, perte de la chose, nullité ou rescision, condition résolutoire, prescription sont les moyens énumérés au Code de Napoléon (qui ne propose pas de théorie générale sur ce thème). Nullité ou rescision ne sont pas des moyens juridiques classiques d’extinction des obligations. C’est dans l’ancien droit français qu’il faut les rechercher. Dans Domat par exemple , qui énumère comme diminution ou anéantissement des engagements : les paiements, compensations, novations, délégations, cessions de biens et déconfiture, rescisions et restitutions. C’est dans ce même ancien droit français qu’il faut recher-cher l’explication de la substitution progressive de la notion de rescision à celle de restitution : le monarque capétien se substituant à l’empereur romain d’une part, ce même souverain refusant que les causes de restitutio du droit romain soient de droit commun au royaume de France.
67A défaut d’être une subtilité, la restitutio serait-elle trop romaine pour figurer au rang des institutions françaises ? N’est-elle pas trop datée en 1804 pour prétendre passer à la postérité que Napoléon souhaitait pour « son » Code civil ? Davantage que la restitutio, c’est le prêteur en réalité qui n’a pas survécu à l’Antiquité romaine, dans un contexte constitutionnel qui pourtant la ressuscitait une nouvelle fois de ses cendres . La restitutio in integrum relève du droit honoraire et non pas du droit civil. En cela, elle n’intéresse pas spécifiquement le droit civil des obligations (ou des contrats) : elle relève plutôt de la procédure civile. Cette restitutio figure parmi les quatre procédures exceptionnelles accordées au prêteur en vertu de son imperium (faculté de commander). Il n’en dispose pas en vertu de sa jurisdictio (faculté de ius dicere, dire le droit et d’organiser les procès civils) qui justifie la procédure formulaire . C’est un remède extraordinaire dont disposent les magistrats supérieurs contre une trop grande rigueur du droit ordinaire. Par ce moyen, ils viennent au secours d’un citoyen qui n’a aucune voie de droit commun pour se protéger contre le résultat inique d’un fait ou d’une omission excusable.
68Cette appréciation de l’iniquité par le magistrat est au cœur de la restitutio puisque celle-ci suppose un fait, un acte qui soient conformes au droit civil (ils ne sont pas illégaux dirait-on aujourd’hui) mais dont les effets sont, au vu de circonstances particu-lières, contraires à l’équité et par conséquent injustes, contraires non pas au ius civile mais au ius dans l’absolu (ars boni et ae-qui ). Le prêteur est sans doute une institution trop marquée historiquement pour figurer dans notre Code de procédure civile. Mais peut être que la disparition de la restitutio n’est pas uniquement une conséquence de la disparition de cette magistrature. Ne serait-elle pas tout autant (si ce n’est plus) la conséquence de la disparition - tacite - de l’équité non pas en principe, mais dans la pratique juridictionnelle ? Et ce au nom du légalisme révolutionnaire comme du positivisme contemporain. Il faut bien le recon-naître, l’équité - vertu ancienne, éminemment juridique, largement contractuelle - n’a jamais tellement eu les faveurs des mo-dernes. Le Code a perdu de vue toute la mesure que prônait Paul, toute l’aequitas en défendant par son célèbre article 4 au juge tout pouvoir de dire le droit (ius dicere), toute juridiction dans son acception originelle de iurisdictio. En France, il faut attendre 1976 et le « nouveau » Code de procédure civile pour que soit reconnu à toute juridiction de l’ordre judiciaire le pouvoir de tran-cher en équité, lorsqu’il s’agit de droits dont les parties ont la libre disposition et qu’un accord exprès des plaideurs a délié le juge de l’obligation de statuer en droit .
69Et si, en définitive l’équité, et au-delà la tradition civiliste, l’hommage appuyé des législateurs du XIXe siècle aux compilateurs du VIe siècle, n’étaient que rhétoriques ? En pratique, les rédacteurs du Code n’ont pas directement travaillé à partir du Digeste, les comparaisons précitées entre ces deux sources en attestent. Bigot-Préameneu le reconnaît dans son exposé des motifs au Corps Législatif : le Digeste et les Institutes (il n’évoque pas même le Code de Justinien ou ses Novelles à cet endroit) ne sont pas exempts de critiques . Lui et les autres rédacteurs du projet « ont cru que ce serait rendre service à la société si on retirait du dé-pôt des lois romaines une suite de règles qui, réunies, formassent un corps de doctrine élémentaire, ayant à la fois la précision et l’autorité de la loi. ».
70C’est pour cette raison qu’ils se sont détournés de la source classique du droit romain pour lui préférer son interprétation par des juristes modernes (Domat et Pothier) . Le Code de Napoléon ne s’embarrasse pas de bien des interrogations exprimées au Digeste de Justinien. Au Code l’efficacité du principe, au Digeste l’exhaustivité de la casuistique, ce qui est conforme à l’esprit de l’un et de l’autre, si différents au demeurant :
Portalis, Discours préliminaire :
L’office de la loi est de fixer, pas de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence, et non de des-cendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. » Justinien, Constitution deo auctore, §5 (traduit):
« Vous diviserez tout le droit en cinquante livres et en un certain nombre de titres déterminés […] en sorte que rien ne puisse être laissé en dehors de cette collec-tion, mais que dans ces cinquante livres l’ensemble du droit ancien, confondu au cours de presque mille quatre cent ans, mais par nous épuré, soit comme retranché derrière un mur, ne laissant rien au de-hors.
71L’œuvre de Justinien est immense. Son influence sur notre législation civile, depuis 1804 mais plus encore en 2012, l’est moins. Pas davantage que la France n’est aujourd’hui fille aînée de l’Eglise, sa législation n’est fille aînée du Corpus Iuris Civilis. Du moins la présomption est simple, pas irréfragable. Il en est souvent ainsi de ces grands mythes fondateurs, dont les historiens du droit savent mieux que d’autres entretenir la mémoire. Peut être est-il temps aux juristes - historiens ou non - d’assumer à l’heure des codifications européennes une nouvelle renaissance du droit romain. La redécouverte que nous pourrions faire du Corpus Iuris Civilis, phénix à nul autre pareil mais réduit à quelques cendres dans les facultés de droit françaises, pourrait être pour nous, à notre tour, une sorte de révélation. N’oublions pas que Portalis en 1804 a pris fait et cause pour un droit romain alors menacé de tabula rasa par des révolutionnaires sans doute plus nationalistes que ne le furent jamais les juristes de l’ancien régime. Sa con-damnation vaut aujourd’hui pour tous ceux qui, quelles qu’en soient les raisons, refusent de rendre à Justinien ce qui est à Justi-nien : « La plupart des auteurs qui censurent le droit romain avec autant d’amertume que de légèreté, blasphèment ce qu’ils ignorent. ».
Notes
1 PORTALIS (J.-E.-M.), Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil, Paris, 1844, p. 27.
2 Imperator Caesar Flavius Justinianus.
3 L’adjectif byzantin est impropre puisque, depuis 330, Byzance reconstruite par l’empereur Constantin est renommée par lui « sa » ville – πολις [polis] en grec qui est la langue de l’Orient dans l’Antiquité – Κωνσταντινούπολις [Constantinoupolis].
4 . L’empire romain a été plusieurs fois scindé en deux entités géographiques, l’une occidentale et l’autre orientale, avec pour capitales respectives Rome et Constantinople: en 284, 337, 364 et une ultime fois en 395, à la mort de l’empereur Théodose.
5 ULPIEN, D., 1, 1, 1.
6 PORTALIS (J.-E.-M.), op. cit. Sur la place du droit coutumier dans cette « transaction », voir J. POUMAREDE, « De la fin des coutumes à la survie des usages locaux le Code civil face aux particularismes », Les penseurs du Code civil, Paris, 2009, pp. 173-182.
7 Distinction théorisée par H. KLIMRATH entre des « pays » [provinces, régions] les uns de droit écrit et les autres de coutumes, Etudes sur les coutumes, Paris, 1837.
8 SCHIAVONE, IUS, L’invention du droit en Occident, Turin, 2005, Paris, 2008 pour la traduction française.
9 P. PICHONNAZ, Les fondements romains du droit privé, Zurich, 2008.
10 R.-M. RAMPELBERG, Repères romains pour le droit européen des contrats, Paris, 2005.
11 R. ZIMMERMANN, The Law of Obligations: Roman Foundations of the Civilian Tradition, 2e éd., Oxford, 1997.
12 J. GAUDEMET, E. CHEVREAU, Droit privé romain, Paris, 3e éd., 2009.
13 C’est lui qui inéluctablement nous a fourni les cadres de notre étude ; c’est à lui qu’est revenu, en définitive, notre Code civil. ,P. OURLIAC, J. de MALAFOSSE, Histoire du droit privé, I. Les obligations, Paris, 2è éd., 1969.
14 Plus encore sans doute que les autres domaines du droit, celui des obligations suit les méandres des mutations du monde moderne, même si sa technique a largement emprunté à un système juridique imaginé pour une autre économie et une autre société, celles de l’Antiquité romaine, au gré des deux renaissances que son droit a connues en Occident., J. BART, Histoire du droit privé de la chute de l’Empire romain au XIXe siècle, Paris, 1998, p. 399.
15 Les fondations romaines du droit des obligations, E. CHEVREAU, Y. MAUSEN, C. BOUGLE, Introduction historique au droit des obligations, Paris, 1ère éd., 2007, pp. 1-100.
16 . « La permanence du droit romain, que nous avons déjà signalée et qui est beaucoup plus profonde [en droit des obligations] que dans toute autre partie de notre droit, atténue la portée des césures historiques. », J.-L. GAZZANIGA, Introduction historique au droit des obligations, Paris, 1992, p. 35.
17 Un préjugé sans doute alimenté par les historiens eux-mêmes laisse à entendre que le droit des obligations, bien plus que d’autres branches du droit civil, est un droit pérenne, D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Paris, 2007, p. 1.
18 . F.-J. PANSIER, avant-propos à E. CHEVREAU, Y. MAUSEN, C. BOUGLE, Introduction historique au droit des obligations, Paris, 1ère éd., 2007, p. XI.
19 J.-P. LEVY et A. CASTALDO, op. cit., p. 643.
20 D. DEROUSSIN, « Le contrat à travers le Code civil des Français », Les penseurs du Code civil, op. cit., pp. 249-290.
21 Titre III du Livre III: Des différentes manières dont on acquiert la propriété.
22 FENET (F.), Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil…, Tome 13, Paris, 1836, p. 46.
23 C’est dans l’équité, c’est dans la conscience, que les Romains ont trouvé ce corps de doctrine qui rendra immortelle leur législation. Après avoir prévu le plus grand nombre de conventions auxquelles l’état des hommes en société donne naissance, avoir balancé tous les motifs de décision entre les intérêts les plus opposés et les plus compliqués, avoir dissipé la plupart des nuages dont souvent l’équité se trouve enveloppée, avoir rassemblé tout ce que la morale et la philosophie ont de plus sublime et de plus sacré ; tels sont les travaux réunis dans cet immense et précieux dépôt que ne cessera de mériter le respect des hommes, dépôt qui contribuera à la civilisation du monde entier, dépôt dans lequel toutes les nations policées se félicitent de reconnaître la raison écrite, Ibid., pp. 215-218.
24 On n’a point entendu arrêter ou détourner la source abondante de richesses que l’on doit toujours aller puiser dans le droit romain. Il n’aura pas l’autorité de la loi civile de France, il aura l’empire que donne la raison sur tous les peuples. La raison est leur loi commune. C’est un flambeau dont on suit spontanément la lumière, Ibidem. Il serait intéressant d’identifier à quand exactement remonte l’assimilation entre droit romain et ratio scripta, sans doute n’est-elle pas si médiévale qu’elle n’en a l’air. Peut être coïncide-t-elle avec le rationalisme de Descartes?
25 Elles seraient bien mal entendues les dispositions du Code civil relatives aux contrats, si on les envisageait autrement que comme des règles élémentaires d’équité dont toutes les ramifications se trouvent dans les lois romaines. C’est là que sont les développements de la science du juste et de l’injuste; c’est là que doivent s’instruire ceux qui voudront y faire quelque progrès, et en général tous ceux qui seront chargés de la défense ou de l’exécution des lois consignées dans le Code français., ibidem.
26 Dans la partie qui traite des contrats et des obligations conventionnelles, le législateur se trouve dans l’heureuse impuissance de proclamer une volonté particulière : tout ce qu’il dit doit être l’expression des éternelles vérités sur lesquelles reposent la morale de tous les peuples. Le livre où il puise ses lois doit être la conscience ; ce livre où tous les hommes trouvent le même langage quand la passion ne les aveugle pas. Les Romains ont écrit ces vérités dans leurs loi, ibid., pp. 312-313.
27 Pourrions-nous être accusés de méconnaître la part que les jurisconsultes romains auront eue à la rédaction de cette partie importante de notre Code civil ? Que notre respect et notre reconnaissance pour ces bienfaiteurs de la société soient aussi connus qu’ils doivent être profonds ! C’est pour nous un devoir de répéter que l’étude des lois romaines sera toujours aussi nécessaire que la distribution de la justice ; que c’est toujours aux lois romaines qu’il faudra remonter pour mieux connaître les principes sur les transactions, pour en saisir l’enchaînement, pour en apprécier les conséquences ,Ibid., p. 411.
28 Le droit n’est que l’analyse de ce qui est équitable et bon. Ce ne sont pas les conventions humaines qui peuvent créer les idées du juste et de l’injuste. Ces idées sont dans la conscience de l’homme probe et éclairé. La science du droit consiste donc à discerner les rapports que les conventions ont avec l’équité. Et c’est cette science que les Romains ont éminemment possédée. Oui, tribuns, ce titre des Contrats, qui renferme tous les éléments des obligations conventionnelles, qui devra être le manuel des jurisconsultes et des juges, c’est aux Romains que nous le devons presque tout entier., ibid., p. 412.
29 Ce titre, en effet, tient de plus près que tout autre aux principes du droit naturel, et les règles qu’on y a tracées sont la pure expression de ces principes. Aussi ces règles sont-elles depuis longtemps et généralement adoptées : et il est bien remarquable qu’au milieu de la discordance de nos lois, de nos coutumes et de nos usages sur tant d’autres objets, toutes les parties de la France n’aient eu, à l’égard des conventions ou des contrats, qu’une doctrine uniforme et n’aient reconnu qu’un même législateur. Ce législateur, c’est la raison, dont le droit romain, en cette matière surtout, est regardé comme le fidèle organe. Partout ses décisions avaient entraîné l’assentiment, et dispensé la législation moderne de se faire entendre, ibid., p. 414.
30 25 et 26 juin 2010, Le restituzioni contrattuali, Ottave Giornate di Studio Roma Tre-Poitiers, Facoltà di Giurisprudenza di roma III, dont le présent article fut l’enjeu d’une communication orale.
31 M. MALAURIE-VIGNAL, Les restitutions en droit civil, Paris, 1991. C. GUELFUCCI-THIBIERGE, Nullité, restitutions et responsabilités, Paris, 1992.
32 D’autres concepts juridiques ont été depuis soumis à cette expérience: comme ceux des servitudes réelles, des choses communes ou des contrats innomés. Autant d’articles qui sont en cours de publication.
33 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, 8e éd., 2077, p. 824, V° « Restitution ».
34 A. AZARA E. EULA, Novissimo Digesto Italiano, Turin, vol. XV, 1975, p. 739-744. Bibliographie exhaustive sur le thème mais qui s’arrête en 1965.
35 CALLISTRATE, D. 4. 6. 2. pr. « Hoc edictume quod ad eos pertinet qui eo continentur, minus in usu frequentatur: hujusmodi enim personnis extra ordinem jus dicitur ex senatusconsultis et principalibus constitutionibus » [Si on considère cet édit par rapport aux personnes qu’il concerne, il n’est point aujourd’hui d’un grand usage ; car ces personnes sont secourues extraordinairement par les senatus-consultes et les constitutions du prince.
36 A. DUMAS, « Les lettres de rescision », Recueil des mémoires et travaux publiés par la société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, Paris, 1948, pp. 39-53.
37 R. AUBENAS, « Un cas concret de restitutio in integrum (1352) », Etudes d’histoire du droit privé offertes à P. Petot, Paris, 1959, pp. 1-6.
38 DOMPIERRE de JONQUIERES, De restitutionibus in integrum, Lyon, 1767.
39 SFORZIA ODDUS, De restitutione in integrum, Venise, 1584 et Francfort, 1672; Tractatus de in integrum restitutionibus, ex diuersis I.V. doctoribus decerpti. [Cujas, Rebuffi etc..], Lyon, 1589.
40 P.-J. BRILLON, Dictionnaire des arrêts et jurisprudence universelle des Parlements de France et autres tribunaux du royaume, Paris, 1727, Tome 5, V° « Restitution », pp. 924-931; D’AGUESSEAU, Recueil des questions de jurisprudence proposées à tous les Parlements du royaume, s. l., 1749, V° « Restitution »; MALLEBAY DE LA MOTHE, Questions de droit, de jurisprudence et d’usage des provinces de droit écrit du ressort du Parlement de Paris, Paris, 1770, V° « Restitution », pp. 368-370.
41 J.-L. GAZZANIGA, « Domat et Pothier: le contrat à la fin de l’Ancien Régime », Droits, 1990, n° 12, pp. 37-46.
42 Parce qu’il est question de déceler une influence romaine dans la rédaction du Code, c’est la version de 1804 et non celle de 2011 qui guide le commentaire; mais les évolutions sur ce thème restent infimes.
43 . Du point de vue strictement formel, le Digeste [abrégé D.] se décline en livres, titres et paragraphes; le Code [abrégé C.] en livres, titres, chapitres et sections sans que les catégories homonymes soient envisagées dans les mêmes proportions.
44 D. 4. 1: « De in integrum restitutionibus », D. 4. 6: « Ex quibus causis majores vingintiquinque annis in integrum restituuntur », D. 4. 9 : « Nautae, caupones, stabularii ut recepta restituant ».
45 Le livre 4 du Digeste n’est pas intitulé. Mais les neuf titres qui le composent traitent tous et chacun de la restitution (le premier en pose les principes, les huit suivants en énumèrent autant de causes).
46 C. civ.. art. 1307, 1311.
47 C. civ. art. 1306, 1308, 1309, 1310.
48 C. civ. art. 1312.
49 C. civ. art. 1313.
50 Nullité ou rescision qui sont (à elles deux) le septième des neuf modes d’extinction des obligations. C. civ. art. 1234: « Les obligations s’éteignent: Par le payement, Par la novation, Par la remise volontaire, Par la compensation, Par la confusion, Par la perte de la chose, Par la nullité ou la rescision, Par l’effet de la condition résolutoire, qui a été expliquée au chapitre précédent, Et par la prescription, qui fera l’objet d’un titre particulier. »
51 A. ERNOUT, E. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 4e édition 1959, p. VIII.
52 Je demande à quiconque a le sens de l’expression juste et adéquate et qui ne considère pas la langue comme un vulgaire outil, mais comme une ressource de l’art, si nous avons une langue dans laquelle on puisse rédiger un code. ». « On ne saurait cependant négliger le fait qu’une difficulté considérable et peut être insurmontable tenait au stade actuel du développement de la langue allemande, qui n’est pas du tout façonnée pour le droit, et moins que tout pour la législation ; quiconque veut entreprendre quelque tentative de ce genre à son propre compte, par exemple une traduction des Pandectes, peut se rendre compte de la difficulté, voire de l’impossibilité qui en résulte pour un exposé suggestif des rapports de droit individuel. A cet égard même, les Français avaient un net avantage par rapport à nous grâce à la plus grande précision des formes et à l’origine latine de leur langue. F. C. SAVIGNY, De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit, traduit par A. DUFOUR, Paris, 2006, pp. 75 et 94.
53 CICERON, De Re Publica, I, XLIII, « Tum fit illud, quod apud Platonem est luculente dictum, si modo id exprimere Latine potuero; nam difficile factu est, sed conabortamen. » « Alors arrive ce que Platon a décrit avec force et que je voudrais pouvoir exprimer en latin, entreprise difficile, que je tenterai cependant. », traduction de Ch. APPUHN, Paris, 1965. LUCRECE, De Natura Rerum, I, 137-140: « Nec me animi fallit Graiorum obscura reperta Difficile illustrare latinis versibus esse Multa novis verbis praesertim cum sit agendum Propter egestatem linguae et rerum novitatem. » « Je sais bien que les systèmes obscurs des Grecs sont difficiles à rendre clairement dans nos vers latins, surtout parce qu’il faut user de tant de mots nouveaux, à cause de la pauvreté de la langue et de la nouveauté des sujets! », traduction de H. CLOUARD, Classiques Garnier, Paris, 1954, p. 10.
54 J.-Ph. DUNAND, B. SCHMIDLIN, B. WINIGER, Droit privé romain, II, Obligations, Genève, 2010, p. 151.
55 Restituere c’est remettre les choses dans leur état antérieur, dans leur status, dans le statu quo ante. Quant à integer, ce mot latin signifie intact, non touché [intègre]. La restitutio in integrum consiste à considérer qu’un acte n’est pas advenu, qu’un état ne s’est pas établi. Tout se passera comme si l’acte était resté à l’état antérieur. J.-Ph. LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Paris, 2002, p. 22.
56 P.-F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, Paris, 8e éd., 1929, rééd. 2003, p. 1127.
57 Anéantissement, par un tribunal, rétroactif d’un acte juridique, pour inobservation de ses conditions de formation, ayant pour effet soit de dispenser les parties de toute exécution, soit de les obliger à des restitutions réciproques.
58 Sanction prononcée par le juge et consistant dans la disparition rétroactive de l’acte juridique qui ne remplit pas les conditions requises pour sa formation.
59 A. AZARA et E. EULA, Novissimo Digesto Italiano,T. XV, pp. 573-579.
60 Sur l’expression « ipso iure rescindi », DI PAOLA, Contributi ad una teoria della invalidità e della inefficacia in diritto romano, Milan, 1966, pp. 56 et s.
61 LAURIA, « Iurisdictio », Studi Bonfante, vol. II, Milan, 1930, pp. 481 et s.; MAIER, Prӓtorische Bereicherungsklagen, Berlin-Leipzig, 1932, p. 101; CARRELLI, « Decretum » et « sententia » nella « restitutio in integrum », Annales de Bari, 1938, pp. 129 et s. ; CERVENCA, Studi vari sulla « restitutio in integrum », Publications de l’Université de Trieste, Milan, 1965; RAGGI, La « restitutio in integrum nella « cognitio extraordinem », Milan, 1965.
62 C., 4, 44, 2; 8.
63 FENET (F.), op. cit., pp. 91-111.
64 Lors des débats sur la rescision de la vente, le hasard mit entre les mains d’un Conseiller d’Etat la thèse de Thomasius sur la L. 2 C. de resc. vend. Et il est vraiment touchant de voir avec quel étonnement cet écrit est reçu, analysé et discuté. [Conférence du Code civil avec la discussion… du Conseil d’Etat et du Tribunat, Paris, 1805, 8 vol. , t. 6, p. 44.], F. C. SAVIGNY, op. cit., p. 82.
65 Ces mots de rescision et de restitution en entier ne signifient proprement que la même chose. J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, 1689, p. 291. « La rescision que dans notre usage nous confondons avec la restitution en entier, seulement admise dans le droit romain », J.-B. DENISART, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, 5e éd., 1766, Tome III, p. 282, V° « Rescision ».
66 En droit romain, deux sortes de nullité : une nullité de plein droit qui sanctionne l’absence d’un élément essentiel du contrat (nulla obligatio, nihil agitur); une annulation facultative, qui est accordée par le prêteur pour la protection de certaines catégories de personnes (mineurs de 25 ans, victimes de violence et de dols) mais suivant une appréciation équitable du cas (c’est l’in integrum restitutio). Quelque chose de cette dualité d’origine, recueillie à travers le Droit canonique et l’Ancien Droit continue de peser sur la théorie moderne. Ces propos ne sont pas ceux d’un romaniste mais d’un civiliste: J. CARBONNIER, Droit civil, Tome 4, Les obligations, Paris, 22e éd., 2000, p. 210.
67 Avant la réforme de 1968, l’interdit est le terme utilisé pour désigner un incapable majeur frappé d’interdiction judiciaire en vue de sa protection. Déjà dans l’ancien droit, l’interdit était celui « auquel le juge a ôté l’administration de ses biens, pour cause de fureur, d’imbécillité ou de prodigalité, et à qui en conséquence il a créé un curateur, pour gérer ses affaires, et avoir l’administration de ses biens », FERRIERE (Cl.-J. de), Dictionnaire, Tome II, p. 53.
68 Après ce premier titre général sur la restitutio in integrum et selon un schéma très aristotélicien de classification en genre puis en espèces. Car tel est bien l’œuvre des jurisconsultes romains que d’avoir élaboré non seulement un art du droit, ars iuris, mais aussi une véritable science juridique à l’instar des sciences naturelles ou politiques d’inspiration grecque.
69 D. 4. 2: « Quod metus causa gestum erit ».
70 D. 4. 3: « De dolo malo ». J. DUQUESNE, « L’in integrum restitutio ob dolum », Mélanges P. Fournier, Paris, 1929, pp. 185-205.
71 D. 4. 4: « De minoribus vigintiuinque anni ».
72 D. 4. 5: « De capite minutio ». Cette capite minutio que Hulot traduit par changement d’état (civil) est mort civile pour P.F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, pp. 208-209.
73 D. 4. 6: « Ex quibus causis majores vingintiquinque annis in integrum restituuntur ». Ce titre, pour l’essentiel, traite de l’absentia (absence) mais évoque des « alia iusta causa » (autres justes causes).
74 D. 4. 7: « De alienatione judicii mutandi causa facta. »