Un des esprits des lois coloniales : V. Riqueti De Mirabeau et son « des colonies » (1760)

Par Dominique SOULAS DE RUSSEL
Publication en ligne le 25 juillet 2019

Texte intégral

1Chaque recherche a son histoire et sa genèse. Elle peut partir d’une anecdote, naître d’une rencontre, d’un hasard, d’une commande, ou encore résulter d’une nécessité scientifique ou professionnelle comme d’une inspiration. Pour sa part, d’où cette investigation du « Des colonies » de Victor Riqueti de Mirabeau a-t-elle pu bien venir ? Le sujet s’est imposé à l’auteur de ces lignes lors de sa préparation, dans le cadre de la coopération intergouvernementale germano-nigérienne, aux fonctions de conseiller juridique du premier ministre du Niger. Devoir rédiger des textes juridiques, notamment le Code de Commerce de ce pays, présupposait en effet la connaissance, au moins depuis la période coloniale1, des généalogies législatives avec leurs motivations.

2Quand on souhaite, pour ce faire, se servir directement d’ouvrages édités entre 1750 et 1850, il en est un, bien connu et représentatif de son époque2, qui s’impose : c’est le difficilement contournable L’Ami des Hommes3 avec, en son tome troisième, le chapitre (le plus long, pp. 212-289 et 405-410) « Des Colonies », dont l’auteur n’est autre que le père de celui que l’on nomme le grand Mirabeau.

3L’occasion est trop belle pour la laisser passer : rappelons que l’histoire du droit est la matière qui sert aussi à se préparer à agir dans les domaines les plus variés du monde juridique, à s’y mouvoir et s’y sentir à l’aise grâce à la connaissance de ses tenants !

4Victor Riqueti de Mirabeau, né au Pertuis en 1715, grandit dans la sévérité. Il aurait pu embrasser une carrière cléricale mais fut lancé dès treize ans dans celle des armes. Puis Victor dilapida l’héritage de son père (colonel d’un régiment dans lequel il servit, mort en 17374) en la poétique compagnie de J. Lefranc de Pompignan. Soucieux de se rapprocher de la Cour, notre Mirabeau quitta définitivement sa province pour acquérir en 1740 le château du Bignon, près de Nemours. Se piquant dès lors d’économie politique, la matière à la mode, il y accueillit bientôt les réunions de ceux qui deviendront les Physiocrates. En garnison intermittente à Bordeaux, Victor fit la connaissance de Montesquieu, auquel il envoya un premier ouvrage fort conservateur5 qu’il intitula, à trente-deux printemps déjà, « Testament politique ». N’ayant jamais dépassé le grade de capitaine, il avait en effet tourné le dos au service des armes pour, se vouer à celui de la plume. Victor produisit en 1750 son second ouvrage, « Unité des États provinciaux », dans lequel il se montra tout à la fois décentralisateur6 et attaché aux principes nobiliaires.

5C’est alors que, subjugué par l’audace et gagné aux vues généreuses des physiocrates, il changea brutalement de ton et de mentalité. En 1756, il publia sa première édition (6 parties) de L’Ami des Hommes ou Traité sur la population. L’ouvrage correspondait pleinement aux attentes des toujours plus nombreux lecteurs éclairés, dont beaucoup se reconnurent dans l’évolution idéologique de son auteur, et eut un triomphe retentissant. Il projeta Riqueti sur le devant de la scène socio-politique. Les médias de référence7 avancent un peu vite qu’il paraphrasa, dans un volume qu’il ajouta, F. Quesnay, alors qu’il le commenta ce dont le tableau économique avait grand besoin8 - et surtout le compléta, de manière alors très originale, par sa théorie couplant le facteur de production à celui du travail. C’est pourquoi j’ai proposé9 de pouvoir qualifier V. Riqueti de Mirabeau de « physiocrate populationniste ». En effet, il avait élaboré, avant même son adhésion à la physiocratie, sa théorie dite du principe de population, selon lequel la richesse d’une économie résiderait en sa population, laquelle dépend exclusivement, pour subsister, de l’agriculture, qui est donc indispensable. On peut résumer cette thèse en postulat : « plus on fait rapporter à la terre, plus on doit la peupler et plus elle produit ».

6Mais l’ouvrage du père de Mirabeau est trop audacieux, trop libéral, insuffisamment catholique et surtout trop critique de la politique royale (notamment dans sa partie sur les colonies)… Il est aussitôt censuré. Victor sera même emprisonné cinq jours au fort de Vincennes, puis assigné deux mois en résidence au Bignon après qu’il ait persisté en signant plusieurs plaquettes critiquant - thème éternel en France - l’inanité du système fiscal. Cela eut pour effet d’augmenter encore la résonance de son livre. L’aboutissement idéologique de cette évolution dérangeante (Victor devint véritablement Physiocrate en 1760) sera l’établissement officiel, en son château, de ce qui s’appellera bientôt l’École physiocratique, dont les membres préparent déjà la Révolution. Victor paracheva en achetant le Journal de l’agriculture, du commerce et finances, dont il fit l’organe du mouvement.

7Riqueti met dès lors en pratique les nouvelles théories agronomiques dans son domaine du Bignon. Il publie un nouveau succès, Philosophie rurale ou économie générale et politique de l’agriculture réduite à l’ordre immuable des lois physiques et morales qui assurent la prospérité des empires en 1763 puis, de 1767 à 1768, ses moralisantes. Mais le vent tourne vite, il s’appauvrit pour avoir délaissé ses autres terres, dépense trop dans de fumeuses expérimentations (tout comme le fera le comte de Saint-Simon) et est ruiné, tant par une exploitation minière catastrophique que par la construction manquée d’un château en Gascogne. Malgré l’aide de son cadet Jean-Antoine, Victor doit ainsi vendre son cher Bignon, cadre des plus belles années de son existence. C’est à Argenteuil qu’il décède, à une date symbolique pour l’homme qui, en lui, fit se suc- céder l’esprit conservateur à celui de la critique réformiste : au soir du 13 juillet 1789…

8Par son contenu et son retentissement, l’Ami des Hommes est l’élément qui domine la biographie bigarrée de Victor Riqueti de Mirabeau. Cet écrit se vendit si bien que, comme une multitude d’inventaires l’atteste, on le retrouva dans les bibliothèques de la quasi-totalité des esprits éclairés pendant au moins un siècle, aristocrates et bourgeois confondus. L’Ami des Hommes connut, en France comme à l’étranger (traductions), plus de cinquante rééditions, ce qui est proprement phénoménal à cette époque pour un ouvrage de ce type. Son travail forma les esprits et fit de nombreux émules. On prend conscience de l’insigne influence de sa publication à l’évocation que, parmi ses plus ferrés lecteurs, on compte Turgot, le roi Stanislas, Léopold II d’Autriche, Gustave III de Suède10 ainsi que le Margrave de Bade. Le Dauphin Louis allait jusqu’à appeler L’Ami des Hommes « le bréviaire des honnêtes gens ». Il voulut même que son auteur devînt précepteur du futur Louis XVI (avant qu’un militaire plus conforme lui soit imposé). Même s’il aurait su préparer le Dauphin à certaines modernités, Victor n’avait guère la fibre pédagogique. Il laissa éduquer ses enfants, sans jamais leur montrer grande affection11, avec une sévérité au moins égale à celle qu’il avait lui-même éprouvée. Ceci posé, on retrouve la dichotomie du père chez ses deux célèbres fils. Le bizarre Mirabeau-Tonneau, André-Boniface-Louis (1754-1792) se conduisit en réactionnaire invétéré, alors que le « grand » Mirabeau, né au Bignon, se profila comme réformiste. Celui qui sera le co-fondateur de l’Ami des Noirs en 1788 est très proche de l’Ami des Hommes12, comme nous allons le voir. Honoré-Gabriel doit être compté parmi ceux qui répandirent directement les appréciations de son père dans les sphères de pouvoir. Le grand orateur fut, parmi les premiers acteurs du mouvement révolutionnaire, le plus direct vecteur de transmission de ces idées au personnel politique qui lui survécut. C’est le long terme de cette résonance ainsi ménagée qui présente à l’histoire Victor de Riqueti de Mirabeau comme l’un des premiers « esprits de la législation coloniale » post-révolutionnaire.

Les critiques et propositions du chapitre « des colonies » de l’Ami des hommes ou Traité sur la population

L’ouvrage

9Victor Riqueti de Mirabeau, adepte modéré des Lumières, fustige dans son ouvrage les abus de la finance, du luxe, de la cupidité et prône un retour à la nature – vu économiquement, à l’agriculture -. L’organisation politico-sociale qu’il idéalise ressemble, sur le plan politique, au Hameau de Marie-Antoinette : le fonctionnement communautaire idéal devrait, selon Riqueti, s’axer autour d’heureux propriétaires terriens menés par un roi-pasteur à l’anglaise. Celui-ci s’inspirerait notamment du « principe de population » évoqué plus haut : le nombre d’habitants doit toujours croître en fonction de la productivité agricole, celle-ci étant elle-même augmentée par la population. Là serait, pour Mirabeau-père, le cercle vertueux gage d’avenir. L’activité agricole, comme elle est indispensable à la subsistance de tous, est le tout premier des arts. Le paysan, avec son amour de la terre et sa capacité – qui serait pour Mirabeau-père structurelle – à accomplir un travail difficile, ne doit pas être découragé à l’exercer. On le motive par l’accès ouvert à la propriété immobilière. Au contraire, il convient de limiter l’action des villes qui, antres du luxe par excellence, auraient la fâcheuse tendance à corrompre les campagnes de leurs environs… Déjà nous rencontrons ici ce mélange étonnant de logique créative et d’idées surprenantes, voire saugrenues, qui marquera les penseurs de la première moitié du XIXe siècle.

10V. Riqueti de Mirabeau attaque frontalement les mercantilistes, il se pose en iné- branlable défenseur du libéralisme dans tous les domaines et propose de nombreuses réformes sociales13. Il s’engage bien sûr en faveur de la tolérance religieuse, recom- mande aussi une meilleure répartition des richesses et réclame l’égalité devant les taxes. Il explique tout cela à travers des chapitres aux thèmes des plus divers. Ceux-ci définissent, décrivent et commentent séquentiellement les notions de société, de richesse, de population, d’agriculture et de sa, de nature, de prospérité, de pouvoir et de sa répartition, de justice, des mœurs, d’égalité économique, de commerce, de luxe, de finances, de décentralisation, de vertu, de rente, de commerce extérieur, de prohibition économique, de paix, et, ce qui nous intéresse ici, de colonie. Le tout est servi, sur la base d’une critique de son temps piquée de remarques touchant la philosophie et l’éthique, l’économie politique et le droit, par un ton familier et prophétique qui ne rechigne pas à donner dans la répétition. Le lecteur d’aujourd’hui trouvera cela assez fastidieux, mais, à condition qu’il ne se laisse pas rebuter par l’absence de tout plan, de toute partition et de tout paragraphe, se verra dédommagé par la bonne teneur globale de la démarche et diverti par la rencontre régulière d’expressions délicieusement imagées.

11« Mirabeau père », par son long écrit en bloc, répondit aux attentes du public, de plus en plus nombreux, qui était lassé du système vieillissant. Il plut particulièrement à ces lecteurs quand il fustigea les privilèges nobiliaires, s’en prit à la puissance du Clergé, quand il s’emporta contre certains impôts et les restes du colbertisme, tous ingrédients qui animeront les volontés successives de changement pendant un siècle et demi.

12Avant de plonger dans les profondeurs de l’ouvrage de Mirabeau, une remarque fondamentale s’impose, qui permet de ne pas mécomprendre sa démarche : Ses pages ne sont pas vouées à la formulation concrète de textes juridiques recommandés à l’auto- rité, car Mirabeau se plaçait uniquement du côté créatif et amont de la ratio legis. Il se concentra ainsi sur des principes qui devraient inspirer de futurs textes susceptibles de régler les problèmes que rencontrait la colonisation française.

Quels sont les maux coloniaux et leurs remèdes, selon Victor Riqueti de Mirabeau ?

13Comme le titre de cet article l’indique, nous concentrons notre attention sur les critiques, arguments et propositions de L’Ami des Hommes qui, dans le chapitre VI « Des colonies », ont directement ou indirectement trait au droit ou aux institutions. Ce faisant, nous nous efforcerons de respecter, autant que la logique le permet, l’ordon- nancement de ses réflexions, dont nous citerons sans en abuser les expressions les plus caractéristiques. Afin d’éviter l’intégration de passages récapitulatifs trop artificiels, qui alourdiraient et rompraient la dynamique des développements « collant » à ceux de Mirabeau, des soulignements numérotés14 attirent l’attention sur les aspects structurant ses réflexions.

14Victor Riqueti de Mirabeau introduit celles-ci par l’explication (pages 212 à 213) exclusivement pragmatique selon laquelle le principe de colonisation serait dans l’ordre des choses, comme étant le mode même de peuplement du monde. Contrairement à ce qui se faisait, il n’utilise ici en aucune façon le justificatif classique du dominium terrae biblique (« Assujettissez la terre », Gen., 1 :28).

15Ceci posé en principe, Mirabeau présente ensuite l’administration de colonies modernes comme un art15 (213), une « branche du gouvernement » qui doit se perfec- tionner « comme le tronc ». Car il pose, en exergue de ses développements, le premier principe selon lequel aux progrès institutionnels de la métropole doivent correspondre ceux des dépendances coloniales [1].

16Riqueti regrette que cela ne soit pas le cas à son époque, qui laisse les colonies « dans la plus imbécile enfance » (213). Rien n’aurait encore vraiment évolué depuis l’Antiquité16, dont les comptoirs gérés par les vétérans, n’étaient que des lieux de pouvoir au service de fortunes métropolitaines qui « ne contribuaient en rien à la population » (218), mais la « tenaient en bride » au moyen d’hommes de main. Pour lui, les Grandes Découvertes n’y changèrent rien, car les administrations européennes ne cessèrent de resserrer leur joug tant sur leurs nouvelles terres que sur leurs anciennes possessions (218). Et pourtant, lance Mirabeau, sinon la morale, du moins notre intérêt bien com- pris devrait nous inviter à faire mieux que mettre en coupe réglée les colonies [2].

17Son bilan des politiques pratiquées par les quatre grandes puissances coloniales (236-242) montre malheureusement qu’elles ne font qu’exploiter de manière immédiate et sans vergogne leurs colonies. L’Espagnol, « toujours immuable dans ses préjugés, dont l’orgueil est le tissu, fait consister la dignité dans la paresse et qui ne connaît de richesse que l’or17, dédaigne de se courber sur la terre nouvelle, forçant des esclaves à le faire ». Mirabeau père – et on ressent ici pointer la verve du fils – va jusqu’à traiter l’Ibère de « véritable Mogol de l’Amérique », dont le règne serait brutal et dévastateur. Les autres colonisateurs ne feraient pas mieux. En apparence moins radical, le Portugal, « puissance précaire » pratique les mêmes principes, principalement pour le compte de l’Angleterre. Celle-ci, alors même que Riqueti, anglomane raisonné18, la reconnaît comme la puissance la plus éclairée d’Europe, maîtriserait encore assez bien le tiraillement entre, d’une part, la cupidité19 et, de l’autre, l’amour de la justice comme de la liberté. La première de ces tendances contrarie les effets de la seconde dans les colonies (265).

18Et qu’en est-il des Français ? Ce sont, pour Victor Riqueti, des aventuriers « plus propres à la guerre qu’à la paix ». Leur personnel colonisateur est hétérogène « fripons très-remuants, honnêtes gens mécontents », qui comprend certes des « héros nés pour faire honneur à l’humanité » mais aussi de tristes sujets, bien qu’également « capables dans l’occasion de traits d’héroïsme ». « Compagnons naturels en libertinage, en fougue et en valeur des sauvages », les Français sont dotés du « talent de se concilier l’amitié des Naturels du pays »20 (242). Cependant, leur gouvernement tient par la force punitive ses plus ambitieux colons, qui se muent pour cela en brigands. Gouverneurs et intendants ne sont jamais en accord sur les mesures à prendre pour maîtriser ce phénomène. Le modèle anglais, qui conduit à une indiscutable prospérité – du moins pour le moment – devrait inspirer (20-241). En effet, le colonisateur d’Outre-Manche sut donner à ses établissements « des lois de République, des Conseils, des Parlements, des autorités balancées » [3].

19Mirabeau pointe là une faiblesse institutionnelle française sur laquelle il revient à plusieurs reprises, indiquant ainsi qu’il serait urgent d’agir dans ces directions. À son époque, rappelons rapidement que le gouverneur, représentant du roi, est le responsable militaire, pendant que l’intendant de justice, de police et de finance a la responsabilité civile de la colonie. Ces autorités dépendent modérément et exclusivement du pouvoir exécutif, rien ne vient les contrebalancer ni les sortir de leurs dissensions. Les politiques pratiquées dans de telles conditions ne peuvent qu’être défectueuses. Preuve en serait, pour Mirabeau, qu’on a laissé, au nom du commerce spéculateur, saboter au Canada le bénéfice tiré de l’agriculture et de l’exploitation de la pêche, activités qui avaient justement été préférées à celle des mines.

20Pour Mirabeau-père, le drame fondamental des systèmes de la colonisation euro- péenne est qu’elle ait pris celui de l’Espagnol pour triste modèle, bien qu’il ait pour faiblesse irréductible la dispute entre colons (258) et avec la métropole. Victor identifie les trois principaux défauts du colonisateur espagnol : sa mentalité égoïstement spé- culative, son « impérialité » et son esclavagisme. On retrouve ces trois travers chez les autres. Ainsi, tous pratiquent dans leur colonie cet « esprit de commerce », qui a pour principe « tout pour moi, rien pour les autres » et qui domine la colonie, alors même que l’« esprit de population », communautaire, la renforcerait. L’« esprit de domina- tion » liberticide mis en œuvre par ces métropoles conduit à ce qu’elles veulent embrasser plus qu’elles ne le peuvent (260). Elles sont ainsi débordées, puis bientôt dépassées dans leur gestion. L’« esprit de commerce » conduit, enfin, à une exploitation tyrannique des colonies qui aboutit, au lieu de les « former et fortifier », à les faire stagner (409) ; à l’« esprit de population », si profitable à l’économie, est substitué celui de la subordination d’esclaves, qui se montre destructif si on serre leurs liens et fatal si on les relâche… (ibid.). Leurs maîtres, bien que ne faisant rien, s’enrichissent et poussent à appeler toujours davantage l’envoi de ces éléments étrangers21 (262). La législation actuelle n’y change mie.

21C’est ainsi que, ne servant guère que le prestige, la colonisation n’a économique- ment profité ni aux colonisés, ni aux États colonisateurs. Pour s’en persuader il suffit de constater que, selon Mirabeau, les États qui ont doublé leur puissance militaire, leur force politique et leur culture – la Russie et la Prusse –, ne possèdent aucune colonie outre-mer (408). À l’opposé, l’« esprit de domination » fourvoie les États colonisateurs à conquérir d’immenses territoires ingérables « dont les parties ne pourraient cor- respondre entre elles que grâce à des coureurs insensés qui rapporteraient les vices, l’indépendance et la brutalité des barbares vivant dans ces forêts » (263).

22Puis Riqueti reprend la question en la plaçant dans la perspective de la politique économique. Pour lui, le royaume de France fonderait sa force sur la crainte qu’il inspire « par le fer » à ses voisins. Mais ceux-ci à soumettront tôt ou tard par le commerce. Comme nous ne pouvons pas nous passer d’eux économiquement, il faudra bien com- penser par les productions coloniales. Elles s’avèrent donc existentielles. L’État prévoyant doit en ce sens s’aviser de conquérir des « pays abondants », ce que la France ne possède guère qu’avec l’Acadie (description 264 ss). C’est donc un appel à une expansion coloniale raisonnée que lance ici Mirabeau.

23Mais, revenant aux inconvénients d’une organisation administrative et politique abusivement autoritaire, Riqueti estime que la subordination à trop d’autorisations métropolitaines augmente la propension des colonies à la fraude, puis mène à la révolte. Le libéralisme modernisateur est, au contraire, le modèle logique qui assurerait le bonheur et la réussite de tous. L’État, par sa loi, devrait tout faire afin de l’instaurer en octroyant plus de latitude à ses dépendances, sous peine de les perdre22. Dans ses colonies, une attitude positive aboutirait (165) au contraire à « rendre le joug si doux qu’il fût recherché comme protection, non comme oppression ». Et c’est par l’envoi « de chefs probes, patients, généreux » et bien rémunérés que l’État pourrait y parvenir [4].

24De la sorte, les administrateurs n’en viendraient plus à vouloir « percevoir sur le commerce, sur la débauche et les folies des colons ». Il convient également de les laisser suffisamment longtemps en poste et les doter d’un pouvoir raisonné. Pour l’organiser, il est recommandable de « dormir sur les détails », de ne veiller qu’aux « secours principaux » et, avant tout, de pourvoir au bon choix des dépositaires de l’autorité (267). Contrairement à ce que diront certains, avance Mirabeau, cela ne risque aucunement de conduire à la séparation d’avec la métropole. Car rien ne sert de « serrer la vis » comme les Génois le firent vainement en Corse. L’exemple de réussite des possessions appliquant ce qu’il appelle « sa méthode », qui gagneront ainsi en population et en prospérité, convaincront les autres colonies. Elles désireront rester dans le giron de leur métropole (268). C’est l’inverse qui se passera dans toute colonie qui ne profite pas de telles mesures, après un passage par l’étape appauvrissante de la stagnation. Instaurer la liberté intérieure, avec tous les avantages qu’elle comporte, est donc pressant. Voilà qui correspondrait aux aspirations naturelles des colons ; « Combattre avec des sauvages contre cela est feu de paille » : d’ailleurs, ajoute le réaliste Victor de Mirabeau considérant le Canada, un jour, il n’y en aura plus, décimés qu’ils seront par l’eau-de- vie (268)…

25En cas de durable « faillibilité de la métropole », la colonie secouera donc son joug. À Paris, rien ne sert de « se creuser la cervelle » pour prévenir cela de manière coer- citive (269). La seule solution est là, dans son livre. « Cet écrit durera, j’espère, plus que moi, et j’y consigne cette prophétie : la première colonie à se défaire sera la plus heureuse si elle le fait adroitement. Elle aura de puissants alliés ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Mirabeau n’évoque pas implicitement les futurs États-Unis, mais édicte une règle générale qui concerne le royaume. Ce sont les colonies anglaises, elles, « sœurs de leur métropole »23, qui nous absorberont si nous n’améliorons pas le statut de nos colonies. Ce n’est qu’à ce prix que la France sera servie par ses sujets et récompensée par leur fidélité.

26Après la relation de diverses conjonctures contemporaines, Mirabeau traite d’une particularité : le « commerce des Îles » [5].

27Pour Riqueti, les rapports commerciaux entre les « chères Îles » (274) et la métropole sont ruineux en l’état actuel des choses (275). En effet, ces possessions reçoivent de coûteux biens de consommation en échange de produits de luxe, toutes « denrées de nulle subsistance ». Mais la mère patrie en produit elle-même plus que suffisamment à Paris comme dans ses provinces, alors même que le Canada désire ces « quincailleries, parures et menues marchandises ». Il conviendrait donc de redistribuer les rôles, de modifier les circuits24 et de réorganiser le flux commercial en connectant directement les Îles avec le Canada. Ce qui serait bien utile (276) est malheureusement entravé par les spéculateurs cupides qui dictent au Gouvernement des prohibitions (277). Retenons de son exemple que, pour Victor Riqueti de Mirabeau, l’autorité doit prendre et appli- quer de bonnes mesures particulières à des cas particuliers.

28Il passe ensuite au système fiscal, dont il prône la réforme complète : « Nos lois fiscales lient en tous sens le commerce ». Ce n’est que des cendres de ce code que pourra renaître l’équilibre, [6]… ce qui profiterait particulièrement à la navigation et aux armateurs (279). Nos rivaux ne dorment pas, eux, et améliorent leurs règles, ce qui les conduit à se développer et à nous nuire. Un jour ou l’autre, si nous ne modernisons pas aussi à cet égard, nous perdrons le combat et finirons encore plus vite par dépendre d’eux (281). Dans le but didactique de presser aux réformes, Mirabeau use donc une nouvelle fois du ton menaçant. Mais il y va cette fois un peu trop fort, et son ton sonne à la limite du défaitisme désabusé. Sans le vouloir, il rejoint les réalistes-pessimistes qui sentent déjà venir le Traité de Paris, que l’on s’accordera à considérer comme marqueur du déclin de la puissance française.

29Le libre-échangiste convaincu termine par une ultime injonction adressée aux gou- vernants et aux législateurs. Il y exhorte tout particulièrement à l’instauration rapide et quasi défiscalisée de la liberté d’importation et d’exportation, clef de la prospérité de tous, voisins et concurrents compris (287). C’est aussi un gage de paix, sujet qu’il avait significativement décidé de développer en prolongation de son « Des colonies » (« De la paix et de la guerre », 290-325 et 410-422). Et Mirabeau, dans un nouvel élan d’optimisme, d’espérer en l’avènement proche du « quatrième âge », celui qui ferait que les colonies seraient chacune composée d’une communauté d’esclaves au sort amélioré et d’hommes libres, métis et Blancs confondus. [7]

30Elle fournirait seule, pour Riqueti, le cadre d’une évolution socio-économique rai- sonnable. Mirabeau, en esquissant la société coloniale à laquelle il aspire, approfondit sa thèse en estimant indigne du siècle « l’importation d’esclaves » pour tirer davantage de la terre. C’est, au contraire, en appliquant le principe de population que l’on pourrait y parvenir : au lieu d’étrangers contraints et forcés, ce sont des nationaux motivés, avec leur culture, leurs valeurs et leur mentalité commune (passim) qu’il conviendrait d’établir dans les colonies (283). Il brosse alors le plus sombre tableau de l’économie esclavagiste : la production est faible, autant que la démographie (les femmes se faisant avorter, 284). Il s’érige fermement contre le Code Noir aussi bien pour des raisons philosophiques qu’économiques. Victor Riqueti n’en est pas moins réaliste et, estimant qu’on n’y pourra guère changer de sitôt, prône au moins l’adoucissement de l’esclavage. À côté de cela, il estime l’apparition du métissage comme une contribution au développement du bonum commune, à l’opposé (dans les « Isles ») des Créoles exploiteurs qui lui nuisent furieusement (285).

31Maîtrisant soudain l’expression de son ardeur, Victor Riqueti de Mirabeau termine son chapitre Des colonies par un appel à la raison. Nous ne sommes, écrit-il en une sorte de récapitulation, que des novices coloniaux et, comme le système actuel est en train de jouer en notre défaveur, il est temps de le transformer.

Les nouvelles législations coloniales : en recherche de copaternité spirituelle

32On le sait, le succès remporté par L’Ami des Hommes ou Traité sur la population fut considérable. Il marqua fortement les esprits. En grand nombre, les rééditions de l’ouvrage enrichirent les bibliothèques d’au moins trois générations d’intellectuels. Cela fit que les thèses (« ma méthode ») de Victor Riqueti de Mirabeau participèrent au mouvement des nouvelles idées. Nous nous consacrerons ici sur celles de son chapitre « Des colonies » que nous avons ci-dessus énumérées. Certes, il est impossible de déterminer avec une absolue certitude quelles dispositions législatives plongèrent, au long du XIXe siècle, leurs racines directement chez Mirabeau-père. Mais, au moins indirectement, ainsi qu’une lecture comparative permet d’appréhender, c’est le cas de celles qui furent prises en 1833. Car elles avaient trouvé leur inspiration dans le mouvement au sein duquel l’ouvrage de Riqueti, avec ses émules, avait immédiatement essaimé et opéré. Il convient maintenant de ne pas perdre de vue qu’il ne s’est écoulé que soixante-seize ans entre sa toute première édition et le vote des nouveaux textes.

Contexte juridico-politique de la nouvelle législation

33Ce sont deux lois du 24 avril 1833 qui furent les premières à pouvoir mettre en œuvre les nouvelles idées, développées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui étaient restées (ou redevenues) des vœux pieux. En effet, les textes pris après 1791 (reconnaissance de la citoyenneté aux gens de couleur) et 1794 (abolition de l’esclavage) ne furent qu’une brève parenthèse. L’Empire - non sans l’influence de Joséphine – et la Restauration menèrent la politique la plus « réacteuse » qui soit à l’égard des colonies. De manière emblématique, dès 1802, l’esclavage avait été rétabli25 et le Code Noir de 1685 remis en vigueur.

34Le signal initial qu’un vent nouveau allait souffler sur les colonies avait été l’art. 64 de la Charte du 14 août 1830, qui remplaçait (Déclaration du 7 août 1830) l’art. 73 de la Charte du 4 juin 1814. De manière univoque, le nouvel article établit dans les colonies un régime de spécificité législative : « Les colonies sont régies par des lois particulières ». Démonstrativement, la compétence concurrentielle de l’exécutif énoncée en 1814 (« Les colonies sont régies par des lois et règlements particuliers », art. 73) se voyait ainsi abrogée. Cela était l’expression de la volonté du nouveau Régime d’élever le niveau des principaux textes régentant les colonies, appliquant désormais à celles-ci le principe de primauté de la loi valant en métropole. Auparavant équivalente, la compétence réglementaire était donc remise à sa juste seconde place. Cela ne fut pas toujours respecté dans les faits par la « Mère Patrie » de la Monarchie de juillet, mais nous verrons ci-dessous que le Code des Colonies de 1833 en tint pleinement compte, qui attribua les matières importantes à la loi en son art. 2, ne laissant que les autres au règlement (art. 3).

35Suite à cette attitude hautement symbolique, le mouvement débuté au Consulat et qui annulait, une à une, les avancées révolutionnaires en matière de colonie, fut ainsi arrêté net. Les aspirations au progrès, contenues jusqu’alors, pouvaient être reprises par le nouveau législateur. Il convient ici de ne pas perdre de vue que la Monarchie de juillet résultait d’une insurrection véritablement populaire, qui, d’une manière générale, aspirait au retour à plusieurs avancées de la grande Révolution. On peut dire qu’elles rebondirent littéralement au début de ce nouveau régime. Le premier quart de son existence est, également en ce qui concerne les colonies, ainsi particulièrement fertile en réformes législatives. C’est dans le cadre de ce renouveau que se situent les deux textes qui vont nous occuper. Il s’agit de la loi « concernant l’exercice des Droits civils et des Droits politiques dans les Colonies » et de celle « concernant le Régime législatif des Colonies », toutes deux prises le 24 avril 1833. Ces jumelles avaient même été prolongées par le projet d’un texte abolissant l’esclavage, mais il fut repoussé d’année en année, le dynamisme du roi bourgeois s’essoufflant à l’ennui. Il fallut attendre quinze ans, presque jour pour jour, la IIe République et son décret du 28 avril 1848 pour que le servage soit, après plus d’un demi-siècle, de nouveau aboli et le principe de l’égalité des citoyens formulé par Sieyès officiellement respecté. La Loi sur le régime législatif colonial survécut à la Révolution de 1848, avec quelques modifications très secondaires26, ce qui montre que ce texte avait bien été perçu comme un instrument de progrès.

36Voyons maintenant le contenu global de ces deux textes.

37La loi de 1833 sur les droits civils et politiques comporte un article unique (outre celui, formel, du mandement). Il est en soi spectaculaire puisqu’il rétablit la citoyen- neté des Hommes de couleur que le Consulat avait abolie en 1802.

38Le même jour (24 avril) fut votée la loi sur le régime législatif colonial, beaucoup plus étoffée (24 articles) car plus technique. En effet, elle s’attache à déterminer les domaines de compétence législatifs et réglementaires pour les colonies. De plus, le texte institue un nouvel organe, le Conseil colonial, dont elle fixe les compétences, le mode de fonctionnement, la composition et le système électif. La nature et la forme de ses relations avec le roi et le Gouvernement s’y voient également précisées. Ce collège agit auprès des gouverneurs, dont l’étendue des pouvoirs et le contrôle sont définis avec précision.

39Les auteurs et les rapporteurs des deux textes appartenaient à cette catégorie sociale et culturelle, faite de monarchistes constitutionnels, de bourgeois, d’aristocrates et de clercs modérés dont la majorité connaissait l’Ami des Hommes (cf. supra). C’est le cas d’Henri de Rigny (1782-1835), ministre de la Marine et des colonies qui prépara le texte de la loi « concernant le régime législatif », de Charles Dupin (1784-1873), qui le rapporta à la Chambre des députés et de Jean-Elie Gautier (1781-1858) qui l’avait fait à la Chambre des Pairs. Ce dernier surnomma, à cause de son importance, le texte concernant le régime législatif des colonies « code colonial »27, nom qui lui est resté.

40Nous l’utiliserons de même (sans aller jusqu’à l’abréviation « c. col. » !), réservant l’appellation de loi à celle sur l’exercice des droits civils et politiques afin d’alléger les développements.

41Notons en liminaire que la Monarchie de Juillet considérait, comme Victor Ri- queti de Mirabeau, que la colonisation faisait partie de l’ordre naturel des choses28. On sait que la justification punitive et missionnaire qu’elle avança lors du lancement de la conquête algérienne n’était qu’un prétexte masquant son indication de politique intérieure. L’expédition militaire, qui allait rapidement soumettre la Mitidja, correspondait également à la recommandation de Mirabeau selon laquelle il fallait que l’expansion coloniale prît pour objet des « pays abondants » (264) pour fournir le mieux possible la mère-patrie en biens de consommation.

42Structurant les développements qui suivent, consacrés à comparer la Loi et le Code avec les réflexions de Mirabeau, la numérotation des paragraphes renvoie à celle des sept remarques fondamentales susdénombrées qui avaient été soulignées au long des commentaires de son Des colonies.

Aux progrès institutionnels de la métropole doivent correspondre ceux des dépendances coloniales

43C’est, dans l’ordre, la toute première (car énoncée dès la seconde page du chapitre Des colonies, 213) des réflexions marquantes par lesquelles Victor Riqueti avait interpellé son lecteur. En 1833, la Loi comme le Code mirent en œuvre ce principe en introduisant dans les colonies partie des progrès institutionnels qui suivirent la Révolution de 1830. Mais nous ne sommes pas encore à l’aboutissement de la symétrie juridique que la maxime de Mirabeau implique et qui devrait mener, à plus ou moins longue échéance, à l’équivalence, sinon à l’identité des législations métropolitaines et coloniales. La Loi de 1833 concernant l’exercice des Droits civils et des Droits politiques dans les Colonies conserve en effet une distinction discriminatoire entre hommes libres et esclaves qui n’existe plus en métropole depuis le servage médiéval : le nouveau texte ne s’applique qu’à « toute personne née libre ou ayant acquis légalement la liberté » (art. premier). Ne sous-estimons pas pour autant la remarquable implication qu’elle mit en œuvre, qui est la reconnaissance de la citoyenneté – par l’exercice des droits civils et politiques – aux Hommes libres de couleur dont ils étaient jusqu’alors privés. Un des premiers bastions raciaux de la résistance des Coloniaux conservateurs était ainsi renversé et le mouvement émancipatoire bel et bien mis en marche.

44D’autres dispositions du « Code » de 1833 assignent un progrès au système en vi- gueur dans les colonies et le rapprochent de celui de la métropole. C’est tout d’abord l’objet de l’art. 2, qui énumère les domaines de compétence du « pouvoir législatif du royaume ». En accord avec la nouvelle Charte29, le texte règle désormais l’exercice des droits politiques (al. 1), ceux-là mêmes dont l’application avait été édictée par la Loi jumelle sur les droits civils et politiques. Du même domaine ressortissent également le droit civil et (même si l’on retrouve ici le distinguo entre Hommes libres et esclaves) criminel, ainsi que le droit pénal « déterminant pour les personnes non libres les crimes auxquels la peine de mort est appliquée » (al. 2). Dépendent également de la loi les pouvoirs spéciaux des gouverneurs en matière de police, d’organisation judiciaire, de commerce, de douanes, de répression de la traite des Noirs et des relations entre la métropole et les colonies30 (al. 3 - 5).

45Le domaine réglementaire colonial, pour sa part, s’approche également de celui de la France métropolitaine. Ainsi, en vertu de l’art. 3, les ordonnances royales ont explicitement pour domaines l’organisation administrative (al. 1), la police de la presse (al. 2), l’instruction publique (al. 3), les milices (al. 4), les recensements (al. 5) et l’acceptation des dons et legs aux établissements publics (al. 8). C’est aussi l’Ordonnance qui réglementera ces délicates questions typiquement coloniales que sont « les conditions et les formes des affranchissements » (al. 5), « les améliorations à introduire dans la condi- tion des personnes non libres » (al. 6, point sur lequel nous reviendrons dans le § 8) et les « dispositions pénales applicables aux personnes non libres, pour tous les cas qui n’emportent pas la peine de mort » (al. 7, cf. ci-dessus : règle complétant l’art. 2 al. 2).

46Toutes ces dispositions ont en commun le souci d’éviter les abus du passé et d’imposer les conséquences des avancées institutionnelles métropolitaines. Elles s’opposent, pour prendre un exemple particulièrement sensible, aux pratiques de justice expéditive des « colons qui se muent en brigands » que Mirabeau décriait (242).

Faire mieux que mettre en coupe réglée les colonies

47Le code érige un barrage aussi bien contre le court terme que contre les excès profitant à quelques coloniaux en créant trois institutions, régulatrices par leurs compé- tences solidement établies et plus proches des populations, que sont le nouveau Conseil (cf. 3]), les élections (cf. ibid. et 5]) et le nouveau gouverneur (cf. 4]).

« Des lois de République, des Conseils, des Parlements, des autorités balancées »

48Mirabeau avait été le contemporain des premières tentatives d’instaurer de cos- métiques institutions exclusivement consultatives. C’était le cas du Conseil Supérieur à St-Domingue (1713), puis de l’Assemblée Nationale de la Colonie, de la Chambre d’Agriculture et de Commerce en Martinique, en Guadeloupe et à Tobago (1759). Elles furent baptisées Assemblées Coloniales en 1787, mais toutes ces structures devaient se borner à devoir consentir à l’impôt. Sous la Restauration, les ordonnances du 26 janvier et du 17 août 1825 donneront l’impression d’avoir amélioré cette situation institu- tionnelle en créant des « Conseils Généraux » à la Réunion, en Martinique et en Gua- deloupe. Théoriquement chargés de surveiller la gestion de leurs colonies, ces Conseils exclusivement consultatifs étaient pareillement dépourvus de réel pouvoir.

49À l’époque de Riqueti, le gouverneur ne devait de rares comptes qu’au monarque, et l’intendant pouvait également œuvrer dans son quant-à-soi. Mirabeau déplorait que rien ne vienne réguler ce fonctionnement administratif et économique des colonies, ceci alors même que, rappelons-le, leurs gouverneurs et leurs intendants ne furent « jamais d’accord ». De cela (et de leur connivence avec les spéculateurs) découlait, pour lui, le blocage du développement colonial qui allait, si on n’y changeait rien, conduire à la perte de nos possessions d’outre-mer.

50Le Code de 1833, et c’est une mesure décisive, supprima le factice Conseil général créé en 1825 pour instaurer à sa place un Conseil colonial31 (art. 1er) expressément destiné à une action concrète. Il est composé de trente membres32 assermentés (art. 1733), « âgés de trente ans accomplis » (art. 21), élus pour cinq ans au suffrage censitaire34 (par collèges, art. 13 ; 20 ; 21 ; 22) et dont les fonctions sont gratuites (art. 14). La plus générale (art. 4) de leurs compétences est celle de pouvoir prendre des décrets – dits « Décrets coloniaux » – dans les nombreuses matières qui « ne sont pas réservées aux lois de l’État ou aux ordonnances royales ». Cela concerne notamment – chose décisive du point de vue politique – l’organisation du « régime municipal », ainsi qu’il résulte explicitement de l’art. 3, al. 1, excluant cette compétence du domaine ordonnanciel. De plus, les Conseillers discutent et votent le décisif budget de la colonie (art. 5), ils déterminent l’assiette comme la répartition des impôts directs (art. 6). Ces activités stratégiques comportent cependant quelques bémols formels : elles s’exercent sur la base de propositions devant émaner du gouverneur. Les décrets adoptés par le Conseil doivent être « consentis par le gouverneur et soumis à la sanction du Roi » (art. 8) et les projets non adoptés par le Conseil, comme ceux qui n’ont pas reçu son « consentement », devront attendre une autre session (art. 9). Celles-ci, même si procès-verbal des séances doit être dressé et publié, ne sont malheureusement pas publiques (art. 16, al. 3), n’ont lieu qu’une fois l’an (art. 15) et se voient convoquées par le gouverneur (qu’elles soient ordinaires ou extraordinaires, art. 12). Ce dernier est représenté lors des sessions par des commissaires « qui doivent être entendus quand ils le demandent » (art. 12, al. 4). Enfin, le gouverneur, qui ouvre et ferme les sessions (art. 12, al. 2)35, peut dissoudre le Conseil ou le proroger (art. 12, al. 1). Mais il ne peut, et ce principe est capital, utiliser tout cela pour bloquer ou menacer les Conseils, le Code déterminant fort bien ses obligations.

51Le Conseil, comme sa dénomination l’indique cette fois réellement, a aussi un rôle consultatif et – ce qui n’est pas anodin – doit être écouté avant toute prise d’Ordonnance royale concernant la colonie (art. 3). Le roi ne peut donc faire régler de telles questions qu’après avoir entendu les Conseils ou leurs délégués. Car tout Conseil colonial envoie des délégués consultatifs rémunérés auprès du « Gouvernement du Roi » (art. 19), et peut adresser au souverain, ainsi qu’au gouverneur, des « vœux » (art. 10). Les Conseillers cogèrent même, en sus du budget (cf. supra), le nerf de la guerre en donnant « son avis sur toutes les dépenses militaires qui sont à la charge de l’État » (art. 7).

52Il faut particulièrement se garder ici de commettre le péché d’anachronisme en estimant que la structure des Conseils Coloniaux mise ainsi sur pied ne représente qu’un progrès restreint. En réalité, replacée dans son contexte et comparée au passé, elle réalise une avancée décisive qui correspond exactement au souhait de ces « autorités balancées » espérées par Mirabeau. La tendance à l’arbitraire de l’ancien gouverneur était difficile à juguler par le pouvoir métropolitain. Le nouveau, contrôlé, se trouve dans une position bien différente et le principe électif du Conseil Colonial instaure sur place une pression politique sur l’exercice de son pouvoir. Celui-ci n’est, institutionnellement, plus aussi large car il ne peut se passer du Conseil pour mener son action fortement canalisée. Enfin, et le pas franchi est considérable, le roi lui-même doit entendre la voix des Conseillers avant de prendre ses Ordonnances coloniales… Et tout cela est chapeauté, même si l’on ne peut parler littéralement de « lois de République », par l’art. 64 de la Charte et par la Loi de 1833 vue plus haut : le tableau global aurait bien eu de quoi satisfaire une bonne partie des vœux anglomanes que caressait Mirabeau.

« Rendre le joug si doux qu’il fût recherché comme protection, non comme oppression ». Et c’est par l’envoi « de chefs probes, patients, généreux » et bien rémunérés que l’État pourrait y parvenir

53Le législateur de 1833 s’est attaché, de manière déterminée et réaliste, à remodeler la fonction de gouverneur en l’encadrant de règles qui le différencient nettement de son prédécesseur de l’Ancien Régime, dont la propension à l’arbitraire pouvait se développer à l’insu du pouvoir central (si tant est que l’oligarchie le voulait). Le but des dispositions du Code est de diminuer les distances et les tensions qui marquaient le poste dans la vie des colonies, mais surtout de le maîtriser. Plusieurs avantages et privilèges furent soustraits des prérogatives gubernatoriales, si bien que le gouverneur ressemble de près au préfet métropolitain. Il n’est pas là pour toucher une rente de situation, ni pour exercer dans l’arbitraire, mais doit satisfaire aux tâches nettement définies consistant à diriger l’administration, la police et à veiller « à l’exécution des lois, ordonnances et décrets publiés dans la colonie » (art. 11). Il est également, comme nous venons de le voir, le « chef d’orchestre » formel du Conseil Colonial. Il doit organiser le remplace- ment de ses membres36 (art. 18) ou de sa totalité après sa dissolution (art.12) ; il décide, dans la même mesure, des temps et lieux de ses sessions (art. 16). Même si elles se voient énumérés, certaines compétences sont donc réellement existantes. Au nom de l’efficacité et de la rapidité à une époque encore marquée par la lenteur des commu- nications, le gouverneur peut « déclarer provisoirement exécutoires » les décrets du Conseil auxquels il a consenti (cf. supra), avant qu’ils aient été soumis à la sanction royale (art. 8, al. 1). Mais, ne l’oublions pas, un conséquent contre-pouvoir de nature financière est sinon instauré par le Code qui stipule, en son important article 5 - et en sus de sa compétence fiscale (art. 6, cf. infra) -, que le Conseil vote le « budget intérieur de la colonie » présenté par le gouverneur. Sa cogestion est donc incontournable. Par souci évident d’équilibre et de contrôlabilité, le texte exclut explicitement le traitement du gouverneur de ce bloc budgétaire : c’est le Gouvernement qui le fixe (art. 5, al. 1)37. C’est vraiment l’organisation « bien balancée » de l’autorité coloniale, telle qu’esquissée dans l’Ami des Hommes, qui est mise sur pied en 1833.

54Il est clair que Mirabeau ne serait pas resté sur sa grande faim de réformes moder- nisatrices : ce nouveau gouverneur, à la condition que les qualités de cœur qu’il attendait de lui soient réunies, occupe une place à laquelle il peut agir de manière responsable en faveur de sa colonie.

La particularité du « commerce des Îles »

55À l’exemple de l’économie et des flux commerciaux des « Îles », Mirabeau évoquait la nécessité de « régentements » particuliers pour tenir compte de problèmes ou de situations spécifiques. Elles peuvent résulter d’avantages ou, ce qui est plus souvent le cas, de désavantages (éloignement, situations de crise, déséquilibres structurels, édu- cation, faiblesses, calme politique, délinquance etc.). La densité de la population peut notamment justifier des règlements et aménagements légaux spécifiques. C’est, princi- palement celle-ci qui avait conduit le « Code » à édicter des modulations en faveur de certaines possessions, que nous pouvons énumérer.

56L’instauration de Conseils Coloniaux concernait limitativement les colonies de la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane (art. 1). Par contre, en étaient dépourvues les comptoirs de l’Inde, le Sénégal et Saint-Pierre et Miquelon. De même, les délais impartis à l’organisation du scrutin de renouvellement des Conseils démis par le gouverneur sont différemment fixés. La règle applicable est de cinq mois maximum, mais du double pour la Réunion. De manière comparable, le nombre des Conseillers n’est que de seize en Guyane (au lieu de trente, cf. supra) ; le Code comprend en annexe, après son dernier article, un tableau les fixant. Des différences sont également faites en ce qui concerne le nombre des délégués près le Gouvernement : ils sont deux par colonie, sauf un seul pour la « guiane ». Enfin, et cela tient bien compte des réalités économiques, la computation du cens38 permettant d’être électeur39 est également modulée. S’il faut être imposé au moins de 300 F (ou justifier d’un patrimoine de 30 000 F) en Martinique et en Guadeloupe, 200 F (ou justifier d’un patrimoine de 20 000 F) suffisent à la Réunion comme en Guyane (art. 20). De même, l’éligibilité est conditionnée par une imposition minimum, pour le premier groupe, de 600 F (patrimoine de 60 000 F), alors qu’elle se monte à 400 F (patrimoine de 40 000 F) dans le second. De plus, l’art. 2340 stipule à l’avance : « Une ordonnance royale déterminera, avec les modifications qu’exigent les circonstances locales, des dispositions réglementaires […] sur les élections ». L’art. 25 tient compte, lui aussi, des disparités coloniales en stipulant que les « établissements français dans les Indes-Orientales et en Afrique et l’établissement de pêche de St-Pierre & Miquelon continueront d’être régis par Ordonnances ». Cette disposition fut appelée à jouer un grand rôle dans notre histoire coloniale. Le seul établissement français d’Afrique était le Sénégal, jusqu’à ce que l’Algérie soit considérée comme tel (1834). L’article de 1833 fournit ainsi la base légale du système réglementaire qui fut pratiqué à son égard, jusqu’à la fameuse et bien tardive Loi du 20 septembre 1947 « portant statut organique ».

57Après les solutions aux prétentions universalistes de l’Empire, force est de constater que le Code institua un système « à la carte » aux combinaisons multiples qui auraient convenu au pragmatique Victor Riqueti de Mirabeau. Il les avait recommandées, mais en vain, tout au long de son chapitre Des colonies.

« Nos lois fiscales lient en tous sens le commerce ». Ce n’est que des cendres de ce code que pourra renaître l’équilibre

58Et, en effet, le Code de 1833 refondit les bases de la fiscalité coloniale en fixant une règle claire et nette : l’assiette et la répartition des contributions directes sont du ressort du Conseil Colonial (art. 6). Cela constitue un élément décisif du contre-pouvoir financier de cette assemblée envers le gouverneur. C’est une avancée en direction de cette démocratisation, qu’espérait Victor Riqueti. La solution retenue par le Code est judicieuse et caractéristique de l’esprit libéral de la Monarchie de juillet. Car qui sont ces Conseillers très fiscaux élus au suffrage censitaire ? Ce sont les tenanciers écono- miques des colonies eux-mêmes. Ainsi, les décisions qu’ils prendront ne seront certainement pas défavorables au développement de leurs affaires, elles-mêmes fonction des ressources et capacités de chaque colonie. C’est la mise en forme juridique du grand vœu du Physiocrate Mirabeau. Il s’était escrimé à expliquer que le libéralisme était le seul modèle raisonné qui permettrait le bonheur et la réussite de tous, les institutions libérales devant fonctionner en motivant les propriétaires actifs des dépendances. Et Louis-Philippe n’était-il pas, des Français, ce roi-pasteur qu’il avait tant appelé de ses vœux anglomanes ?

Une communauté d’esclaves au sort amélioré et d’hommes libres, métis et Blancs confondus

59Sur ce plan, le Code Colonial est en plein accord avec sa consœur de 1833 qu’était la loi sur l’exercice des droits civils et politiques vue en début de chapitre. En effet, tout en relançant un mouvement libératoire par son art. 3, al. 5 qui attribue aux Ordonnances la matière des « conditions et formes de l’affranchissement, le code reprend le distin- guo homme libre / homme non-libre. Au passage, on apprécie à sa juste valeur l’hypocrisie du terme, employé comme substitut à celui d’esclave (qu’emploie Mirabeau-père), ressenti depuis la Révolution comme socialement indécent. C’est ainsi que, pendant que les lois seront chargées de fixer les dispositions relatives aux crimes commis par les personnes libres (art. 2, al. 2), c’est par simple Ordonnance que seront réglées « les dispositions pénales applicables aux personnes non libres » quand elles n’encourent pas l’échafaud (art. 3, al. 7). En 1833, il n’y a donc d’égalité des Hommes que devant la peine capitale, ce que leur « ami » Mirabeau aurait très haut critiqué. Mais le 6e alinéa de l’art. 2 l’eût rassuré, qui laisse entrevoir une réduction progressive des différences de statut et annonce explicitement des Ordonnances qui auront pour objet « les améliorations à introduire dans la condition des personnes non libres, qui seraient compatibles avec les droits acquis ». Cet ajout final lui aurait fait également froncer le sourcil : est-ce un renvoi conditionnel à ceux des maîtres à leur égard ? La loi ne précisant pas davantage, il est impossible de l’interpréter avec assurance. Mais il est vraisemblable que le texte fut ainsi formulé pour apaiser le puissant lobby des planteurs. Nonobstant, une disposition parfaitement claire éloigne définitivement les derniers démons du Code Noir. Contenue dans l’art. 2, al. 5, elle énonce, parmi les lois qui « seront faites par le pouvoir législatif du royaume », celles sur « la répression de la traite des noirs ».

60Quoi qu’il en soit, les contemporains de la loi et du Code de 1833 vivaient presque dans la société relativement fraternelle que souhaitait41 Mirabeau pour les habitants des colonies : ils sont au moins devenus demi-frères…

CONCLUSION

61Ainsi que nous l’avons constaté à plusieurs reprises, plusieurs dispositions de nos deux textes de 1833 allaient, dans leurs avancées, encore en deçà de ce que Victor Riqueti espérait pour l’avenir colonial de la France. On mesure ainsi combien Des colonies était en avance sur son siècle. Le déficit qui existait entre les souhaits de Mirabeau et le droit positif ne se vit que petit à petit comblé par des lois postérieures, dont les dernières ne furent (trop) tardivement votées qu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Comme quoi les idées sur les colonies, exprimées par Mirabeau père, ses émules et beaucoup d’autres, ne connurent que tard la désuétude. C’est en ce sens que Victor Riqueti mérite d’être historiquement regardé comme l’un des pères spirituels de la législation coloniale, en tout cas comme l’un de ses plus distingués esprits.

62Ceci dit, de manière générale, quel aurait été l’impact réel de textes juridiques allouant tout de go la liberté aux colonies et aux colonisés ? Les habitudes, les comportements, les mentalités ont la vie dure et l’on ne peut bouleverser l’éthique d’une société du jour au lendemain. La majorité des colons économiquement et encore politiquement dominante aurait, dans les faits et par des actions concertées avec ses puissants appuis métropolitains, contrebalancé les efforts de justice qui auraient été produits par tout législateur, certes animé des meilleures intentions, mais excessivement pressé d’accomplir de trop grands pas. Ainsi que Victor Riqueti de Mirabeau l’exposa dans d’autres pages de son Ami des Hommes, là réside la limite réaliste assignée à l’effet des meilleures lois. Pour terminer, joignons à sa voix celle d’Horace pour nous le rappeler avec la concision de sa vingt-et-unième ode :

« Quid leges sine moribus?

Vanae proficiunt »42

Notes

1 Quelques recherches menées en Afrique centrale m’ayant introduit à ce domaine particulier : D. Soulas de Russel, « Procédures pénales française et centrafricaine : à la lumière de leurs différences, analyse d’un exemple typique de réception du droit français en Afrique Noire » in : Verfassung und Recht in Übersee 1980/2, S. 123 ss.

2 Et un peu au-delà car, dans le premier quart du XIXe siècle, les études ne traitent la question que de manière trop rapide comme, malgré son titre alléchant, l’ouvrage de M. de Bovis (Essai sur l’esprit des lois coloniales, Paris 1820).

3 Victor Riqueti, marquis de Mirabeau, L’Ami des Hommes ou Traité de la population. La première édi- tion de 1756 s’était faite en un seul volume, en deux en 1758, ensuite en trois, auxquels plusieurs autres œuvres furent ultérieurement ajoutées (pour arriver jusqu’à huit volumes). Les trois parties originelles qui constituent l’Ami des Hommes étaient, suivant les éditions, en in-16, contenues dans environ 1.200 pages. Pour ces développements et ses citations, ainsi que signalé dans le titre, nous avons retenu la cinquième édition en trois volumes [Hambourg Chrétien Hérold éd., 1760, 3 vol. , in-16], car elle est la plus élaborée (la première additionnée de remarques physiocratiques) et la plus répandue, en France, des fréquentes rééditions nationales et (traductions) internationales qui se succèdent encore de nos jours. La première édition de 1756 s’était faite en un seul volume, en deux en 1758, ensuite en trois, auxquels plusieurs autres œuvres furent ultérieurement ajoutées (pour arriver jusqu’à huit volumes). Les trois parties originelles qui constituent l’Ami des Hommes étaient, suivant les éditions, en in-16, contenues dans environ 1.200 pages.

4 Jean-Antoine de Riqueti (né en 1666) était amputé des deux bras et eut dix enfants de son mariage (1743) avec Marie-Geneviève de Vassan. Victor était leur cinquième.

5 Dans lequel il prônait, pour assurer le bonheur du pays, rien de moins qu’un retour aux valeurs aristocratiques du Moyen-âge.

6 Selon lui, les Parlements devraient se développer à partir des provinces, qui auraient vocation à les organiser. D’une manière générale, on peut donc avancer que Mirabeau-père était, alors, encore bien loin d’iden- tifier les problèmes, de ressentir les réalités politiques et d’envisager les évolutions probables du pays.

7 Le plus récent étant Wikipédia.

8 Principalement en ce qui concerne les visions restreintes qu’il comportait en matière de production des richesses comme de plus-value. Il est dommage que Mirabeau ne rencontra jamais Quesnay.

9 Cf. D. Soulas-de Russel, « Grundsätze des Wirtschaftens », Wissenschaft und Praxis éd., Sternenfels 2009, 156 pp. 

10 Qui le fit pour son livre Grand-Croix de l’Ordre de Vasa.

11 Ce père attentionné décrivait Honoré-Gabriel, qu’il appelait « Monsieur l’ouragan », ainsi à son frère : « ton neveu est laid comme celui de Satan ».

12 Le titre de son ouvrage devint le sobriquet de Victor Riqueti de Mirabeau.

13 Dont une, qui n’est pas franchement libérale, comporte l’obligation pour tous de travailler !

14 Cette numérotation placée entre crochets sert les renvois de la seconde partie, vouée aux deux lois de 1833

15 Comme nous venons de le voir, c’est également comme tel que le physiocrate présente l’agriculture, qui serait le premier de tous. C’est dire l’importance qu’il accorde à la question coloniale.

16 L’auteur de l’Ami des hommes s’essaya plus avant (225-236), selon la mode de l’époque, à un historique de la colonisation organisée de manière aventureuse en trois « âges » pour terminer par un définitif « la conduite de nos pères doit nous faire rougir de honte ».

17 Ce qui est la caractéristique de ce qu’il dénomme le « troisième âge » de l’histoire coloniale.

18 Qui appréciait l’Écossais David Hume, notamment pour son attitude en faveur de l’indépendance américaine.

19 Qui est, pour Mirabeau et ses semblables, un péché économique capital, à égalité avec ceux de « l’abus de la finance » et de « l’amour inconsidéré du luxe ».

20 L’expérience du Canada, ici avec les Hurons, joue un rôle important dans les appréciations de Mirabeau.

21 Il en conçoit une aversion pour les Créoles (Cf. infra).

22 Ceci dit, les incitations à la réforme de Victor Riqueti de Mirabeau, malgré ses quelques envolées pessimistes, n’envisagent en aucune manière l’éventualité de la catastrophe de 1763. Elles sont d’ordre pédagogique.

23 Cet. par. : La colonisation anglaise est potentiellement sabotable par l’esprit de spéculation économique (Cf. supra, 265).

24 Cette vision est caractéristique de la pensée physiocratique, avec ses flux économiques inspirés au Dr Quesnay par les travaux, alors juste séculaires, du physiologiste William Harvey.

25 L’influence exercée par Joséphine aurait été, pour Mirabeau-père, une confirmation de son appréciation de la mentalité créole.

26 Que nous signalerons par annotations de bas de page. Les premières réécritures de forme concernent le remplacement de « du royaume » par « de la métropole » (art. 2), de « royal(e) » ou « du Roi » (pour qualifier ordonnances, sanctions et adresses) par « du gouvernement » (art. 4 et 6 – 8 nouveaux ; 10 – 7 nouveaux ; 25 – 18 nouveaux). Les secondes réécritures concernent l’usage du temps présent, qui a été substitué à celui du futur (« pourra » - art. 19/« peut » - art. 14 nouveau ; « sera » - art. 20 et 21/« est » - art. 15 nouveau etc.). Les troisièmes réécritures consistent en la réunion de plusieurs articles en un seul, ce qui nourrit l’opinion répandue selon laquelle la loi aurait été écourtée (18 articles au lieu de 25) à la suite de suppressions. En réalité, ce n’est pas ce qui s’est passé (cf. notes15, 33, 35, 39 et 40), comme nous allons le montrer. Cette restructuration, qui fut dommageable – car les dispositions de la loi s’en trouvaient d’autant moins différenciables – fut assez confuse, qu’on en juge plutôt : si elle est claire dans le cas des art. 6, 7, 8 et 9 anciens réunis en l’art. 7 nouveau, l’art. 8 nouveau (art. 11 ancien) intègre l’art. 12 ancien ; l’art. 13 ancien, devenu l’art. 9 nouveau, fit de même avec l’art 14 ancien ; les art. 15, 16, 17, 18, 19 et 20 anciens devenant logiquement les art. 10, 11, 12, 13, 14 et 15 nouveaux. Enfin, l’art. 21 ancien est inscrit dans l’art. 15 nouveau. Ces regroupements aboutissent à ce que l’art. 24 ancien devienne le 17 nouveau et le 25 ancien le 18 nouveau.

27 Le terme de « Code des colonies » est employé presque aussi fréquemment, alors que celui de « Charte des colonies » (encore employé en 1852 par le conservateur M. Duverger dans son fameux Dictionnaire National de droit français, Paris, p. 253) tomba rapidement en désuétude après 1848.

28 Cette conception perdurera jusqu’à l’arrivée du marxisme avec sa dialectique périphérie/centre, transpo- sant au niveau international celle de l’exploitation du prolétaire par le capitaliste.

29 Cette intention politique inspira le nom de la nouvelle loi, pour cela qualifiée comme « concernant le régime législatif des colonies » alors même que son dispositif était plus étendu, notamment parce qu’il traite du régime réglementaire de celles-ci.

30 Cette formulation très générale est de principe, car elle n’implique rien de concrètement définissable ; la loi ne peut se situer au-dessus de la Charte.

31 Ce qui ne l’empêchera pas de reprendre plus tard l’adjectif « général ».

32 Seize en Guyane, cf. infra.

33 « Je jure fidélité au Roi des Français, obéissance à la Charte constitutionnelle, aux lois, ordonnances et décrets en vigueur dans la colonie ». Cette formule a été radiée sans remplacement par le rédacteur de la IIe République, qui ne conserva pas moins le principe de l’assermentation (art. 12 nouveau), alors même que l’idée selon laquelle « on ne lie pas par serment la conscience d’hommes libres » était mise à l’honneur par les Utopistes partageant alors le pouvoir et représentés par Louis Blanc.

34 La IIe République, ce qui est surprenant, conserva les règles censitaires dans leur intégralité, ce qui était formellement anticonstitutionnel car totalement contraire au principe du suffrage universel qu’elle proclama (in art. 25 : « sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt-et-un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques »).

35 Le législateur de la IIe République, ce qui constitue une de ses rares modifications de fond, supprimera cela dans l’art. 8 nouveau.

36 Dont il n’est pas habilité à recevoir leur démission, ce qu’est exclusivement le Conseil lui-même (art.18).

37 Il en va ainsi, et pour les mêmes raisons, des « dépenses du personnel de la justice et des douanes » (ibid.).

38 Comme en métropole, l’imposition directe étant cumulable avec la possession de propriétés non imposées (art. 23).

39 « Tout Français âgé d’au moins vingt-cinq ans accomplis, né dans la colonie » (art. 20 ; la IIe République ajouta « ou qui y est domicilié depuis deux ans » à ce qui était devenu l’art. 15) ; l’art 21 sur l’éligibilité ne comporte aucune condition de naissance ou de résidence. Les « Hommes non-libres », ne jouissant pas des droits politiques (art. 1er de la Loi de 1833, cf. supra), sont donc exclus.

40 Cet article n’a pas survécu à l’avènement de la IIe République.

41 Également pour des raisons d’efficacité économique, les esclaves n’étant pas, selon lui, motivés pour bien travailler la terre.

42 « À quoi servent les lois si les mœurs nous manquent ? »

Pour citer ce document

Par Dominique SOULAS DE RUSSEL, «Un des esprits des lois coloniales : V. Riqueti De Mirabeau et son « des colonies » (1760)», Les cahiers poitevins d'histoire du droit [En ligne], Huitième et neuvième cahiers, mis à jour le : 25/07/2019, URL : https://cahiers-poitevins.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiers-poitevins/index.php?id=180.

Quelques mots à propos de :  Dominique SOULAS DE RUSSEL

Docteur en histoire et en droit, professeur honoraire à l’Université de Tübingen, chargé d’enseignement à l’Université François-Rabelais de Tours