La répression pénale des délits à bord aux XIXe ET XXe siècles

Par Kodjovi ABOBOYAYA
Publication en ligne le 25 juillet 2019

Texte intégral

1Le navire véhicule plusieurs intérêts à la fois : l’ordre public1, l’intérêt de l’armateur2, celui des passagers3, celui du personnel navigant4 et, par-dessus tout, celui de l’État pour qui la puissance navale constitue un élément important de la fortune publique. À l’image de ces intérêts enchevêtrés, le navire est composé d’une multitude de personnes formant une « société particulière »5. Cette communauté est marquée par le poids de la hiérarchie des commandements. Elle est en outre régie par une loi assurant la protection des divers intérêts, en application de l’adage latin ubi societas ibi jus. À l’instar de toute société, nonobstant la réglementation de la vie à bord du navire, il est à constater qu’il s’y commet diverses infractions comme des contraventions6, des crimes et des délits qualifiés de délits maritimes objets de notre thématique.

2Les délits constituent, de manière générale, une infraction dont l’auteur est puni de peines correctionnelles. En matière maritime, les délits revêtent une connotation sen- siblement différente. Ils sont en effet « tous les faits, autres que ceux qualifiés « fautes contre la discipline », qui, en raison de leur gravité, sont de nature à troubler l’ordre du bord, à compromettre la hiérarchie ou à entraver le succès de l’expédition »7. Ils englobent aussi bien les délits prévus par le code pénal que les autres infractions prévues par la loi maritime. Ces faits, dans la vie ordinaire sont moins graves. Mais, la carrière du navire, le voyage en mer, implique tout un ensemble de risques. Par conséquent, les mêmes faits, jugés moins graves dans la vie ordinaire, deviennent graves en mer en raison des circonstances et du lieu où ils ont été commis8.

3Les faits à bord qui reçoivent ainsi la qualification de délits sont d’ordre divers. Entre autres, ils consistent aux atteintes contre les personnes telles que les voies de fait entre les hommes de l’équipage9 et celles contre un supérieur10, la rébellion11 qui met en péril une valeur fondamentale qu’est le respect de l’autorité. Il peut aussi s’agir des atteintes aux biens consistant à l’altération des vivres ou des marchandises par le mélange de substances non malfaisantes12, du détournement, de la dégradation ou la vente d’un objet utile à la navigation13, du vol14. Les délits à bord concernent également les atteintes à la paix du bord. C’est le cas de l’ivresse15, de la résistance à un ordre et le complot16, de la désertion17. Il existe aussi des infractions propres au capitaine lequel, selon la célèbre formule, est « seul maître à bord après Dieu »18. Il peut ainsi se rendre coupable d’abandon du navire19, de détournement et destruction de la cargaison20, ou encore d’abus de pouvoir ou d’autorité21. Au XXe siècle avec la loi du 17 décembre 1926, le législateur apporte une nouvelle touche à la matière en forgeant une répression souple compte tenu des nouvelles mentalités qui émergent. C’est ainsi par exemple qu’il a forgé une nouvelle conception du délit de la désertion22. Bien d’autres délits comme le détournement, la détérioration ou la vente d’un objet utile à la navigation, la résistance à un ordre, la rébellion sont également incriminés autrement23. Ces faits listés sont générateurs de responsabilité pénale pour quiconque est inscrit au rôle d’équipage24 ou embarqué à bord du navire25. Les peines sanctionnant ces faits infractionnels étaient assez redoutables. En effet, d’après l’ordonnance de Colbert de 1681 sur la Marine et notamment l’article 22 (Livre II, titre 1er), les peines autorisées dans « la cité flottante »26 étaient : la cale27, quelques coups de garcette au bout de corde28, la mise au fer29, la mise au pain et à l’eau, le retranchement de la ration, etc. Avant le décret de 1852, ces peines étaient donc essentiellement corporelles30. Cependant, jugées par la suite inhumaines et dégradantes31, ces peines seront abandonnées avec le décret de 185232 et plus encore avec la loi du 17 décembre 1926.

4Si les délits se commettant à bord du navire font l’objet de répression, la définition du navire n’a pas fait l’unanimité. Ainsi, Balthasar Marie Emerigon, empruntant sa définition aux lois romaines, retient que « le mot navire comprend tout bâtiment de charpenterie propre à flotter et à être mené sur l’eau et que les chaloupes et les plus petites barques sont comprises sous la même dénomination ». Aldrick Caumont le définit comme « tout bâtiment employé au commerce maritime quelle que soit sa dimension »33. Pour Patrick Chaumette, « selon les meilleurs auteurs, le navire est un meuble, apte à la navigation maritime, donc à affronter les périls de la mer… »34. Il « est une coque, un système de propulsion et un espace »35, pense M. Ndende. Eu égard à la difficulté d’une définition unanime, il a néanmoins été dégagé notamment par la jurisprudence un critère décisif d’identification du navire ; celui de son aptitude à affronter les périls de la mer36. De toutes ces définitions, on peut retenir dans le cadre de cette étude que le navire est un bâtiment de mer destiné au commerce et à bord duquel se forme une "société particulière". Le mot navire renvoie à la notion du droit maritime qui, selon l’expression du doyen Rodière, est « l’ensemble des règles juridiques relatives à la navigation maritime »37. Le droit pénal à bord objet de cette recherche concerne la marine de commerce. Celle-ci, selon Marie-Hélène Renaut, est à comprendre lato sensu et vise aussi les marins naviguant sur des cargos, des paquebots, des bateaux de pêche ou de plaisance38. Cet ensemble rentre dans la dénomination de la marine marchande, par opposition à la marine militaire qui concerne généralement la marine de l’État39.

5Précaire auparavant, la législation maritime ne prit une véritable importance qu’au Moyen-Âge dans les XIe, XIIe et XIIIe siècles. C’est en effet au XIIe siècle que remonte la rédaction des Rôles d’Oléron40 qui régissaient le commerce maritime des côtes occidentales de la France. La navigation maritime a retrouvé un nouvel élan avec la découverte de l’Amérique en 149241. Mais jusque-là, aucune réglementation spécifique à la répression des faits délictueux en mer n’est encore prescrite42. Une véritable législation pénale maritime autonome ne naîtra qu’avec l’ordonnance de Colbert d’août 1681 sur la marine marchande. Cette ordonnance, un vrai code, rassemble toutes les dispositions éparses que sont les édits, ordonnances, coutumes qui régissaient la marine marchande. Elle conférait en outre des pouvoirs considérables au capitaine43 du navire qui jouissait d’une autorité salutaire car il pouvait infliger promptement des sanctions disciplinaires à bord. De même, la compétence pour connaître des délits commis sur mer était attribuée aux tribunaux de l’Amirauté44 composés des juges spéciaux habi- tués à la vie maritime. Cette organisation de la répression des infractions à bord du navire faisait régner la discipline. La justice maritime était de la sorte spéciale, rapide et complète. Mais avec la Révolution, cette logique fut rompue avec la loi de l’Assemblée constituante du 13 août 1791 qui a supprimé les tribunaux de l’Amirauté45, et réparti leurs attributions répressives aux juridictions ordinaires. Cette situation a beaucoup nui à la marine marchande. Le capitaine, de même que les juges de l’Amirauté ne sont plus dotés de pouvoir répressif. Alors, l’indiscipline gagne les navires. Cela décourage les capitaines qui se trouvent impuissants, désarmés face aux désordres régnant à bord au quotidien et qui causent l’insuccès de l’expédition. Cette situation a perduré pendant des décennies car, l’Empire s’est quelque peu désintéressé de la navigation marchande. Ainsi, un décret impérial du 22 juillet 1806 crée des conseils de guerre de justice et des conseils de guerre pour la flotte de l’État mais ne dispose pas pour la marine marchande toujours démunie de statut pénal particulier et privée de juridiction spéciale. La répression des infractions commises à bord relève toujours du droit commun. Or, les tribunaux de droit commun sont dans l’impossibilité d’assurer la répression. Certains faits qui leur sont soumis se trouvent n’être point prévus par le code pénal promulgué en 1810. La mission commerciale que commande l’expédi- tion maritime est incompatible avec les poursuites judiciaires ordinaires. Cette réalité conduit à l’impunité qui motive les marins à réitérer les mêmes fautes. Une fois encore, l’indiscipline gagne les équipages et l’absence de répression, tout en la favorisant, tend à entraîner l’anarchie à bord.

6C’est dans ce contexte qu’est né, après trois projets46 dont deux non aboutis, le décret disciplinaire et pénal de la marine marchande du 24 mars 185247. Ce décret a semblé renouer avec la pratique de l’ordonnance de 1681. Il y a d’ailleurs puisé abondamment en consacrant le retour à un droit pénal propre à la flotte marchande. La répression des délits maritimes prévus par le décret relève dorénavant du tribunal maritime commercial institué par l’article 948. Ce tribunal est une juridiction exceptionnelle non permanente où siègent des officiers, des marins, mais aucun magistrat professionnel. Il peut être constitué à l’occasion d’un délit unique, dans tout port de France ou des colonies et même de l’étranger et à bord des bâtiments de l’État. Ses jugements sont rendus en premier et dernier ressort, insusceptibles de recours par les justiciables49. Cette manière de réprimer les actes illicites à bord a donné un coup d’arrêt à l’anarchie prédominant à bord dans la mesure où les châtiments suivaient de près les délits.

7Cependant, si l’avènement du décret disciplinaire et pénal de la marine marchande a été salutaire, il n’en demeure pas moins qu’après un peu plus d’un demi-siècle d’application, il s’est révélé obsolète et caduc. Certaines de ses dispositions et institutions ne répondaient plus aux exigences du moment. C’est ainsi que dès 1905, un courant d’opinion réclame la mise en conformité des textes répressifs avec les nouveaux droits des ouvriers marins50, la suppression de la juridiction d’exception qu’est le tribunal maritime commercial. Le législateur accède aux réclamations avec la loi du 17 décembre 192651 qui consacre le principe d’un code disciplinaire et pénal de la marine mar- chande (C.D.PM.M.). Cette loi, est « une réécriture » du décret disciplinaire et pénal de 1852. Elle reprend quasiment le décret mais innove quelque peu en l’adaptant à l’évolution des mœurs.

8En somme, le décret de 1852 et la loi de 1926 représentent les deux lois essentielles du XIXe au XXe siècle ayant marqué l’histoire de la répression des délits à bord des navires et qui serviront de base à la présente étude. Même si elles ont subi des modifications, elles demeurent les deux grands monuments législatifs post-révolutionnaires sur le droit pénal à bord du navire marchand ayant servi de canal aux réformes ultérieures jusqu’à aujourd’hui.

9Par ailleurs, la répression des délits à bord des navires poursuivait plusieurs objectifs. Ces fins sont entre autres le maintien de la hiérarchie, d’ordre, de discipline, d’harmonie à bord et de la sécurité du navire gage du développement du commerce maritime international. Au fond, la répression vise à protéger l’expédition maritime et ses intérêts intrinsèques. Hormis cette finalité, il s’agit d’élaborer un régime de répression "taillé sur mesure" à destination des marins car la position d’un marin embarqué n’est point du tout celle d’un citoyen ordinaire. En outre, l’organisation de la répression des délits à bord satisfait à un impératif colonial. Eu égard aux buts, l’organisation de la répression n’était pas celle du droit pénal ordinaire. Partant de ce constat, quel était dès lors le régime répressif des délits à bord du navire du XIXe au XXe siècle ?

10Certes, le législateur s’est quelque peu servi du droit pénal ordinaire pour organiser la répression des délits à bord52. Toutefois, il a davantage imprimé une touche originale à la répression de ces délits. Cette spécificité se justifie par le fait que les lois ordinaires sont sans force contre les délits à bord qui sont d’une nature spéciale. « Ces lois ne les avaient pas prévus et ne pouvaient guère les prévoir »53, dit le ministre de la Marine et des colonies54 Théodore Ducos dans le rapport qui précède le décret de 1852. Ainsi, la réglementation de cette société vise à maintenir l’ordre, la tranquillité et la sûreté de la vie à bord. Pour atteindre ces objectifs, le droit pénal de la marine marchande contrarie le droit pénal ordinaire tant en ce qui concerne l’incrimination des actes punissables (I) qu’en ce qui concerne la sanction frappant les auteurs des délits (II).

Le caractère sui generis de l’incrimination

11L’incrimination revêt un caractère sui generis car les actes incriminés sont pour la plupart des faits purement maritimes. Pour les définir, il faut recourir à un langage inusité dans la loi commune. Ainsi, l’incrimination des actes maritimes ne définit pas les éléments constitutifs. Cette absence de définition d’éléments constitutifs des délits à bord est plus prononcée sous l’empire du décret de 1852 que sous l’égide de la loi du 17 décembre 1926. Cela a pour conséquence la sévérité de l’incrimination pénale sous le décret de 1852 (§ 1) et l’atténuation de celle-ci avec la loi de 1926 (§ 2). Quoi qu’il en soit, un trait commun lie ces deux époques : ces délits ont un caractère formel dans la mesure où ils se constituent indépendamment de tout préjudice.

§ 1. La sévérité de l’incrimination pénale dans le décret de 1852

12La rigueur de l’incrimination se traduit par l’absence de définition des éléments constitutifs du délit à bord du bâtiment (1). Abstraction faite de cette assertion, plusieurs exemples tirés du décret et de la jurisprudence illustrent l’austérité répressive (2).

L’absence d’éléments constitutifs du délit à bord

13Sous le décret de 1852, on assiste à une absence catégorique de définition des éléments constitutifs du délit à bord. Cela a pour effet la sévérité des qualifications pénales. Ainsi, le duo élément matériel-élément moral du droit commun qui, dans la vie ordinaire, communique à un acte le caractère délictueux, est méconnu dans la société du bord sans doute en raison de sa spécificité. Le délit maritime à bord se consomme donc indépendamment des éléments matériel et intentionnel. Dès lors, il apparaît plus que légitime de s’interroger sur les qualifications répressives. Exactement, à partir de quel moment un délit à bord peut être considéré comme constitué ou qualifié ?

14La qualification, en droit pénal, consiste à la définition ou à l’identification du fait infractionnel par le législateur ou par le juge. Légalité l’oblige. La qualification légale est l’acte par lequel le législateur définit les incriminations55.

15L’analyse du décret de 1852 permet d’affirmer qu’il est rude et atypique dans l’incri- mination des actes délictueux. Cela répond à la volonté du législateur qui veut une sanction rapide, efficace. Le principe d’une sanction suivant de près l’infraction à bord est l’une des finalités du décret. Le ministre de la Marine le met en exergue quand il affirme dans le rapport explicitant le décret qu’« en mer, les moindres fautes sont graves par les funestes conséquences qu’elles peuvent entraîner. Si ces fautes ne sont pas réprimées sur-le-champ, la punition est illusoire ; elle équivaut à l’impunité, qui devient un encouragement pour l’insubordination »56. À partir de là, un délit à bord est réputé commis dès lors que le fait illicite se produit. Tout comme l’ordonnance de 1681 qui voulait à tout prix maintenir les marins dans un état de subordination et de discipline, le décret ne voyait que le résultat, le fait délictueux et ne se préoccupe guère de ce qui a déterminé ce fait. Par conséquent, le délit à bord au XIXe siècle ne requiert pas d’élément intentionnel pour être réputé consommé.

16Le législateur de l’époque a procédé à des qualifications péremptoires, excluant toute discussion sur les traditionnels éléments constitutifs des délits ou, à tout le moins, rendant difficile la détermination desdits éléments. Le délit est donc ici réputé commis au seul vu de l’acte incriminé, sans se préoccuper de savoir si l’agent en avait ou non l’intention. Cette attitude correspond à une phase historique primitive de responsabilité purement objective où la commission du fait suffit à appliquer mécaniquement la sanction57.

17Par ailleurs, cette démarche peut se comprendre d’autant plus qu’à cette époque le législateur, même en droit pénal général, n’a pas encore songé à consacrer expressément le principe selon lequel « il n’y a point délit sans intention de le commettre »58. L’expression intention criminelle n’a été introduite dans le code pénal que postérieurement au décret disciplinaire et pénal de la marine marchande, précisément par la loi du 2 avril 189259.

18Si l’absence de définition des éléments constitutifs du délit à bord est révélatrice de la sévérité de l’incrimination, d’autres illustrations traduisent également cette sévérité.

Des exemples illustratifs de la sévérité de l’incrimination

19Non seulement le législateur ne définit pas les éléments constitutifs du délit, mais également incrimine sévèrement les actes prohibés à bord. Plusieurs exemples attestent de cette sévérité.

20Il en est ainsi des fautes de discipline60 réitérées. Aux termes de l’article 60 § 1, elles constituent un délit puni de l’une des peines spécifiées à l’article 55, au choix du juge. La sévérité résulte ici du fait que la succession de deux fautes, aussi légères soient-elles, au cours d’un même voyage communique à l’acte fautif le caractère d’un délit. Si une seconde faute se commet, le capitaine devra donc procéder comme si c’était un délit. Il n’est pas besoin que la première faute fasse l’objet d’une sanction ou d’un acte quelconque pour que la seconde soit qualifiée de délit. Il suffit qu’il y ait un acte matériel. Cela s’explique par le caractère particulier du domaine maritime où l’ordre et la discipline doivent régner à tout prix. Et à en croire Louis d’Avout61, cette rigoureuse répres- sion se justifie eu égard à la vie à bord et des dangers que peut causer l’indiscipline.

21L’exemple du vol à bord du navire mérite aussi d’être cité, car il est sévèrement incriminé. Il est l’objet du 11e paragraphe de l’article 60. Le vol à bord n’est un délit que si la valeur de l’objet est de moins de 10 francs et qu’il n’y a pas eu effraction de la part des auteurs que sont l’officier marinier, le matelot, le novice ou le mousse. Des cir- constances aggravantes transforment le délit en crime62 si la valeur de l’objet dépasse 10 francs63 ou s’il a été commis avec effraction. Il en est de même si, conformément à l’article 93, le vol a été commis par les capitaines, les officiers, subrécargues64 ou passagers, même sans effraction. Cette sévérité dans l’incrimination du vol découle certainement de la volonté du législateur de maintenir la relation de confiance qui doit régner à bord pendant le voyage, de décourager cette infraction qui était devenue recrudescente non seulement à bord des navires, mais encore dans la vie ordinaire au cours du XIXe siècle65.

22La jurisprudence veille à cette sévérité. Ainsi, le jugement d’un tribunal maritime commercial en date du 21 juin 1856 condamne un novice du navire La Jeune Ida du Havre à une peine de réclusion pour avoir volé à bord un objet dont la valeur excédait 10 francs. La cour de cassation approuve la peine dans son principe, mais censure le jugement par le fait que le tribunal, en condamnant à une peine criminelle, a violé les règles de sa compétence et commis un excès de pouvoir66. Cette incrimination paraît sévère dans la mesure où la valeur au-dessous de laquelle l’acte conserve sa nature délictueuse semble très modique67.

23La punition du vol est plus redoutable en matière maritime qu’en droit pénal ordi- naire. En effet, le principe en matière maritime consistant à limiter le plafond de la valeur de l’objet du vol à un taux ne se retrouve pas en droit pénal ordinaire qui a simplement énuméré à l’article 381 cinq circonstances aggravantes susceptibles de conver- tir un délit en crime. Il s’agit du vol commis de nuit, à plusieurs, par effraction, avec port d’arme et violence ou menace de faire usage d’une arme. En outre, il est légitime de s’interroger sur celui qui évalue la valeur et comment on l’évalue. Le décret reste muet sur ces préoccupations. Ces imprécisions peuvent aisément ouvrir une porte à l’arbitraire pénal.

24On peut enfin citer l’exemple de la désertion régie par les articles 60, 65, 66, 68, 69 du décret. Était réputé déserteur tout marin qui rompait de lui-même le contrat d’en- gagement qui le liait à l’armateur. La désertion était considérée comme une atteinte à l’ordre public et sévèrement réprimée car, à l’imitation des marins militaires, les marins marchands étaient soumis au système des classes68. Elle est très préjudiciable à l’expédition dans la mesure où elle affecte la composition de l’équipage. Selon l’article 65, cette incrimination donne lieu à sanction dès lors que les marins s’absentent sans permission pendant trois fois vingt-quatre heures de leur navire ou du poste où ils ont été placés, ou laissent partir le navire sans se rendre à bord après avoir contracté un engagement69. À l’étranger, en vertu de l’article 66, le marin est coupable de déser- tion dès qu’il s’absente deux fois vingt-quatre heures. L’incrimination est encore plus sévère parce que le remplacement du marin déserteur à l’étranger est plus onéreux. En tout état de cause, l’incrimination de la désertion donne l’impression que le législateur poursuit pénalement le marin qui rompt son contrat d’engagement. Cela a paru sévère et même « anti-juridique »70 lors des travaux préparatoires de modification du décret de 1852. Il en est ainsi puisque le contrat d’engagement est un contrat synallagmatique de droit civil dont la rupture, quelle que grave qu’elle puisse être, ne devrait donner lieu qu’à des dommages-intérêts.

25Les qualifications pénales sont sévères sous le décret de 1852. Elles font néanmoins l’objet de critiques71 notamment dans le monde maritime et sont atténuées avec la loi du 17 décembre 1926.

§ 2 L’adoucissement de l’incrimination pénale sous l’empire de la loi de 1926

26La société évolue, les mœurs aussi. Les marins critiquent le système répressif du décret en y voyant une survivance des archaïsmes de l’ordonnance de 1681, « en porte-à-faux avec l’évolution des mœurs »72. Ainsi, au fil des années, l’application du décret de 1852 apparaît difficilement compatible avec l’état social. Il est combattu de toutes parts. Il est donc impérieux de revisiter les incriminations dans le sens de l’atténuation des qualifications pénales et des peines. Le législateur est sensible à cette évolution et adoucit l’incrimination des délits nautiques (2). Sur le plan juridique, il soumet la com- mission de la plupart des délits régis à l’élément intentionnel (1).

La subordination du délit à l’élément intentionnel

27L’atténuation peut se percevoir sous l’angle de certaines incriminations qui subor- donnent la consommation du délit à bord à l’élément intentionnel. À l’époque, les vocables de « frauduleusement », « intention frauduleuse », « intention criminelle », « volontairement », « de mauvaise foi », « sciemment » sont employés pour désigner l’intention73. Ainsi, la loi de 1926 soumet la consommation des délits des acteurs74 de la vie à bord ou de toute autre personne à l’élément intentionnel. Mais, contrairement au droit pénal ordinaire, l’élément intentionnel n’est prévu qu’à propos de quelques infractions seulement car elles menacent moins la sécurité de l’expédition maritime.

28S’agissant des acteurs de la vie à bord, l’article 44 de la loi de 1926 les punit conformément à l’article 147 du code pénal75 s’ils inscrivent sur les documents à bord des faits altérés ou contraires à la vérité. Toutefois, la sanction est subordonnée à la fraude de la part des auteurs. Autrement dit, si l’intention frauduleuse n’est pas démontrée, le délit est réputé non consommé. Il en est de même de l’article 47 qui punit le capitaine qui fait fausse route ou détruit sans nécessité tout ou partie de la cargaison, des vivres ou des effets. Dans ce dernier cas, le délit n’est constitué que si l’agent agit volontairement et dans une intention criminelle76. Une dernière illustration concerne les dispositions de l’article 48 de la loi qui ne punit le capitaine qui vend le navire dont il a le commandement que s’il y a une intention frauduleuse de sa part.

29S’agissant de toute autre personne embarquée, l’article 46 conditionne la punition à l’intention coupable de l’auteur qui commet un acte de fraude ou de contrebande pouvant entraîner une condamnation pénale pour l’armement. La même exigence s’observe à l’article 49 en ce qui concerne la violation du secret des correspondances ou la suppression de celles-ci. L’intention coupable est enfin exigée dans deux autres cas, aux articles 51 et 52 qui punissent respectivement l’altération de vivres, boissons ou autres objets de consommations par le mélange de substances non malfaisantes et le détournement, la détérioration ou la vente d’un objet utile à la navigation, à la manœuvre, ou à la sécurité du navire. Pour que l’auteur soit puni, il faut que la partie poursuivante établisse qu’il a agi volontairement, condition qui n’existait pas sous l’empire du décret de 1852 qui punissait quasiment les faits précités.

30L’adoucissement répressif n’est pas le fruit du hasard, il est dû à un mouvement d’ensemble de contestation du « terrible décret »77 de 1852. Dès lors, l’assouplisse- ment de l’incrimination est lié, non seulement à la subordination du délit à l’élément intentionnel, mais encore à la progression des mentalités qui tendent de plus en plus à l’atténuation répressive.

L’adoucissement lié à l’évolution des mœurs

31L’atténuation des incriminations des délits à bord trouve d’autres illustrations saisissantes tenant aux mœurs en perpétuelle évolution :

32Tout d’abord, contrairement au décret qui ne fait aucune gradation des fautes78, la loi fait un distinguo entre les fautes légères et les fautes graves contre la discipline. Cela a pour conséquence que les fautes légères79, quelle que soit leur répétition, ne peuvent jamais constituer des délits80 Seules les fautes graves contre la discipline déterminées à l’article 1481 peuvent communiquer à la répétition le caractère d’un délit puni d’un emprisonnement de six jours à six mois82. Mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que les fautes graves subséquentes soient commises au cours du même embarquement.

33En outre, certaines incriminations du décret de 1852, comme l’ivresse à bord avec désordre83, le refus d’obéir ou la résistance84, la dégradation de matériel à bord85, l’absence irrégulière du bord86 qui, jadis constituaient un délit, sont dorénavant des fautes graves contre la discipline. Ces fautes ne deviennent délits qu’à la suite d’une nouvelle faute au cours de la même embarcation. Dans ce prolongement, il importe de souligner que le vol n’est plus incriminé sévèrement comme sous le décret. L’article 53 de la loi de 1926 le punit désormais conformément au code pénal ordinaire et aucune distinction n’est plus faite entre mousse, novice, maître, officier, capitaine etc.

34L’illustration de l’atténuation peut également se faire avec une nouvelle conception de la désertion. Le délit de la désertion est désormais incriminé autrement. Ainsi, le législateur ne le désigne plus sous le vocable de désertion mais de délit de l’absence irrégulière et de l’abandon de poste prévu à l’article 39. Dorénavant, pour être qualifié de délit, il faut que l’absence irrégulière et l’abandon de poste, s’il a lieu dans un port métropolitain, soit l’œuvre d’une personne qui est affectée à un poste de garde ou de sécurité et que son absence a eu des conséquences dommageables. Soit, hors d’un port métropolitain, lorsque l’inculpé était de service ou que son absence a eu pour résultat de l’empêcher de reprendre son service à bord87. Dans tous les autres cas, l’absence irrégulière ne constitue plus qu’une faute de discipline, faute légère ou faute grave, selon les distinctions établies par les articles 10 et 14 de la loi88. De toute façon, la partie poursuivante, en l’espèce le Procureur de la République après avis de l’administrateur de l’inscription maritime89, « doit indiquer les motifs pour lesquels le poste auquel était affecté le marin constituait un poste de garde ou de sécurité »90. L’idée est qu’il ne faut pas que la rupture du contrat d’engagement soit accomplie dans des circonstances pouvant compromettre la sécurité du navire et le succès de l’expédition.

35Malgré l’évolution de l’incrimination des délits à bord d’une époque à une autre, il est constant que ces délits constituent des infractions formelles. C’est là encore une des marques de leur spécificité répressive. En effet, le droit criminel ne vient en principe sanctionner que les atteintes à un intérêt juridique protégé par la loi. C’est pour cela que tant d’incriminations incorporent dans les éléments de l’infraction la survenance d’un dommage. Toutefois, il est des agissements qui troublent gravement l’ordre public que le législateur réprime en eux-mêmes sans qu’il soit besoin d’un quelconque préjudice91. Ces agissements sont connus sous le terme d’infraction formelle c’est-à-dire celle « dans laquelle la loi incrimine un procédé sans s’inquiéter des suites »92. L’auteur ajoute qu’ « en somme, l’infraction est consommée alors même que l’effet recherché n’a pas été atteint ». Le législateur, en matière maritime, a principalement recours à cette méthode pour prévenir le pire et atteindre avec certitude et efficacité les marins ou toute autre personne embarquée.

36En effet, la responsabilité pénale en matière maritime ne requiert pas la survenance d’un résultat ou d’un préjudice. À titre illustratif, les fautes de discipline réitérées, la désobéissance avec injures ou menaces, le vol, les voies de fait à bord sont punies in- dépendamment de tout préjudice ou dommage. La loi se contente de sanctionner un comportement prohibé. L’agissement contraire à la loi suffit donc à réprimer l’auteur. La répression des délits à bord est, à l’image des contraventions de droit commun, empreinte d’automaticité.

37D’ailleurs, le délit de désertion cause a priori un préjudice pécuniaire à l’armateur ; celui-ci devant dépenser une somme supplémentaire pour remplacer le déserteur. Mais la poursuite du déserteur ou de celui qui abandonne son poste n’est pas subordonnée au préjudice de l’armateur ou au fait que l’abandon de poste compromette la sécurité du navire. Ici, le législateur intervient en amont. Il a choisi cette méthode sans doute pour dissuader les membres de la société du bord, pour prévenir les situations les plus dramatiques pouvant survenir ou encore faire régner la hiérarchie, l’ordre, la disci- pline à bord sans laquelle, répétons-le, l’échec de l’expédition est garanti.

38En tout état de cause, le maître-mot de l’incrimination faisant la spécificité de la matière maritime est la discipline à bord. Cette idée se retrouve dans la sanction, la- quelle est également empreinte d’originalités.

La singularité de la sanction

39Parce que les lois maritimes à bord s’appliquent à une « société particulière », elles contiennent des pénalités exceptionnelles. La législation pénale maritime a su allier sévérité et souplesse dans la sanction. De ce fait, les buts poursuivis par les sanctions ne sont pas exactement ceux du droit pénal ordinaire. Ainsi, par rapport au droit pénal ordinaire, la peine s’appliquant au droit pénal maritime à bord revêt un aspect original (A). Elle varie également selon la nature du délit et la qualité du marin coupable (B).

§ 1. L’originalité de la peine à bord du navire

40La peine sanctionnant les délits à bord marque une relative rupture avec le droit commun quant aux buts (1). De même, si le délit se renouvelle, la répression au titre de la récidive s’applique d’une façon particulière (2).

L’originalité de la peine quant à ses buts

41Pour le juriste pénaliste ordinaire, le châtiment édicté par la loi pénale poursuit un double objectif. Ainsi, Beccaria dans son ouvrage Des délits et des peines dira que « le but des châtiments ne peut être… que d’empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et de dissuader les autres d’en commettre de semblables »93. Plus tard, Jean-Claude Soyer affirmera que la peine consiste « d’une part, à prévenir une atteinte à l’ordre social et, d’autre part, lorsqu’elle est prononcée par le juge répressif de sanctionner cette atteinte »94.

42Le droit pénal maritime se démarque partiellement de ces considérations ordi- naires car, en édictant les peines, il poursuit notamment des buts devant permettre la stabilisation de la vie à bord, la sécurité du navire et par conséquent le développement de la marine marchande. De la sorte, il pourvoit à des nécessités essentiellement particulières qui ne sont pas exactement celles de la vie ordinaire de relation de particulier à particulier. Dès lors, il érige des règles pénales particulières. C’est dans cet ordre d’idées que Norbert Latour, affirme que « l’ensemble formé par le navire et les personnes qu’il transporte représente une “société particulière” pour le bon ordre de laquelle une loi spéciale devait être édictée »95. Et donc, à une législation particulière des peines et des buts particuliers.

43Pour mieux comprendre que les buts poursuivis par les peines sanctionnant les délits à bord sont quelque peu différents de ceux du droit commun, il convient de rappeler que la suppression des tribunaux de l’Amirauté par la Constituante le 13 août 1791 a pour effet néfaste d’affaiblir considérablement la puissance navale de l’État96.

44Cet affaiblissement était dû à la recrudescence de l’indiscipline et du désordre qui prédominaient à bord97. Partant, la ratio legis de la législation pénale à bord depuis l’ordonnance de 168198 en passant par le décret de 1852 et la loi de 1926 est de favoriser le développement de la navigation en faisant régner l’ordre et la discipline à bord sans lesquels la force maritime de l’État va évidemment sombrer. Ainsi, au fond, la sanction est dominée par l’idée de préservation et du maintien de la discipline, de l’ordre, contrairement au droit pénal ordinaire où la volonté du législateur est de faire réparer le tort créé à la société par le coupable tout en permettant la réinsertion de celui-ci. Dans cet ordre d’idées, Marie-Hélène Renaut pense que « quel que soit le châtiment décidé, la peine est organisée… pour le bien commun de l’équipage par l’exemplarité de la peine. La sanction doit corriger le délinquant, précisément le remettre dans l’état où il se trouvait avant la faute, rectifier en lui les tendances mauvaises et le rendre à nouveau digne d’appartenir à la communauté de bord… »99.

45Mieux, le rapport du ministre de la marine et des colonies annonçant le décret démontre fort clairement la volonté disciplinaire du législateur. En effet, le rapport, dans ses premières phrases, déclarait : « parmi les causes qui entravent le développement de notre marine marchande, base essentielle de la puissance navale du pays, l’indiscipline des équipages n’est pas la moins sérieuse »100. D’ailleurs, en parcourant le rapport qui fait état des objectifs de la législation pénale à bord, il est constant que l’indiscipline a été le leitmotiv du législateur101. Théophile-Marie Marec fait mieux ressortir la volonté disciplinaire qui a toujours animé le législateur. Ainsi, dans les avant-propos de son ouvrage, il affirme en 1840 qu’« une loi de la plus haute importance, une loi destinée à raffermir ce qu’on peut appeler le nerf de la navigation, c’est-à-dire destinée à fortifier et à maintenir la discipline parmi les équipages des navires du commerce, est, depuis longtemps, l’objet des méditations, des travaux du ministère de la marine »102. De surcroît, il n’est pas inutile d’ajouter que les législateurs successifs ne cachent pas leur motivation disciplinaire lorsqu’ils qualifient de "disciplinaire" l’ensemble des règles répressives applicables aux marins. Marguerite Haller quant à elle justifie la raison d’être d’une législation particulière pour le navire en ces termes : « il s’agit avant toutes choses de maintenir l’ordre à bord, de permettre au capitaine d’assurer librement la direction et les manœuvres du navire et de sauvegarder son autorité »103.

46Bien plus, l’idée selon laquelle la sanction est prédominée par le but de préserver et de maintenir la discipline se perçoit à travers quelques peines. C’est l’exemple de la peine de l’embarquement sur un bâtiment de l’État prévu au paragraphe 3 de l’article 55 du décret. Dans la circulaire du 5 août 1854, le ministre de la Marine a éclairé les juges à propos du but poursuivi par le législateur à travers cette peine. Selon lui, « le but principal du législateur a été de placer pendant un certain temps le marin indocile sous le joug de la discipline dont le bâtiment de guerre est la meilleure école »104.

47La loi du 17 décembre 1926 portant code disciplinaire et pénal de la Marine marchande n’a pas rompu avec cet esprit disciplinaire. C’est ainsi que tout acte illicite mettant en cause la discipline est sévèrement sanctionné. Dans cette veine, le député Moro-Giafferi, présentant l’économie de cette loi, affirme : « de l’ensemble du code, se dégage une réduction générale des pénalités sans qu’il soit cependant porté atteinte à la discipline »105. D’ailleurs, cette spécificité tenant aux buts de la sanction à bord est présente dans les projets ayant abouti à la loi. Ainsi, le rapporteur du projet de code disciplinaire et pénal de 1923 ne perd pas de vue cet objectif disciplinaire lorsqu’en conclusion de son rapport, il précise que les modifications par lui apportées au projet de loi du gouvernement en date de 1913 tendent à « maintenir la discipline à bord des navires français »106.

48La particularité de la peine quant à ses buts a une incidence certaine sur la répression au titre de la récidive qui est aussi réglementée d’une façon singulière.

Le particularisme de la récidive

49Un délinquant est en état de récidive lorsqu’après avoir été condamné définitivement pour une première infraction, il en commet une ou plusieurs autres dans des conditions prévues par la loi107. La récidive est une cause d’aggravation de la peine résultant pour un délinquant de la commission d’une seconde infraction dans les conditions précitées par la loi, après avoir été condamné définitivement pour une première infraction. La peine est aggravée car on considère que le premier avertissement donné au délinquant par la condamnation définitive n’était pas assez sévère. Contrairement au droit commun, la récidive est réglementée très strictement en matière maritime.

50En premier lieu, alors que le droit pénal l’a prévu à l’article 58108 de manière générale à toute infraction, elle n’est prévue que dans deux cas dans le décret de 1852. C’est l’exemple de l’article 78 alinéa 2 qui punit normalement d’un emprisonnement de quinze jours à un an, auquel peut s’ajouter l’interdiction temporaire de commandement, le capitaine qui s’enivre pendant qu’il est chargé de la conduite du navire. Mais en cas de récidive de sa part, l’interdiction de commandement peut être définitive. La même peine est prévue pour le capitaine ou maître à l’article 82 qui récidive en favorisant par son consentement l’usurpation de l’exercice du commandement du bord en ce qui touche la manœuvre et la direction nautique du navire. L’on peut regretter le fait que la récidive ne soit prévue que de manière très précise. En effet, il est des vices à bord qui devraient être sévèrement réprimés en cas de récidive. L’ivresse de quiconque par exemple est un vice difficilement corrigeable et qui peut facilement compromettre le salut du navire. Et pourtant la répression au titre de la récidive n’est prévue que pour quelques acteurs du bord que sont le capitaine et le maître. Les nécessités de la protection du navire et de la sécurité de l’expédition commanderaient qu’elle soit généralisée à toute personne composant la société du bord. La loi de 1926 ne fait mieux. Elle ne prévoit quasiment pas la récidive et se contente de frapper d’une peine double à l’article 55, alinéa 2, le capitaine ou l’armateur qui a embarqué ou fait embarquer de l’alcool ou des boissons spiritueuses en quantité supérieure aux quantités réglementaires. La récidive, sous le régime de la loi de 1926 en son article 56, frappe également le capitaine qui s’enivre habituellement. M. Paul-Cyprien Fabre, dans son ouvrage Projet de code disciplinaire et pénal, explique la restriction des cas de récidive par le fait qu’elle « n’entraîne pas seulement l’application d’une peine plus sévère, mais qu’elle change la nature de la faute, d’où nécessité de restreindre l’application de la récidive à des cas bien déterminés »109.

51En second lieu, la récidive ne s’entend pas dans le sens du droit pénal ordinaire. En droit ordinaire, deux éléments sont nécessaires pour qu’il y ait récidive : une condam- nation réunissant certains caractères110 et une infraction commise ultérieurement. En droit pénal à bord en revanche, il y a récidive alors même que le précédent délit n’a pas fait l’objet d’une condamnation. D’ailleurs, de la lettre et l’esprit de l’article 60 § 1, il résulte que la simple réitération de la faute suffit à aggraver la peine pour récidive. Il n’est donc pas nécessaire que le premier fait illicite fasse l’objet d’une condamnation, encore moins définitive. Un avertissement, même verbal, suffit donc. Il faut néanmoins que l’avertissement soit fait au cours du même embarquement111. De surcroît, le mini- mum d’un an et un jour de prison exigé par l’article 58 du code pénal pour qu’il y ait récidive légale n’est pas applicable ici. Selon L. Gardrat, approuvant cette conception atypique de la récidive, « on ne saurait appliquer ici les règles posées par les art. 56 à 58 du Code pénal ordinaire, qui exigent une condamnation antérieure pour qu’il y ait lieu à aggravation de peine, à raison de la récidive »112. Il en est de même pour Albert Wilhelm pour lequel la récidive est spéciale en la matière et « ne doit pas être envisagée suivant les règles du droit commun »113.

52Au regard de tout ce qui précède, le caractère sui generis du droit pénal sanction- nant les faits délictueux à bord est avéré. Il l’est encore s’agissant de la peine applicable qui est à géométrie variable.

§ 2. La variabilité de la peine

53Le bateau n’est pas seulement une cathédrale de bois. Eu égard aux risques de l’expédition maritime, la société du bord s’organise sur un modèle hiérarchique. Ain- si, certaines personnes, de par leur comportement, sont censées servir d’exemples à d’autres qui leur sont soumises. La même hiérarchie se retrouve dans les faits punissables qui n’appellent pas tous les mêmes peines. Ces constatations impliquent que le degré de la peine varie tant en fonction de la nature du délit (1) qu’en fonction de la qualité du coupable (2).

Le degré de la sanction selon la nature du délit

54Le délit peut être celui portant atteinte, soit à la propriété, soit à l’armateur, soit à la personne du capitaine ou de l’équipage ou celui relatif à un manquement en vue d’assurer le salut du navire etc. Dans l’un ou l’autre cas, le degré de la peine varie. Cette fluctuation répressive est prédéterminée par la loi, mais le juge aussi y joue un rôle dans certains cas. Une marge de manœuvre lui est d’ailleurs réservée, aux termes de l’article 60 § 14, dans le prononcé des peines énoncées dans l’article 55 du décret de 1852.

55Il convient dès lors d’énumérer quelques exemples démontrant que les peines varient suivant la nature des délits. En effet, les voies de fait à bord peuvent entraîner des conséquences fâcheuses au cours du voyage. Le législateur a entendu les réprimer sévèrement et l’intensité de la sanction varie selon les suites des voies de fait. Ainsi, les voies de fait entre les hommes de l’équipage114 et les voies de fait contre un supérieur115, lorsqu’elles ne donnent pas lieu à une maladie ou à une incapacité de travail personnel de plus de 30 jours, sont sanctionnées à l’une des peines édictées à l’article 55116. Toutefois, si ces voies de fait occasionnent une maladie ou incapacité de travail supérieure à 30 jours, l’auteur est puni plus sévèrement conformément à l’article 309117 du code pénal. Contrairement au droit commun qui fixe à 20 jours la durée de l’incapacité de travail, elle est fixée ici à 30 jours. Ceci est une marque de souplesse, selon certains auteurs. Mais la doctrine majoritaire, à l’instar de Marie-Hélène Renaut, est unanime pour reconnaître que « la difficulté à constater à bord, en l’absence d’un chirurgien, la durée véritable de la maladie et surtout l’incapacité de travail provenant des sévices, peut expliquer pourquoi les rédacteurs du décret ont élevé à trente jours le terme prévu par le code pénal »118. Abstraction faite de cette hypothèse et pour illustrer une fois encore la versatilité des peines, il y a lieu de faire mention de l’article 63 du décret qui crée le délit spécial de voies de fait contre le capitaine et les officiers de bord en les punissant lourdement, de 3 mois à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 25 à 500 fr.

56L’article 58 de la loi de 1926 quant à lui réalise un retour au droit commun pour punir les mêmes faits. Les voies de fait contre le capitaine sans incapacité de travail de plus de 20 jours sont donc punies suivant l’article 230 du code pénal119.

57Le délit peut aussi consister en la rébellion. Il s’agit d’une autre forme de violence pouvant sévir à bord d’un navire. Elle met en péril le respect de l’autorité. C’est pourquoi le décret a entendu la réprimer d’une peine d’une intensité forte selon les cas, en vue de sauvegarder le principe fondamental du respect de l’autorité à bord. En effet, à l’image du code pénal120, le décret distingue la rébellion armée de celle qui ne l’est pas et punit sévèrement la première. Ainsi, selon l’article 60 § 14, la rébellion de moins du tiers des hommes d’équipage, les officiers y compris, est un délit passible de l’une des peines correctionnelles énumérées à l’article 55. En revanche, la rébellion est punie de réclusion, conformément à l’article 95, si elle a lieu de la part de plus du tiers de l’équipage. Les rebelles sont passibles aux travaux forcés à temps s’ils sont armés. Sont réputés armés les rebelles porteurs d’une arme ostensible.

58L’article 60 de la loi de 1926 punit plus sévèrement ces actes de violence. En effet, contrairement au décret qui ne punit de réclusion ou de travaux que si le nombre de rebelles atteint le tiers de l’équipage, la loi de 1926 les punit, qu’ils soient armés ou non, pourvu que la rébellion soit collective. C’est dire donc que le soulèvement, même de deux personnes contre l’autorité du capitaine, peut être qualifié de collectif s’il a été fait de concert.

59En outre, des conséquences dommageables peuvent aussi résulter des atteintes à la paix du bord. La paix à bord peut en pâtir lorsqu’il y a de la part des marins, résistance à un ordre ou du complot réprimés par des peines diverses et rigoureuses. C’est ainsi que l’article 64 du décret de 1852 punit d’un emprisonnement de six jours à six mois auquel peut être jointe une amende de 16 à 100 fr. tout marin qui aura formellement refusé d’obéir aux ordres du capitaine ou d’un officier en vue d’assurer la manœuvre du navire. Cependant, la peine prend une coloration plus intensive lorsque l’ordre, le refus est opposé aux ordres tendant au salut du navire ou de la cargaison ou encore pour le maintien de l’ordre. Dans tous ces cas, la personne, même non marin, qui en sera l’auteur sera punie d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans auquel pourra être ajoutée une amende de 100 à 300 fr. Les intérêts protégés, à savoir la protection du navire et la sécurité de l’expédition, justifient la gradation de la sanction. L’article 59 de la loi de 1926 réprime les mêmes faits mais moins sévèrement. En plus, il subordonne la répression à une sommation formelle du capitaine. Cette nouvelle condition que pose la loi ne paraît pas la bienvenue et pourra disparaître dans les jours à venir. En effet, la sommation formelle suppose en principe une formalité, et donc l’écrit. Or, on sait que la navigation est un domaine périlleux par nature et il peut advenir des cas délicats où le capitaine ou l’officier, préoccupés de sauver le navire qui sombre, ne sera pas en mesure de remplir cette formalité et ne pourra faire qu’une sommation verbale. Il serait donc préférable d’atténuer cette disposition en prévoyant des cas où il ne pourra être fait une sommation formelle.

60Enfin, la peine peut varier en cas d’atteinte à la personne et aux biens à bord. En effet, l’article 60 § 8 punit à l’une des peines spécifiées à l’article 55 l’altération des vivres ou de marchandises par le mélange de substances non malfaisantes. C’est dire que si l’altération a donné lieu au mélange de substances malfaisantes, la peine ne sera pas la même. L’article 94 du décret prévoit la réclusion. L’article 51 de la loi de 1926 ne punit ce fait de la même peine que s’il est résulté de ce mélange une maladie grave pour une ou plusieurs personnes. Si l’altération n’est pas suivie de mélange de substances non malfaisantes, le coupable écope seulement de six jours à six mois d’emprisonnement. La peine est en revanche de deux à cinq ans s’il y a emploi desdites substances. En se référant au décret de 1852, l’on peut valablement s’interroger sur l’atténuation dans la sanction de ce délit. En effet, dès lors qu’il y a mélange de substances malfaisantes, on peut considérer qu’il y a de la part de l’agent une intention coupable de donner la mort. La substance malfaisante n’est autre qu’un poison et en droit commun, l’empoisonnement est une infraction formelle réprimée indépendamment du résultat c’est-à-dire de la mort. La même démarche devrait être suivie ici. Peut-être le législateur a-t-il craint de nier la spécificité du domaine maritime en suivant le droit commun ? Nullement. Sa démarche s’explique plutôt par le fait que la commission de ce délit devient rare à bord. L’intérêt que le législateur a entendu sauvegarder l’a été grâce à la rigueur répressive du décret de 1852. Cette correctionnalisation tient aussi surtout au souci d’assurer une répression plus certaine et rapide dans la mesure où la réclusion implique une procé- dure criminelle lourde et lente.

61L’organisation hiérarchique de la société du bord a pour conséquence des responsa- bilités diverses que tiennent les membres de cette société. C’est ainsi que les pénalités, en cas d’infraction à des devoirs leur incombant, varient selon la position des uns et des autres. La personne du coupable a donc une influence sur la peine qui gradue en fonction de sa qualité.

Le degré de la sanction selon la qualité du coupable

62La peine est fonction de la personne, de la qualité du coupable121. En effet, tantôt les supérieurs sont punis plus sévèrement avec l’idée qu’ils sont censés donner le bon exemple à ceux qu’ils dirigent. Tantôt, ce sont les subordonnés qui le sont dans la vision d’inspirer la crainte et dissuader les autres. Plusieurs exemples, aussi bien du décret de 1852 que de la loi de 1926, permettent de justifier cette affirmation :

63Ici encore, l’exemple du vol, sous l’empire du décret de 1852, est édifiant. En effet, il constitue un délit et puni de l’une des peines spécifiées à l’article 55 s’il est commis par un marin122. En revanche, il devient un crime123 et puni de réclusion s’il est commis par les capitaines, officiers, subrécargues124 ou passagers.

64Aussi, tandis que le marin n’est condamné jusqu’à un an d’emprisonnement pour délit d’ivresse que lorsqu’il y a désordre conformément à l’article 55 du décret, l’officier125 tant qu’il est de quart126 et alors même que son ivresse n’a point causé de désordre est puni non seulement jusqu’à un mois de prison mais également à 300 fr. d’amende. Il en est aussi du capitaine127 qui s’enivre pendant qu’il est chargé de la conduite du navire. Il peut subir jusqu’à un an de prison et une interdiction temporaire de commandement.

65Revenant à l’officier, l’habitude est requise pour que le délit d’ivresse soit constitué, lorsqu’il n’est pas de quart. À cet égard, et contrairement au capitaine, un acte isolé d’ivresse ne saurait suffire à le poursuivre. Il n’en est pas toutefois de même s’il est de quart, l’habitude n’est pas exigée pour que la culpabilité soit établie et la peine prononcée. Il a été jugé que le délit d’ivresse habituelle dont l’officier se rend coupable tombe sous l’application des peines de l’article 73, et non sous l’application des peines des articles 55 et 60 du décret qui prévoient le cas d’ivresse avec désordre128. De surcroît, la peine d’amende (50 à 300 fr.) dont il fait l’objet en cas d’ivresse est plus lourde que celle dont est puni le simple marin (16 à 300 fr.). Cela se justifie car l’officier porte une grave atteinte à la discipline en s’enivrant. Il donne aux autres un exemple déplorable. Hautefeuille justifie cette sévérité pénale par le fait qu’ « il avilit à leurs yeux (aux yeux de ses subordonnés) l’autorité dont il est revêtu, et perd toute l’influence qu’il doit avoir sur l’équipage »129. La loi de 1926 en son article 56 poursuit cette répression de l’ivresse sauf que, non seulement elle punit jusqu’à six mois le capitaine, officier, maître ou tout homme de l’équipage, mais aussi double la peine sans préjudice des mesures disciplinaires s’il s’agit du capitaine qui s’enivre habituellement130.

66Un autre exemple de sévérité à l’égard du capitaine découle de l’article 46 de la loi de 1926 avec une incrimination qui n’existait pas. Cet article punit d’un emprisonnement de six jours à trois mois toute personne, autre que le capitaine, qui commet ou tente131 de commettre, dans une intention coupable et à l’insu de l’armateur, un acte de fraude ou de contrebande de nature à entraîner une condamnation pénale pour l’armement. En revanche, la peine peut ne pas être la même si ces faits sont commis par le capitaine. Ainsi, conformément à l’article 46, alinéa 2, la peine peut être doublée si le capitaine est coupable.

67Par ailleurs, l’article 55 de la loi de 1926 punit jusqu’à un mois l’introduction, par quiconque, de l’alcool à bord ou des boissons spiritueuses sans l’autorisation expresse du capitaine. La peine est doublée s’il s’agit du capitaine ou de l’armateur qui embarque ou fait embarquer ces produits liquides en quantités supérieures aux quantités réglementaires.

68D’autres sanctions sont en outre incompatibles avec certaines personnes. Ainsi, les tribunaux maritimes ne sauraient condamner certains employés à bord tels que les cuisiniers, marins étrangers, médecins, encore moins les passagers à un embarque- ment sur le bâtiment de l’État. Ces personnes sont étrangères à la conduite du navire et aux professions maritimes. L’embarquement correctionnel ne se conçoit que pour les marins ayant en charge la manœuvre du bâtiment. Il en est aussi de l’interdiction de commander qui ne saurait frapper ni le passager, ni le mousse ou le novice par exemple. Cette peine n’est prévue que pour le capitaine.

69Dans ce prolongement, il faut ajouter que le ministre de la Marine a une sorte de juridiction sur les capitaines, maîtres ou patrons, en ce qui concerne leurs fautes qui ne sont pas forcément contenues dans le décret ou la loi132. Mais selon Hautefeuille133, leurs fautes ont toujours le caractère d’un délit. Ainsi, le ministre a le pouvoir de les blâmer, de leur retirer leur brevet. Ce pouvoir propre au ministre est consacré et confirmé par plusieurs décisions du conseil d’État134. Pour M. Grivart, « cette solution aboutit à un résultat regrettable. En effet, lorsqu’un capitaine est inculpé d’un délit maritime, il ne peut être frappé que par une décision émanée d’une juridiction régulièrement constituée. Si la faute qui lui est imputée ne rentre dans aucun cas prévu par le décret, il peut être frappé par voie purement administrative d’une peine aussi sévère que celle que cette juridiction aurait pu lui infliger »135.

70Par ailleurs, il est un cas où la qualité de la victime influe sur la peine. L’exemple de l’alinéa 2 de l’article 72 du décret de 1852 en est une illustration. Il s’agit de l’hypothèse d’atteinte à la dignité des personnes à bord par l’officier. Celui-ci est en effet puni de six jours à trois mois de prison s’il maltraite ou frappe tout marin ou passager. Mais si un mousse ou un novice s’avère être victime, la peine pourra être doublée, sauf si l’officier a agi en cas de nécessité absolue.

71Il est essentiel de relever qu’ici, le novice136 et le mousse137 qui sont par nature des marins mais mineurs, subissent les peines, sans modulation, s’ils sont reconnus avoir agi avec discernement. Au même moment, le droit pénal ordinaire réservait un traitement pénal spécifique aux mineurs délinquants138. On aperçoit sur ce point encore la particularité dans la répression des délits maritimes, répression singulièrement dérogatoire au droit commun.

72Les mineurs délinquants, de la moitié du XIXe au tout début du XXe siècle, étaient confiés à des colo- nies agricoles pour leur éducation. La primauté de l’éducatif sur le répressif s’est affirmée, surtout avec la création des tribunaux pour enfants et adolescents par la loi du 22 juillet 1912. La justice spécifique pour mineurs s’est sans cesse poursuivie jusqu’à l’ordonnance du 2 février 1945 qui a réellement mis en place une justice spécifique pour les mineurs. Mais la matière qui nous occupe n’applique pas ce système répres- sif aux novices et aux mousses qui demeurent soumis au droit pénal à bord du navire.

Notes

1 Sans l’ordre public à bord, aucune expédition maritime ne pourrait se faire. Cela porterait atteinte au com- merce maritime international qui, depuis des siècles, se fait plus via la navigation maritime.

2 L’armateur est celui qui arme un navire pour un voyage donné. L’article 5 du projet de réforme du code du travail maritime définit l’armateur comme « tout particulier, toute collectivité, toute administration publique autre que celle de la marine militaire, pour le compte de qui un navire est équipé et effectue une navigation maritime ». Pour A. Caumont, « on désigne sous le nom d’armateur celui qui arme un navire pour une expédition déterminée, en le munissant de tout ce qui est nécessaire à la navigation, et surtout, en préposant le capitaine, quel que soit son droit sur le navire. La qualité d’armateur et celle du navire sont souvent confondues dans la même personne », Dictionnaire universel du droit commercial maritime, 2e éd., Paris, 1857.

3 « Doivent être considérés comme passagers toutes personnes momentanément embarquées pour être transportées d’un point à un autre et qui, portée à la suite du rôle, n’entrent pas dans la composition du personnel d’armement ». E. Mouton, Les lois pénales de la France, tome II, 1868, Paris, p. 806.

4 Le personnel navigant est composé de tout inscrit maritime qui loue son service à un armateur pour une navigation. Il s’agit entre autres du capitaine, de l’officier mécanicien, du lieutenant, du commissaire et du médecin, du chauffeur, du soutier, du matelot de pont, du cuisinier, du maître d’hôtel, du garçon de cabine, de la femme de chambre, de l’interprète, du subrécargue, du mousse, du novice, du radiotélégraphiste etc.

5 Cette formule est empruntée à Marguerite Haller, in « À propos du nouveau code disciplinaire et pénal de la marine marchande », Revue de droit maritime comparé, tome 18, Paris, 1928, p. 49.

6 En droit pénal maritime, les contraventions sont connues sous la terminologie de "fautes contre la discipline".

7 D.H. 1927, IV, p. 275.

8 C’est dans ce sens que le ministre de la Marine, dans son rapport du décret disciplinaire et pénal de la marine de 1852, affirmait qu’« en mer, les moindres fautes sont graves par les funestes conséquences qu’elles peuvent entraîner », paragraphe 17 du rapport consultable dans l’ouvrage de M. Derche, Décret- loi disciplinaire et pénal pour la marine marchande de 1852, Paris, 1858, p. 10.

9 Article 60 § 4 du décret de 1852, article 60 de la loi de 1926.

10 Article 60 § 13 du décret de 1852, article 58 de la loi de 1926.

11 Article 60 § 14 ; 95 du décret de 1852, article 60 de la loi de 1926.

12 Article 60 § 8 du décret de 1852, article 57 de la loi de 1926.

13 Article 60 § 7 du décret de 1852, article 52 de la loi de 1926. Ces objets utiles à la navigation sont, selon l’expression courante de l’ancien droit, « laissés à la foi publique ».

14 Article 60 § 11 du décret, article 53 de la loi de 1926.

15 Article 60 § 5 du décret de 1852, article 56 de la loi de 1926.

16 Article 64 du décret de 1852, articles 59 et 61 de la loi de 1926.

17 Articles 60 § 12, 66 et s. du décret de 1852, articles 39 de la loi de 1926.

18 Il en est ainsi parce que le capitaine est le principal personnage de l’expédition maritime. Le succès de l’expédition, la sécurité du navire, le bon déroulement de la manœuvre de celui-ci dépendent de lui. Employé par l’armateur qui est souvent le propriétaire du navire, il représente l’État et est en quelque sorte investi de prérogatives de puissance publique à bord. Il est, pour ce faire, gardien de la tranquillité et de la sûreté de la vie à bord.

19 Article 80 du décret de 1852.

20 Articles 47 et 50 de la loi de 1926.

21 Article 79 du décret de 1852, article 42 de la loi.

22 Infra. p. 18.

23 Infra., p. 15 et suiv.

24 Selon le dictionnaire universel du droit commercial maritime de A. Caumont (p. 624), « on entend par rôle d’équipage l’état certifié de toutes les personnes qui se trouvent à bord d’un navire ». Il est obligatoire pour tous bâtiments ou embarcations exerçant une navigation maritime.

25 Le droit pénal à bord s’applique même aux passagers. Ceci constitue une extension rationnelle d’un droit pénal initialement corporatif. Toutefois, conformément à l’article 4 du décret de 1852, il ne s’applique pas aux passagers qui, en cas de perte du navire par naufrage, auront été embarqués pour être rapatriés sur l’ordre d’une autorité française, sauf s’ils ont demandé à suivre la fortune de l’équipage. Mais cette exception a été abandonnée par la loi de 1926 en son article 1er. Toute personne embarquée, sans exception, est justiciable du droit pénal à bord.

26 La paternité de cette expression revient à Montesquieu. In L. Halary, Du droit disciplinaire et pénal de la marine marchande, thèse de doctorat, 1919, p. 228.

27 Dans ses Institutes au droit criminel ou Principes généraux sur ces matières suivant le droit civil, canonique et la jurisprudence du Royaume, l’avocat au Parlement Pierre-François Muyart de Vouglans écrit que ce châtiment « consiste à attacher le patient à une corde, et le jeter dans la mer du haut de la vergue du grand mât, ce qui se fait une ou plusieurs fois, suivant la qualité du crime », Paris, 1757, p. 180. Un cas tardif d’application de la cale à bord remonte à 1830, en rade de Saint-Pierre de la Martinique. Deux matelots du commerce coupables de voies de fait contre un officier subirent par deux fois cette punition. La cale a été officiellement abolie en France par le décret du 26 mars 1848.

28 Cette peine est en fait le châtiment de la bouline. On fait ranger l’équipage sur deux haies, entre lesquelles le coupable, nu depuis la tête jusqu’à la ceinture, est obligé de passer et reçoit de chaque homme un coup de garcette (coup d’une corde solide parfois garnie de nœuds enduite de goudron) sur le dos. Cette peine est redoutable sous le double aspect de son atrocité et la flétrissure qu’elle imprime aux hommes qui y sont condamnés. Ces châtiments, en plus d’être corporels, sont exécutés sous le grand regard du public ; le but étant de marquer l’esprit des spectateurs et de décourager de leur part le moindre écart de conduite à bord.

29 Le marquage au fer est une pratique consistant à appliquer sur une partie du corps un objet chauffé afin d’y laisser une forme particulière et durable, voire définitive.

30 On peut mentionner à cet égard l’arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation du 9 juin 1843 (S. 1843. I. 738). La cour a décidé substantiellement que « la désobéissance commise envers un officier de la marine par un simple officier marinier, est punissable de la peine de la cale, aux termes des articles 14 et 15, tit. 2 de la loi des 21-22 août 1790, et non celle de l’emprisonnement… ». Il en est aussi de l’arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation du 10 mai 1849 (S. 1849. I. 599) aux termes duquel le délit d’abandon d’embarcation est puni de l’attache au grand mât pendant un temps déterminé.

31 C’est notamment le décret du 12 mars 1848 (D. 1848, IV, p. 46) qui a aboli formellement les châtiments corporels dans la marine. Le gouvernement provisoire a décrété que les peines de la bouline, de la cale et des coups de corde sont abolies. Il a remplacé ces peines par l’emprisonnement au cachot de quatre jours à un mois.

32 Ce mouvement d’adoucissement vis-à-vis de la législation antérieure fait partie de l’un des souhaits du ministre de la Marine d’alors Théodore Ducos. Ce dernier, dans son rapport au prince-Président précédant le décret, affirmait que le but était de punir dans une juste proportion tout en maintenant le coupable dans la discipline. Il ajoute que « la sanction pénale des dispositions réglementaires que contient cet acte est empruntée tout à la fois au Code et à celles des dispositions de nos lois maritimes restées en harmonie avec les mœurs du siècle et conformes aux justes exigences de l’humanité. ». M. Marec, dans son ouvrage Dissertation sur un projet de Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, pp. 23-24, trouvait encore nécessaire l’application dans la marine marchande des châtiments cor- porels comme les coups de corde, de cabestan. Il justifiait cela par le fait qu’il est essentiel que les punitions n’enlèvent point pour longtemps les hommes à leurs travaux. Pour lui, l’emprisonnement n’est point sans un grand dommage pour le service du bord, en ce sens que les autres marins seront alors chargés d’un surcroît de travail. Il s’est inspiré des marines marchandes de l’Angleterre et des États-Unis d’Amérique où la peine des coups de corde, bien que non consacrée par un droit formel, existe par la force des choses, sauf au capitaine à en user avec modération.

33 A. Caumont, « Dictionnaire universel du droit commercial maritime », 2e éd., Paris, 1857, p. 527.

34 P. Chaumette, Le navire, ni territoire, ni personne, Droit maritime français, 2007, p. 678.

35 M. Ndende, in J.-P. Beurier, Droits maritimes, Dalloz Action, 2006, n° 311.06 et s.

36 Position adoptée en France par la cour de cassation par deux arrêts de principe de 1919 et 1938 (Req. 13 janvier 1919. S. 1920. I. 340 et Req. 25 mai 1938. DH. 1938. 403).

37 R. Rodière, E. Du Pontavice, Droit maritime, 11e éd., Dalloz, 1991, p. 1.

38 M.-H. Renaut, « L’histoire du droit pénal de la marine marchande XVIIe - XXIe siècle », Annuaire de droit maritime et océanique, 2002, n° 20, Pu Nantes, p. 102.

39 La marine de l’État est régie par le code de justice militaire pour l’armée de mer du 4 juin 1858.

40 Les Rôles d’Oléron, appelés aussi Jugements d’Oléron, sont un recueil de jugements compilés en un code à la fin du XIIe siècle par décision d’Aliénor d’Aquitaine (tour à tour reine de France et d’Angleterre), et qui ont été utilisés comme code maritime dans toute l’Europe. Ces décisions ont par la suite fait autorité en France. Elles sont à l’origine de la Loi de l’Amirauté britannique.

41 Cette exploration ouvre aux Européens d’autres horizons. Les richesses trouvées nécessitaient le voyage en mer et suscitaient l’attrait de l’aventure et le goût du risque.

42 Néanmoins, avant l’ordonnance de Colbert sur la marine, des améliorations de législations maritimes ne tarderont pas à apparaître. C’est ainsi qu’en France, l’on peut noter les édits de 1517 et de 1543 de François Ier et celui d’Henri II en 1555. Ces lois réglaient essentiellement la compétence de l’amiral qui avait une autorité souveraine en tout ce qui concernait la marine.

43 On appelle, en général, capitaine celui qui commande un navire quel qu’il soit ; mais on applique plus particulièrement cette qualification à celui qui commande un navire du commerce. L’ordonnance (art. 22 et 23 du titre Ier du Livre II) précisa les pouvoirs respectifs du capitaine et de l’Amirauté.

44 Ordonnance du mois d’août 1681, livre Ier, titre II, art. 10. Dans la France de l’Ancien Régime, le monde de la mer était juridiquement aux mains d’un homme, distinct du Roi, celui qui était investi de la charge d’Amiral de France. Un temps abolie (sous Louis XIII), cette institution fut rétablie par Louis XIV en 1668.

45 L’Amirauté était à l’origine une institution militaire qui se dota d’une administration et d’une juridiction déléguées par le Roi à l’Amiral de France. L’Amiral, terme issu de l’arabe Emir Al Aahr, signifie « commandant à la mer ». La justice d’attribution de l’Amiral découlait du droit de correction que possédaient les maîtres de navires sur leurs équipages ». (Henri François Buffet, Amirauté de France, p. 257-259).

46 Le 1er projet élaboré par M. Marec à l’instigation de M. l’Amiral Duperré et présenté en 1834 au Conseil d’État est rejeté car contraire au principe interdisant l’établissement de juridictions exceptionnelles. Le 2e projet, élaboré par la même personne, est soumis en 1836 et subit le même sort. Le 3e rédigé par une commission en 1850, communiqué aux chambres de commerce des principaux ports, est soumis à la signature du Prince-Président.

47 Décret du 24 mars 1852, D. P. 1852 ; IV, p. 127. Se référer à ce texte à chaque fois que nous parlons de décret de 1852. Le décret de 1852 a subi quelques modifications avec la loi du 15 avril 1898 qui a pour but d’atténuer quelque peu la rigueur répressive du décret. Elle apporte un adoucissement des peines, tant disciplinaires que correctionnelles, en matière maritime. Elle ouvre également aux justiciables un droit au pourvoi en cassation. En outre, elle permet un recours devant le ministre de la Marine contre les décisions prononçant le retrait ou la suspension du droit de commander. Une loi du 31 juillet 1902 apporta d’autres adoucissements aux rigueurs du régime de 1852, faisant passer certains délits dans la catégorie des fautes disciplinaires, rendant plus humain le système des peines dans son ensemble, supprimant par exemple la peine de la boucle ou de l’amarrage au mât, sauf dans les cas dans lesquels elle était rendue nécessaire par la sécurité du navire. Le décret a par ailleurs été complété par la loi du 10 mars 1891 (D. P. 91. 4. 38) relative aux accidents et collisions en mer. Cette loi défère les délits d’abordage des capitaines à la compétence des tribunaux maritimes commerciaux dits spéciaux, contrairement aux tribunaux maritimes commerciaux ordinaires du décret de 1852.

48 À titre comparatif, certaines puissances étrangères à l’instar des États-Unis, la Belgique, l’Italie n’ont pas jugé utile de créer des juridictions spéciales pour connaître des délits maritimes à bord. Ceux-ci demeuraient la compétence des tribunaux de droit commun (N. Latour, Le droit pénal de la marine marchande, thèse de doctorat, 1937, pp. 206-207). La France ne soumit la connaissance des délits maritimes à la compétence des juridictions de droit commun qu’au XXe siècle avec la loi du 17 décembre 1926 en son article 25.

49 Cette carence de recours qu’on retrouve à l’article 45 s’explique par le fait que le décret instituant les tribunaux maritimes commerciaux n’a pas créé un second degré de juridiction pour connaître des appels. Ce qui préoccupait le législateur était l’obtention d’une justice rapide. Néanmoins, à l’alinéa 2 de l’article 45, il était réservé au ministre de la Marine la faculté de transmettre à son homologue de la justice, pour être déférés à la cour de cassation, les jugements ayant violé les articles 12 à 20, 29, 30, 31 et 35 du décret. Cela constitue une véritable contradiction au droit commun qui permet les voies de recours aux citoyens à terre. Fort heureusement, cette disposition rigoureuse a été modifiée par la loi du 15 avril 1898 qui a consacré le droit aux citoyens du navire de se pourvoir en cassation contre les jugements des tribunaux maritimes commerciaux pour violation ou fausse application de la loi. Par ailleurs, la loi du 17 décembre 1926 fut totalement muette à propos des voies de recours. Mais, cette loi, ayant consacré un retour au droit commun juridictionnel avec la suppression des tribunaux maritimes commerciaux, la doctrine, notamment Marguerite Haller et Marie-Hélène Renaut, estime que cela « en- traîne nécessairement le droit d’user des voies de recours ». in M. Haller, « à propos du code disciplinaire et pénal de la marine marchande », Revue de droit maritime comparé, tome 18, 1928, p. 61. M.-H. Renaut, « L’histoire du droit pénal de la marine marchande XVIIe au XXIe siècle », Annuaire du droit maritime et océanique, 2002, n° 20, Pu Nantes, p. 73.

50 Il s’agit essentiellement de la reconnaissance à cette époque du droit de grève.

51 Loi du 17 décembre 1926, D.H., 1927, IV, p. 270. Se référer à ce texte à chaque fois que nous parlons de loi de 1926 ou de code disciplinaire et pénal de 1926. Le processus d’élaboration de cette loi fut long. Ainsi, dès le 16 mars 1905, M. Thomson, ministre de la Marine, constatant la non-compatibilité de l’application du décret de 1852 avec l’état social, avait réuni une commission chargée de préparer sa révision en vue de refondre complètement la législation pénale maritime. Ses travaux aboutirent, au début de 1910, à l’élaboration d’un texte complet qui fut soumis au conseil supérieur de la navigation maritime. Cette assemblée, après étude approfondie, adopta, à l’unanimité, un projet rapporté par M. Laurent-Atthalin, maître des requêtes au Conseil d’État. Ce projet fut déposé en 1913 sur le bureau de la Chambre des députés. Cependant, ce projet devint caduc, en raison de la guerre de 1914-1918 qui vint suspendre les travaux. En 1920, M. Paul Bignon, alors sous-secrétaire d’État de la marine marchande, reprit l’examen du projet de 1913 et en établit un nouveau ayant les mêmes directions générales que le précédent, mais présentant des différences sur un certain nombre de points. C’est ce dernier projet qui, en même temps que le projet du code du travail maritime, fut soumis par le ministre de la Marine au parlement.

52 L’objet de nos propos ne se situe pas sous cet angle. Sur les emprunts du droit pénal à bord au droit pénal ordinaire, in K. Aboboyaya, Les délits à bord du navire, XIXe - XXe siècle, mémoire de master II, Poitiers, 2016, pp. 17 s.

53 De l’analyse d’un arrêt de la chambre criminelle en date du 14 juin 1900, il résulte que « le décret du 24 mars 1852 constitue un code spécial, qui déroge aux lois générales sur les points par lui visés ». Crim., 14 juin 1900, S. 1902, I. p. 112.

54 Sous l’Ancien Régime puis à l’époque de la Révolution et du premier empire, le service colonial relevait du ministère de la Marine. Cet état de choses s’est prolongé jusqu’à la constitution du ministère Gambetta en 1881. Voir Arthur Girault, Principes de colonisation et de législation coloniale, 5e éd., Librairie du recueil sirey, Paris, 1929, p. 48 et s.

55 Lexique des termes juridiques, 20e éd., Dalloz, 2013, p. 743.

56 Rapport consultable dans Dalloz 1852, p. 120.

57 J.-M. Carbasse, Histoire du pénal et de la justice criminelle, 3e éd., Paris, PUF, 2014, p. 49.

58 Article 121-3 du code pénal de 1994.

59 J. Pradel, Droit pénal général, Paris, 20e éd., Cujas, p. 454. La loi du 2 avril 1892 est relative à la modification des articles 435 et 436 du code pénal de 1810. Elle porte un article unique. Le législateur y a consacré la notion de l’intention criminelle à propos des infractions de destructions volontaires.

60 Les fautes de discipline, au nombre de 11, sont prévues à l’article 58 du décret. Il s’agit entre autres de la désobéissance simple, de la négligence à prendre son poste ou à s’acquitter d’un travail relatif au service du bord, le manque au quart ou le défaut de vigilance pendant le quart, l’ivresse sans désordre, les querelles sans voies de fait, l’absence du bord sans permission, quand elle n’excède pas trois jours, le manque de respect aux supérieurs etc.

61 L. d’Avout, « L’originalité du droit pénal maritime », Livre du bicentenaire du code pénal et du code d’ins- truction criminelle, p. 661, Paris, Dalloz, 2010.

62 Le vol en droit pénal ordinaire est régi par les articles 379 à 441. Il ne devient un crime et puni de mort, aux termes de l’article 381 que s’il est commis avec la réunion de cinq circonstances aggravantes : s’il est commis de nuit, à plusieurs, par effraction, avec port d’arme et violence ou menace de faire usage d’une arme.

63 Il est utile de souligner que cette rigueur a été atténuée déjà par la loi du 15 avril 1898. Certes la valeur de l’objet reste toujours une circonstance aggravante transformant le délit en crime, mais cette valeur passe de 10 à 20 francs.

64 Les subrécargues sont les mandataires de l’armateur qui, lui-même, est souvent le propriétaire du navire. Ce sont eux qui veillent aux intérêts de l’armateur au cours du voyage.

65 J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 3e éd., PUF, 2014, p. 459 s.

66 Crim., 10 janvier 1857, S. 1857. 1. 493. (Les tribunaux maritimes commerciaux créés par le décret de 1852, sont incompétents pour connaître des infractions qualifiées crime, telles que le vol commis à bord d’un objet dont la valeur excède 10 fr). Voir aussi l’affaire Lacroix, Crim., 20 mai 1858, S. 1858. 1. 639, dans laquelle la cour de cassation a décidé en substance que « les tribunaux maritimes commerciaux créés par le décret du 24 mars 1852 sur la marine marchande, sont compétents pour connaître de tout vol d’une valeur de 10 fr. commis par des matelots à bord d’un navire navigant dans les limites de l’inscription maritime, alors même que ces matelots ne sont pas inscrits au rôle d’équipage (art. 66 du décret) ».

67 C. Beccaria, dans son ouvrage Des délits et des peines, p. 113, n’a pas semblé partager cette sévérité liée à la valeur de l’objet. Pour cet auteur, « un vol qui n’est pas accompagné de violence devrait être puni d’une sanction pécuniaire » car pour lui, « celui qui cherche à s’enrichir du bien d’autrui devrait être dépouillé du sien »

68 Dans ce système, les marins, dûment qualifiés par l’administration, composent un groupe particulier destiné à être tour à tour affectés à la flotte militaire ou à la flotte marchande, moyennant une rotation pluriannuelle. Cette « caste » des inscrits, dotée de certains privilèges pour ses membres et de leurs familles, fait l’objet d’un traitement juridique et judiciaire distinct dans le cadre de l’accomplissement de leurs fonctions. Le régime des classes interdit donc la désertion.

69 Remarquons que le délit de la désertion est incriminé et puni autrement dans certaines législations étrangères. En Angleterre par exemple, il n’y a désertion que si elle a lieu à l’étranger. En Allemagne et en Hollande, la peine est moins sévère si la désertion a lieu avant le départ du navire. La Belgique adopte une position tout à fait différente : la désertion avant le départ du navire d’un port belge ne constitue pas un délit si le matelot est ramené à bord avant le départ. N. Latour, Le droit pénal de la marine marchande, thèse de doctorat, 1937, pp. 208.

70 Terme tiré du commentaire de la loi du 17 décembre 1926, D.H. 1927, IV, p. 276.

71 Les incriminations apparaissaient de plus en plus vieillies et en désaccord avec le progrès de la société. Il était aussi essentiellement reproché au système répressif du décret d’ériger une législation sévère semblable à celle de la marine militaire et de confier la répression des actes visés à des magistrats non professionnels qui se bornent à prononcer des peines redoutables. Surtout aussi, les inscrits maritimes voulaient être considérés comme des ouvriers ordinaires et d’être à même de rompre, comme bon leur semble, leur contrat d’engagement. Ils cherchaient, par conséquent, qu’on leur reconnaisse le droit de grève consacré par les lois du 25 mai 1864 et du 21 mars 1884. N. Latour, Le droit pénal de la marine marchande, thèse de doctorat, 1937, p. 51.

72 M.-H. Renaut, op. cit., p. 53.

73 J. Pradel, op. cit., p. 454

74 Les acteurs sont le capitaine, le maître et homme d’équipage.

75 Article 147 du code pénal : « seront punies des travaux forcés à temps, toutes autres personnes qui auront commis un faux en écriture authentique et publique, ou en écriture de commerce ou de banque, Soit par contrefaçon ou altération d’écritures ou de signatures, Soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans ces actes, Soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir ou de constater ».

76 Cette incrimination est doublement souple pour le capitaine. La partie poursuivante aura à prouver la volonté, mais aussi l’intention criminelle. L’on peut regretter cette souplesse. En effet quand on sait que les faits incriminés sont gravement punis (5 à 10 ans de travaux forcés), c’est dire que le législateur entend préserver une valeur ou un intérêt d’envergure. Cela ne devrait donc pas justifier la souplesse de l’incrimination.

77 Ce terme est attribué au ministre de la Marine d’alors Pelletan, qui, à la tribune de la chambre des députés le 6 février 1903, se montrait hostile au décret-loi. N. Latour, Le droit pénal de la marine marchande, thèse de doctorat, 1937, p. 52.

78 Le décret de 1852 ne prévoyait qu’une seule catégorie de fautes contre la discipline.

79 Les faits pouvant être qualifiés fautes légères sont énumérés à l’article 10.

80 Article 62 in fine CDPMM.

81 Les fautes graves contre la discipline sont entre autres toute nouvelle faute légère, le refus d’obéir ou la résistance à tout ordre concernant le service, l’ivresse avec désordre, le manque de respect envers un supérieur ou les insultes directement adressées à un inférieur, la négligence dans un service de quart ou de garde, le fait d’avoir allumé du feu sans permission ou fumé dans un endroit interdit etc.

82 Article 62 CDPMM.

83 Article 60 paragraphe 5 du décret.

84 Ibid., § 2.

85 Ibid., § 7.

86 Article 65 ibid.

87 L’arrêt MP et cie générale transatlantique c/ Le Louarn rendu par le tribunal correctionnel de Nantes le 23 avril 1928 (D.H. 1928, p. 310) est édifiant sur cette question. En substance le tribunal a décidé qu’« est passible des peines prévues par l’article 39 § 4 de la loi du 17 décembre 1926, portant code disciplinaire et pénal de la marine marchande, le marin qui s’est absenté du navire sur lequel il était embarqué alors qu’il n’était pas de service, mais qui n’a pu, par suite de cette absence irrégulière, reprendre son service en temps utile… ».

88 Cette disposition n’est que la reprise de la proposition faite par M. Paul-Cyprien Fabre (Projet de code dis- ciplinaire et pénal de la marine marchande, Rapport présenté par M. Paul-Cyprien Fabre, Marseille, 1923, p. 8) lors de la présentation de son rapport sur le projet de code disciplinaire et pénal de la marine mar- chande. L’auteur disait dans son rapport : « Le nouveau projet ne considère l’absence irrégulière comme un délit que si elle a été commise soit dans un port métropolitain, lorsque le marin était affecté. à un poste de garde ou de sécurité et que son absence était de nature à entraîner des conséquences dommageables, soit hors d’un port métropolitain lorsque l’inculpé était de service ou lorsque, n’étant pas de service, son absence a eu pour conséquence de l’empêcher de reprendre son service à bord. Dans tous les autres cas, l’absence irrégulière ne constitue plus qu’une faute de discipline, faute légère ou faute grave, selon les distinctions établies par les articles 10 et 14 du nouveau texte. Cette distinction, qui marque une atténua- tion importante des sanctions prévues par le décret actuel, a eu principalement pour but de prévoir des pénalités qu’on puisse appliquer en fait, car, à l’heure actuelle, les peines prévues par le décret de 1852 sont abandonnées. Nous estimons cependant que la peine prévue lorsque l’absence irrégulière est un délit n’est pas excessive (six jours à six mois), et pourrait bien dispenser le législateur de formuler des distinctions qui ne peuvent que produire des conséquences déplorables ».

89 L’étendue des pouvoirs procéduraux du procureur de la République est détaillée, in K. Aboboyaya, Les délits à bord du navire : XIXe et XXe siècle, mémoire de master II, Université de Poitiers, 2016, pp. 42 et suiv.

90 Article 39 alinéa 2 CDPMM.

91 W. Jeandidier, Droit pénal général, 2e éd., Paris, Montchrestien, 1991, p. 265.

92 J. Pradel, Droit pénal général, 19e éd., Paris, Cujas, p. 336.

93 C. Beccaria, op. cit., p. 87.

94 J.-C. Soyer, Droit pénal et procédure pénale, 21e éd., Paris, LGDJ, p. 154.

95 N. Latour, Le droit pénal de la marine marchande, thèse Toulouse, éd. Sirey 1937, p. 90.

96 Richelieu disait que « quiconque est maître de la mer a un grand pouvoir sur la terre ». Or, à cause de l’indiscipline et l’impuissance des capitaines de la faire cesser, ceux-ci ne veulent plus accepter d’entreprendre de longs voyages au cours desquels l’indiscipline menace sérieusement le succès de l’expédition des marchandises par transport maritime. Elle est, de ce point de vue, un mal qui frappe la fortune commerciale et atteint, par contre-coup, la fortune publique en mettant en péril, dans son principe vital, la force maritime de l’État.

97 Le même rapport du ministre révèle des faits qui mettent en lumière la recrudescence de l’indiscipline à bord : « Les rapports des capitaines de la Marine d’alors constatent journellement leur impuissance à réprimer les excès des marins placés sous leurs ordres ; les plaintes des armateurs contre un esprit de révolte si préjudiciable au succès de leurs entreprises se multiplient de plus en plus ; enfin, les doléances unanimes des chambres de commerce des ports… ».

98 L’ordonnance de Colbert sur la marine marchande réprimait d’une manière redoutable le manquement à la discipline. Cela démontre que le maintien de la discipline à bord fut, depuis Louis XIV, l’objet d’une grande préoccupation qui se poursuit de nos jours.

99 M.-H. Renaut, « L’histoire par les Lois : Trois siècles d’évolution dans la répression des fautes de discipline de la marine marchande », Revue historique de droit français et étranger, 2002, p. 35.

100 Paragraphe 1 du rapport, consultable dans l’ouvrage de M. Darche, Décret disciplinaire et pénal de la marine marchande, Paris, imprimerie impériale, 1858, p. 7.

101 Le législateur a même choisi de réprimer, distinctement des délits contre la discipline, des fautes contre la discipline qui sont en quelque sorte de simples contraventions. Ce système vise à contenir les simples fautes contre la discipline, afin de ne pas arriver à un degré plus grave d’atteinte à la discipline.

102 T.-M. Marec, Dissertation sur un projet de code disciplinaire et pénal de la marine marchande, Paris, imprimerie royale, M D CCC XL, p. a.

103 M. Haller, « À propos du nouveau code disciplinaire et pénal de la marine marchande », Revue de droit maritime comparé, tome 18, 1928, Paris, p. 49.

104 Circulaire citée par M. Derche, Décret disciplinaire et pénal de la marine marchande, Paris, 1855, p. 82.

105 L’économie de cette loi se trouve dans D.H., 1927, IV, p. 270.

106 P.-C. Fabre, Projet de Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, Marseille, 1923, p. 10.

107 J. Pradel, Droit pénal général, 19e éd., Paris, Cujas, p. 575, p. 622.

108 Article 58 du code pénal de 1810 : « Les coupables condamnés correctionnellement à un emprisonnement de plus d’une année, seront aussi, en cas de nouveau délit, condamnés au maximum de la peine portée par la loi, et cette peine pourra être élevée jusqu’au double : ils seront de plus mis sous la surveillance spéciale du gouvernement pendant au moins cinq années, et dix ans au plus. »

109 P.-C. Fabre, Projet de code disciplinaire de la marine marchande, Marseille, 1923, p. 5.

110 La condamnation doit être pénale, définitive et prononcée par une juridiction.

111 P.-C. Fabre, op. cit., p. 5. Le projet de loi présenté par le gouvernement et qui a fait l’objet de délibération de la chambre de commerce de Marseille le 16 décembre 1913 adoptait une conception plus sévère de la récidive ceci dans le but d’intimider et d’empêcher la réitération des délits. Dans le projet, il y a « nécessité de considérer les faits constitutifs de la récidive non seulement à bord du même navire, mais à bord de navires différents, c’est-à-dire au cours d’engagements maritimes différents ». Pour l’auteur, l’application de la récidive au cours d’engagements maritimes différents aurait nécessité la création d’un casier judiciaire maritime, ce qui paraît pratiquement irréalisable. Mais, une telle conception pourra être adoptée à l’avenir eu égard au développement sans cesse de la navigation et par conséquent de la criminalité à bord.

112 L. Gardrat, Décret disciplinaire et pénal de 1852 expliqué, Bordeaux, 1854, p. 113.

113 A. Wilhelm, Commentaire théorique et pratique des codes de justice maritime et militaire, Paris, 1897, p. 122.

114 Article 60 § 4 du décret.

115 Article 60 § 13, idem.

116 L’article dispose : « les peines correctionnelles applicables aux délits sont : 1° L’amende de 16 à 300 fr ; 2° La boucle pendant vingt jours au plus, avec ou sans retenue d’une partie de la solde qui ne pourra en excéder la moitié ; 3° L’embarquement sur un bâtiment de l’État, à moitié solde de leur grade pour les officiers mariniers, ou à deux tiers de solde pour les quartiers maîtres et les matelots. La durée de cet embarquement correctionnel ne comptera ni pour l’avancement ni pour les examens de capitaine du commerce ; 4° La perte ou la suspension de la faculté de commander ; 5° L’emprisonnement pendant six jours au moins et cinq ans au plus ».

117 Article 309 du code pénal de 1810 : « Sera puni de la peine de la réclusion, tout individu qui aura fait des blessures ou porté des coups, s’il est résulté de ces actes de violence une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours. »

118 M.-H. Renaut, « L’histoire du droit pénal de la marine marchande du XVIIe au XXIe siècle », Annuaire du droit et océanique, 2002, Pu Nantes, n° 20, p. 60.

119 Article 230 du code pénal napoléonien : « Les violences de l’espèce exprimée en article 228, dirigées contre un officier ministériel, un agent de la force publique, ou un citoyen chargé d’un ministère de service public, si elles ont eu lieu pendant qu’ils exerçaient leur ministère ou à cette occasion, seront punies d’un emprisonnement d’un mois à six mois. »

120 La rébellion n’est punie par l’article 209 du code pénal qu’envers les agents détenteurs de l’autorité publique. Le décret assimile le capitaine du navire à ces agents.

121 Le ministre de la Marine Th. Ducos explique, dans son rapport explicitant l’économie de décret de 1852, cette variabilité des châtiments par le fait que « les positions différentes des personnes à bord ne permettent pas de leur appliquer des pénalités communes. Certaines punitions très convenables pour les matelots auraient l’inconvénient grave de porter atteinte à la dignité de l’officier et seraient trop sévères pour les passagers. D’autres châtiments, efficaces envers les passagers et les officiers sont inapplicables aux matelots », paragraphe 58 du rapport.

122 Article 60 § 11 du décret.

123 Article 93, ibid.

124 Aux termes de l’article 57 alinéa 2, le subrécargue et le chirurgien sont assimilés aux officiers pour l’application des peines seulement. Il en est ainsi parce que ceux-ci jouent un rôle crucial dans la réussite de l’expédition.

125 Art. 73 du décret. Il a été jugé qu’un maître au cabotage qui remplit sur un navire les fonctions de second capitaine est un officier. Cass., 27 novembre 1869, Richard, S. 70. 1. 226, p. 70.550. La cour de cassation a décidé que le nommé Richard, « maître au cabotage, occupait sur le bâtiment la Syrène le grade de second au capitaine ; que dès lors, le délit d’ivresse qui lui était imputé tombait sous l’application, non des articles 60 et 55 du décret (de 1852) mais de l’article 73 du même décret, ainsi conçu : Tout officier qui s’enivre habituel- lement, ou pendant qu’il est de quart, est puni de quinze jours à un mois de prison et d’une amende de 50 à 300 francs ».

126 L’officier est de quart lorsqu’étant chargé de présider à la manœuvre et à la direction du navire, il doit veiller au salut de tous.

127 Art. 78, ibid.

128 Aff. Richard, op. cit.

129 L.-B. Hautefeuille, Décret disciplinaire et pénal du 24 mars 1852 commenté et expliqué, Paris, 1852, p. 222.

130 Article 56 de la loi de 1926.

131 C’est uniquement dans cette incrimination que la tentative est clairement punie.

132 Article 87 du décret de 1852.

133 Op. cit., p. 209 s.

134 CE, 5 août 1868, D.P. 69.3.81 qui a essentiellement décidé que l’article 87 donnait un pouvoir propre au ministre ; V. également l’arrêt Gascon CE, 19 janvier 1906 D.1907. 3.90. Il a été décidé dans cette affaire que « l’article 87 du décret du 24 mars 1852, d’après lequel le ministre de la marine, indépendamment des cas de suspension ou de retrait prévus par ce décret, peut, par continuation, infliger ces mêmes peines lorsqu’il le juge nécessaire, après une enquête contradictoire dans laquelle le capitaine sera entendu, autorise le ministre à infliger ces peines disciplinaires, en vertu de ses pouvoirs propres, dans les cas non visés par ledit décret ».

135 M. Grivart, D. P. 1899. 4. p. 20.

136 C’est un marin de moins de 16 ans et plus (Article 1er du décret du 23 mars 1852, D. 52. 4. 114).

137 Il s’agit d’un jeune marin de 10 à 16 ans (Article 1er ibid.).

138 Enfance et justice au XIXe siècle. Essais d’histoire comparée de la protection de l’enfance, sous la direction de Marie-Sylvie Dupont-bouchat et Éric Pierre, PUF, 2000, pp. 263 et s.

Pour citer ce document

Par Kodjovi ABOBOYAYA, «La répression pénale des délits à bord aux XIXe ET XXe siècles», Les cahiers poitevins d'histoire du droit [En ligne], Huitième et neuvième cahiers, mis à jour le : 25/07/2019, URL : https://cahiers-poitevins.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiers-poitevins/index.php?id=190.

Quelques mots à propos de :  Kodjovi ABOBOYAYA

Doctorant à l’Institut d’Histoire du Droit – Université de Poitiers