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L’impôt direct en lyonnais aux XVIIe et XVIIIe siècles un reflet concret des critiques portées contre la taille
Par Karine DEHARBE
Publication en ligne le 25 juillet 2019
Table des matières
Texte intégral
1Depuis le XVIe siècle, la taille est le principal impôt direct de la période monarchique1, sans cesse augmenté par la royauté sans aucun contrôle sinon celui, bien peu contraignant, de l’opinion2.
2Il n’est pas inutile de faire quelques rappels généraux pour mieux appréhender la réalité du système, notamment dans le Lyonnais, et la valeur des critiques qui lui sont adressées.
3Auger, dans les premières pages de son Traité sur les tailles, donne une première idée : « Qu’est-ce que la taille ? C’est une imposition fixe en argent qui se répartit annuellement sur chaque contribuable, à proportion de ses biens, facultés et industrie »3. Cette définition est loin d’être satisfaisante, d’autant que la plupart des auteurs sont encore moins précis : ils ne considèrent la taille que comme un tribut ordinaire levé par le roi tous les ans sur ses sujets4. Claude-Joseph de Ferrière, dans son Dictionnaire de droit et de pratique, est le plus clair. Il explique que, dans la plus grande partie du royaume, les tailles sont mixtes, à la fois réelles et personnelles. Elles sont d’abord réelles, car payées par les roturiers en raison de leurs biens patrimoniaux. Elles sont ensuite personnelles, car c’est par rapport à la demeure que l’on détermine le lieu où elles sont imposées sur chaque taillable, et aussi parce qu’elles se calculent non seulement eu égard aux biens patrimoniaux qu’un taillable possède, mais en outre, au gain réalisé par son activité. Ce régime s’applique dans la plus grande partie du royaume, et malgré tout, les tailles sont plutôt considérées comme personnelles que comme réelles : chaque particulier ne paye par an qu’une seule taille et en une seule paroisse, c’est-à-dire celle où il demeure au jour de la Saint-Rémi – le 15 janvier – même s’il possède plusieurs biens et héritages situés dans différentes paroisses5. La taille est donc mixte en réalité : son calcul porte à la fois sur les biens fonciers et sur les capacités globales de l’individu. Cependant, le caractère personnel domine, et on ne fait payer la taille qu’une fois, dans une seule paroisse, même si le contribuable possède des biens dans diverses paroisses. Pour cette raison, cette taille est le plus souvent appelée taille personnelle. Ce régime, le plus général, est appliqué dans pratiquement tous les pays d’élections – sauf le sud-ouest – ; la généralité de Lyon est rattachée à ce type d’imposition, comme en témoignent ses intendants, et notamment Lambert d’Herbigny : « La taille est mixte, c’est-à-dire que, dans sa nature, elle est personnelle ; mais que, par certaines maximes et certains usages, on a tellement égard aux fonds qu’il semble qu’elle tienne beaucoup de la taille réelle »6. Comment s’assied la taille ?
4Elle est globale sur la totalité des revenus des roturiers, et donc assise sur l’ensemble évalué des facultés – que l’on présume la plupart du temps – du contribuable d’après les signes extérieurs de vie et de richesse7. La taille personnelle se décompose ainsi : « 1°. (Le) revenu des moulins et usines, et des maisons en propre données à loyer ou occupées, sur lequel on déduira le quart en considération des réparations dont les propriétaires sont chargés. 2°. (Les) revenus des terres données à loyer, suivant la redevance, ou de celles exploitées en propre, suivant le prix du loyer des classes, dans lesquelles elles se trouveront. 3°. (Les) rentes actives. 4°. (Le) bénéfice de l’industrie, ou (le) dixième des prix des journées de la profession à laquelle chacun des contribuables s’adonne »8. On peut préciser ce dernier élément : le bénéfice de l’industrie est évalué différemment si on est journalier, et alors une estimation est faite à deux cents journées de travail ; pour un commerçant ou un artisan, la déclaration et la commune renommée font l’évaluation ; pour un fermier ou un propriétaire exploitant, l’estimation est faite comme pour la taille réelle, par rapport aux revenus estimés de la terre ; une proportion variable d’imposition estaffectée aupropriétaire, qui paie sursa partie la taille de propriété, età l’exploitant, qui paie sur sa partie la taille d’exploitation. La taille de propriété – la seule en pays de taille réelle – est en général fixée à un taux invariable : un sol pour livre du montant du bail, et deuxsolspourlivredelatailled’exploitation. Ainsil’impôtest-ilcalculédanslagénéralité de Paris au XVIIIe siècle9. Chacun est imposé là où il réside, « couchant et levant », sur tous ses revenus et même, à partir de 1728, sur les biens situés hors de la paroisse de son domicile : la déclaration du 17 février permet en effet la « réunion de cote ». Cette dernière, une des causes essentielles de la mauvaise répartition de la taille au XVIIIe siècle et d’un contrôle problématique10, est si dommageable aux paroisses par les dissimulations qu’elle autorise, qu’elle est anéantie par l’article 19 de la déclaration du 7 février 176811.
5Autre élément à prendre en compte : les exemptions, très lourdes. La taille personnelle frappe seulement les roturiers. Taine affirme : « Au fond, dans ce régime, l’exemption d’impôt est un dernier lambeau de souveraineté ou, tout au moins, d’indépendance. Le privilégié évite ou repousse la taxe, non seulement parce qu’elle le dépouille, mais parce qu’elle l’amoindrit ; elle est un signe de roture, c’est-à-dire d’ancienne servitude et il résiste au fisc autant par orgueil que par intérêt »12. Bacquet, dans son exposé des Droits du domaine de la Couronne de France, définit les roturiers comme « toutes personnes qui ne sont nobles de race ny anoblis par le Roy. Et en France, plusieurs sont d’advis que tout homme (…) est présumé roturier, pour les francs-fiefs (…). Le semblable est observé quand on est imposé à la taille »13. Un mémoire de 1774 ajoute : « La taille personnelle se lève sur tous les roturiers, (…) même pour leur personne quoiqu’ils ne possèdent aucun bien et qu’ils n’ayent que leur bras, par le principe que tous les sujets naissent de condition taillable et doivent supporter une quotité quelconque de cette imposition, s’ils ne sont pas d’extraction noble à laquelle le privilège d’exemption de taille a été accordé »14. La preuve de la noblesse doit donc être faite. Mais il existe tant de façons de s’affranchir de l’impôt… : être du clergé, acquérir un office, bénéficier des affranchissements individuels ou collectifs vendus par la monarchie, devenir bourgeois d’une ville… L’opposition, si souvent présentée entre les privilégiés nobles ou ecclésiastiques et tous les autres, n’existe pas vraiment. Beaucoup sont privilégiés à un titre ou à un autre15, et les gens qui peuvent payer se font exempter d’une façon ou d’une autre16. Dans l’ensemble, les villes sont toujours moins imposées que les campagnes ; l’image du paysan contribuable en est toujours renforcée, et la campagne française sous l’Ancien Régime professe souvent des sentiments anti-urbains bien réels17.
6En outre, et pour couronner le tout, sur la taille se sont greffés au fil des ans les compléments les plus divers : crues, taillon… Avec celle-ci, ils représentent en tout plus de la moitié des ressources de l’État au milieu du XVIIe siècle18. En 1760, une importante enquête réalisée par l’intendant des finances Moreau de Beaumont sur l’ordre du contrôleur général L’Averdy montre que l’impôt direct représente encore quarante- neuf pour cent des recettes19.
7La charge globale n’est pas excessive, mais elle paraît pénible à supporter. Les auteurs ne cessent de fustiger cet impôt, un des plus critiqués de toute l’Histoire de France : répartition, perception, tout est à revoir et rien ou presque ne doit être gardé.
8Plus précisément, quelles sont ces critiques ? Reflètent-elles vraiment la réalité ? Est-il possible d’améliorer le système ?
Une répartition unanimement critiquée
9Examinons d’abord la manière dont la machine fonctionne dans la généralité, avant de se pencher sur les critiques dont elle fait l’objet. Nous confronterons ensuite ces dernières aux réalités concrètes.
§ 1. – La répartition en Lyonnais
10La taille est un impôt de répartitions. En effet, le pouvoir royal ne détermine pas par un savant calcul ce qui pèsera sur le contribuable ; il fixe seulement, chaque année, la somme totale que doit fournir l’impôt. Puis, par diverses répartitions, on obtient la cote de chacun20. Quatre types de partages se suivent : entre les généralités, entre les élections, entre les paroisses21 et entre les habitants. Le premier partage, selon l’article 344 de l’ordonnance de janvier 1629 – ou Code Michau – relève au mois de juillet du Conseil du Roi ; il faut préciser ici que l’année financière commence le 1er octobre22. Lorsque le montant total de la somme à prélever est décidé, il indique dans le brevet de la taille le contingent général à imposer l’année suivante dans la généralité ; ce brevet parvient au Bureau des finances de la généralité au début d’août, envoyé par l’intendant des finances responsable de la généralité23 ; le montant indiqué résulte de la réparti- tion, entre toutes les généralités, du montant de taille nécessaire pour faire face – avec les autres revenus et impôts – aux besoins de l’État pour l’année à venir24. Comme ce ne sont pas les recettes qui limitent les dépenses, mais les nécessités de la dépense qui enflent les recettes, il est évidemment variable25. Les trésoriers de France, membres du Bureau des finances, interviennent à la deuxième étape : selon l’édit de mai 1636, ils s’occupent de « la direction de l’imposition et de la levée des tailles »26. Les élus et les asséeurs–collecteurs agissent à la troisième et à la quatrième étape27.
11De nombreux textes ont réglé, entre autres, l’organisation de la répartition, notam- ment les règlements des finances du 8 avril 1600 et du 21 juin 1611 ; le dernier confirme le premier, et en précise certains points. En 1629, 1634 et 1635, 1641, de nouveaux textes rappellent les attributions des trésoriers, supérieurs aux élus28.
12Après avoir eu connaissance du montant d’imposition de la généralité – dont les trésoriers accusent réception auprès du pouvoir central29 –, ceux-ci partent en tournée dans les secteurs qui leur sont destinés par l’ordre du tableau, se rendant compte des « commodités et incommodités » des élections, envoyant leur avis sur ce que chaque élection peut supporter30 : pour que l’argent afflue dans les caisses royales, il faut bien d’abord savoir ce sur quoi l’on peut compter. Aussi, les trésoriers doivent s’informer dans l’élection des facultés des contribuables, si la somme envisagée peut être portée par les paroisses, en quel état se trouve la récolte des blés et autres grains, fruits et vins dans les paroisses qui composent leur élection, si les paroisses ont subi des pertes – incendie, maladie, mortalité, inondation, grêle… –, si la répartition se fait de manière égale, sans surcharge31. Les mêmes questions sont posées au receveur des tailles. Les élus, et les maires et échevins, doivent leur remettre « l’état exact des feux et mesnages (…) pour, sur ce rapport, y estre pourvu en Conseil d’État »32.
13Normalement, les chevauchées doivent être terminées à la fin de septembre, dernière limite33. La diligence est évidemment requise, selon la formule : « Je vous prie d’envoier le plus tost que vous pouvez vostre advis sur la répartition de ces impositions dans chaque élection afin d’accélérer l’expédition des commissions des tailles »34. La célérité est nécessaire, parce que le roi a toujours besoin de plus d’argent35.
14De retour de leurs chevauchées, les trésoriers confrontent au Bureau les résultats de leurs enquêtes ; la Compagnie, après avoir statué sur tous les abus ou éventuels redressements, envoie au plus tard le 1er décembre suivant36 son avis au Conseil sur la répartition des tailles37, en y joignant les procès-verbaux. Après examen, le Conseil du roi envoie au Bureau les commissions des tailles, sous forme de lettres patentes ; elles fixent le montant définitif des sommes à recouvrer et autorisent leur levée. Les com- missions, établies par élections, sont des édits qui exposent la situation financière du pays et justifient la politique du gouvernement et les mesures fiscales ; elles permettent ainsi de suivre, chaque année, l’histoire générale du pays38. Elles sont ensuite examinées par le Bureau, qui leur donne ses attaches s’il n’a pas d’observation à formuler, que ce soit sur les montants fixés ou sur les documents eux-mêmes : il y fait mention de l’enregistrement en son greffe, et les adresse aux élections39.
15Les lettres donnent l’ordre aux trésoriers d’imposer et faire lever dans chaque élec- tion la somme déterminée : il ne reste plus aux officiers du Bureau qu’à surveiller le département effectué par les élus entre les paroisses40. Élus et asséeurs doivent également agir avec rapidité41. Les trésoriers assument d’ailleurs un rôle de surveillance des élus, dont la responsabilité peut toujours être engagée42.
16Ensuite, asséeurs et collecteurs dressent les rôles de la taille, aidés par leurs prédécesseurs, puis portent ces listes aux élus qui les arrêtent. Les trésoriers les récupèrent, pour établir leur « Etat de la valleur des finances »43. Par le règlement du Conseil du roi du 20 octobre 1603, les trésoriers de France ont reçu le pouvoir de taxer d’office les redevables omis ou insuffisamment taxés aux rôles paroissiaux. Cette faculté disparaîtra en 1608, pour réapparaître dans un édit de mars 163744.
17Jusqu’en 1634, les membres du Bureau président toutes les répartitions entre paroisses, faites par certains d’entre eux au côté des élus. Mais peu à peu, l’intendant – qui reçoit à l’origine le droit de concourir avec les trésoriers de France aux opérations de département des tailles, et non pas l’inverse, comme ce sera le cas plus tard45 – prend la direction des opérations. Après la courte éclipse de la Fronde, pendant laquelle les trésoriers de France, notamment lyonnais, retrouvent avec jouissance le devant de la scène, les intendants rétablissent progressivement leur emprise sur le fondement d’une déclaration de 1643, qui reste en vigueur jusqu’à la Révolution en écartant les Bureaux des finances ; seul un trésorier commissaire l’assiste dans son action. À tout niveau, l’intervention de l’intendant est prépondérante46 ; au XVIIIe siècle, à Lyon, l’intendant reçoit le brevet particulier de la généralité enmême temps que le Bureaupuis, au jour prévu par l’intendant dans les villes qu’il choisit47, le commissaire aux tailles et l’intendant partent ensemble pour les différentes élections ; dans le cabinet d’un des receveurs des tailles, le commissaire étant à droite de l’intendant et les élus à gauche, est fait le département de l’élection, qui détermine ce que supporteront les paroisses48.
18Ainsi se passe la répartition de la taille en Lyonnais, selon les modalités de l’assiette déterminées par les ordonnances et en respectant les privilèges particuliers. Les auteurs adressent à ce système de très vives critiques. Leurs jugements souvent peu élogieux sont-ils justifiés par la pratique ?
§ 2. – Critiques et réalité du terrain
19Il est incontestable que l’imposition de la taille cumule de nombreux défauts : base territoriale trop étroite, pas de différence établie entre les sources de revenus, dissimu- lation des ressources… Les juristes se sont rendus compte très tôt de ces caractères ; pour y remédier, a été entreprise en 1493 une enquête sur les ressources de chaque province, mais cette œuvre beaucoup trop vaste a très vite été vouée à l’échec49. L’évaluation globale des ressources d’une communauté de taillables est encore plus incertaine que celle des capacités d’un individu, en outre à une époque où la statistique n’existe pas : le meilleur élément d’appréciation est donc fondé sur la facilité plus ou moins grande avec laquelle la circonscription s’est acquittée l’année précédente.
20À peu près tous les auteurs, sans exception, critiquent la taille.
21Les premières études théoriques sur l’impôt ne remontent pas au-delà du XVIe siècle, inspirées avant tout par le courant de liberté d’opinion qui le caractérise.
22Jean Bodin est le premier théoricien financier de la France et de l’Europe. Dans Les six livres de La République, après avoir rappelé que la monarchie dispose de plusieurs sources traditionnelles de revenus50, il insiste sur le fait que l’impôt ne doit lui être permis qu’à la dernière extrémité. Dès la fin du XVIe siècle, il critique les tailles françaises : « Vray est que les Romains se monstraient en cela plus justes. Car il n’y avait alors à Rome que les riches roturiers qui portassent les tailles (le cens), et le menu peuple en fust deschargé et nous voyons qu’il n’y a que les pauvres qui paient et les riches en sont affranchis »51. Il s’agit donc d’un jugement lucide sur l’inégalité de l’impôt direct.
23Il n’est pas le seul, et des avis remontent parfois jusqu’aux sphères les plus hautes, tels celui remis à Antoine Coiffier de Ruzé, marquis d’Effiat par un anonyme dont il est sûr, si son nom est inconnu, qu’il connaît le système et ses défauts. Effiat, créature de Richelieu, est surintendant en 1626 puis gravit les échelons de la société d’offices pour finir gouverneur de Basse et Haute Auvergne. Le rédacteur de l’avis est exactement au fait des difficultés conjoncturelles et structurelles de l’époque, et n’hésite pas à dénoncer très clairement l’inanité de la répartition, à tous les niveaux : « Qu’au Conseil les puissans soulagent les provinces au département des levées tant ordinaires qu’extraordinaires soullagement qui fault rejetter sur les reste de l’Estat puisqu’il fault que le Roy ait son compte. Que comme au Conseil, il se trouve de tels supportz, il s’en trouve aussy dans les Bureaux des provinces qui soullagent aucunes elections foullant par là les autres (…). Si bien que par telz moyens il n’y a que les plus pauvres et les plus misérables destituez d’amys puissans sur lesquelz tombe la charge et le faix. Espace d’injustice par une très grande disproportion sil en feut oncques ? Ce qui par un mauvais accord engendre la dissonnance qui ne debvroit estre en l’estat par plusieurs souffrances criz plaintes et larmes daultant plus justes que est contre lordre qui veult que le fort porte le faible en pareilles occasions »52. Cet exposé démontre une solide connaissance de l’organisation fiscale du pays ; l’auteur de l’avis est donc vraisemblablement un membre de l’entourage du marquis, ou un juge.
24Plus tard, Fénelon publie Les Aventures de Télémaque, en 1698. L’ouvrage est desti- né à faire l’éducation du Duc de Bourgogne, dont l’auteur est le précepteur. Ses conseils sont clairs : « Avez-vous examiné à fond les vrais besoins de l’État pour les comparer avec les inconvénients des taxes avant que de charger vos peuples ? Avez-vous consulté les personnes les plus habiles et les mieux intentionnées qui peuvent vous instruire de l’État des provinces, de la culture des terres, de la fertilité des dernières années, de l’état du commerce pour savoir ce que l’État peut payer sans souffrir ? Avez-vous réglé là-dessus les impôts chaque année ? ». La volonté est claire de réformer l’Ancien Régime, sous l’impulsion attendue par Fénelon du Duc de Bourgogne et la critique à l’encontre de Louis XIV est déguisée, mais réelle53.
25À leur tour, Pierre Le Pesant de Boisguilbert et Vauban dénoncent les excès et l’injustice de la taille : le premier, dans son Détail de la France, 1697, et plus tard, Factum de la France, 1707, et le second, dans son Projet d’une dîme royale publié en 1707 sans autorisation. Boisguilbert constate la diminution de la richesse en France, dont il impute la cause notamment à l’arbitraire des impôts, qui écrasent les petits et ménagent les grands ; ils sont mal assis et, en accablant le peuple, ruinent l’État54. Vauban, même s’il s’en prend souvent à Boisguilbert dans ses écrits, parce qu’il trouve ses accusations parfois exagérées, est assez d’accord avec lui. Mais il appartient encore au Grand Siècle, alors que la pensée de Boisguilbert est plus proche des Lumières dans sa virulence. Chez Vauban, la critique des abus, des souffrances constatées est toujours respectueuse. Il se voit toujours au service du roi : « Je me sens (encore) obligé de prendre la liberté de présenter à Sa Majesté que cet ouvrage étant uniquement fait pour elle et pour son royaume, sans aucune autre considération, il est nécessaire qu’elle ait la bonté d’en commettre l’examen à de véritables gens de bien et absolument désintéressés. Il est du service de Sa Majesté d’y prendre garde de près ». Dans son projet de dîme royale, il avance tous les avantages de l’impôt unique qu’il présente au Roi et, sous sa plume, ces avantages se transforment en une critique déguisée de la taille, qu’il souhaite éliminer : « C’est le système le moins susceptible de corruption de tous, parce qu’il n’est soumis qu’à son tarif, et nullement à l’arbitrage des hommes (…). C’est la plus simple et la moins incommode de toutes les impositions, parce que quand son tarif sera une fois arrêté, il n’y aura qu’à le faire publier au prône des paroisses, et le faire afficher aux portes des églises : chacun saura à quoi s’en tenir, sans qu’il puisse y avoir lieu de se plaindre que son voisin l’a trop chargé ». Vauban va loin : il soumet tous les sujets à la dîme royale, y compris les privilégiés55.
26Avec l’entrée dans les Lumières, les critiques des penseurs ne se font pas moins âpres mais, hormis Le Trosne qui dénonce la taille comme un impôt « désagréable et humiliant, et en outre écrasant par son arbitraire », ou Voltaire qui souhaite la conversion de la taille personnelle en taille réelle sans possibilité de modification56, tous placent plutôt la réforme de la taille – et même de l’impôt en général – sur le terrain politique, liée à la liberté politique pour Montesquieu, à celle « dans le gouvernement » pour Diderot et ses Encyclopédistes ; Rousseau aussi, qui réclame le consentement du peuple pour l’établissement de l’impôt57.
27L’intendant des finances Moreau de Beaumont, dans ses Mémoires58.
28Dans ces conditions, on comprend que le contribuable cherche à dissimuler ses revenus, ainsi que s’en attriste le marquis de Mirabeau, un des plus fervents émules de François Quesnay, physiocrate à plein temps et médecin de La Pompadour à ses heures : « La taille arbitraire est source d’abus de toute espèce ; (elle) fait que quand le paysan a dix écus dans sa poche, il se garde bien de les mettre sur son champ, où ils feraient grossir sa cote démesurément… »59.
29Les critiques sont donc réelles et, pour certaines virulentes, réclamant jusqu’à l’abolition de cet impôt direct. Mais qu’en est-il dans la réalité ? Comment cette répar- tition est-elle perçue sur le terrain, notamment dans la généralité de Lyon ?
30Eh bien, là comme partout, on se plaint de l’inégalité de la répartition. Les exemptions pèsent lourdement sur la province.
31Lyon en est un bon exemple : exempte de taille, elle paie en compensation, depuis 1604, une subvention fixe et annuelle de 24 000 livres. Cela reste, on en conviendra, raisonnable au regard de ses facultés. Pourtant, les auteurs disent déjà : « Il est important au bien de l’agriculture et au bon marché des salaires que l’imposition dans les villes soit plus forte que dans les campagnes. Comme il doit nécessairement y avoir des pauvres ou des artisans dans les villes, il convient pour la sûreté et l’agrandissement du commerce, que l’imposition y tombe principalement sur les riches ». Autre exemple encore plus éclatant, celui des franchises du Franc-Lyonnais, fixées le 12 février 1596 ; cette région bénéficie d’un privilège peu coûteux, puisqu’en échange de l’exemption de toutes « aydes, subsides, tailles, subvention, garnison de gens de guerre tant de cheval que de pied, fourniture d’ustensiles, meubles et logis pour faire séjour soit dedans le pays ou ailleurs, ni autres fournitures ou réparation de munitions de la ville de Lyon, frais et conduites de (…) bateaux, chevaux ou autres bétail de trait et de toutes autres imposi- tions ordinaires ou extraordinaires, de quelque nature et pour quelque occasion que ce soit, avec ceux du plat pays et élection du dit Lyonnais, ny autrement… », elle ne paye, de huit ans en huit ans, que trois mille livres60.
32Les enfants mineurs de la généralité ont aussi occasionné quelque procès pour tenter d’obtenir une exemption de taille. La question est très controversée en cette année 1607. Les théoriciens soutiennent en général que les « mineurs ne sont aucunemens exemptz des tailles, au moins ceux qui ont atteint l’âge de puberté et ce, à cause des biens et héritages qu’ils possèdent, lesquels peuvent estre taxez et cottisez parce que les dits mineurs ne sont exempts que du debvoir personnel, comme guetz et gardes des portes et autres semblables, qui ne se peuvent estandre aux tailles, naturellement réelles et non personnelles ». Mais en 1607, interviennent des arrêts de la Cour des Aides de Paris qui soutiennent l’inverse ; les mineurs de la généralité entendent alors se faire rembourser les deniers payés pour la taille les années précédentes, qu’ils estiment indûment perçus. Devant le risque de surcharge d’imposition si les mineurs gagnent leur procès, l’arbitrage du Conseil du Roi est requis. Ce dernier, ne sachant trop que répondre, prend l’avis de l’intendant de la généralité, de Montholon, des trésoriers généraux, et des élus, qui sont formels : les mineurs doivent payer la taille dès qu’ils ont atteint l’âge de la puberté61.
33Le partage le plus critiqué est celui fait entre les paroisses et à l’intérieur des paroisses, et l’hostilité vise les élus et les asséeurs : « Il est de notoriété qu’il se commet de grandes injustices dans la répartition. Dans une même paroisse, les uns (les pauvres surtout) y paient beaucoup, les autres, proportion gardée de leurs fonds, paient bien moins parce que le pauvre, en dépendant du riche qu’il craint, n’a pas les moyens de se faire rendre justice, qu’il ne peut l’obtenir (qu’à) grands frais qu’il ne peut porter ». Avec le parrainage des intendants, les trésoriers de France n’ont pas la liberté nécessaire pour commettre autant d’exactions que celles imputées aux élus et aux asséeurs… De plus, ils se contentent la plupart du temps de reproduire les chiffres de l’année précédente62. Pour les élus, c’est plus facile : la surveillance que les trésoriers de France doivent assurer sur eux reste théorique : les élus ne sont pas pressés d’obéir aux injonctions des trésoriers, souvent réitérées63.
34Certains usurpent même le pouvoir des officiers royaux et des collecteurs ; des sei- gneurs procèdent eux-mêmes à la répartition de la taille entre les paroisses, obligent les consuls à passer par leur autorité : ils autorisent en outre leurs fermiers à exiger des taillables de plus grands droits que ceux désignés par leurs terriers64. C’est une atteinte directe à l’autorité des trésoriers de France et des élus. Dans ces cas, le pouvoir royal soutient toujours ces derniers, et rappelle le pouvoir exclusif des trésoriers. Les textes qui répètent cette interdiction sont nombreux65.
35Ainsi fonctionne, sous l’Ancien Régime, le système d’imposition de la taille. Que de critiques ! Au départ, l’idée semble pourtant logique : si on charge une collecti- vité de répartir entre ses membres une charge déterminée, elle saura bien, par le choc d’intérêts contraires, parvenir à une application équitable de l’impôt. Les habitants d’un village sont en effet à même de connaître les ressources de chacun mieux que les agents du fisc66… L’histoire a montré le résultat de cette réflexion : le plus fort en sort toujours vainqueur.
36Cette vérité se vérifie hélas aussi en ce qui concerne la perception de l’impôt.
Un système de perception condamné : de l’abus à la violence
37Ici comme pour la répartition, les auteurs condamnent les pratiques de perception de la taille, stigmatisant les abus et la violence auxquels elle donne souvent lieu.
38Boisguilbert constate : « La première et principale cause de la diminution des biens de la France vient de ce que, dans les moyens, tant ordinaires qu’extraordinaires, qu’on emploie pour faire trouver de l’argent au roi, on considère la France à l’égard du prince comme un pays ennemi »67.
39De même, ce qu’il faut bien comprendre en substance d’une lettre adressée par Voltaire à Machault d’Arnouville en 1749, à propos des vingtièmes, c’est que ce ne sont point les impôts qui affaiblissent une Nation, c’est la manière de les percevoir ou le mauvais usage qu’on en fait68… Alors Taine soupire ; sur la manière dont le Roi dispose de ses revenus, nul n’a rien à dire : « C’est son bien qu’il dissipe ; personne n’a le droit de lui demander des comptes. Fondée sur la seigneurie féodale, la Royauté est comme une propriété, un héritage. Non seulement par la tradition du Moyen Age, il est commandeur propriétaire des Français, mais encore par la théorie des légistes, il est comme César l’unique et perpétuel représentant de la Nation ; et par la doctrine des théologiens, il est comme David, le délégué sacré et spécial de Dieu lui-même. À tous ces titres, ce serait merveille, s’il ne considérait pas le revenu public comme son revenu privé et si maintes fois, il n’agissait pas en conséquence. En ceci, notre point de vue est si opposé, que nous avons de la peine à nous mettre au sien, mais le sien était alors celui de tout le monde »69.
40Le prince est donc libre de ses mouvements. Mais qu’en est-il de ce système de per- ception que Voltaire accuse d’affaiblir la Nation ? Comment fonctionne-t-il et, déjà, justifie-t-il les critiques qui lui sont adressées ?
§ 1. – L’inanité des modes de recouvrement
41Les auteurs souhaitent tous, tel Forbonnais, un impôt qui soit non seulement juste, mais encore « facile à lever, et qui ne découragera personne »70.
42Les impôts directs sont perçus ordinairement par régie : l’impôt est levé par l’État ou au nom de l’État par des agents qui doivent rendre compte de toutes les sommes perçues. La collecte effectuée sur la base du rôle, et assurée par des contribuables qui sont choisis ou désignés d’office, responsables et solidaires, permet de recouvrer la taille. Ces contribuables reversent le résultat de la levée entre les mains des receveurs des tailles ou receveurs particuliers de l’élection, qui transfèrent ensuite leurs fonds au receveur général de la circonscription71. La taille est une dette sacrée envers le roi ; mais les deniers dus au prince, quérables et non portables, ne deviennent cependant royaux qu’une fois passés dans la main des comptables chargés de les réunir. L’impôt est dû dès qu’établi mais, pour éviter d’imposer aux contribuables un déboursé trop considérable en une seule échéance, il se paye en quatre quartiers72. Le montant de chacun est payable dans un délai de quinze jours. Ces sommes sont remises aux receveurs des tailles dans les quatre jours suivant l’échéance, et par ceux-ci aux receveurs généraux qui centralisent de la recette. Ils la reversent ensuite à l’Epargne, sans qu’aucun délai ne leur soit prescrit ; ainsi, ils expédient quand ils le veulent les sommes dont ils disposent73.
43Lorsqu’ils estiment avoir suffisamment d’argent, ils en informent les trésoriers généraux et le contrôleur général des finances à Paris, et établissent un bordereau des espèces prélevées à l’ouverture des coffres de la recette générale74.
44Les clercs des finances contrôlent ces mouvements de fonds et opèrent au besoin les transports des deniers75, en dix à quinze jours de Lyon à Paris, à dos de mulet ou de cheval, ou sur des chariots76. Les trésoriers de France eux aussi veillent au voiturage des deniers, selon l’édit de janvier 155177. D’ailleurs, les clercs de finances n’agissent jamais sans avoir fait signer aux trésoriers généraux les bordereaux des receveurs, indiquant la somme, et un registre est soigneusement tenu « du jour du département des dits clercs, séjour et retour d’iceux, dont (doit être faite) taxe raisonnable par les dits trésoriers généraux ». Les trésoriers ne font ces taxes « du port et voiture de deniers » qu’ « en la présence du contrôleur général, et sur les quittances de l’Epargne et autres auxquelles les deniers auront été portés »78. Le registre qui rend compte de toutes ces opérations comporte aussi l’indication du nombre des hommes, de chevaux et charrettes employés à l’expédition79. Les trésoriers sont évidemment tenus de prendre toutes les précautions nécessaires80.
45L’honnêteté et la probité, de même que le seul service du roi doivent être la pré- occupation de tous ces agents manipulateurs d’argent : « Commenceant Nous dirons donc que les finances en un estat sont comme les nerfz en la Guerre de mesme servent d’ornement en la paix : se comparent au sang sans lequel les nerfz perdent leur force, leur esprit, leur Vye, d’où l’on peut conclure combien la congnoissance en est utille et nécessaire sur tout à ceux que la vertu et le mérite appellent aux charges publiques (…). Nous dirons donc que le but principal de ceux qui sont appelez à ces charges doit tendre à la conservation et augmentation des droictz, deniers, en ostant tout ce qui empêche cette conservation, retranchant tout le superflu, mesnageant l’employant en choses nécessaires seulement »81.
46Dans l’ensemble, les receveurs particuliers sont peu pressés de se démettre des fonds qu’ils ont reçus dans leurs recettes. Cela tient des mentalités individuelles ; on retient par devers soi l’argent du roi : on confond souvent son argent et celui du roi en raison des avances consenties au Trésor Royal. Et puis, c’est connu : « l’argent du roi est sujet à la pince »82… Le Bureau est souvent obligé de leur rappeler leur devoir83, comme il est aussi souvent contraint de le faire pour les communautés d’habitants, qui ne sont pas non plus toujours très promptes à remettre entre les mains des agents du roi les fruits de leur collecte. Le Bureau doit là aussi faire preuve d’autorité84.
47Cette tare est une caractéristique de l’Ancien Régime ; elle vient du nombre, de l’indépendance et de l’absence de liaison entre les caisses et les comptables qui collectent ou dépensent, chacun dans son cadre, les ressources de l’État ; en outre, ils n’expédient au Trésor Royal que les « résidus », puisqu’ils doivent d’abord s’acquitter du paiement des charges locales : le Trésor n’est qu’une partie du système, alors qu’il devrait en être le centre. Résultat : il ne détient ni n’administre jamais tous les fonds de l’État85. Dans ce cas, la circulation des espèces ne peut qu’être lente, irrégulière et maladroite86. Les trésoriers de France ont, sur ce point, fort à faire87 et pourtant, ils ne le font sans doute pas toujours, comme en témoigne le mystérieux rédacteur de l’avis au Marquis d’Effiat, qui souligne « les estatz particulliers non exactement arrestez ou mal suiviz, (…) la tol- lérance des Supérieurs laissant le fondz à l’abandon et à la discrétion des Comptables, La trop grande libertez que prennent messieurs des comptes de rayer, allouer ou changer et employer tout ce que bon leur semble es comptes bref par l’inobservation ou le déffault des Ordonnances… »88.
48Autre réalité souvent brocardée par les auteurs : au montant des tailles et impositions, il faut ajouter, pour les redevables, certains frais de recouvrement et autres qui n’entrent pas dans les comptes : droits de quittance et de port de commission perçus au profit des receveurs, autres droits au profit des élus. Par exemple, ces droits de vérification et signature de rôles, « cy-devant attribués aux présidents, lieutenants, assesseurs, esleus, contrôleurs, advocats et procureurs du roy, receveurs des tailles, taillon, receveurs collecteurs des droits, aliénés, et greffiers anciens, alternatifs et triennaux des élections de ce royaume, en 12 deniers pour livre, à prendre sur toutes les sommes contenues aux rôles des tailles de chacune paroisse, avec faculté de jouir de l’exemption des tailles et autres subsides, et de leurs rangs et préséances, encore qu’ils soient demeurans hors des villes de leur établissement », tous droits décidés par l’Edit du roi du 31 mars 163289. Les abus sont ici les plus faciles90. Aussi, l’arrêt du 12 février 1633 enjoint aux trésoriers de vérifier les frais de recouvrement des receveurs, en général pour les diminuer, et surveiller l’exécution de leurs contraintes91.
49Comme le démontrent ces exemples, l’administration elle-même n’est pas innocente de la perversité du système, tant critiquée par les auteurs.
50Hélas ! Si elle était seule responsable… La difficulté vient en réalité surtout, et c’est là que se concentrent les accusations des auteurs, de la violence employée, souvent nécessaire, pour prélever l’argent sur le contribuable rarement disposé à payer de bonne grâce.
§ 2. – La violence condamnable et condamnée de la perception
51Le Bureau des finances est, dans les débuts de son existence, chargé de surveiller le recouvrement des impositions, aussi multiplie-t-il les ordonnances enjoignant sans délai aux comptables de se mettre au travail92. Une maxime est bien connue, selon laquelle « en matière de taille », « il n’existe pas de non-valleur au préjudice du roi » : l’insolvabilité d’un contribuable n’est pas une excuse au non recouvrement de sa cote93. Les collecteurs doivent assumer l’insolvabilité du contribuable : « ils auraient dû s’informer en faisant leur ject et calcul de la capacité et moyens de leur contribuable et y garder l’égalité comme portant leurs charges : le fort soutenant le faible et tous convenablement ensemble ». Le receveur supplée à la défaillance des collecteurs, et le receveur général à celle des receveurs de sa circonscription. En principe, le Trésor Royal ne subit aucune perte94. Pendant leurs chevauchées, les trésoriers de France reçoivent les doléances des habitants et des collecteurs, ils contrôlent les exemptions, réimposent les personnes exemptées à tort ; ils vérifient l’état des caisses des receveurs, enquêtent sur les éventuels retards dans la rentrée des deniers, et accordent si nécessaire un sursis au receveur ou au contraire le suspendent de ses fonctions et désignent un remplaçant95.
52Il faut encore ici lire M. Vauban entre les lignes, et comprendre ce qu’il reproche à la taille lorsqu’il fait l’éloge de la dîme : « C’est celui de tous les revenus qui emploie le moins de gens à sa perception, qui cause le moins de frais, et qui s’exécute avec le plus de facilité et de douceur. C’est celui qui fait le moins de non-valeur, ou pour mieux dire, qui n’en fait point du tout (…). C’est la manière de lever les deniers royaux la plus pacifique de toutes, et qui excitera le moins de bruit et de haine parmi les peuples, personne ne pouvant avoir lieu de se plaindre de ce qu’il aura ou devra payer, parce qu’il sera toujours proportionné à son revenu »96. Là est donc résumé tout ce que l’on reproche au système de perception de la taille : frais engendrés par le prélèvement, importance du personnel requis, difficulté de le réaliser et troubles engendrés parmi le peuple, manque de rentabilité… L’avis au marquis d’Effiat dénonce les mêmes abus : « Le riche sera attendu soullagé pour le payement de sa taxe, le pauvre au contraire pressé, contraint et oppressé. Ce ne sont qu’exécutions, ventes et emprisonnements. Cela recommence autant de fois qu’il y a de quartiers en l’année et selon les passions du collecteur. Autant heureux en ses persécutions qui sera son amy que malheureux celuy qui sera son ennemi car la ruyne ou la conservation dépend en ces occasions de ces collecteurs »97.
53Et il est bien vrai que les rentrées d’argent se font mal, sous l’Ancien Régime. Le contentieux est abondant, et les élus et les trésoriers de France interviennent souvent, les premiers étant compétents pour régler le contentieux des tailles, les seconds étant chargés de la surveillance générale du recouvrement : « Si parfois le peuple a quelque sujet de se plaindre, cela ne vient pas tant des sommes qu’on exige que des voies qu’on y tient pour les lever »98 : « Le plus grand inconvénient des tailles (…) est dans les receveurs et les commis, parce qu’ils font quelquefois plus de tort que les imposts eux-mesmes et il n’est rien que les sujets portent plus impatiemment que la violence de ces sortes de gens dans le recouvrement de leurs deniers »99. Le baron d’Holbach, un des plus célèbres Encyclopédistes, conseille vivement au XVIIIe siècle d’éviter « les vexations faites par ces hommes qui sont odieux au peuple, parce qu’il les regarde comme les instruments de son malheur »100.
54Les retards s’accumulent, dus à la mauvaise volonté manifeste des contribuables ; de même, les exemples de rébellion contre le paiement des impôts ne manquent pas, au moment du recouvrement. Ceux qui contestent l’impôt ne sont pas les plus pauvres, mais ceux qui doivent et peuvent payer l’impôt. Surtout au début du XVIIe siècle, la majeure partie du royaume vit en état d’anarchie anti-fiscale permanente. Le XVIIIe siècle ne connaît plus, quant à lui, les révoltes ouvertes contre l’impôt101.
55En matière d’impôt direct, les taillables tergiversent avant de payer, même quand ils ont l’argent, car ils craignent d’être surchargés l’année suivante s’ils se montrent bons payeurs : les frais coûtent toujours moins cher qu’une surcharge. Aussi, le contribuable ne paie-t-il qu’à la dernière extrémité. Le Marquis d’Argenson, dans ses Mémoires, expose cet état de fait : « Les paysans ne payent pas par quartiers et se font faire des frais, parce qu’ils savent qu’ils seront doublés l’année suivante, s’ils payent bien celle-ci »102. Cette attitude arrange tous ceux qui vivent de la perception de ces frais faits aux taillables : huissiers, garnisaires, élus… Tous ont besoin que les contribuables paient mal103, et ils s’y entendent, à leur faire rendre gorge ! Rabelais ne compare-t-il pas dès son époque ces financiers d’Ancien Régime à un pressoir à vins, disant d’eux qu’ils tireraient de l’huile d’un mur104 ?… Quesnay ne se montre pas plus tendre avec eux : « Il semble qu’il suffirait de bien établir l’unité d’intérêt entre le souverain et les sujets pour tenir tout dans la règle ; mais les vampires ruinent les sujets et le Roi de par le Roi. Je vois de ma fenêtre que les chenilles ont dépouillé toute la forêt de Rambouillet ; elles en rongeraient bien d’autres. Il faut au moins que (le) principal objet, en traitant de la science de l’impôt, soit d’en établir si clairement et si rigoureusement la régularité, la légitimité et les proportions, que la règle essentielle bien exposée déclame d’elle-même contre les abus… »105.
56Pour contraindre le contribuable, la saisie des biens est le premier acte des voies d’exécution. L’ordonnance d’Henri IV du 16 mars 1595, enregistrée au Parlement le 21 mars, interdit de saisir, pour défaut de paiement des tailles, le bétail et les instru- ments aratoires des laboureurs, vignerons, ouvriers agricoles et autres paysans. Seuls les revenus qui proviennent du capital, fruits et récoltes, peuvent être saisis. Le Bureau des finances rend souvent des ordonnances décidant que « les fruictz et danrées de la présente année qui auront esté saisis et exécutez et (le) seront par cy à présent, pour les dits arrérages des dites tailles et contributions, seront promptement vendus et deslivrez au plus offrant ». Les deniers en provenant doivent être remis au receveur des tailles. En réalité, les meubles saisis se vendent mal. Certains ministres, tels Colbert, recommandent de n’en arriver à ces contraintes « qu’à l’extrémité » et préfèrent même secrètement qu’elles n’aient pas lieu106. Si la saisie des meubles ne suffit pas pour couvrir la dette du taillable, celui-ci fait l’objet d’une contrainte par corps. L’emprisonnement est une peine sévère, mais on libère souvent le contribuable pour lui permettre, par exemple, de faire ses moissons. Après cela, si la taille n’est toujours pas payée, il est encore possible d’emprisonner les collecteurs, qui restent responsables selon le principe de solidarité de la taille. C’est cette solidarité qui incite les collecteurs à la violence dont on les accuse : ils préfèrent toujours user de pressions sur les contribuables, souvent sans ménagements, pour éviter de se retrouver dans la désagréable situation de devenir débiteurs à leur tour. Boisguilbert cite l’exemple de ces petits propriétaires qui, « forcés par les collecteurs de vendre leur enclos, leur bétail, dépérissent irrémédiablement »107. Contraints à payer, s’ils en ont la faculté, les tailles de toute la communauté, ils peuvent se retourner contre les taillables108 - mais sans garantie finale de recouvrer leurs deniers.
57La période de la Fronde, au XVIIe siècle, est un moment de tension où s’exacerbent les résistances des contribuables, encouragés par la désorganisation du royaume.
58En juillet et octobre 1648, le roi a accordé une remise sur les restes des tailles des années antérieures à 1647. L’idée apparaît dans l’esprit populaire, qu’il vaut mieux « s’éloigner de payer », dans l’espoir d’en être un jour déchargé. Le 19 février 1649, le Bureau rend une ordonnance pour rappeler les taillables à l’ordre : « Quelques per- sonnes mal intentionnées au service du Roy détournent les peuples de la généralité de Lyon de payer les tailles, leur faisant espérer plus grand soulagement que celuy porté par les déclarations de Sa Majesté, et mesme une entière décharge… ». Une information est ordonnée pour démasquer les coupables109. La rumeur persiste l’année suivante, et le Bureau doit ordonner une nouvelle enquête, dans le but de « désabuser les peuples, car ceux-ci ne veulent plus payer aucune chose, quelques diligences que fassent les receveurs et commis establis dans les élections, ce qui cause un très grand préjudice aux affaires de Sa Majesté et du retard au recouvrement de ses deniers »110. La recherche n’aboutit pas et une nouvelle information est décidée au mois de novembre suivant111.
59Mais ces démonstrations de mauvaise volonté de la part des taillables restent bien innocentes au regard des événements qui se produisent parfois, exacerbés par les violences des agents chargés de faire rentrer coûte que coûte l’argent dans les caisses royales.
60Toujours pendant la Fronde, en avril 1649, le feu s’allume dans l’élection de Saint-Etienne, et un soldat du régiment d’infanterie du marquis Dussel, originairement envoyé dans la province pour faire payer les deniers de l’étape, mais utilisé « à cette occasion » par le commis à la recette des tailles Simon Lelièvre « pour le recouvrement des deniers royaux », est tué. Le régiment, se déplaçant dans les diverses paroisses ré- calcitrantes, est bloqué dans le bourg de Saint-Julien : les habitants, « assemblés à son de trompe et de cor », « seroient venus contre le dit bourg qu’ils auroient assiégé de toutes parts, s’escriant : « Il ne se paye point de taille, nous sommes en temps de ligue, nous ne cognoissons personne ny point d’ordres (…) ! Il faut vous assommer ! » ». Devant les efforts des officiers du régiment « pour apaiser la violence et mutinerie », les habitants « ne voulurent rien entendre ; au contraire, encore plus émeuz, ils auroient donné sur le dit régiment avec leurs armes, tué le sieur de La Fayre, capitaine d’une compagnie (…), tué cinq soldats à coups d’arquebuse, pris et pillé le bagage des officiers ». L’officier supérieur de la compagnie tente de composer. Les émeutiers refusent ses propositions, exigeant la tête du commis à la recette des tailles, qui a accompagné les soldats. L’officier ne peut évidemment pas obtempérer et il offre au commis, suivi par la populace, la protection d’une maison forte qu’il possède « proche du dit lieu ». Les habitants, « s’escriant toujours « Nous voulons Lelièvre ! », auroient assiégé la dite maison forte et vouloient y mettre le feu. Ayant à cet effet faict des préparatifs, le sieur de la Condamine (l’officier supérieur du régiment) est contraint de faire composition (…) et leur donne soixante- trois livres ». Le régiment parvient le lendemain à quitter les lieux, mais l’infortuné commis reste bloqué dans la maison, assiégée par les habitants. Le malheureux ne devra la vie sauve qu’à un subterfuge, en sortant déguisé de la maison. Le valet du commis, qui a rejoint son maître, est contraint pour sauver sa vie, de s’adresser au seigneur de Saint-Chamond. Cette circonstance démontre que la monarchie d’Ancien Régime reçoit l’appui des classes privilégiées : l’administration royale en de nombreuses occasions – et l’affaire de Saint-Etienne en est un exemple – compte sur le concours de la noblesse du voisinage pour mettre à la raison les contribuables rebelles112.
61Le Bureau s’inquiète : « ces refus, désobéissances et rébellions augmentent et montent à tel point, que s’il n’y est remédié, les deniers du Roy ne se pourront recouvrer ». Il encourage ses receveurs à continuer le recouvrement, en faisant appel au besoin aux prévôts et aux archers. Le gouverneur est aussi prié d’apporter son soutien, et les élus d’accélérer le jugement et la punition des coupables113. Quelques jours plus tard, l’ori- gine de l’émeute est ciblée, dans l’élection de Saint-Etienne, dans les paroisses de Velay et Vivarais114. Néanmoins, les trésoriers soupçonnent les élus de ne pas être très pressés de rechercher les coupables : le 31 mai suivant, ils rendent une ordonnance les obligeant à faire diligence. Les élus en effet ne sont pas efficaces : l’agitation se poursuit et, au début du mois de juillet, les trésoriers font appel aux prévôts des marchands et échevins, leur demandant de « faire se tenir prests leurs officiers et archers pour se por- ter où besoin sera (…) ». Pour le Bureau, l’idéal serait que, « dans les trois jours après notification de l’ordonnance, ils (aient) leurs troupes prêtes pour marcher contre les lieux rebelles pour faire que le Roy soit obéi, lesquelles (troupes) ils grossiront et composeront du plus grand nombre qu’ils pourront… »115. Au mois de novembre, les élus sont une nouvelle fois priés de se hâter116.
62La même année, dans la région de Roanne, des émeutes identiques se produisent. À Monteguet : les habitants « se seroient mis à crier après nous à coups de pierres, et à ce bruit seroient survenus plusieurs autres armés de bâtons et (…) jurant et blasphémant le saint nom de Dieu, disant : « Mordieu ! Il nous faut vous assommer ! Vous êtes des voleurs ! »… ». À Saint-Maurice : les commis sont accueillis « par le valet, armé d’une fourche (…), et sa femme et sa fille, ayant quantité de pierre, nous auroient jeté deux grands coups de pierre au milieu du dos dont j’ay été meurtri, et le dit valet ayant déchargé de sa fourche sur le dit Perrin (compagnon du commis), en jurant et blasphémant le saint nom de Dieu : « Voleurs ! Il faut que je vous tue tout à l’ heure ! »… ».
63Ce scénario se reproduit un peu partout dans l’élection : à Amberle, à Belleroche, à Masson117… Ainsi, cette fiscalité et le système qui lui donne vie sont très tôt considérés comme injustes et oppressifs, tant par les spécialistes, que par ceux qui réfléchissent sur leurs finalités, que par l’opinion publique : trop d’exemptions, une répartition inique, une perception très mal vécue par le peuple… Tant et si bien que, sous l’influence des auteurs, et devant les cris de plus en plus puissants d’une nation oppressée, des aménagements sont tentés, au XVIIe et au XVIIIe siècles.
De l’influence des auteurs sur les tentatives d’amélioration du système
64Certains ministres s’essaient à quelques réformes à l’échelon national, sensibles aux critiques exprimées à l’encontre de la taille. Certaines sont d’importante ampleur, d’autres restent timides. Elles ont au moins le mérite d’exister. En Lyonnais, les tentatives sont plus modestes, impulsées par le roi ou par les agents locaux, dans la mesure de leurs moyens.
§ 1. – Des tentatives d’amélioration de la taille à l’échelon national
65Les rois et leurs ministres connaissent en effet les reproches adressés à la taille : il faudrait être aveugle et sourd pour ne point les voir et les entendre.
66Les auteurs critiquent d’abord les exemptions, trop nombreuses. Certains mêmes souhaitent l’abolition du principe, du privilège, prônant une société plus juste et égalitaire. Pour un Forbonnais, qui refuse de porter atteinte aux terres et maisons des classes privilégiées, tous ou presque prônent l’égalité de l’impôt ou l’abolition des privilèges.
67Bodin le premier énonce ce souhait sans le dissimuler : « Il est advenu que les villes riches, la noblesse et l’état ecclésiastique restent du tout deschargés sur le menu peuple, tombé sous le fardeau. Il faut que les charges soyent réelles et non personnelles comme il s’est faict au Pays de Languedoc et depuis quelques années aussi en Provence afin que le riche et le pauvre, le noble et le roturier, le prestre et le laboureur payent les charges des terres taillables. La loi n’exempte ny Pontife, ny Noble »118. Il prône donc une égalité de l’impôt bien éloignée de ces pratiques monarchiques en marche vers l’absolutisme.
68Fénelon aussi souhaite l’abolition des privilèges, et les autres penseurs le suivent, même si certains ont des aspirations moins ambitieuses : Boisguilbert qui, s’il pense possible de conserver les tailles, encore faut-il qu’elles soient « entièrement révisées et réparties sur tous les particuliers » ; Vauban, pour qui l’impôt doit être supporté par tous ; l’abbé Saint-Pierre qui, dans son Mémoire sur la taille proportionnelle paru en 1717, se prononce pour l’égalité de l’impôt ; Boulainvilliers est dans la même lignée – même s’il se situe plus quant à lui, dans la tradition, en insistant plutôt sur le consentement à la levée de l’impôt par les Etats Généraux ; mais il n’est pas le seul… Au XVIIIe siècle, Diderot et les Encyclopédistes tels d’Holbach se font le relais de ces premières réflexions, en affirmant que l’impôt doit être « universel, c’est-à-dire porter sur tous les contribuables », sans qu’aucun privilège ne subsiste. Voltaire renchérit : « Pourquoi ceux qui jouissent des plus grandes prérogatives, et qui sont moins utiles au bien public, paient-ils moins que le laboureur, qui est si nécessaire ?… »119.
69La monarchie, évidemment, refuse de mettre en question l’entièreté du système des privilèges – c’est, notamment, ce qui la conduira à sa perte –, mais elle entend ces critiques et tente, par exemple, de limiter les exemptions qui, c’est vrai aussi, lui coûtent fort cher. Un édit de 1634 restreint à quatre par paroisse le nombre de privilé- giés lorsque la taille à y répartir est inférieure à neuf cents livres et à huit si elle dépasse cette somme120. Autre exemple : la limitation de l’exemption de taille au profit des bourgeois de Paris et de Lyon à une seule terre121. Est aussi instaurée, en 1634, la taxation d’office pour les personnages les plus puissants, trop souvent favorisés. Elle sert de même à diminuer la charge lourde qui pèse sur les victimes d’un sinistre… L’intendant s’occupe en permanence des actions en suppression ou en modération d’impôts.
70Les auteurs proposent aussi de réaliser des expériences, telles celle de la taille proportionnelle ou tarifée, pour que la taille ne soit plus, dès lors, « injuste ni incertaine » comme le souhaite Boisguilbert, mais aussi l’abbé Saint-Pierre, dans son Projet de taille tarifée qui paraît en 1723, sous la Régence : les tailles seraient révisées selon un tarif permanent qui fixerait, par article de revenu, la proportion entre les tailles et qui diviserait les contribuables en classes. L’expérience est réellement tentée dans certains pays d’élections, mais de manière très inégale selon les intendants à partir du contrôleur général Orry en 1730 – par exemple, dans la généralité de Lyon, il n’en est même pas question. Dans ce système, on distingue les différentes sources de revenus des tail- lables, et on en réalise l’estimation suivant un tarif préalablement établi, avant de les soumettre à un taux d’imposition – ou tarif de contribution – aussi préalablement défini122. L’objectif de la réforme est de rationaliser la répartition de la charge fiscale par souci de justice et d’amélioration du rendement de la taille, en encadrant le calcul de l’impôt et non plus seulement la personne de l’asséeur – collecteur. Mais les pratiques d’application restent diversifiées, et l’on ne peut pas changer en quelques temps des centaines d’années d’habitudes de dissimulation : les contribuables sont très réticents à déclarer leurs revenus ; en outre, le personnel administratif manque, pour suivre ces opérations fiscales plus complexes123…
71Un pas décisif est franchi en août 1767 par le contrôleur général L’Averdy. Celui-ci espère que, si les habitants de chaque paroisse ne redoutent plus l’augmentation du montant global de leur imposition, ils se prêteront à une répartition plus équitable124 : il décide pour l’année 1768 que, désormais, le principal de la taille sera immuable125 ; il faut en effet distinguer les deux parties composant le montant total de l’imposition : la première, ou premier brevet, comprend la taille, le taillon créé en 1549126, les étapes des gens de guerre, le solde de l’équipement des maréchaussées ; la seconde, ou second brevet, englobe les impositions militaires extraordinaires – quartier d’hiver des troupes, solde et habillement des milices – ou crues particulières ou locales, tant ordinaires qu’extraordinaires – dépenses des ponts et chaussées pour l’entretien des ports maritimes, pour les haras, les hôpitaux, le règlement des gages… Seul, dorénavant, le second brevet variera.
72Enfin, il faut attendre 1780 pour que Necker achève l’évolution, par la déclaration royale du 13 février : il fixe à son tour le second brevet, pour éviter les augmentations de taille au gré des différentes généralités sans véritable motif127. Seule une loi enregistrée par les cours doit permettre une augmentation, et cette garantie n’est pas illusoire. Selon Jean Egret, il semble bien qu’on ne puisse accepter sans réserve l’opinion célèbre émise par Necker dans son Mémoire sur l’établissement des administrations provinciales, d’après lequel les membres des cours souveraines luttent avec vigueur contre les impôts qui les touchent personnellement, alors qu’ils sont plus indifférents devant « telles autres impositions qui s’éloignent des murs du Palais ». En fait, les Parlements sont pressés par l’opinion et, moins libres qu’ils ne le souhaiteraient sans doute, sont contraints de protester contre les augmentations d’impositions, ou d’obtenir des dégrèvements substantiels128. Le brevet général, désormais invariable, s’élève à 106 038 286 livres 2 sols 6 deniers129. Dans la généralité, il sera de 2 260 607 livres 11 sols 6 deniers, avec taille et impositions accessoires, capitation non comprise130. Necker met ainsi un terme à une augmentation constante depuis 1765, qui a accru le poids de la taille de plus de 20 % depuis cette date et le rapproche de son niveau maximum de la guerre de sept ans.
73En bloquant ainsi les ressources de l’État du côté de la taille, Necker exprime son adhésion à un courant d’opinion et au raisonnement théorique des physiocrates – notamment celui qui veut que l’on cesse de faire peser sur les classes productives, les agriculteurs, le poids de l’impôt, la taille étant essentiellement foncière – mais il réalise aussi une sorte de suicide fiscal partiel : il ne lui reste d’autre choix, face à l’augmentation des dépenses, que le recours à l’emprunt, solution la plus onéreuse, l’augmentation des vingtièmes, génératrice de fortes remises en cause sociales, ou l’augmentation des impôts indirects131. En outre, le mal essentiel, le système en lui-même, est maintenu : ce fait traduit l’incertitude dans laquelle le contrôle général continue d’être plongé quant aux ressources régionales. Il s’agit d’un boiteux compromis entre les besoins du pouvoir royal et les traditionnels privilèges de certaines provinces.
74À propos de provinces justement, il est temps de voir maintenant comment ces tentatives d’amélioration sont relayées dans le royaume et, notamment, dans la généralité de Lyon. Les agents du roi chargés de superviser le système de la taille sont-ils, à leur tour, sensibles aux souhaits de réformes exprimés par les auteurs ?
§ 2. – Des tentatives d’amélioration de la taille en Lyonnais
75Les agents du roi dans la généralité de Lyon, qu’il s’agisse des trésoriers de France ou des élus, ne peuvent évidemment pas prêter l’oreille aux souhaits de réformes exprimés par les auteurs. Le roi ne le souhaite pas non plus, du reste, ou en tout cas, pas dans l’absolutisme de certaines de leurs conclusions. Néanmoins, plusieurs de leurs remarques peuvent infléchir certaines actions de l’autorité publique, soit dans le sens d’une réelle amélioration ou, tout au moins, dans celui d’une atténuation des lourdes conséquences de l’impôt ou ses excès. Elles les précèdent même parfois, c’est le cas des remises faites par le roi des arrérages de tailles, lorsque les contribuables peinent trop à payer. Il n’attend pas le conseil de Rousseau pour se conduire en « bon père de famille » plutôt qu’en « usurier », et accepte d’abandonner la poursuite d’arrérages qui, finalement, ne seront jamais payés. C’est le cas en 1597. Un arrêt du Conseil d’État du 3 novembre décharge des arrérages de tailles différentes paroisses du Lyonnais, devant les suppliques des habitants dont la requête lui a été transmise : « Gresles, tempestes, orages et grand vent (…)… Les vignes sont abattues (…), le torrent de la rivière d’Azergues a emmené les terrains, prés, et le Rhosne, qui s’est monstré plus impétueux que les années précédentes (…) a tout emporté ce qui estoit resté, tellement, qu’ils (les habitants) sont entièrement démunis de tout bien ». Un notaire royal de l’Arbresle, Claude Carraud, témoigne : « Les vignes ont esté gâchées par la grande inondation des eaulx, de sorte que pour la présente année, les habitants n’ont moyen de recueillir aulcune chose »132. Le roi recommence en 1599, étant « plus désireux d’acquérir le nom de père du peuple, lui faisant du bien, que de laisser quelque souvenance à la postérité d’autre titre plus spécieux »133. On aurait pu croire qu’Henri IV avait lu Rousseau, si ce n’étaient les quelque cent soixante ans qui les séparent !… Mais au fond, cela n’a rien de si surprenant, si l’on se souvient com- ment, depuis Bodin, la République, au sens d’« Etat », de « communauté politique », est assimilée à la famille, bien conduite, et que la puissance domestique ressemble à la puissance souveraine134. Les arrérages dont le roi fait remise cette année-là s’élèvent à vingt millions de livres. Ce geste a été motivé par le maintien des terres en friche : les cultivateurs ne peuvent faire les avances qu’exigent les cultures. C’est là une attitude physiocratique avant l’heure ; Quesnay ne dira-t-il pas : « La terre est la source ou la matière d’où l’on tire la richesse ; le travail de l’ homme est la forme qui la produit et la richesse en elle-même n’est autre que la nourriture, les commodités ou les agréments de la vie ». Le roi sait donc préserver cette richesse lorsque le besoin s’en ressent, et sans attendre que des philosophes l’inspirent. Il s’agit aussi, à n’en pas douter, d’un geste de détente sociale à la fin de la guerre (Edit de Nantes et Traité de Vervins, 1598).
76Mais l’initiative ne vient pas toujours du pouvoir central, et les trésoriers, parfois, s’émeuvent de la misère qu’ils rencontrent dans leurs chevauchées. Sans doute gardent-ils alors à l’esprit les demandes réitérées des auteurs qui, tous sans exception, réclament que l’impôt ne touche pas au « nécessaire ». Si, déjà au XVIIe siècle, Boisguilbert souligne la nécessité de préserver l’aisance du peuple, car « la richesse des sujets est l’unique base de la richesse des princes »135, les penseurs du XVIIIe siècle plaident pour la préservation du minimum. Rousseau l’affirme : « Celui qui n’a que le nécessaire ne doit rien payer du tout ». L’impôt peut en revanche absorber tout le superflu : « La taxe de celui qui a du superflu peut aller au besoin jusqu’à concurrence de tout ce qui excède son nécessaire »136. Montesquieu est d’accord : l’impôt ne peut atteindre le nécessaire du contribuable. Cette limite du nécessaire varie selon la forme du gouvernement : pour les pauvres, elle est plus étendue, et pour les riches moins étendue dans les démocraties que dans les aristocraties ; dans les monarchies, elle est au contraire plus étendue pour les riches et moins pour les pauvres. Il faut vraiment alléger le poids qui pèse sur les peuples, de là vient ce principe du nécessaire physique. Les Encyclopédistes vont dans le même sens : préserver le nécessaire au détriment du luxe, du superflu. Quesnay, comme Boisguilbert, va plus loin que le nécessaire physique dont parlent ses contemporains, et prône même « l’aisance » pour les contribuables. Ces auteurs influencent les hommes politiques. Necker les reprend presque mot pour mot, lorsqu’il examine ses Différents systèmes d’administration : « La puissance souveraine et législative ne peut exercer sa bienfaisance envers le peuple qu’en lui assurant, du moins, ce nécessaire auquel il est réduit »137.
77Les agents du roi dans la généralité ne sont pas insensibles à ces théories ; ils écoutent les doléances des peuples dont ils ont la charge, prennent en compte les plaintes du public. Ils devancent en cela, en tout cas au XVIIe siècle, les conseils de l’abbé Morellet, lorsqu’il publie en 1775 ses Réflexions sur les avantages de la liberté d’écrire et d’imprimer sur les matières de l’administration : « L’ homme d’État qui s’est conduit d’après les Lumières de son siècle, n’a point de reproche à essuyer. Mais s’il veut se conduire seul (…), s’il rejette les conseils du public, il fait, pour ainsi dire, vœu d’infaillibilité ; et après avoir éteint la lumière qui pouvait le conduire, il est seul coupable de s’égarer »138.
78Aussi les trésoriers prêtent-ils une oreille attentive aux demandes des contribuables. La connaissance des diminutions, voire des exemptions d’impôts accordées par le Conseil aux communautés d’habitants, est une de leurs attributions traditionnelles, notamment lorsque surviennent des accidents climatiques139. La procédure de décharge est particulière : le Conseil, sur la requête d’une paroisse voulant être déchargée, envoie la demande pour enquête aux trésoriers de France140. Ceux-ci subdélèguent alors un élu, et ses conclusions sont transmises au Conseil, qui prend la décision. Ce processus est long aussi, à ce stade, les trésoriers accordent souvent des surséances, en général de quelques mois, en attendant l’issue de l’enquête. Cette procédure donne lieu à certains abus, comme à la fin du XVIe siècle, où un édit de janvier 1598 abolit les exemptions de taille accordées depuis vingt ans, et révoque les décharges ou abonnements obtenus pendant les troubles des guerres de religion moyennant des sommes trop modérées141. Pour cette raison, des commissaires sont envoyés pour « régaler » les tailles. Ils se chargent des enquêtes locales, à l’occasion des demandes de décharge142.
79Les trésoriers n’agissent que s’ils disposent de l’attache du trésorier de l’Epargne, en raison des « confusion et désordre (…), non-valleurs et diminutions advenues aux recettes générales du royaume (…), par faulte que les décharges obtenues par aulcuns fermiers, manans et habitans de nos villes et paroisses subjettes à nos (…) tailles, ne sont aulcunement vérifiées par nostre trésorier de l’Epargne, au moyen de quoy, les dépenses qui importent le plus au bien de nostre Etat sont tellement reculées et si mal payées que nos affaires en reçoivent très grand dommage (…). À ces causes, défenses sont faites de donner surséance, tenir quittes ou décharges à aulcuns de nos fermiers, manans…, quelques dons, remises et exemptions qu’ils ayent pu ou pourroient obtenir de nous, que préalablement il ne leur apparaisse de l’attache ou consentement de nostre trésorier de l’Epargne, à ce qu’ils ayent, comme il est nécessaire pour le bien de nostre service, la cognoissance d’iceulx rabais, décharges… ». C’est la même chose, hiérarchiquement, à propos des rejets faits par les élus, comme le soulignent les trésoriers de France en 1640143, cette obligation relevant de la surveillance des élus par les trésoriers de France ; il est naturel que ces derniers n’aient pas voulu laisser échapper une telle occasion de rappeler les élus à leurs devoirs…
80Ces diminutions sont le plus souvent refusées. Pourtant, elles semblent parfois vraiment nécessaires. En 1647, le Bureau plaide la cause des habitants : « Après avoir vu le brevet de la taille, nous espérions que le peuple de cette généralité se trouveroit soulagé l’année prochaine (…). Néanmoins, cette généralité ne se prévaut de rien (…). Pourtant, ce pauvre peuple (…) se trouve dans l’impuissance tant par les surcharges des années passées, passage des gens de guerre, gresles souffertes l’an dernier, que par la petite récolte qui s’est faicte en ce pays montagneux et ingrat… »144. Cette fois, leur requête est efficace : par un édit du 22 octobre 1648, l’année suivante, le roi consent une remise d’un cinquième des tailles, effort certes conséquent mais compréhensible en période de troubles politiques145. En 1649, leur requête de diminution des tailles est encore bien accueillie par le roi pour deux villages de la généralité, Saint-Symphorien-en-Lay, et Vernaison, qui ont souffert de la grêle146. Ces années-là sont froides. Durant l’hiver 1649-1650, une quinzaine de paroisses de l’élection de Saint-Etienne se plaint des dégâts encore provoqués par la grêle, abondante et violente, comme le constateront les trésoriers dépêchés sur place147. Le 19 août, à la suite de cet arrêt enregistré au Bureau le 24 mars 1651148, c’est l’avocat du roi Philibert que l’on députe dans l’élection de Saint-Etienne, pour « s’informer exactement des dégâts et en dresser procès-verbal (…), pour estre par nous envoyé au Conseil (…), et avoir advis de la décharge qui leur doit estre faicte sur les dites impositions », il devra se faire représenter les registres149. Les dommages subis sont importants : en 1650, la recette des tailles s’élève à 370 618 livres 18 sols 2 deniers ; elle n’est plus, en 1651, que de 306 440 livres 6 sols 4 deniers150. Le roi a accordé une diminution de près de 64 200 livres, non négligeable en période difficile. On sait les difficultés que cette générosité lui occasionnera pour le recouvrement de l’imposition les années suivantes…
81Certaines plaintes attendriraient le percepteur le plus inflexible, mais il faut se méfier car les malheurs sont souvent exagérés : « On ne peut en tirer argument qu’après les avoir contrôlés, ainsi qu’on doit faire pour les plaintes des grands jours ou les cahiers de doléances des Etats-Généraux. Lorsqu’on invite les gens à se plaindre, ils se plaignent sombrement de tout et du reste, et les curés n’ont garde d’y manquer, ayant avantage à faire décharger leurs ouailles en exagérant leur mal »151.
82Les procès-verbaux établissent souvent des comparaisons pour mieux justifier les revendications qu’ils contiennent ; ainsi, cette lettre des élus de Montbrison, aux tré- soriers de Lyon, du 4 juillet 1679 : « La récolte de nostre élection estant extrêmement stérile, le long séjour des neiges ayant pourri les bleds, dans tous les lieux humides, et semés à tard dans nostre plaine, et dans nos montagnes ; nous sommes obligés de vous le représenter, et de vous prier d’avoir la bonté de le faire cognoistre par vos advis ; nous vous envoyons un estat de nos paroisses qui ont le plus souffert, et de celles qui ont esté greslées ; vous ferés, s’ils vous plaist Messieurs, réflexion, que de longtems nostre élection a esté surchargée à proportion de celles de Roanne et de Saint-Etienne ; nous espérons que, par vostre secours, elle recevra quelque soulagement (…) »152. Encore une fois, la mauvaise répartition entre les élections est incriminée ; comme l’élu écrit aux trésoriers pour tenter d’obtenir décharge, il ne peut les accuser directement d’avoir mal réparti la taille, et défavorisé sa pauvre élection au profit de ses voisines, mais le message est très lisible entre les lignes. Cette injustice est-elle avérée ? Si les chiffres de ces années précises ne subsistent pas, force est de constater pour le milieu du siècle que pour la taille, Montbrison est imposée à 399 447 livres 12 sols, alors que Roanne n’est soumise qu’à 285 946 livres 13 sols 8 deniers, et Saint-Etienne, à 370 618 livres 18 sols 2 deniers. Les élus de Montbrison soulignent dans l’absolu un écart qui existe bel et bien. Haro sur l’injustice de cette répartition ! En réalité, et si l’élu avait été un peu plus honnête, il aurait reconnu que Montbrison compte 203 paroisses, contre 141 pour Roanne et 122 pour Saint-Etienne ; la différence de potentiel fiscal, avec un nombre de contribuables plus important, apparaît compréhensible. Certes, l’élection de Montbri- son fait apparaître un montant de charges plus élevé que les deux autres : 56 159 livres 10 sols 7 deniers, contre 32 607 livres 15 sols 2 deniers pour Roanne et 33 054 livres 2 sols pour Saint-Etienne. Or, la politique financière de l’Ancien régime est d’adapter les ressources aux dépenses et non pas l’inverse ; il semble que Montbrison dût faire l’effort d’assumer sa différence.
83Au XVIIIe siècle, les plaidoyers sont plus mesurés, et la sobriété est efficace : en octobre 1763, le Conseil d’État accorde une diminution de 180 000 livres sur la taille de la généralité pour l’année 1764153.
84Ces comptes-rendus paraissent sombres ; la province du Lyonnais, pourtant consi- dérée comme riche, est décrite comme miséreuse, peuplée d’indigents. Certes, il y a la grandiloquence et les sentiments exacerbés, sur le papier de l’Ancien régime, il y a la cote de taille, pour la baisse – ou la stagnation – de laquelle tous les moyens sont bons ; il y a enfin l’esprit du temps qui exige que l’on paraisse toujours plus pauvre que l’on est, pour la même raison. Mais existe aussi une faiblesse naturelle de l’agriculture lyon- naise, aggravée par la pauvreté des sols. Les céréales qui poussent dans cette partie médiane de la France, accompagnées de lin et de chanvre, sont pauvres. Les graines sont moins protégées, par l’obligation d’utiliser seulement la charrue légère et les bœufs154. Il est vrai que la terre y est difficile à mettre en valeur : « Le territoire des trois provinces n’est pas bon, les montagnes de Beaujolais sont incultes pour la plupart : il n’y a même que très peu de quoi nourrir le bétail (…). Le peu qu’il y a de terres à blé (…) fait qu’à Lyon, dans les villages le long du Rhône (…), on n’y subsiste que des blés de Bourgogne, de Bresse, de la Dombes et du Dauphiné. Toute la plaine de Forez est cultivée ; cepen- dant, elle est mêlée de bonnes et de mauvaises terres, et de celles-ci, c’est-à-dire de légères et sablonneuses, il y en a plus que les autres »155. Les pays d’élections de la France du Nord et du Centre, surtout, continuent à fournir l’essentiel des revenus ordinaires, avec des prélèvements proportionnels à leur richesse humaine et économique : au nord, se trouvent les riches terres à blé, à l’ouest, l’équilibre est constitué entre les bocages de culture et d’élevage, à l’est, on trouve des campagnes crayeuses, les montagnes du Dauphiné, les terrasses remontées du midi ; les revenus diffèrent logiquement156. Là où l’agriculture défaille, le commerce constitue la seule source de richesse de la région. Certains auteurs reconnaissent que la nécessité de réunir l’argent de l’impôt a obligé les paysans d’Ancien Régime à sortir de l’économie de subsistances, à chercher des débouchés, et à joindre à leurs activités agricoles d’autres travaux157. Mais la taille est, malgré tout, un impôt essentiellement foncier, il est normal que les trésoriers de France tentent d’adapter l’impôt à l’aridité du sol.
85Dans l’ensemble, ces efforts des agents du roi, dans la généralité lyonnaise, pour améliorer, dans la mesure de leur possibilité, le système de la taille ou, au moins, d’en atténuer la dureté ou l’injustice, restent modestes. Ils se contentent le plus souvent, sans s’interroger, de suivre la tradition158. On peut néanmoins noter une réelle tentative à la fin du XVIIIe siècle.
86Les auteurs, notamment, dénoncent le système inique d’estimation des revenus des taillables. Beaucoup, lorsqu’ils proposent de nouveaux systèmes, tels pour certains celui de la taille tarifée, envisagent la possibilité pour ces contribuables de déclarer leurs revenus. Bodin, déjà, y pense, certain du fait que les contribuables n’hésiteront pas à faire leurs déclarations : « Les gens de bien, qui ne craignent pas la lumière, pren- dront toujours plaisir qu’on connaisse leur état, leur qualité, leur bien, leur façon de vivre »159 ; Boisguilbert, quant à lui, propose que ces déclarations se fassent au greffe des élections160.
87Sans mettre en œuvre la taille tarifée dans la généralité, les trésoriers décident d’appliquer, dès qu’ils en ont connaissance, la déclaration du roi du 7 février 1768. Celle-ci met en place une innovation : l’établissement d’un tableau exact de chaque paroisse, d’après les déclarations de biens et facultés, et dans chaque élection. Le tableau pour chaque élection est « lu en plein département, et après la répartition de la taille de chaque année, il (est) signé par le sieur intendant et commissaire départi, les trésoriers de France, commissaires pour la taille, les officiers des élections, les subdélégués et commissaires du sieur intendant, les receveurs des tailles et tous ceux qui assistent au département »161. Les documents établis par le Bureau, ensuite avec l’intendant, sont renvoyés au Conseil et au surintendant des finances ou au contrôleur général162. La tentative est louable, pour éviter la réédition de répartitions injustes. On sait hélas que les contribuables ne se montrent pas plus confiants pour autant, et que tous rechignent à déclarer de cette manière leurs revenus. L’opération n’atteint donc pas le but souhaité.
88Ainsi fonctionne un des systèmes d’administration parmi les plus critiqués d’Ancien Régime, tant par les auteurs, que par les contemporains qui en subissent l’injustice dans toute sa rigueur. Ces quelques éléments démontrent que l’organisation est susceptible d’améliorations. C’est même un euphémisme ; tout est à refondre : « Que doit-on penser d’un impôt (…) qui nourrit l’animosité, la haine dans les villes, dans les paroisses (…), qui, dans sa meilleure assiette, dans la forme la plus régulière qu’on ait imaginée, peut couvrir et couvre en effet de grandes injustices, sans espoir de jamais les voir détruites ? »163. Pour que cet espoir se réalise, il faudra attendre la Révolution. La Constituante et les libéraux du XIXe siècle ne constateront-ils pas plus tard que si l’impôt personnel se plie bien au despotisme, le principe de réalité convient mieux à la liberté164 ?
Notes
1 On ne parlera pas des aides, gabelles, traites ou autres étapes…
2 Ph. Sueur, Histoire du droit public français, XVème – XVIIIe siècles, Paris, P.U.F., 1989, T. II, p. 327. Il faut signaler qu’à l’origine, la taille est un impôt seigneurial, que Charles VII s’attribue d’autorité par une ordonnance de 1439. L’autorisation de perception à son profit, qui lui est donnée par les Etats Généraux pour un an, fait ensuite l’objet d’une prorogation autoritaire qui, dans le silence des Etats, devient un acquis de la monarchie. E. Chenon, Histoire générale du droit français public et privé, des origines à 1815, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1929, 2 vol. , p. 921.
3 M. Auger, Traité sur les tailles et sur les tribunaux qui connaissent de cette imposition, Paris, Barrois, 1788, p. CCLVIJ.
4 Moreau de Beaumont, selon M. Marion, Les impôts directs sous l’Ancien Régime, principalement au XVIIe siècle, Paris, Cornély, 1910, p. 1.
5 C.J. de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, Nyon, 1768, T. II, p. 699.
6 F.H. Lambert d’Herbigny, « Mémoire sur le gouvernement de Lyon pour l’instruction du duc de Bourgogne », Revue d’Histoire de Lyon, T. I., 1902, pp. 61-88, 143-174, 233-253, 313-346, p. 314.
7 Ph. Sueur, op. cit., p. 328.
8 M. Auger, op. cit., p. CCLVIIJ.
9 M. Touzery, L’invention de l’impôt sur le revenu. La taille tarifée, 1715-1789, Paris, C.H.E.F.F., 1994, p. 494-496.
10 M. Marion, Les impôts directs…, op. cit., p. 11 et G. Ardant, Histoire de l’impôt, Paris, Fayard, 1971, 2 vol. , p. 97.
11 A. Boucaud-Maître, Les intendants de la ville et généralité de Lyon au XVIIIe siècle, Thèse droit, Lyon, 1984, 850 p., p. 271.
12 H. Taine, Les origines de la France contemporaine, Paris, Hachette, 1901-1904, 12 vol. , T. 1, p. 29-30.
13 J. Bacquet, « Des droits du domaine de la Couronne de France », Œuvres, Paris, Abel l’Angelier, 1603, T. II, p. 3.
14 F. Mosser, Les intendants des finances au XVIIIe siècle. Les Lefèvre d’Ormesson et le « département des impositions », 1715-1777, Genève – Paris, Droz, 1978, p. 130.
15 D. Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, 653 p., p. 18.
16 F. Hincker, Les Français devant l’impôt sous l’Ancien Régime, Paris, 1971, Collection "Questions d’histoire", n° 22, 187 p., p. 154.
17 F. Hincker, ibid., p. 26.
18 J.P. Charmeil, Les trésoriers de France à l’époque de la Fronde, Paris, Picard et Compagnie, 1964, 592 p., p. 151.
19 J.L. Harouel – J. Barbey – E. Bournazel – J. Thibaut-Payen, Histoire des institutions de l’époque franque à la Révolution, Paris, P.U.F., 1987, 591 p., p. 484. Cette part des impôts directs représente 24 % des recettes en Angleterre et 32 % en Prusse.
20 J. Permezel, La politique financière de Sully dans la généralité de Lyon, Lyon, Audin, 1935, 139 p., p. 39.
21 Des lettres patentes du 9 mai 1583 précisent bien que la répartition à cet échelon doit se faire par paroisse, et non par parcelle ou hameau. A.D.Rhône, 8C12, Edits, Déclarations et lettres patentes du roi Henri III enregistrées au greffe du Bureau des Finances, Lettres patentes du 9 mai 1583.
22 « L’année de la taille est fixée d’octobre en octobre ; ce qui a été ainsi réglé à cause des récoltes et des travaux de la campagne ». Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Visse, 1785, T. XVII, p. 18. Les brevets de taille doivent donc être établis avant cette date. C. Ambrosi, « Aperçu sur la répartition et la perception de la taille au XVIIIe siècle », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1961, pp. 281-300, p. 281-283.
23 F. Mosser, op. cit, p. 132.
24 J.P. Charmeil, op. cit., p. 152.
25 J. Permezel, op. cit., p. 40.
26 J.P. Charmeil, op. cit., p. 151.
27 F. Dumont, Le Bureau des finances de la généralité de Moulins, Moulins, Imprimerie du progrès de l’Allier, 1923, 261 p., p. 129-130.
28 J.P. Charmeil, op. cit., p. 64. Ces textes concèdent un rôle important aux trésoriers de France en matière de taille. Ces concessions s’expliquent par le fait qu’avec la création de la Paulette en 1604, les offices ont vu leur valeur augmenter, et l’existence de cette « classe » particulière rend plus difficile pour la monarchie le fait de récupérer la puissance publique. Mais encore, les nécessités de la guerre dominent la politique intérieure, et font de la question d’argent celle à laquelle il faut sacrifier toute possibilité de réforme à l’intérieur. De là découlent notamment toutes les concessions aux officiers de finances en général, et aux Bureaux des finances en particulier. G. Pages, « Sur le développement de l’administration monarchique en France du début du XVIe siècle à la fin du XVIIe siècle », Bulletin de la société d’histoire moderne, 1931, p. 40-41.
29 A.D.Rhône, 8C231 à A.D.Rhône, 8C237, Transcription de la correspondance du Bureau des finances de Lyon, 1647 à 1790.
30 A.D.Rhône, 8C234, Transcription…, Lettre du Bureau des finances de Lyon à M. Comarrieu, procureur du roi au Bureau des finances de Bordeaux, du 16 février 1756.
31 A.D.Rhône, 8C135, Droit d’aubaine, 1595-1726, Procès-verbal type de chevauchée.
32 J.J. Clamageran, Histoire de l’impôt en France, Paris, Guillaumin et Compagnie, 1868, 3 vol. , T. II, p. 277.
33 A.D.Rhône, 8C19, Edits, Déclarations et Lettres patentes des rois, Règlement sur le fait des finances, du 8 avril 1600, article 2 : « Les trésoriers généraux de France en exercice l’année prochaine devront faire leurs chevauchées en septembre (…), pour procéder avec plus de cognoissance au département du brevet de la taille ».
34 A.D.Rhône, 8C400, Brevets de taille : 1614-1790, Lettre envoyée aux trésoriers de France, accompagnant l’extrait du brevet de la taille pour 1704, du 24 juin 1703.
35 A.D.Rhône, 8C400, Brevets de taille…, Lettre d’envoi du brevet de la taille au Bureau des finances de Lyon, du 22 août 1614 : « Je vous demande de faire au plus vite (…), en sorte que les plus pauvres élections qui ont été assignées soyent soulagées le plus qu’il sera possible, l’inégalité des départements sur les élections et sur les paroisses et celle qui se fait sur les particuliers contribuables est cause des surcharges et des non-valeurs qu’il faut nécessairement éviter, afin que le Roy ait moyen de soutenir les grandes dépenses qu’il est contraint de faire tant dehors le royaume que pour la conservation de la paix et du repos de l’État… ».
36 A.D.Rhône, 8C19, Edits, déclarations…, Règlement sur le fait des finances, du 8 avril 1600.
37 A.D.Rhône, 8C234, Transcription…, Lettre du Bureau des finances de Lyon à M. Comarrieu, procureur du roi au Bureau des finances de Bordeaux, du 16 février 1756.
38 J. Permezel, op. cit., p. 41.
39 J.P. Charmeil, op. cit., p. 152.
40 F. Dumont, op. cit., p. 130. Un édit de mai 1635 rappelle qu’ils peuvent présider les séances tenues à cette occasion par les élus et, pour cela, leur indiquer les dates qui leur conviennent. G. Delaume, Le Bureau des finances de la généralité de Paris, Paris, Cujas, 1966, 270 p., p. 64. Les élus ont le droit de contester la somme qui a été imposée sur leur circonscription, en déférant au Conseil le département effectué et en justifiant la surtaxation par procès-verbal. Mais cette voie de recours n’est pratiquement jamais utilisée, et les élus répartissent leur contingent dans les huit jours, comme le signale J.P. Charmeil, op. cit., p. 152. On n’en trouve en tout cas aucun exemple dans la généralité de Lyon.
41 A.D.Rhône, 8C19, Edits, Déclarations…, Règlement du 8 avril 1600, article 5 : « S’il n’y a aucune paroisse qui n’aie assis les sommes auxquelles elles ont été imposées, l’élu qui en aura eu le département (…) de la dite paroisse se transportera pour recongoistre les causes du retardement de la dite assiette et remédier à l’instant s’il lui est possible, sur les empêchemens qu’ils y pourront rencontrer ; il en donnera incontinent advis au dit trésorier ayant le département de la dite élection, afin que s’il est de besoin, le dit trésorier se transporte sur le lieu (…) ».
42 A.D.Rhône, 8C201, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 12 avril 1651 : « Lorsque le Bureau reçoit le rapport des commissions de Sa Majesté pour les tailles, il mande aux officiers de l’élection de députer deux d’entre eulx pour les informer de la volonté de Sa Majesté quant aux impositions, et leur dire qu’ils se préparent à disposer les choses pour procéder au département des dites sommes. Si ce n’est pas fait, le Bureau, en cas de retard, les rendrait responsables en leur propre et privé nom du préjudice subi par Sa Majesté ».
43 F. Bayard, Finances et financiers dans la première moitié du XVIIe siècle, 1598-1653, Thèse Histoire Lettres Modernes, Paris, 1984, p. 95.
44 J.P. Charmeil, op. cit., p. 154.
45 Guyot – Merlin, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en France à chaque dignité, à chaque office et à chaque état, soit civil, soit militaire, soit ecclésiastique, Paris, Visse, 1787, p. 374.
46 J.P. Charmeil, op. cit., p. 156.
47 F. Dumont, op. cit., p. 148.
48 En réalité, le trésorier assistant l’intendant ne représente plus le Bureau en tant que tel, mais plutôt le Conseil, puisqu’il reçoit un traitement pour son travail, outre ses gages ; la Compagnie se contente d’enre- gistrer ses lettres de commission. G. Delaume, op. cit., p. 68.
49 J. Ellul, Histoire des institutions, XVIe – XVIIIe siècles, Paris, P.U.F., 1987, p. 52.
50 Il s’agit : du domaine, inaliénable ; de la guerre (butin et conquêtes) ; des dons des sujets, une des formes les plus anciennes ; des pensions des étrangers ; du « traffique », notamment la vente d’offices, même s’il considère que c’est un moyen pernicieux ; de la douane et des emprunts.
51 J. Bodin, Les six livres de la République, Lyon, Jean de Tournes, 1579, 759 p., Livre 6, chapitre 2, p. 617.
52 F. Bayard, « Advis à M. le Marquis d’Effiat sur le fait des finances », in Etudes et Documents, Paris, C.H.E.F.F., 1998, pp. 95-135, p. 110.
53 Il ajoute : « Faites tout le contraire de ce qu’on fait communément. Les princes avides et sans prévoyance ne songent qu’à charger d’impôts ceux de leurs sujets qui sont les plus diligents et les plus industrieux pour faire valoir leurs biens ; c’est qu’ils espèrent en être payés plus facilement. Renversez ce mauvais ordre de choses qui accable les bons (et) qui récompense le vice ». Ses idées sont presque parfois socialistes : « Les riches ne sont que les dépositaires des possessions qui appartiennent à tout le genre humain. (Mes ancêtres ont supposé que) leur postérité serait pourvue de tout ce qui lui serait nécessaire. Les riches ont violé ce contrat ; ils se sont emparés de tout, rien ne me reste. Je rentre dans mon droit naturel et je veux me saisir de tout ce qui m’appartient par nature… ». Fénelon ouvre bien le XVIIIe siècle. E. Fournier de Flaix, La réforme de l’impôt en France. Les théories fiscales et les impôts en France et en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Guillaumin – Pedone Lauriel, T.1, 1885, 507p., p. 103 et 110.
54 P. Le Pesant de Boisguilbert, Détail de la France ; Factum de la France, Osnabrück, Collection des Principaux Economistes, 1966, 431p., p. 180-181s. Sa théorie est en fait plus complexe : il accuse aussi les lois qui restreignent la liberté du commerce, notamment la circulation des grains, et développe une théorie de la consommation : les produits ne sont pas faits pour être enfouis dans les magasins ; ils doivent être consommés, aussi faut-il favoriser leur circulation. Ces produits propres aux besoins de l’homme constituent la véritable nature de la richesse, et non pas les métaux précieux. Boisguilbert est un ennemi de Colbert.
55 Vauban, Projet de dîme royale, Paris, Daire, Collection des principaux économistes, T. I, 1851, p. 42-43-48.
56 Voltaire, Lettres philosophiques, Amsterdam, E. Lucas au Livre d’Or, 1734, II, 387 p., p. 86.
57 Le Trosne, L’administration provinciale et la réforme de l’impôt, cité par R. Schnerb, « La répartition des impôts directs à la fin de l’Ancien Régime », Revue d’Histoire Economique et Sociale, 1960, pp. 129-145, p. 131. Montesquieu, Diderot et l’Encyclopédie, Rousseau, cités par E. Fournier de Flaix, op. cit., p. 141-232-233-234. Notamment pour D’Holbach, dans sa Politique naturelle, l’impôt doit être universel, c’est-à-dire porter sur tous les contribuables, fixe, non arbitraire, proportionné aux facultés des citoyens, sans quoi ce dernier, découragé, abandonnera la culture ou quittera le pays.
58 Moreau de Beaumont, d’après E. Fournier de Flaix, op. cit., p. 275.
59 Mirabeau, Sur la nécessité des encouragements pour l’agriculture, 1759, Editions G. Weulersse, Les manuscrits de François Quesnay et du marquis de Mirabeau, Paris, 1910, p. 46 et s.
60 Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de la France, depuis 1595 jusqu’à 1721, Liège, B.A.L.C., 1758, T. III, p. 176, et A.D.Rhône, 8C403, Extrait des franchises du Franc-Lyonnais, du 12 février 1596. Le Franc-Lyonnais regroupe les paroisses de Vinny, Genay, Rochetaillée, Fleurieu, Saint-Jean-de- Thurigneux, Saint-Bernard, Saint-Didier-de-Formans.
61 J. Permezel, op. cit., Requête du Tiers Etat de Forez, 1607, p. 54, Avis de M. de Montholon et des trésoriers de France, sur la requête du Tiers Etat de Forez, et Arrêt du Conseil d’État du 13 décembre 1607, p. 55.
62 A. Smedley-Weill, Correspondance des intendants avec le contrôleur général des finances, 1677-1689. Naissance d’une administration. Sous-série G7, Inventaire analytique, Paris, Archives Nationales, 1990, 625 p., Lettre de l’intendant d’Ormesson au contrôleur général des finances du 2 août 1682 : « L’avis sur la taille de 1683 a été rédigé avec les trésoriers de France et le receveur général des finances. Il y a peu de changements importants dans cette élection ; la taille, égale à celle de 1682, peut donc être imposée sans difficulté », p. 558.
63 J. Permezel, op. cit., p. 44 et A.D.Rhône, 8C203, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances, 1581-1724. Ordonnance du Bureau, « portant que les greffiers des élections remettront au greffe du Bureau les assiettes » : l’ordre a déjà été donné, mais « aulcuns d’eulx n’ont daigné satisfaire… », du 6 février 1654.
64 A.D.Rhône, 8C243, Noblesse : lettres d’anoblissement. Requêtes pour obtenir des lettres de noblesse : 1398-1784, Déclaration royale du 3 janvier 1662, qui interdit aux seigneurs de faire les rôles du départe- ment des tailles entre les paroisses de leur domaine.
65 S. Fournival, Recueil général concernant les fonctions, rangs, dignités et privilèges des charges de présidents, trésoriers de France, généraux des finances, grands voyers des généralités du royaume, Paris, 1655, 1251 p., Règlement du 8 juillet 1578, p. 319 : « Défenses sont faictes à M. le Chancelier et aux secrétaires d’État et du Conseil des finances d’adresser aucune commission pour la levée des deniers à aucun qu’aux trésoriers généraux, à peine de nullité ; et défense de faire aucune levée sans l’attache des dits trésoriers ».
66 G. Ardant, op. cit., p. 123-124.
67 Boisguilbert, op. cit., p. 236.
68 Voltaire, selon E. Fournier de Flaix, op. cit., p. 231.
69 H. Taine, op. cit., p. 30 s.
70 Forbonnais, cité par E. Fournier de Flaix, op. cit., p. 268.
71 Lorsque l’impôt est abonné, le roi ou ses receveurs reçoivent directement du corps, de la ville ou de la province le montant global de l’impôt négocié, sans avoir le souci des rôles ou de la collecte. Le recouvrement par adjudication, qui consistait à le confier à un particulier moyennant une rétribution convenue d’avance, fut interdit par Colbert. Ph. Sueur, op. cit., T. II, p. 375-376.
72 J. Villain, Le recouvrement des impôts directs sous l’Ancien Régime, Paris, Rivière, 1952, p. 8 et 49.
73 S. Fournival, op. cit., p. 1112 : « Ayant sommes notables ès coffres de la recepte générale, soit incontinent envoyée à l’Epargne ès mesmes espèces qu’elle aura été reçue ou distribuée par les mandemens portant quittances du dit trésorier de l’Epargne, sans laisser aucuns fonds ès mains des dits receveurs généraux et particuliers, sinon ce qu’il faut pour les gages d’officiers et charges ordinaires ».
74 F. Bayard, Finances et financiers…, op. cit., p. 96.
75 R. Doucet, Les institutions de la France au XVIe siècle, Paris, Picard, 1948, 2 vol. , p. 569.
76 F. Bayard, op. cit., p. 96.
77 « Le trésorier général aura soin de faire en diligence voiturer à l’Epargne les deniers de la recepte générale ». S., op. cit., Edit de janvier 1551, p. 183.
78 S. Fournival, op. cit., p. 1112.
79 L. Bouchard, Le système financier de l’ancienne monarchie, Paris, Guillaumin, 1891, 499 p., p. 416.
80 Ainsi, en 1620, ils commettent la force publique, en les personnes du prévôt des maréchaux et son lieu- tenant, avec six archers, pour assurer la protection des deniers royaux, requise par le receveur général des finances de Lyon : « Les receveurs particuliers des tailles des élections de cette généralité ont plusieurs deniers du fait de leurs charges en leur office, lesquels ils n’osent voiturer en la dite recette générale pour le peu d’asseurance qu’il y a par les chemins à cause du bruit de guerre qu’il court à présent (…) ». Les trésoriers de France obtempèrent toujours de bonne grâce à ces requêtes, et se réservent de calculer les frais des militaires. A.D.Rhône, 8C176, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau des finances du 27 juillet 1620, « aux prévôts des maréchaux de Forest et Beaujollois pour faire escorte aux deniers des recettes particullières » : « pour le tems qu’ils auront vacqué hors de leurs limites ainsy qu’il s’est pratiqué dans le passé ».
81 F. Bayard, « Advis à M. Le Marquis d’Effiat sur le fait des finances », op. cit., p. 103.
82 F. Bayard, « Comment faire payer les riches ? L’exemple du XVIIe siècle français », Etudes et Documents, Paris, C.H.E.F.F., 1989, pp. 29-52, p. 33.
83 À titre d’exemple, il est possible de citer cette ordonnance du Bureau du 16 mars 1640, portant injonction aux receveurs des tailles et taillon de voiturer incessamment les deniers de leurs recettes aux recettes générales, « d’envoyer au Bureau de huit en huit jours les bordereaux des espèces qu’ils recevront journellement, et d’enjoindre aux contrôleurs aux dites recettes de tenir bon et fidèle contrôle d’icelles à peine (…) de demeurer solidaires et responsables et de supporter en leur propre et privé nom la perte et diminution des dites espèces qui se trouveront en leurs mains (…) ». A.D.Rhône, 8C194, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du 16 mars 1640.
84 A.D.Rhône, 8C200, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 19 novembre 1650, portant injonction aux consuls et collecteurs des tailles des paroisses de la dite généralité de payer incessamment ce qu’ils doivent en reste des tailles des années 1647, 1648, 1649 et 1650.
85 P. Goubert, L’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1969, 2 vol. , p. 147.
86 Ou « trop adroite », comme le souligne P. Goubert, op. cit., p. 147.
87 Pour faciliter la « remontée » des deniers, notamment des caisses particulières vers la recette générale, il est même prévu que, pour éviter que les receveurs, qui doivent présenter aux trésoriers les bordereaux des deniers qu’ils transmettent, aient à attendre l’assemblée des trésoriers généraux – qui peut ne pas avoir lieu avant plusieurs semaines, par exemple pendant les vacances –, « les bordereaux des deniers portés à la recepte générale seront présentés aux trésoriers généraux de mois en mois, alternativement (chaque trésorier général recevra pendant un mois les dits bordereaux) pour éviter que receveurs et fermiers n’aient à attendre les jours d’assemblée des trésoriers généraux de France ». S. Fournival, op. cit., Edit de Poitiers, juillet 1577, p. 308.
88 F. Bayard, « Advis à M. Le Marquis d’Effiat sur le fait des finances », op. cit., p. 122.
89 A.D.Rhône, 8C403, Privilèges et exemptions : 1596-1764, Edit du roi du 31 mars 1632.
90 J.P. Charmeil, op. cit., p. 158.
91 F. Dumont, op. cit., p. 142.
92 A.D.Rhône, 8C199, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 3 septembre 1649, portant injonction aux receveurs et commis aux recettes des tailles de cette généralité d’incessamment travailler au recouvrement des deniers des tailles des années 1647-1648 et 1649.
93 Les « non-valeurs » désignent tout simplement les impôts qui ne rentrent pas parce que le contribuable est incapable de les payer. Pour Colbert, les non-valeurs sont faciles à éviter : « Vous devez faire le département avec tant d’égalité et de justesse qu’il n’y ait point de non-valeurs, ce qui, à mon avis, ne sera pas difficile, lorsqu’entrant en connoissance de la force non seulement de chaque paroisse, mais mesme des particuliers qui la composent, le régalement se fera sans avoir esgard aux recommandations de qui que ce soit, estant certain que la cause des grandes non-valeurs du passé provenoit de l’accablement des uns par la décharge que l’on donnoit aux autres qui estoient fortement appuyez ». G.B. Depping, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, Paris, Imprimerie Impériale, 1855, 4 vol. , Circulaire de Colbert aux commissaires départis et intendants des généralités et pays d’élections, du 26 août 1663, p. 33.
94 J. Villain, op. cit., p. 142.
95 Il peut arriver aussi que le roi, cependant, se substitue à eux lorsqu’ils négligent leur travail. Ainsi fait-il en 1654 en commettant Michel Fayette « pour faire la recette des deniers dus des restes de la dite élection de Roanne ». A.D.Rhône, 8C414, Taxes diverses, Arrêt du Conseil d’État du 17 janvier 1654.
96 Vauban, Dîme royale…, op. cit., p. 42-43 et 48.
97 F. Bayard, « Advis à M. Le Marquis d’Effiat sur le fait des finances », op. cit., p. 111.
98 Scipion de Gramont, cité par Ch. Beaudet, Histoire des institutions jusqu’à la Révolution de 1789, Véli- zy, C.P.U., 1996, p. 307.
99 G. Thuillier, « Comment Saavedra voyait les impôts en 1640 », Etudes et Documents, Paris, C.H.E.F.F., 1994, pp. 595-601, p. 601. Il est vrai aussi que la généralité de Lyon compte parmi celles en province dont les habitants sont, en moyenne, les plus imposés, comme l’a constaté Necker : impôts directs et indirects confondus, les habitants des généralités de Lyon, Orléans, Châlons, Rouen, Caen, Alençon, Amiens et Soissons, paient entre 25 et 30 livres, ceux des généralités de Lille, Montauban, Montpellier, Tours et Valenciennes entre 20 et 25, ceux des généralités de Pau, Besançon, Limoges, Nancy, Perpignan, Rennes et Strasbourg entre 10 et 15 et ceux de Corse moins de 5 livres. Necker, cité par C. Beaudet, op. cit., p. 307.
100 D’Holbach, cité par E. Fournier de Flaix, op. cit., p. 236.
101 D. Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1973, 188 p., p. 116.
102 Marquis d’Argenson, Mémoires, p. 239, cité par A. Babeau, La province sous l’Ancien Régime, Paris, Firmin-Didot et Compagnie, 1894, 2 vol. , p. 57-65.
103 M. Marion, Les impôts directs…, op. cit., p. 15.
104 Rabelais, Pantagruel, roy des dipsodes, restitué à son naturel, Lyon, E. Dodet, 1542, 350 p., Livre V, Chapitre 16.
105 Quesnay, Notes au manuscrit (du marquis de Mirabeau) de la théorie de l’impôt, 1760, Editions G. Weuleresse, Les manuscrits de F. Quesnay et du marquis de Mirabeau, Paris, 1910, p. 53 et s.
106 A. Cheruel, Histoire de l’administration monarchique en France, Paris, Dezobry, E. Magdeleine et Compagnie, 1855, 512 p., p. 172 : « A l’égard des saisies pour le fait des tailles, vous pouvez tenir la main à ce que les receveurs n’en fassent point ; mais il ne faut pas en donner d’ordonnance publique, de crainte que les peuples s’endurcissent à ne point payer ».
107 Boisguilbert, op. cit., p. 189.
108 J. Permezel, op. cit., p. 56.
109 A.D.Rhône, 8C199, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 19 février 1649.
110 A.D.Rhône, 8C200, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 18 juillet 1650, « contre ceulx qui font courir de faulx bruits que le Roy a remis les restes des tailles de 1647, 1648 et 1649 ».
111 A.D.Rhône, 8C200, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 19 novembre 1650. Le cas se reproduira quelques années plus tard : en décembre 1719, le roi remet à ses sujets des vingt généralités des pays d’élections et des provinces d’Alsace, Metz, Franche-Comté, Flandres, Hainaut et Roussillon les restes des impositions antérieures à 1719, de quelque nature qu’elles soient. Il est cette fois plus prévoyant et prévient ses contribuables que les tailles de l’année sont bel et bien dues. Cette fois, le roi a retenu la leçon. A. Boucaud-Maître, op. cit., p. 279 : « Sa Majesté étant informée que plusieurs particuliers pourraient se prévaloir de cette grâce pour retarder le paiement de la taille (…), dans l’espérance de jouir dans la suite d’une semblable remise (…), ordonne que tous particuliers seront tenus de payer avant le 1er juillet prochain ».
112 G. Ardant, op. cit., p. 480.
113 A.D.Rhône, 8C415, Rébellions contre le paiement des impôts, 1599-1773, Ordonnance du Bureau du 12 avril 1649.
114 A.D.Rhône, 8C199, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 20 avril 1649 : « Les plus grandes et continuelles rébellions qui ayent esté exercées en cette généralité, cela a esté en l’élection de Saint-Etienne par les paroisses limitrophes de Velay et Vivaretz ».
115 A.D.Rhône, 8C199, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581- 1724, Ordonnance du Bureau du 2 juillet 1649.
116 A.D.Rhône, 8C199, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau du 28 novembre 1649, « aux officiers des Elections de vacquer incessamment à la confection des procès des criminels accusés de rébellion ».
117 A.D.Rhône, 8C415, Rébellions…, Procès-verbaux de rébellion contre le paiement de la taille, dans l’élection de Roanne, 1649. La situation n’est pas unique à Lyon : à Moulins, la même année, certaines paroisses refusent de payer la taille. Quelques-unes ont même pris les armes contre les huissiers chargés d’opérer des saisies ; le roi confie aux trésoriers la mission de les réduire par la force. Le 7 décembre 1649, il décide l’envoi de garnisaires dans la généralité. C’est le même schéma un peu partout. J.P. Charmeil, op. cit., p. 161.
118 J. Bodin, op. cit., p. 617.
119 Voltaire, Oeuvres, Paris, Werdert et Lequien fils, 1829, 544 p., T. 30, Dictionnaire philosophique, T. 5, Article Impôt, p. 340. Il ne parle pas de totale exemption pour tous les privilégiés, car il fait référence au don gratuit payé par l’Eglise ainsi qu’aux autres impositions ponctuelles payées par la noblesse – comme, par exemple, la capitation à la fin du siècle précédent.
120 Ph. Sueur, op. cit., T. II, p. 333.
121 J. Caillet, De l’administration en France sous le ministère du cardinal de Richelieu, Paris, Didot, 1857, p. 265.
122 Ce système suppose l’accomplissement de trois opérations : faire l’inventaire des sources de revenus de chacun (bien-fonds, commerce, industrie…) en recevant les déclarations des contribuables, estimer ces revenus suivant des tarifs préalablement établis – ce sont les tarifs d’estimation – et enfin soumettre ces différents revenus à un (ou des) taux d’imposition préétabli, à la différence du marc la livre qui n’est qu’un taux de circonstance : ce sont les tarifs de contribution qui pourront, suivant le type de revenus, être soit forfaitaires, soit proportionnels. On ouvre aussi la voie à des techniques plus sophistiquées telles que progressivité, abattements, distinction raisonnée de différents taux de contribution… M. Touzery, op. cit., p. 58.
123 M. Touzery, op. cit., p. 499.
124 G. Ardant, op. cit., p. 103.
125 C’est-à-dire fixé à 40 107 239 livres. M. Touzery, op. cit., p. 189.
126 R. Doucet, op. cit., p. 575.
127 C. Ambrosi, « Aperçu sur la répartition et la perception de la taille au XVIIIe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 1961, p. 287 et A.D.Rhône, 8C125, Edits, déclarations et lettres patentes des rois, Déclaration du 13 février 1780 : Dorénavant, « il ne sera plus arrêté au Conseil pour les généralités des pays d’élections et pays conquis qu’un seul brevet général, qui comprendra, avec la taille, impositions ordinaires et subventions, suivant les différentes dénominations usitées dans les provinces, les différentes impositions qui se répartissent au marc la livre d’icelle, ainsi que la capitation, les quatre sous pour livre additionnels et les impositions réparties au marc la livre de la dite capitation. Le montant de ce brevet général demeurera irrévocablement fixé à la somme imposée pour l’an 1780 ».
128 J. Egret, « L’opposition aristocratique en France au XVIIIe siècle », Information historique, 1949, n° 5, pp. 181-186, p. 185.
129 A.D.Rhône, 8C125 et A.D.Rhône, 8C126, Edits, déclarations et lettres patentes des rois, Brevet de réparti- tion de la taille pour 1780.
130 A.D.Rhône, 8C125, Edits, déclarations et lettres patentes des rois, Brevet des tailles pour 1783.
131 M. Touzery, op. cit., p. 189.
132 « Gardons-nous d’augmenter le trésor pécuniaire aux dépens du trésor moral : c’est ce dernier qui nous met vraiment en possession des hommes et de toute leur puissance, au lieu que par l’autre on n’obtient que l’apparence des services ; mais on n’achète point la volonté. Il vaut mieux que l’administration du fisc soit celle d’un père de famille, et perde quelque chose, que de gagner davantage, et être celle d’un usurier ». Rousseau, cité par Guy Thuillier, « Les idées fiscales de Jean-Jacques Rousseau à propos de la Corse », in Etudes et Documents, Paris, C.H.E.F.F., 1999, pp. 556-565, p. 562. A.N., P2340, Chambre des Comptes de Paris, Mémoriaux, 1600, Lettres patentes du 1er septembre 1595, qui ordonnent « que les habitants de la ville de Rochetaillée en Forest seront et demeureront deschargez de la somme de 395 écus 24 sols à laquelle ils avoient esté taxés… », ou encore A.D.Rhône, 8C397, Tailles. Arrêts royaux de levée : 1600-1789, Arrêt du Conseil d’État, qui décharge des arrérages de tailles différentes paroisses du Lyonnais, du 3 novembre 1597, et A.D.Rhône, 8C401, Dégrèvements de taille, 1597-1680, Procès-verbal pour les habitants de la paroisse de Brindas, du 30 août 1597.
133 Sully, Mémoires ou Economies royales d’Estat, domestiques, politiques et militaires de Henri Le Grand, Paris, Augustin Courbe, 1662, T. III, p. 397.
134 J.J. Chevallier, Histoire de la pensée politique, Paris, Editions Payot et Rivages, 1ère édition, 1979, 1993, 896 p., p. 271.
135 Boisguilbert, op. cit., p. 272 s.
136 Rousseau, dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, Briasson, David l’aîné, Le Breton – Durand, 1755, T. V, Article « Economie politique », p. 346.
137 Montesquieu, Diderot, Quesnay et Necker, selon E. Fournier de Flaix, op. cit., p. 144, 233-234, 149 et 255-256.
138 Morellet, cité par Felix Joël, Finances et politique au Siècle des Lumières. Le ministère L’Averdy, 1763- 1768, Paris, C.H.E.F.F., 1999, 559 p., p. 17. L’ouvrage paraît en 1775. Il a été en réalité rédigé onze ans plus tôt, en réaction à la déclaration du 28 mars 1764, qui avait voulu mettre fin aux pamphlets et brochures déversés en France depuis la fin de la guerre de sept ans, et qui réclamaient des réformes financières et fiscales.
139 J. Felix, Economie et finances sous l’Ancien Régime. Guide du chercheur 1523-1789, Paris, C.H.E.F.F., 1994, 491 p., p. 305.
140 A l’origine, c’est sous la direction de la Chambre des Comptes que se font les enquêtes pour la « réparation des feux », lorsqu’un pays trop chargé d’impôts réclame au roi une modération. Elle supplée ainsi les trésoriers dans cette tâche, la leur initialement. H. Jassemin, La Chambre des Comptes de Paris au XVème siècle, Paris, Picard, 1933, 327 p., p. 289. C’est pour cette raison que, lorsqu’ils deviennent des agents locaux, ils récupèrent cette compétence dans le cadre de leur généralité.
141 B. Barbiche, « Les commissaires députés pour le « régalement » des tailles en 1598-1599 », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 1960, T. 118, pp. 58-96, p. 60 : « Nous auroit esté remontré qu’il est impossible non seulement que nos tailles soient levées, mais aussi l’agriculture continuée, si l’abus introduit depuis plusieurs années en cela n’est osté ; d’autant plus les charges et impositions ont esté augmentées, d’autant plus les riches et personnes aysées contribuables à nos tailles se sont efforcez de s’en exempter… ».
142 B. Barbiche, op. cit., p. 77-79.
143 A.D.Rhône, 8C194, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance du Bureau, « portant défenses aux esleus de faire aulcuns rejets qu’en la présence de ceulx de Messieurs les trésoriers de France qui assisteront au département des tailles, du 7 mai 1640 : « (Nous) avons appris que les présidens esleus d’aulcunes élections de cette généralité, au préjudice des arrests du Conseil (…), font, dans le courant de l’année, des décharges de cote en faveur d’officiers prétendus privilégiés, exempts du paiement des dites tailles, et ensuite le rejet des dites cotes sur le général de l’élection, ce qui ne se doit faire, sinon en la présence de celuy ou ceulx de nous qui sont députez par le Bureau pour se porter chaque année dans les dites élections au département. Il est fait défenses aux esleus de faire aulcunes décharges de cotes des tailles au cours de l’année (…), ni le rejet des dites cotes sur le général de l’élection, sinon en la pré- sence d’iceluy ou ceulx de nous qui seront chaque année députez par le Bureau pour se porter dans les dites élections au département des tailles, en procédant auquel département, il sera en même temps vacqué aus dites décharges et rejet avec cognoissance de cause, et à peine de nullité de procédures et sentences qui seront faites ».
144 A.D.Rhône, 8C231, Transcription de la correspondance particulière du Bureau des finances : 1647-1790, Lettre du Bureau des finances de Lyon, entre le 23 août et le 13 septembre 1647.
145 S. Fournival, op. cit., Edit du 22 octobre 1648, p. 839.
146 A.D.Rhône, 8C199, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1649, Requête des habitants de Saint- Symphorien-en-Lay du 21 janvier 1649, et de Vernaison du 4 janvier 1649.
147 A.D.Rhône, 8C64, Edits, déclarations et lettres patentes des rois, Arrêt du Conseil d’État, « portant que Messieurs les trésoriers de France de Lyon se transporteront dans les paroisses de la dite généralité qui ont esté greslées », du 23 juin 1650 : « Elles (les paroisses) ne peuvent plus payer leur imposition. Messieurs les trésoriers généraux de France doivent se transporter sur les lieux et dresser procès-verbal, pour donner avis de la décharge qui doit leur estre faicte sur les impositions ».
148 A.D.Rhône, 8C201, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1581-1724, Ordonnance d’enregistrement donnée par le Bureau le 24 mars 1651.
149 A.D.Rhône, 8C200, Enregistrement des actes, ordonnances et décisions du Bureau des finances : 1650, Ordonnance du Bureau du 19 août 1650.
150 A.D.Rhône, 8C317 et 8C318, Etats du roi des finances de la généralité de Lyon, 1650 et 1651, Election de Saint-Etienne. Il faut noter que les trésoriers ne prennent pas toujours la peine de se déplacer dans toutes les paroisses de leur juridiction ; ils estiment que les élus peuvent le faire pour eux.
151 Comte de Neufbourg, « Rôles des tailles des paroisses de la généralité de Lyon de 1680. Recettes des élections de 1688 à 1712 », Bulletin de la Diana, 1924-1926, pp. 221-276, p. 33.
152 A.D.Rhône, 8C401, Dégrèvements de taille : 1597-1680, Lettre des officiers de l’élection de Montbrison aux trésoriers de France de Lyon, du 4 juillet 1679.
153 A.D.Rhône, 8C234, Transcription de la correspondance particulière du Bureau des finances, 1647-1790, Lettre du Bureau des finances de Lyon à M. d’Ormesson, du 1er septembre 1762 : « Notre généralité a souffert de la sécheresse, elle mérite la plus grande attention et l’on ne sçauroit assez la mesnager… ».
154 Ph. Sueur, op. cit., p. 5.
155 Les trois provinces sont le Lyonnais, le Forez et le Beaujolais. F.H. Lambert d’Herbigny, « Mémoire… », op. cit., p. 69-70.
156 F. Bayard, « Le poids financier des régions françaises à l’époque d’Henri IV, 1600-1610 », Histoire économique de la France, Extrait de Etudes et Documents, Paris, C.H.E.F.F., 1991, p. 42. Sous Henri IV, la recette de Lyon verse en général 4,39 % de l’ensemble des recettes générales, ce qui est peu si l’on regarde Rouen, qui paye l’équivalent de 10 %, mais beaucoup si l’on se fie à Moulins, 3,76 %, ou Grenoble, 0,16 %. Les sept recettes de la France de l’Est – Lyon, Châlons, Soissons, Montpellier, Dijon, Aix, Grenoble – versent 15,95 % des revenus, ce qui est le plus faible pourcentage par rapport à ceux concernant la France de l’Ouest et la France médiane. À l’époque de la Guerre de Trente ans, les chiffres sont à peu près les mêmes, puisque notamment Lyon paye 4,27 %. C’est Moulins qui, cette fois, est à la traîne, avec 2,07 % des recettes. Grenoble est à 2,74 %, et Rouen à 7,55 %. Les oppositions constatées entre 1600 et 1610 sont maintenues. La France du Nord rapporte toujours plus que celle du Sud. L’Est rapporte moins que l’Ouest. Ibid., p. 24-25.
157 G. Ardant, op. cit., p. 356.
158 A. Boucaud-Maître, op. cit., p. 281-282.
159 J. Bodin, op. cit., Livre six.
160 Boisguilbert, op. cit., p. 222.
161 M. Marion, Les impôts directs…, op. cit., Déclaration du 7 février 1768, Article 13, p. 162.
162 Est enfin dressé un Etat général des finances du royaume, et un dernier va et vient permet à la monarchie de recouvrer l’argent dont elle a besoin. F. Bayard, Finances et financiers…, op. cit., p. 1.
163 F. Lubersac de Livron, Vues politiques et patriotiques sur l’administration des finances de la France, contenant un plan raisonné d’administrations provinciales, dédiées à Monsieur, frère du Roi, Paris, Impri- merie de Monsieur, 1787, 287 p., p. 16.
164 R. Schnerb, op. cit., p. 132.