Sur l’usage de l’expression « monarchie absolue » en France au XVIIe siècle

Par Éric GOJOSSO
Publication en ligne le 25 juillet 2019

Texte intégral

1La conviction est bien ancrée : ni « absolutisme », ni « monarchie absolue », ni « royauté absolue » n’appartiendraient au lexique de l’Ancien Régime et, comme ce dernier, auraient été forgés après 17891. L’évidence est si forte qu’elle a long- temps dispensé de conduire une véritable enquête. Dans un article qui porte sur « Les concepts d’« ordres », d’« états », de « fidélité » et de « monarchie absolue » en France de la fin du XVe à la fin du XVIIIe », Roland Mousnier néglige ainsi totalement la question du vocabulaire, consacrant par-là l’existence d’un hiatus chronologique : le « mot » ne serait apparu qu’après la disparition de la « chose »2. La fréquentation de la littérature politique et juridique du temps conduit néanmoins à tempérer un tel point de vue. Certes, l’absolutisme est une notion élaborée après coup, à partir d’éléments théoriques et pratiques, pour caractériser une époque de l’ancienne monarchie dont le terminus a quo fait toujours débat. S’il est acquis que le vocable n’existe pas en français avant la Révolution, son émergence n’a pas encore été élucidée. Il est courant de lire que Chateaubriand l’aurait inventé en 1797 dans son Essai sur les révolutions. Il y a là une erreur. En vérité, le mot n’apparaît sous sa plume qu’à la Restauration, dans la préface des Œuvres complètes de Ladvocat, datée de 18263. Il est absent de l’édition originelle où l’on rencontre seulement l’expression « monarchie absolue »4. Il semble d’ailleurs naître ou à tout le moins se généraliser dans le langage politique après le retour des Bourbons, ce qu’une étude détaillée devra confirmer.

2Contrairement à l’opinion commune, le syntagme « monarchie absolue » est quant à lui antérieur de deux siècles, bien que d’un usage restreint et connoté, sans être pour autant marginal. Son emploi contraste avec la présence massive dans la littérature publiciste et théologique de formules telles que « puissance absolue », « pouvoir absolu », « autorité absolue », « domination absolue », « empire absolu », souvent corrélées à « maître absolu », « seigneur absolu » et, dans une moindre mesure, à « prince absolu », « monarque absolu », « roi absolu ». Néanmoins, les dictionnaires du temps attestent de l’évolution à laquelle assistent les contemporains dans le courant du XVIIe siècle. Pierre Richelet (1626-1698), dans la première édition de son livre, datée de 1680, at- tribue à l’adjectif « absolu, absolue » la signification d’« indépendant, souverain » et l’illustre par deux exemples : « roi absolu, monarchie absolue »5. Quoiqu’il se borne à écrire « prince absolu » là où son confrère lexicographe témoignait d’une certaine audace6, Antoine Furetière (1619-1688) n’en établit pas moins à son tour un lien qui ressort de la lecture des entrées « monarchie » : un « Grand État gouverné par la volonté absolue d’un roi » et « monarque » : un « roi qui a un commandement absolu et despotique sur un pays »7. Il convient de préciser ici, surtout au regard des remarques qui suivront, que pour Furetière l’appariement d’« absolu » et de « despotique » ne répond pas à une visée dépréciative. Le despote est le nom oriental du prince, chrétien ou ottoman, qui fait ce qu’il veut sans en rendre raison à personne8. Le monarque absolu ou despotique doit régner par la justice ; autrement, il est un tyran d’exercice, « qui abuse de son pouvoir, qui ne gouverne pas selon les lois, qui use de violence et de cruauté envers ses sujets ». L’auteur rappelle d’ailleurs en passant que le mot n’était pas odieux aux Anciens, mais qu’il l’est devenu chez les peuples aimant la liberté qui ne pouvaient tolérer qu’on voulût « leur commander absolument »9. Monarque absolu, despote et tyran entretiennent par suite une forme de proximité, non parce qu’ils désignent une manière outrancière de gouverner, mais parce qu’ils renvoient au gouvernement sans contrôle d’un seul, la question du comportement politique devant être appréciée in concreto au regard de l’exigence de justice. À une décennie de distance, le dictionnaire de Trévoux adopte les mêmes définitions10. Le dictionnaire de l’Académie qui paraît peu après celui de Furetière, identifie lui aussi « absolu », « indépendant, souverain » et « despotique »11 et, pareillement, sans jamais parler ni de « monarque absolu » ni « monarchie absolue », décrit le « monarque » comme « celui qui a seul l’autorité souveraine et le pouvoir absolu dans un grand État » et la « monarchie » comme « le gouvernement absolu d’un seul dans un grand État »12. Voilà qui, sur le fond, réconcilie l’Illustre compagnie et celui qui en fut exclu avec tapages !

3Les ouvrages à vocation encyclopédique de la fin du XVIIe siècle investissent le même champ sémantique. L’absence de l’expression « monarchie absolue » n’exclut pas le recours ponctuel à « monarque absolu »13, ainsi que la confusion déjà observée entre absolu et despotique. Louis Moréri (1643-1680) écrit ainsi de la Perse qu’elle est un « État monarchique et tellement despotique que le prince y gouverne avec un pouvoir absolu, faisant servir sa volonté de loi et disposant très absolument de la vie et des biens de ses sujets »14. La comparaison avec la Pologne, où le roi n’est point « un prince absolu qui puisse de son autorité particulière et sans le consentement des sénateurs, disposer et résoudre des affaires », est malgré tout révélatrice d’une nuance15. S’il n’y a pas une différence de nature, il y a au moins une différence de degré. Le despote bafoue le droit naturel car il est maître des personnes comme des propriétés de son pays. Quant à lui, le roi, titulaire du pouvoir absolu, est seulement souverain au sens bodinien du terme. Cela ne préjuge en rien de la manière dont il gouvernera, avec sa conscience pour unique aiguillon.

4Au regard des dates, faudrait-il conclure à une apparition tout à la fois timide et tardive, concomitante du règne de Louis XIV ? Non, tant il est vrai que les dictionnaires en codifiant la langue, entérinent souvent avec décalage les usages nouveaux qu’ils ne combattent pas. Le point de départ pourrait bien être à rechercher dans la littérature religieuse où l’expression traduit une intention polémique au sortir des guerres de religion. De là, elle a ensuite gagné un terrain plus politique où elle a d’abord été reçue avec une relative sérénité et valorisée, avant que le Refuge, applaudissant à la chute des Stuart, n’en fasse un usage réprobateur.

La « monarchie absolue du pape » : un régime dénigré

5Les premiers exemples d’emplois de l’expression s’insèrent dans le débat qui touche au droit divin des rois et plus largement aux rapports entre les pouvoirs séculier et spirituel dans le contexte de la fin des guerres de religion et de l’affermissement de l’absolutisme16. Alors que les théologiens de la seconde scolastique tentent de définir la politique par sa seule naturalité et en tirent la conséquence de la médiation du peuple, les théologiens séculiers mettent en avant l’origine divine immédiate du souverain avec, en vertu de cette liaison directe entre le prince et Dieu, le refus de tout contrôle de l’action laïque par l’Église. Est ici spécialement visé le pape auquel est dénié toute faculté de déposition, fût-elle justifiée par des considérations tenant uniquement au salut des âmes. En Angleterre où le triomphe de la Réforme permet au roi d’incarner conjointement l’autorité politique et l’autorité religieuse, les affrontements se cristallisent sur le contenu du serment d’allégeance que Jacques Ier veut imposer aux catholiques après l’échec du complot des poudres : l’enjeu est l’étendue du pouvoir du Saint-Siège, qui ne saurait avoir pour effet de soustraire les sujets à leur obligation de fidélité, une obligation réputée absolue et inconditionnelle17. Dans la controverse qui suit et dont l’Europe est témoin et partie – la Sorbonne penche ainsi pour le serment –, Bellarmin campe le champion d’une cause pontificale dont la défense ne peut laisser indifférent les partisans de l’État, y compris dans les pays qui n’ont pas rompu avec Rome. C’est vrai spécialement de la France où la monarchie s’est depuis long- temps émancipée de la tutelle ultramontaine18. Le concordat de Bologne, dénoncé avec fougue par certains, n’en a pas entraîné le rétablissement, pas plus que la guerre civile, en dépit de la radicalisation des positions et des rapprochements observés au sein de la Ligue. L’avènement d’Henri IV, dont l’excommunication est levée deux ans après sa conversion, confirme au contraire une orientation défavorable, accentuée par les débats autour du tyrannicide. Les jésuites tels Sa ou Mariana, soutiens indéfectibles du Saint-Siège, l’ont remis au goût du jour après l’assassinat d’Henri III, prolongeant la voie ouverte par les écrivains ligueurs. Ce faisant, ils passent pour inspirer les actes criminels ou à tout le moins pour entretenir un climat propice. Leurs écrits suscitent la réplique des théologiens royaux et la censure du parlement dont le zèle n’est pas d’ailleurs sans gêner le régime lui-même qui souhaite ménager la papauté19. Le meurtre du Vert galant donne encore plus de relief à l’affrontement doctrinal qui se perpétue pendant une grosse décennie. D’autres éléments viennent incidemment l’alimenter à l’instar du jansénisme qui ressource l’idée gallicane dans une opposition tranchée avec les jésuites rejaillissant sur le modèle ecclésiologique à adopter. Il faut aussi compter avec la promotion posttridentine du principe de l’infaillibilité pontificale, de nature à conforter l’ascendant du pape dans l’Église et sur l’ensemble des fidèles, politiques compris, ce qui répugne aux gallicans.

6Dans de telles circonstances, « monarchie absolue » est une expression mobilisée par les adversaires de la suprématie pontificale, ceux-là mêmes qui contestent au souverain pontife l’exercice d’un potestas absoluta affranchie de la norme canonique. Le champ sémantique est par suite celui de l’arbitraire et de l’excès de pouvoir, comme en témoigne l’exemple précoce que constitue le Discours des raisons et moyens pour lesquels Messieurs du clergé, assemblés en la ville de Chartres, ont déclaré les bulles monitoriales décernées par Grégoire XIV (…) nulles et injustes, rédigé en 1591 et attribué à Charles Faye (1547-1617), conseiller clerc au parlement de Paris. Sa composition intervient lors de la guerre qui dresse contre les ligueurs, alliés aux Espagnols, les tenants d’Henri IV, huguenots et « politiques ». Ces derniers, essentiellement catholiques, ont à affronter l’ire romaine qui s’est déjà abattue sur le Navarrais, mais atteint aussi tous ceux qui l’ont reconnu. Dans le texte qu’il publie à Tours où se sont réfugiés les magistrats loyalistes, Faye choisit d’ôter toute légitimité aux condamnations papales en les imputant à une tendance néfaste. Sollicitant l’histoire, il veut démontrer que les pontifes romains ont entrepris peu à peu sur l’autorité royale dans un mouvement qui culmine avec les errements contemporains. À ce titre, il voit dans le concile de Clermont (1095) et l’appel d’Urbain II à la croisade une étape majeure dans l’établissement de la « monarchie absolue » des souverains pontifes20. Pourtant, la formule reste d’un usage anecdotique. Le canoniste Pierre Pithou (1538-1596)*21 n’a pas besoin de l’employer pour fixer en 1594, dans deux maximes principielles connexes, un cap dont les gallicans ne s’écarteront pas : en France, le pape ne peut rien en matière temporelle ; dans le domaine spirituel, il ne dispose pas d’une « puissance absolue et infinie », mais doit composer avec les règles des conciles reçues dans le royaume22.

7Une étape est manifestement franchie après le régicide de 1610 qui ravive les tensions entre « papaux » et « régalistes », après une accalmie précaire. Il s’en faut de beaucoup toutefois qu’on assiste à une pénétration massive du syntagme dans la littérature du temps qui se déchire sur la responsabilité des jésuites, prétexte à combattre un ordre dont le dévouement à Rome est notoire. Si, à la demande du président du Harlay, le syndic de la Sorbonne Edmond Richer (1560-1631)* prend la tête de l’offensive, il ne pousse pas très loin l’audace lexicale, bien qu’il associe « monarque » et « absolu ». Il est vrai qu’il procède de façon oblique. Pour lui, le vrai chef de l’Église, « une police monarchique », est Jésus-Christ, « roi, monarque, seigneur absolu, fondateur, pierre angulaire et chef essentiel ». Les ultramontains, Bellarmin en tête, soutiennent que saint Pierre et après lui les papes, en tant que vicaires du Christ, ont recueilli cette qualité de « roi et monarque absolu ». La chose est impossible car Pierre n’a jamais été qu’un « chef ministériel ». Ses compétences sont tout au plus à rapprocher de celles d’un « économe » qui ne saurait rivaliser avec le « Seigneur », à qui seul appartient la puissance23. Au demeurant, la timidité du langage vernaculaire de Richer contraste avec son œuvre latine où apparaît, fréquemment stigmatisée, l’« absoluta papae monar- chia », voire l’« absoluta infallibilis papae monarchia »24.

8C’est alors du côté des auteurs mineurs qu’il faut se tourner et d’abord sur la question jésuite. L’avocat Pierre de La Martelière (+1631) qui plaide la cause de l’université de Paris contre les disciples d’Ignace de Loyola, accuse ces derniers de vouloir instaurer « la monarchie absolue et infaillible du pape » dont l’une des traductions serait l’assujettissement de l’ensemble des princes chrétiens25. Son confrère Jacques de Montholon (+1622)* lui répond et le Mercure français se fait l’écho de leurs joutes oratoires, contri- buant par-là à répandre la terminologie nouvelle26. Au surplus, soit qu’on se situe dans le cadre des rapports délicats entre la puissance ecclésiastique et son homologue laïque, soit qu’on se place sur le plan de l’ecclésiologie qui se prête le mieux aux dissensions, la posture est identique. Le juriste bourguignon Bénigne Milletot (+1640) et le conseiller au Grand conseil et disciple de Richer Simon Vigor (1556-1624)* se rejoignent ainsi dans leurs aboutissants. Le premier qui s’intéresse à la procédure pénale dans un traité vite mis à l’Index, accorde à l’évêque de Rome une primauté institutionnelle, mais refuse le dévoiement de celle-ci qui aboutirait à l’érection d’« une monarchie absolue dans l’Église en la personne du pape »27. Le second est l’un des hérauts de l’autorité conciliaire contre la « monarchie absolue » pontificale. Il explique dans un livre consa- cré au gouvernement de l’Église que le pouvoir des clés a été attribué collectivement aux apôtres et ne peut servir d’argument pour « une monarchie souveraine absolue ». Les décrets conciliaires n’ont pas à être confirmés, comme le soutiennent les partisans de « la monarchie absolue et infaillible du pape ». Il importe par conséquent de saisir l’Église pour ce qu’elle est : une monarchie « limitée par certaines lois »28.

9Compte tenu du nombre d’ouvrages écrits dans une séquence polémique dense, marquée par les conséquences politico-théologiques de la mort d’Henri IV, la moisson est au total assez faible. Il faut en convenir. Le syntagme gagne pourtant du terrain, de manière plutôt erratique. Pierre Dupuy (1582-1651)* a peut-être tenu ici un rôle déterminant. En effet, en prolongeant le travail de Pithou, il livre durablement au public des textes anciens qui renferment l’expression, ceux de Faye et Milletot29. Il contribue de la sorte à sa diffusion dans les milieux gallicans où, sous l’effet d’autres facteurs, son influence s’étend. C’est en conséquence que, procureur déchu au parlement de Metz, Eustache Le Noble (1643-1711) y recourt pour signifier ce que n’est pas et ne saurait être la prépondérance de saint Pierre30. Partant, on ne s’étonnera pas davantage de la retrouver, incidemment dans des écrits qui ne font qu’effleurer la religion. Ainsi, pour l’auteur anonyme des Lettres curieuses (1670), une relation de voyages, le gouvernement des papes est « une absolue monarchie »31. À son tour, l’historiographe Antoine Varillas (1624-1696), lié à Dupuy, déclare dans l’Histoire de François Ier, que Rome tenait la Pragmatique sanction de Bourges pour un ouvrage empêchant « l’agrandissement de la monarchie absolue des papes dans la Chrétienté »32. Dans l’Histoire de Charles IX, il rapporte l’opinion de théologiens croyant, autour de 1560, que le meilleur moyen de combattre l’hérésie « était d’élever l’autorité du pape à une monarchie absolue »33. À l’avenant, le Journal des savants, rédigé pour lors par le magistrat Louis Cousin (1627- 1707), rend compte de l’ouvrage à vocation œcuménique du jésuite italien Laurent Lucchesinio (1638-1716) en l’assortissant de cette précaution : l’auteur a confondu la « vérité de l’Église catholique et la monarchie absolue du pape »34.

10Les jansénistes font à l’expression un accueil tout aussi inégal. Elle est apparem- ment inusitée chez les principales figures du courant (Saint-Cyran, le grand Arnauld, Pierre Nicole, Pascal, Pasquier Quesnel), à tout le moins en matière ecclésiologique. Elle se rencontre cependant sous la plume de certains minores, mais tardivement. Le bouillonnant chanoine Jean Le Noir (1622-1692) rapporte ainsi dans Les nouvelles lumières politiques (1676) que les 34 articles pour la réformation de l’Église, remis par les ambassadeurs français dépêchés au concile de Trente, étaient contraires à « la monarchie absolue du pape »35. Pour sa part, écrivant au début de la décennie 1690 une Vie d’Edmond Richer, Adrien Baillet (1649-1706) dépeint le clergé français contemporain du régicide de Ravaillac comme favorable, à l’instar des jésuites, à « la monarchie absolue du pape », laquelle préjudicie à l’indépendance et à la souveraineté du roi. Plus loin, dans un épisode situé cette fois en 1623, il relate les propos de Richer faisant des censures de la cour de Rome qu’il avait eues à subir, un moyen de défendre la même « monarchie absolue »36.

11En décrivant le pape comme aspirant à établir une telle domination, gallicans et jansénistes cherchent naturellement à jeter le discrédit sur un personnage qui ne doit pas s’ingérer dans les affaires religieuses et politiques du royaume. La chose n’échappe pas aux ultramontains, mais ne déclenche pas pour autant une contre-offensive d’ordre lexical. Calviniste converti devenu aumônier ordinaire du roi, Théophraste Bouju est l’un des rares, sinon le seul, à protester contre une telle imputation qu’il trouve dans les textes de Richer et de Vigor. Il n’ignore pas que la monarchie absolue est pour Aristote le régime des barbares et confine à la tyrannie incarnée alors par le Turc37. Le glissement s’accomplit donc sans réelle entrave. La puissance absolue, revendiquée par le pontife romain et ses adhérents d’une part, contestée de l’autre par ses détracteurs, finit par connoter le mode de gouvernement même que le pape prétend incarner ou qu’on l’accuse de vouloir incarner. Chez ceux qui sont hostiles, quelques-uns sautent le pas et unissent « monarchie », puisqu’aussi bien l’Église en est une, à « absolue » pour traduire une orientation défavorable à une collégialité épiscopale à même de préserver l’institution d’une dérive attentatoire aux droits du roi et à la leçon de l’Evangile.

12Des considérations voisines animent les réformés français qui rejettent farouchement le « papisme »38. Ils y sont naturellement portés par leurs convictions religieuses. Ils le sont aussi parce que persuadés que seule une royauté forte, c’est-à-dire indépen- dante de Rome, peut leur garantir une place juridiquement consacrée dans l’État. La soumission trop étroite du Très Chrétien au Siège apostolique signifierait l’éradication du protestantisme. Pour écarter ce risque, le ralliement à l’absolutisme et au droit divin s’impose comme une nécessité existentielle – encore ressentie par certains après la Révocation39. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de rencontrer l’expression chez Claude Saumaise (1588-1653) qui allait réagir au régicide anglais en publiant une Apologie royale pour Charles Ier. Pour lui, comme il l’écrit durant la décennie 1630, croire que le primat du pape implique la monarchie absolue « est une pure rêverie qui combat le sens commun »40. La locution est pourtant marginale chez les protestants, selon une conclusion transposable Outre-Manche où son équivalent tarde à apparaître. En attendant l’époque de la Restauration qui tient lieu ici de charnière, il faut se contenter de l’équivalent anglais de « monarque absolu », « absolute monarch », dont on trouve une occurrence chez Hobbes. Discutant les thèses exposées par Bellarmin dans le De summo pontifice, l’auteur du Léviathan avertit qu’ériger le pape en juge suprême de toutes les questions relatives à la foi et aux mœurs reviendrait à en faire « the absolute monarch of all Christians in the world »41.

13La lutte doctrinale de plus en plus vive dans laquelle s’épuisent les deux confessions durant le premier XVIIe siècle, les persécutions du règne de Louis XIV et la révocation de l’édit de Nantes qui vient les couronner, ne bouleversent pas de façon fondamentale les habitudes de langage. Les hommes du Refuge ne qualifient pas spontanément l’Église, subordonnée au souverain pontife, de « monarchie absolue ». L’ex-oratorien passé à la Réforme Michel Levassor (1648-1718) ne le fait que pour présenter les lettres de Francisco de Vargas Mejia qui avait l’oreille de l’archevêque de Tolède et dont l’action à Trente fut décisive42. Sans lui, la « monarchie absolue du pape et sa supériorité sur le concile » seraient devenues des articles de foi43. De la même manière, le théologien Jean Le Clerc (1657-1736), rédacteur successif des Bibliothèques universelle et historique, choisie et ancienne et moderne (1686-1726) n’exploite l’expression que pour analyser l’ouvrage d’Adrien Baillet sur Richer et les propres travaux de ce dernier44. Les circonstances d’emplois sont toutefois éclairantes. Elles permettent d’identifier un circuit probable de diffusion chez les opposants de tous bords à l’autorité romaine, depuis les gallicans au début du siècle jusqu’aux protestants en fin de période, avec les jansénistes comme intermédiaires. À l’aube du règne de Louis XV, le résultat est en tous cas peu contestable. L’usage s’est progressivement répandu de sorte que Pierre Gilbert des Voisins (1684-1769)*, alors avocat général au parlement de Paris, n’hésite pas à dénoncer dans un réquisitoire les idées du bénédictin Mathieu Petitdidier (1659-1728), en affirmant que, pour ce dernier, l’orthodoxie passe par l’adhésion « à l’infaillibilité et à la monarchie absolue du pape », formule qu’on chercherait d’ailleurs vainement dans l’ouvrage incriminé45.

La « monarchie absolue » des rois : un régime valorisé

14Même si elle en est manifestement issue, « monarchie absolue » n’est pas réservée au seul registre ecclésiologique. Elle est également utilisée pour désigner un régime politique qu’on peut retrouver à différentes époques et dans différents lieux. Ainsi, tra- duisant l’Historia sacra de Sulpice Sévère ou, plus vraisemblablement, révisant la version qu’en a donnée Jean Filleau, le dominicain rouennais Louis Bauldry place en tête de son ouvrage une « Exposition de la prophétie de l’Ange Gabriel » dans laquelle est évoquée à deux reprises la « monarchie absolue » d’Artaxerxès46. Loin d’être bornée à l’Antiquité orientale, l’expression qualifie aussi des régimes européens contemporains et spécialement l’empire germanique, affecté par des évolutions que l’on récuse. Elle permet alors de dénoncer une attitude hégémonique propre à certains personnages, peu soucieux de respecter les règles juridiques qui garantissent en son sein la collégialité de la décision. C’est transposer dans la sphère temporelle le grief adressé au pape. Charles Quint est le premier à en faire les frais, qui a oublié que « les empereurs ne sont pas maîtres, ni seigneurs, ni propriétaires des fiefs, dignités et régales de l’empire, mais administrateurs tant seulement et curateurs ou tuteurs », selon le mot du théologien calviniste Frédéric Spanheim (1600-1649)47. L’accusation vaut plus largement pour la politique allemande des Habsbourg48. Sur ce point, une brochure de propagande rédigée par l’abbé Joachim Legrand (1653-1733), à la demande du marquis de Torcy, dans les années qui précèdent la paix d’Utrecht, mérite une attention particulière. Son titre est en soi évocateur : L’Allemagne menacée d’être bientôt réduite en monarchie absolue. Cette pièce est généralement publiée avec le Discours sur ce qui s’est passé dans l’Empire au sujet de la succession d’Espagne (1711), du même auteur, dans lequel la maison d’Autriche est pareillement mise en cause. L’argument commun aux deux textes est que les empereurs ont violé toutes les règles qui font du corps germanique une monarchie limitée et restreinte par des lois fondamentales, au premier rang desquelles viennent la Bulle d’Or et le traité de Westphalie. En cela, ils ont soumis le pays au plus « despotique » des gouvernements49. L’intérêt principal réside ici dans l’assimilation de la monarchie absolue au despotisme sous la plume d’un secrétaire du département des affaires étrangères, écrivant sur ordre. S’agit-il cependant d’une identification à valeur universelle ? Le doute subsiste car n’est considérée ici que la situation de l’Alle- magne dont la conformation ne correspond à aucune autre. Aussi serait-il abusif de généraliser à la France où la couronne n’est pas élective et où l’État est unitaire. Telle assertion de Samuel de Sorbière (1615-1670), attribuant à Cromwell le dessein d’établir « une monarchie absolue sur l’Océan », confirme la difficulté à conclure de façon catégorique50.

15En dépit de ce que l’expression peut avoir de péjoratif, en relation avec les prétentions pontificales ou impériales, elle caractérise pour certains la royauté française, quand d’autres s’insurgent contre une telle identification. Si le théoricien parlementaire Bernard de La Roche-Flavin (1552-1627)* affirme que la France « n’est un royaume absolu où la volonté du roi est loi, sa parole arrêt et sa vie discipline exemplaire de bien ou mal faire »51, Vigor est d’une opinion antagonique. Porté par son zèle gallican à prendre position contre la suprématie romaine, il tient le régime des Bourbons pour une « monarchie absolue », qualité refusée au Siège apostolique. Il s’en explique dans la préface de son livre, De l’État et gouvernement de l’Église (1621), où il combat Bouju, auquel il attribue La monarchie de l’Église (1612), composée en réalité par un autre converti, en réponse au livre de Richer : Thomas Pelletier (1598-1628). Celui-ci s’efforçait de prouver que la direction de l’Église appartenait tout entière au pape et n’était nullement partagée avec le concile. Puisant à différentes sources, notamment les écrits des Pères et des Docteurs, il n’hésitait pas en outre à solliciter l’opinion commune. Il avançait ainsi que l’aristocratie et la démocratie étant généralement regardées comme inférieures à la monarchie, Dieu n’avait pu affliger l’institution ecclésiale de l’un ou l’autre de ces gouvernements. Soutenir le contraire revenait par suite à faire siennes les thèses des auteurs protestants52.

16Vigor réplique avec force en se référant à Aristote qui, dans La Politique (III.14), avait défini plusieurs espèces de monarchies, trois étant utiles en l’espèce à la démonstration. La première est tempérée par l’aristocratie et l’existence de lois arrêtées collégialement, à l’instar de Sparte ou de Mycènes. La seconde est la monarchie domestique du père de famille. La dernière, la monarchie absolue, dans « laquelle le pouvoir d’un prince n’est borné ni défini par aucune loi, étant lui-même la loi vivante », s’apparente aux régimes que le Stagyrite avait pu observer hors de Grèce, assimilés à des tyrannies. Vigor l’admet, mais atténue aussitôt en s’appuyant implicitement sur la constitution digna vox (C. 1, 14, 4), corollaire habituel du princeps legibus (D. 1, 3, 31) dans la tradition civiliste : « c’est le devoir d’un bon roi de régler son pouvoir et de le soumettre à la loi, de laquelle il est exempt par son pouvoir absolu ». À cette espèce appartient la monarchie française, mais non l’Église car le pape doit gouverner avec le concile, structure d’essence aristocratique, tandis que le Capétien « établit son conseil tel qu’il lui plaît et ne suit point son avis nécessairement, comme règle et loi de l’État, mais comme raison, lequel il laisse ou embrasse librement, en tant qu’il lui plaît. En cela consistent les marques d’un prince absolu »53.

17Malgré des précautions oratoires accrues, Cardin Le Bret (1558-1655)* se situe dans la même veine, en une occasion au moins. Abordant dans son célèbre traité De la souveraineté du roi (1632) le chapitre de la fiscalité, il se réclame lui aussi des travaux d’Aristote, ramenant en définitive les monarchies à deux espèces, « l’une absolue », celle des Hébreux notamment, « l’autre dont la puissance est limitée », celle des Gaulois et des Germains. La monarchie française paraît tenir le milieu entre ces deux modèles. Il ne fait pas de doute pour le juriste que le roi y a toujours eu pleinement le pouvoir souverain. Néanmoins, il en a fait pendant longtemps un usage modéré, imposant très peu ses peuples. Si la situation a changé, c’est que la guerre a rendu nécessaire l’accroissement des contributions. En augmentant les charges sans le consentement des sujets, les rois n’ont enfreint aucune règle. Ils n’ont fait par là qu’« user absolument de leur autorité », lever l’impôt étant l’un des droits les plus remarquables de la souveraineté54.

18Même en ajoutant aux exemples précédents les écrits historiques de Varillas sur le XVIe siècle55, l’usage de « monarchie absolue » dans une acception renvoyant à la royauté française est exceptionnel durant la majeure partie du siècle. Les disciples de Bodin qui attribuent volontiers au prince une puissance absolue, ne semblent pas l’employer, imitant en cela le maître angevin. Elle n’est ni chez Loyseau (1564-1627)* ni chez Savaron (1566-1622)*56, ni chez Baricave, ni chez de L’Hommeau*, ni, plus tard, chez Domat (1625-1696)*. Elle n’est pas davantage chez Jérôme Bignon (1589-1656)* qui, pourtant, n’hésite pas à écrire que le roi de France est « non seulement souverain, mais aussi absolu avec pleine puissance et autorité vraiment royale »57.

19Elle est tout aussi rare chez les protestants qui, en amont comme en aval de la Révocation, défendent le principe d’un régime affermi, seul capable de garantir la pluralité confessionnelle, avec une nuance supplémentaire toutefois : ils en usent moins pour rendre compte d’une réalité nationale que pour discourir sur les formes politiques en général. Elle figure ainsi une unique fois sous la plume du théologien Moïse Amyraut (1596-1664), dans un passage du Discours de la souveraineté des rois (1650) où transparaît une fidélité à Bodin exemplaire. Traitant de la mixité institutionnelle, le théolo- gien croit possible de partager l’exercice du pouvoir – le gouvernement stricto sensu –, mais se refuse à diviser la souveraineté. En cas de dissension entre les gouvernants, il faut en effet une autorité à même de trancher. Pour justifier cette conclusion, Amyraut mobilise deux arguments, l’un tiré de la nature qui repose sur une conception de la famille dominée par la personne du mari, l’autre fondée en raison : l’un des éléments l’emportera toujours sur l’autre/les autres. Le peuple peut s’imposer au sénat comme le sénat peut triompher du peuple : « démocratie toute pure » et « simple aristocratie » en seront les conséquences respectives. En revanche, « si le roi se rend maître du peuple et du sénat, il ne manquera pas d’ôter tous les contrepoids dont on a voulu contrebalancer sa puissance et de donner à l’État la forme d’une monarchie absolue »58. En cela, l’expression se trouve associée au régime dans lequel un seul homme est investi de la souveraineté. C’est du reste ce qu’avait signifié l’auteur trois ans plus tôt, lorsqu’il écrivait dans son Apologie pour ceux de la religion qu’un « bon Français (…) demeurera religieusement et inviolablement en cette pensée de respecter la monarchie telle qu’elle est en ce royaume, c’est-à-dire absolue et sans limitation »59.

20Si le syntagme est peu usité chez les réformés régnicoles partisans de l’absolutisme, il n’est guère plus fréquent sous la plume de leurs coreligionnaires étrangers qui promeuvent les mêmes thèses et dont les œuvres sont traduites en langue française. Le plus célèbre d’entre eux, Thomas Hobbes (1588-1679), ne fait pas grand usage de son équivalent anglais, « absolute monarchy ». Il n’y en a pas plus d’une huitaine d’occurrences dans toute son œuvre politique60. Néanmoins, les lecteurs du royaume peuvent grâce à lui se familiariser avec l’expression dans une mesure nécessairement relative, bien qu’éclairante, tant elle participe là aussi de la pure théorie politique.

21Dans le De Cive, imprimé en latin une première fois en 1642 et édité par la suite en 1647, Hobbes, amené à s’intéresser à la dévolution du pouvoir, distingue deux situations. Dans les États populaires et aristocratiques, où la souveraineté est collective, la question est sans objet car le corps politique est immortel. Il n’est jamais affecté par la disparition d’un de ses membres. Ce n’est pas le cas, en revanche, dans la « monarchia absoluta », caractérisée par le gouvernement d’un seul homme disposant d’une faculté de commandement illimitée. À ce titre, la désignation par testament de son successeur est un droit qui appartient à tout roi, précise expressément l’auteur. L’asser- tion est-elle compatible avec la culture juridico-politique française ? Assurément pas car sans correspondre peut-être tout à fait à la monarchie seigneuriale de Bodin, la monarchie absolue de Hobbes est héréditaire et patrimoniale et obéit en la matière aux règles du droit privé : la souveraineté peut y être aliénée à titre gratuit ou onéreux du vivant même du roi. Sans doute conscient de la rigueur de thèses qui, contre l’évidence, conduisent à dénier à la France la qualité de « vraie » monarchie, le philosophe anglais admet cependant l’existence de mécanismes successoraux coutumiers. En ne testant pas, le souverain les accepte tacitement. Pour autant, le dispositif est si fragile qu’il est impossible d’y voir la reconnaissance du principe d’indisponibilité de la couronne : il suffit d’une manifestation contraire de la volonté royale. Certes, concède encore Hobbes, certaines règles s’imposent, dictées par la nature : la famille est le cadre de la transmission et au sein de celle-ci, le fils est à préférer à la fille et l’aîné au cadet. Mais là encore, il n’y a rien d’intangible et la réserve – réminiscence élisabéthaine ? – qui accompagne la promotion de la masculinité est éloquente : les aptitudes à gouverner sont généralement plus grandes chez les hommes que chez les femmes, remarque-t-il, quoique pas toujours (« non semper »). Et puis, il ne s’agit que d’une préférence : à défaut de fils, les filles succéderont ; en l’absence de postérité, les sœurs viendront après les frères, dans le respect de l’ordre de primogéniture (Chap. IX, §§11 à 19)61.

22Au « monarque absolu », maître de sa couronne, Hobbes oppose le roi élu dont le statut reste somme toute ambigu. Il est difficile ici de démêler des explications souvent confuses et casuistiques. Il semblerait toutefois que ce soit moins l’étendue des compétences transférées qui importe que la possibilité que se réserve le peuple de continuer à exister politiquement après le transfert. Si, détenteur initial de la souveraineté, il s’est dissout en tant qu’être collectif en renonçant au droit de se réunir sans la permission de celui qu’il a investi, ce dernier se trouve dans la même position que le monarque absolu. Il recueille notamment la faculté capitale de choisir son héritier. À l’inverse, si le peuple conserve le droit de siéger en états alors que le prince exerce le pouvoir ou s’il a prévu de le faire à son décès pour lui désigner un successeur, il est réputé subsister en tant que personne (« persona »). Resté propriétaire de la souveraineté dont il a simple- ment commis l’exercice, il est apte par conséquent à révoquer à tout instant celui qui ne donnerait pas satisfaction, même en l’absence de disposition explicite. C’est que, justi- fie l’auteur, le peuple s’est comme endormi – non pas du sommeil éternel typique de la monarchie absolue, mais d’un sommeil passager – et peut se réveiller quand il le veut, sans attendre l’échéance fixée. Le contraste est tel d’ailleurs entre le prince héréditaire et le prince élu que la qualité de monarque est refusée à celui-ci : Hobbes le compare à un premier ministre (« primus populi minister ») ou à un usufruitier (« usufructarius ») (Chap. VII, §§15 à 17)62.

23La première traduction française du De Cive paraît en 1649 à Amsterdam sous le titre : Eléments philosophiques du citoyen. Elle est l’œuvre de Samuel de Sorbière, ami de Hobbes, qui en révise le texte. On y trouve bien « monarchie absolue » pour « monarchia absoluta » et « monarque absolu » pour « monarcha absolutus »63. Une nouvelle version en est donnée une décennie plus tard par le bordelais François de Bonneau du Verdus (1621-1675) qui entretient une correspondance soutenue à son sujet avec l’auteur. Le choix des équivalences vernaculaires fait entre eux l’objet de nombreux échanges64. Sur les points qui nous intéressent, la leçon n’en sort pas fondamentalement modifiée. Néanmoins, une différence doit être signalée : à l’expression « monarchia absoluta », présente une seule fois dans l’édition latine, du Verdus substitue la périphrase « la monarchie (…) où le monarque est souverain absolu »65. En tant que telle, « monarchie absolue » est donc absente. La chose n’est pas de grande conséquence en vérité car la traduction de Sorbière s’est imposée au détriment de celle de Verdus et est passée par exemple dans les Œuvres philosophiques et politiques de Hobbes, publiées en 2 tomes en 178766.

24Si les Elements of Law ont été composés antérieurement au De Cive, leur publication en deux parties doit attendre 1650. Sorbière se charge à nouveau, deux ans après, de les rendre partiellement accessibles au lectorat francophone – il laisse de côté les développements intitulés « Human Nature » pour ne s’intéresser qu’au De Corpore Politico.

25« Absolute monarchy » / « Monarchie absolue » (2e partie, chap. II, §9) y exprime une situation déjà décrite dans les Elementa (Chap. VII, §§15 à 17) : si le peuple transporte sans restriction la souveraineté à un homme, lui permettant ainsi de régner et de choisir son successeur, alors « the Estate or Common Wealth is an Absolute Monarchy »67, ce que Sorbière traduit de façon discutable par « ce n’est plus une république, c’est une monarchie absolue »68. À l’avenant, la question successorale est également présentée comme n’ayant de sens que dans le cadre d’un régime de cette nature, une « monarchy » sous la plume hobbesienne, une « monarchie absolue » pour son traducteur qui précise ici sans trahir la pensée de l’auteur (partie 2, Chap. V, §11)69.

26À ce stade, force est de constater que « monarchie absolue » est une expression qui n’appartient pas vraiment au lexique des auteurs français acquis à la royauté des Bourbons chez lesquels elle n’apparaît somme toute que très peu. L’explication réside sans doute dans ce que le consensus absolutiste dominant soustrait le pays aux débats théoriques que connaît l’Angleterre dès la guerre civile, où la nature du gouvernement royal est au cœur d’affrontements nourris qui commandent des éclaircissements, fussent-ils polémiques et gros d’arrière-pensées. À l’exception notable de Philip Hunton (1600-1682), les partisans de la monarchie limitée (« lawfull and limitted monarchy ») peignent volontiers sous un jour sombre la monarchie absolue (« absolute monarchy »), dans laquelle toutes choses sont réglées par la volonté et le plaisir, sans considération des lois. C’est, par exemple, l’opinion de Rutherford qui voit en elle « the baddest of governments »70. Par suite, ce régime est synonyme d’arbitraire pour les adhérents du Parlement avant 1650 comme, après la Restauration, pour les tenants de l’exclusion des catholiques des charges publiques71 : selon Nathaniel Johnston (1627-1705), les termes « absolute », « arbitrary » et « unbounded » appliqués à « monarchy » renvoient à une même réalité, celle de la « tyranny »72.

27La dualité monarchique mise en exergue Outre-Manche alimente de façon significative le discours français, même si elle n’en était pas totalement absente précédemment. On en décèle ainsi la trace chez Antoine Arnauld (1612-1694) quand il revient sur les accusations dont sont victimes les catholiques anglais, pris à partie par Jurieu. Discutant la doctrine de la résistance de David Paraeus, relayée par son fils et condam- née à l’instigation de Jacques Ier, le janséniste sépare en effet les princes souverains, c’est-à-dire « entièrement absolus » et les autres, non absolus ou « conventionnels »73.

28Néanmoins, on chercherait vainement dans ses écrits l’expression elle-même, peu fréquente dans le discours des absolutistes britanniques, qui parlent seulement d’« absolute monarches » et n’adoptent « absolute monarchy » que lorsqu’il s’agit de répliquer à leurs adversaires, à l’instar de l’évêque Henry Ferne (1602-1662)74 ou de Filmer (cf. infra). En réponse à l’assimilation de la monarchie absolue à la tyrannie, on trouve surtout dans la littérature politique française le démenti apporté par Bossuet, capable au demeurant d’impartialité vis-à-vis de la nation anglaise75. Le célèbre prédicateur s’y emploie dans sa Politique tirée de l’Ecriture sainte, commencée vers 1677, arrêtée en 1681 et reprise en 1700, mais qui ne sera publiée qu’après sa mort, en 1709. Il le fait d’ailleurs sans user du vocable « monarchie » auquel est préféré le mot « gouvernement ». Ce choix tient sans doute au tour général qu’il entend donner à son propos, en lien avec la matière même qui en fournit le fond : la Bible. Peut-être s’explique-t-il aussi par une conviction sous-jacente, analogue à celle qui anime à la même époque le juriste écossais George Mackenzie (1636/1638-1691) : toutes les monarchies sont absolues par nature76. Dans cette optique, parce que certains cultivent à dessein la confusion, il est capital de rappeler quels sont les éléments qui les séparent des gouvernements arbitraires – dont, précaution supplémentaire destinée à désamorcer le potentiel subversif des thèses protestantes, la légitimité est proclamée en vertu du relativisme et de la soumission aux régimes établis (livre II, art. 1er, prop. XII) : les unes admettent l’existence de lois et consacrent la liberté des personnes et la propriété privée qui échappent au caprice du prince, les autres pas77. Dans les Avertissements aux protestants, écrits pour réfuter Jurieu, le prélat aborde également la question en soutenant que, même dans « les monarchies les plus absolues », il existe des lois fondamentales qui servent de bornes inébranlables à l’autorité78. Son horizon monarchique paraît ainsi se déployer entre les royautés absolues et les plus absolues d’entre elles. Ses adversaires religieux sont loin de partager un tel point de vue.

La « monarchie absolue » au prisme du refuge et de la glorieuse révolution : un régime réprouvé

29Au regard de ce qui précède, deux facteurs convergents ont concouru à la géné- ralisation du syntagme : la Révocation et la Glorieuse révolution. L’édit de Fontainebleau (1685) a pour conséquence de faire basculer dans l’opposition à Louis XIV et à son régime toute une frange du protestantisme, l’autre ne renonçant pas totalement à l’idéal autoritaire mais étant mise dans la nécessité de le repenser79. L’avènement de Guillaume d’Orange et de Marie (1688) sonne quant à lui le désaveu de la dynastie des Stuart et solde avec elle une double hypothèque, celle de l’absolutisme, dépourvu de consistance réelle depuis la défaite de Charles Ier, malgré l’exhumation du Patriarcha en 1680, et celle, plus avérée, du catholicisme en la personne de Jacques II. Une telle combinaison avait d’ailleurs été expressément combattue en amont des événements par Andrew Marvell (1621-1678), un proche de Cromwell du temps du protectorat, dans An Account of the Growth of Popery and Arbitrary Government in England (1677), aussitôt traduit en français sous le titre éloquent de : Relation de l’accroissement de la papauté et du gouvernement absolu en Angleterre (1680). Une version plus conforme à la leçon originelle figure en tête de la page 3, où « gouvernement arbitraire » est rétabli, mais le traducteur anonyme ne peut être pris en défaut car, pour l’auteur lui-même, « tyranny », « arbitrary » et « absolute monarchy » étaient sémantiquement équivalents80.

30Parce qu’elle signifie l’échec de ce qui est abhorré, la seconde révolution anglaise suscite l’enthousiasme de la partie du Refuge qui identifie la cause réformée à la monarchie limitée81. Elle marque assurément un tournant. Celui-ci n’est pas tant observable dans la littérature francophone que dans la traduction d’ouvrages anglais. Les écrits des principaux penseurs protestants, tels Jurieu ou l’auteur des Soupirs de la France esclave, le démontrent, ne se démarquant pas sur ce point de la production aristocratique des Le Laboureur (1615-1679), Fénelon (1651-1715), Boulainvilliers (1658- 1722) et autres Saint-Simon (1675-1755)82. En effet, ce n’est qu’incidemment que Pierre Jurieu (1637-1713), dans la XVIe de ses Lettres pastorales, reconnaît l’existence d’une distinction. « Entre les monarchies, les unes sont absolues, les autres tempérées », écrit- il, sans entrer néanmoins dans les détails, du moins pas tout de suite83. Il faut en vérité attendre une dizaine de pages pour que soit évoquée la possibilité, inédite mais admissible, qu’un peuple livre à un souverain « la puissance absolue de le gouverner, sans se réserver aucune partie de la souveraineté »84. Pour Jurieu, la monarchie absolue est donc celle dans laquelle le prince est revêtu d’une « puissance absolue » ou d’un « pouvoir absolu », le rendant maître des lois qu’il peut casser, changer et annuler, étant au-dessus d’elles. Il ne faut pas confondre cette situation avec celle du « pouvoir sans bornes » dont l’empire ottoman offre déjà l’exemple. L’autorité n’est légitime que dans la mesure où elle veille à la conservation de la société et respecte la vie, la liberté et les biens des sujets, bref les lois de Dieu et de la nature. En outre, dans un système reposant sur le principe de la détention originelle de la souveraineté par le peuple et d’un transfert subséquent, il ne peut y avoir remise à quiconque d’un pouvoir illimité car nul ne donne ce qu’il ne possède pas. Les hommes en communauté n’ont jamais eu sur eux-mêmes une telle prérogative, synonyme d’oppression85. Le discours de Jurieu ne s’éloigne pas à certains égards de l’orthodoxie monarchique : selon lui, le prince qui agit dans l’intérêt général est délié des lois, par quoi il faut entendre seulement les lois positives, jamais les lois de Dieu et de nature ni le droit des gens. Reste toutefois que Louis XIV incarne aux yeux du pasteur, une autorité plus qu’absolue, « un pouvoir sans bornes », et qu’il est toujours permis de résister à celui qui renverse la religion et la société, comme cela s’est produit en Angleterre.

31Dans la XVIIIe lettre, dédiée à la justification de Guillaume d’Orange, Jurieu sépare également les régimes modérés – monarchies et républiques –, riches et peuplés, des « monarchies absolues » qui « sont presque des solitudes »86. Dans la suite, l’ambiguïté de certaines formules accrédite d’ailleurs la thèse d’une certaine proximité entre les régimes tyranniques et absolus. Il faut sans doute faire flèche de tout bois pour étayer l’acte d’accusation dressé contre Jacques II qui a violé toutes les règles, tant celles qui procédaient de Dieu et de la nature que du pacte conclu avec la nation anglaise et des stipulations qui l’accompagnaient.

32Si l’infatigable pamphlétaire fait un usage parcimonieux de l’expression « monarchie absolue », celle-ci n’appartient pas en revanche au vocabulaire des Soupirs de la France esclave, brûlot dirigé contre la politique louis-quatorzième et dont l’attribution à Michel Le Vassor (1646-1718) est désormais sérieusement contestée87. Le style, sur ce point, infirme l’imputation à Jurieu qui a longtemps été de mise. L’auteur assimile en effet les pouvoirs « absolu » et « sans bornes » alors que les Lettres pastorales cultivaient la nuance, même ténue88. Il stigmatise ainsi « la puissance despotique et le pouvoir arbitraire, absolu et sans limites que les rois de France s’attribuent »89. Au total, le résultat n’est pas fondamentalement différent car l’objectif reste toujours de nuire à l’oppresseur qu’est Louis XIV. L’incrimination ne le vise plus seulement en tant que monarque « sans bornes ». Elle englobe aussi le détenteur du pouvoir absolu.

33Si l’absolutisme comme chose est condamné avec vigueur, l’expression « monarchie absolue » est essentiellement colportée par ceux qui se sont attelés à la traduction des ouvrages britanniques renversant les thèses favorables à la royauté autoritaire de Robert Filmer (1588-1653) : Locke et Sidney. Préalablement, une constatation s’impose. Rédigé sans doute autour de 1630, mais publié près de trois décennies après la mort de son auteur, sous Charles II, le Patriarcha ne contient pas le syntagme90. On le trouve en revanche dans ses écrits de 1648, The Anarchy of a Limited or Mixed Monarchy et The Necessity of the Absolute Power of All Kings. Dans le premier de ces titres, Filmer discutait les thèses exprimées en 1643 par Philip Hunton (1604-1682), lequel distinguait deux sortes de royauté, l’une « absolute », l’autre « limited »91. C’est parce qu’il commentait les vues de cet auteur puritain qu’il avait été amené, dans quelques pages, à traiter de l’« absolute monarchy », adoptant d’ailleurs la définition donnée par son adversaire politique92. Dans le pamphlet The Necessity, très inspiré de Bodin, il en faisait tout de même une utilisation autonome, somme toute exceptionnelle : « A pure absolute monarchy is the surest commonweal, and without comparison the best of all »93.

34À l’inverse, « absolute monarchy » est présent de manière significative dans les Two Treatises of Government (1690), davantage dans le premier qui est la réfutation en règle des vues de Filmer que dans le second, même si celui-ci sera longtemps le seul disponible en français. Le choix de privilégier ce traité plutôt que l’autre tient peut-être à la volonté de toucher un lectorat continental totalement étranger aux idées du gentilhomme du Kent qu’il n’était pas nécessaire de ce fait de démonter en détail. Il s’explique sans doute aussi par l’intention de cibler plus directement le régime louis-quatorzien, persécuteur de la minorité huguenote. On est bien face à « un phénomène de décontextualisation et de recontextualisation »94.

35La traduction du second traité de Locke est l’œuvre du pasteur David Mazel, en- couragé par un autre ministre réformé, suisse celui-ci, Jean Le Clerc (1657-1736)95. Quelques mois plus tôt, ce dernier, dans sa Bibliothèque universelle, avait longuement rendu compte de la publication anglaise dirigée contre Filmer qui prétendait que « tout gouvernement [devait] être absolu et monarchique ». Pour le prouver, le royaliste avait eu l’audace de présenter Adam comme le père et « le monarque absolu de ses enfants ». Son système fondé sur le « pur bon plaisir » poursuivait en réalité le triomphe du pouvoir arbitraire96.

36De Mazel, on ne sait guère autre chose que ce qu’en dit la France protestante, complétée par quelques indications dues à l’historien finlandais S. Savonius97. Né à Saint- Hippolyte dans les Cévennes à une date inconnue, peut-être apparenté au chef camisard Abraham Mazel, il étudia à Genève avant de devenir pasteur en 1681 et officier à Gabriac. Il fut, semble-t-il, condamné par le présidial de Nîmes, en 1684, pour avoir pris part au projet de désobéissance civile de Claude Brousson. Il s’exila donc vraisemblablement avant la Révocation et séjourna en Suisse, aux Pays-Bas et en Angleterre où il se lia avec les deux autres traducteurs du philosophe anglais, Le Clerc et Pierre Coste, formés comme lui à l’académie genevoise. Il mourut en 1725.

37La traduction de Mazel paraît à Amsterdam chez Abraham Wolfgang en 1691 – l’édi- teur de la Bibliothèque universelle de Le Clerc. Une autre, confiée à Pierre Coste (1668- 1747)98, semble avoir été envisagée vers 1705, peut-être même à la demande de Locke, peu satisfait du travail accompli, mais le projet n’aboutit pas, de sorte que la version de Mazel est rééditée plusieurs fois au cours du XVIIIe siècle, en 1724 et 1744 à Genève (Du Villard et Jaquier), en 1749 et 1754 à Bruxelles (s. n.). La traduction prétendument corrigée de 1755 (Amsterdam, Schreuder et Mortier) n’innova en rien99, pas plus que les éditions de 1780 (Amsterdam, Vlam), 1783 (Londres et Paris, Servière), 1794, 1795 et 1802. Le témoignage le plus sûr en est fourni par l’omission constante dans les différentes publications en français du chapitre premier du second traité, « Of Political Power », qui renvoyait trop à Filmer et à la situation insulaire.

38Même s’il prend des libertés avec le texte lockéen, dictées par des intentions polémiques100, Mazel rend bien « absolute monarchy » par « monarchie absolue ». L’expression figurait à huit reprises dans le second traité. Son traducteur la répercute très exactement dans sept cas101. Dans le huitième, cependant, il préfère parler de « monarque absolu » ce qui n’entraîne aucune altération de sens102. Une pareille fidélité peut être observée pour « absolute monarch(s) »103.

39Grâce à Mazel qui le rendit accessible aux francophones, le livre de Locke devint, selon Bayle, « l’Evangile du jour » des protestants du Refuge104. Les éditions allemande, italienne, espagnole et suédoise s’inspirèrent étroitement de l’œuvre du Cévenol exilé105. On relèvera toutefois que s’il mentionne pour les réprouver les régimes dans lesquels le souverain se déclare maître absolu de la vie et des biens de ses sujets, l’Avertissement par lequel débute le livre de 1691 ne recourt pas à la locution. Il est vrai que cet avant-propos, substitué à la préface de l’auteur, n’est pas de la plume de Mazel, mais a été écrit par Le Clerc106 qui ne rompt pas en cela avec le style de la recension de Bibliothèque universelle. Mis à la portée d’un grand nombre de lecteurs en Europe, le livre du philosophe anglais conforte l’assimilation de la monarchie absolue à l’arbitraire, caractérisé par la négation de la liberté et de la propriété, l’absence « de lois établies et stables » (« settled standing laws », §137), dans une langue qui annonce celle de L’Esprit des lois – on pense aux « lois fixes et établies » (II.1). Et si, à l’occasion (§139), Locke semble réhabiliter le pouvoir absolu en lui ôtant toute dimension arbitraire, ce n’est que de façon purement conjoncturelle et sans vraiment remettre en cause la condamnation de principe qu’il a prononcée. Il oppose ainsi le pouvoir politique, légitime parce qu’il procède du consentement mutuel des hommes lequel donne naissance à la société, au pouvoir despotique, « un pouvoir absolu et arbitraire » (« absolute, arbitrary power », §172) qui est la négation même de toute espèce de société civile (§174). D’où la formule pléonastique, déjà chez Nedham, Harrington et Marvell, qui, en définitive, résume tout : « absolute tyranny »/« tyrannie absolue » (§239).

40« Absolute monarchy » est également fréquent chez un autre contradicteur de Fil- mer, le républicain Algernon Sidney (1623-1683) qui composa en réaction à la diffusion du Patriarcha des Discourses concerning government, publiés de manière posthume en 1698107. Dans cet ouvrage, l’expression revient plus d’une cinquantaine de fois, parfois même sous la forme « divine absolute monarchy »108. En plus d’« absolute power », « absolute authority », « absolute sovereignty of kings », « absolute dominion », « absolute government », « absolute tyranny »109, on rencontre souvent « absolute monarch(s) »110. Pour l’anecdote, Sidney reproduit même en français ce qu’il présente comme une citation expressive de convictions défendues à Paris : « il faut que le roi soit absolu, autrement il n’est point roi ». « This is the language of french lackeys », précise-t-il, méprisant, dans sa langue natale111 !

41La traduction française des Discours ne tarde pas. Elle intervient en 1702, réalisée par Peter August (ou Pierre Auguste) Samson, descendant de huguenots réfugiés aux Pays-Bas, qui sera en 1740 l’un des directeurs de l’hôpital français de Londres112. Comme cela a été le cas pour les traités de Locke, elle est précédée d’un compte rendu en trois parties rédigé par un autre réformé, Jacques Bernard (1658-1718) et paru dans les Nouvelles de la République des Lettres au printemps 1700113. « Monarque absolu » et « monarchie absolue » n’y apparaissent guère qu’une fois (p. 439), « pouvoir absolu » leur étant préféré. Voilà qui contraste avec l’écriture de Sidney. Samson en est naturellement plus proche, qui revendique en préface une forme de parenté idéologique cimentée par l’amour de la liberté et le refus de l’arbitraire monarchique. En conséquence, il transcrit le plus souvent « absolute monarchy/monarchies » par « monarchie(s) absolue(s) »114 et « absolute monarch(s) » par « monarque(s) absolu(s) »115 ou tout simplement par « monarque »116. Dans quelques cas, alors que Sidney procédait de manière indirecte ou allusive, les nécessités de la traduction et les tournures de style adoptées rendent indispensable le rappel de l’expression117. Samson est donc dans l’ensemble un traducteur honnête. De manière très rare, il lui arrive pourtant de forcer le trait, sans d’ailleurs vraiment dénaturer le propos initial qui était révolutionnaire et hostile à la monarchie : « absolute monarchy » devient ainsi « gouvernement despotique »118 tout en restant synonyme de « gouvernement monarchique »119, et « Glorious soveraign monarchy » « glorieuse monarchie absolue »120. Cette relative licence lexicale est révélatrice d’une confusion à visée dépréciative : il n’y a finalement pas d’autre royauté qu’arbitraire ! Bernard, annonçant la version française, emboîta le pas, dissuadant les partisans du « pouvoir despotique » d’acheter ce livre121. Sidney ne l’avait pas dit aussi directement. Tenant d’un régime mixte à dominante aristocratique, il s’était efforcé de restreindre les pouvoirs du prince, ne concevant pas qu’il pût être supérieur aux lois et seul habilité à les abroger et à les remplacer. Il n’en demeure pas moins que ses convictions étaient plus hardies que celles de Locke.

42Réédités à deux reprises durant le XVIIIe siècle (La Haye, 1755 en 4 volumes et Paris, an II-1794, n 3 tomes), les Discours traduits par Samson furent vite mis au service de la cause anti-absolutiste. Si l’historien protestant Henri Basnage de Beauval (1657- 1710) les commenta dès leur parution sans verser dans l’enthousiasme de Bernard122, le juriste calviniste Jean Barbeyrac (1674-1744) s’en servit pour atténuer les prises de position favorables à l’absolutisme de Pufendorf, dont il traduisit le De Jure naturae et gentium (1672) en l’assortissant de notes critiques (Amsterdam, 1706). Il contribua ainsi à mettre en vogue les thèses du républicain anglais qui connurent une singulière fortune durant le XVIIIe siècle123.

43Dans la mouvance libérale et républicaine à laquelle appartiennent Locke et Sidney, d’autres Britanniques se sont servis de la formule « absolute monarchy », à l’instar de James Harrington (1611-1677), auteur notamment de l’Oceana, ou de James Tyrrell (1642-1718), ami de Locke, qui en use pour décrire le système de Filmer à la critique duquel il participe également124. Néanmoins, ces auteurs ne furent pas traduits ou ne le furent que tardivement, de sorte qu’il est difficile de les créditer d’une influence décisive125. Il n’empêche, le vent contestataire qui souffle d’Outre-Manche contribue puissamment à la diffusion de l’expression et la consolide dans son acception négative : « absolu » ne signifie pas seulement indépendant et souverain. Il équivaut aussi à l’arbitraire, au despotisme et à la tyrannie qui trouvent à s’incarner en particulier dans la personne de Louis XIV.

Notes

1 Cf. par exemple J.-L. Thireau, « L’absolutisme monarchique a-t-il existé ? », RFHIP, 1997, n° 6, p. 292.

2 « Les concepts d’« ordres », d’« états », de « fidélité » et de « monarchie absolue » en France de la fin du XVe à la fin du XVIIIe », RH, 1972, pp. 304 et suiv., spéc. En conclusion, p. 311, il écrit d’ailleurs : « La vieille maxime « là où il n’y a pas le mot, il n’y a pas l’idée », montre une fois de plus ses insuffisances ».

3 Essai sur les révolutions in Œuvres complètes, Paris, Ladvocat, 1826-1831, t. 1, p. xxxix. Cette préface est reproduite, avec indication de date, dans l’éd. de La Pléiade, établie par M. Regard, Essai sur les révolutions – Génie du christianisme, Paris, Gallimard, 1978, p. 24.

4 Essai sur les révolutions, Londres, Deboffe, 1797, p. 501 (éd. Ladvocat, t. 2, p. 206 ; éd. Regard, p. 335).

5 Dictionnaire français, Genève, Widerhold, 1680, p. 6 et Amsterdam, Elzévir, 2e éd. 1706, p. 6, Amsterdam, 3e éd. 1732, t. 1, p. 12.

6 Dictionnaire universel, La Haye, Leers, 1690, t. 1, « absolue, absolue », p. 12. On trouve aussi, p. 916, « mo- narque absolu » appliqué à « empereur ».

7 Ibid., t. 2, « monarque », p. 655.

8 Ibid., t. 1, « despote », « despotique », p. 818.

9 Ibid., t. 3, « tyran », p. 762.

10 Dictionnaire universel français et latin, Trévoux, Ganeau, 1704, t. 1, « absolu », t. 2 « monarchie », « monarque », non paginé.

11 Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Coignard, 1694, t. 2, « absolu », p. 492, et t. 1, « despotique », p. 321.

12 Ibid., t. 2, « monarque », « monarchie », p. 81.

13 L. Moréri, Le grand dictionnaire historique, Lyon, Girin et Rivière, 1674, p. 279, présente ainsi Charlemagne comme « le monarque absolu des Français ». L’expression est aussi chez l’orientaliste B. d’Herbelot (1625-1695), Bibliothèque orientale, Paris, Cie des libraires, 1697, pp. 102 et 837 de même que « roi absolu », pp. 493 et 535. On ne trouve qu’incidemment « roi absolu » chez Bayle, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, Leers, 1697, t. 2, 1ère partie, p. 633, note F, qui cite Brantôme.

14 Moréri, op. cit., p. 1048.

15 Ibid., p. 1109.

16 Sur le débat lui-même, cf. M-Fr. Renoux-Zagamé, Du droit de Dieu au droit de l’homme, Paris, PUF, 2003, pp. 246 et suiv. Signalons l’emploi incident par Ch. Du Moulin de la formule « simple et absolue monarchie », Commentaire sur l’édit des petites dates (1551), in Opera quae extant omnia, Paris, M. Dupuis, 1658, t. 3, col. 602.

17 Cf. B. Bourdin, La genèse théologico-politique de l’État moderne, Paris, PUF, 2004.

18 Cf. S. Hermann de Franceschi, La crise théologico-politique du premier âge baroque, Rome, EFR, 2009.

19 Pour une approche synthétique, cf. R. Mousnier, L’assassinat d’Henri IV, Paris, Gallimard, 1964, nvelle éd. 2008.

20 Discours des raisons et moyens pour lesquels, Tours, J. Métayer, 1591, p. 103. Notice dans la Biographie universelle de Michaud, 2e éd. 1843, t. 13, p. 460.

21 Le symbole * signifie qu’on trouvera la notice des auteurs cités dans le Dictionnaire historique des juristes français.

22 Les libertés de l’Église gallicane, Paris, Patisson et Etienne, 1594, f°3r.-3v.

23 De la puissance ecclésiastique et politique, Paris, 1612, p. 13 et pp. 39-40.

24 Cf. par exemple, parmi de nombreuses illustrations, Apologia pro Joanne Gersonio, Leyde, Moriaen, 1676, pp. 161 et 184 ; Libellus de ecclesiastica et politica potestate, Cologne, Hetsingh, 1683, p. 84 ; Defensio libelli de ecclesiastica et politica potestate, Cologne, 1701, t. 1, pp. 1, 2, 17, 96, 146, 289, 293, 328, 332, 396, 419…, Paris, 1701, t. 2, pp. 19, 20, 174, 175, 176, 177.

25 Plaidoyer de M. Pierre de La Martelière, Paris, Petit-Pas, 1612, pp. 56-57. Notice biographique in F.-X. de Feller, Biographie universelle, Besançon-Paris, Outhenin-Chalandre, 1839, t. 4, p. 355.

26 Plaidoyer de Me Jacques de Montholon pour les pères jésuites, Lyon, Muguet, 1612, p. 389 et Mercure fran- çais, 1613, f°377v. et 1615, p. 592.

27 Traité du délit commun et cas privilégié (1611) in Traités des droits et libertés de l’Église gallicane, s.l., 1639, p. 549. Sur Milletot, cf. Ph. Papillon, Bibliothèque des auteurs de Bourgogne, Dijon, Desventes, 1745, t. 2, pp. 57-58.

28 De l’État et gouvernement de l’Église, Troyes, Sourdet, 1621, pp. 341, 29, 382, 12.

29 Traités des droits et libertés, op. cit., pp. 244 et 549.

30 Le bouclier de la France, Cologne, Sambix, 1690, pp. 29-32. Notice sur le site http://dictionnaire-journa-listes.gazettes18e.fr/journaliste/498-eustache-le-noble, consulté le 8 juillet 2016.

31 Lettres curieuses ou relations de voyages, Paris, Loyson, 1670, p. 70. Pierre Ambrun, pseudonyme derrière lequel se dissimule l’oratorien Richard Simon (1638-1712), est du même avis, Réponse de Pierre Ambrun, Rotterdam, Leers, 1685, p. 13.

32 Histoire de François Ier, Paris, Barbin, 1685, t. 1, p. 103. Notice dans la Biographie universelle de Michaud, 2e éd. 1843, t. 42, pp. 638-640.

33 Histoire de Charles IX, Paris, Barbin, 1686, t. 1, pp. 125-126.

34 Journal des savants, 1691, p. 263. Notice sur le président Cousin, académicien, dans la Biographie univer- selle de Michaud, 2e éd. 1843, t. 9, pp. 393-394.

35 Les nouvelles lumières politiques pour le gouvernement de l’Église, Paris, Martel, 1676, p. 251.

36 La vie d’Edmond Richer, Liège, 1714, pp. 75 et 315. Notice dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2015, pp. 190-193.

37 Deux avis, Paris, Orry, 1613, pp. 18-19 et Défense pour la hiérarchie de l’Église, Paris, Langlois, 1620, pp. 19-21. Dans la Défense, Bouju réplique à deux ouvrages de Vigor, Ex responsione synodali, Cologne, 1613, spéc. f°21r. et Apologia de suprema Ecclesiae, Troyes, Chevillot, 1615, passim. Notice dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 323-327. Cf. S. Hermann de Franceschi, « Simon Vigor face aux catholiques zélés : le gallicanisme radical du début du XVIIe siècle », Revue de l’histoire des religions, 2009, n° 3, pp. 467-483.

38 Communes à l’ensemble des réformés en Europe, elles expliquent pourquoi le presbytérien écossais Sa- muel Rutherford (1600-1661), commentant Bellarmin, désigne l’Église comme une monarchie dont le pape est « absolute monarch », Lex, Rex : The Law and the Prince, Londres, Field, 1644, p. 386.

39 Cf. L. Bouchard, La tolérance religieuse réinventée (1559-1715), Sarrebruck, éd. universitaires européennes, 2010 qui traite du rapport complexe des réformés à l’absolutisme.

40 Epistolarum liber primus, Leyde, Wyngaerden, 1656, lettre à Daillé du 19 décembre 1630, p. 56. Voir aussi la lettre au même du 12 février 1631, ibid., p. 60. Notice dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 1602-1605.

41 Leviathan, Londres, Crooke, 1651, partie 3, chapitre 42, p. 304.

42 Né en 1484 ou 1500, mort en 1560 ou 1566, Francisco Vargas était un canoniste et diplomate qui avait participé comme juriste de l’empereur au Concile. On trouvera sur lui quelques indications dans Juan de Verzosa, Epistolas, éd. E. del Pino Gonzalez, Alcaniz, Madrid, 2006, I, pp. 120-121.

43 Lettres et mémoires de François de Vargas, Amsterdam, Brunel, 1699, p. 435.

44 Bibliothèque ancienne et moderne, 1719, pp. 20, 101, 127 et 1720, pp. 351 et 400.

45 In P. J. Brillon, Dictionnaire des arrêts, Paris, Cavelier, 1727, tome 5, p. 18. L’ouvrage, finalement censuré, est le Traité théologique sur l’autorité et l’infaillibilité des papes, Luxembourg, Chevalier, sd. [1724]. Sur Petit- didier, cf. sa notice dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 1382-1384.

46 L’histoire sainte, Rouen, Couturier, 1626, pp. 34 et 44. L’édition de Filleau, devenue introuvable, est signalée par Labastide et d’Ussieux, Histoire de la littérature française, Paris, Edme, 1772, t. 2, p. 433.

47 Mémoires sur la vie et la mort de la sérénissime princesse Loyse Juliane, Leyde, 1645, pp. 193-194. Dans le même sens, cf. A. de Varillas, Histoire des révolutions arrivées dans l’Europe, Paris, Barbin, 1686-1687, t. 1, p. 457, t. 2, p. 167, et t. 4, pp. 9, 56, 155, 227-228. Le conseiller d’État Guillaume Ribier (1578-1663), Lettres et mémoires d’État, Paris, Clouzier, 1666, t. 2, p. 634, force le trait écrivant que Charles Quint pensait être « en pleine et absolue monarchie de toute l’Europe ».

48 Spanheim, Mémoires, op. cit., p. 281 ; Varillas, Histoire des révolutions, op. cit., t. 4, p. 283.

49 Discours sur ce qui s’est passé dans l’Empire au sujet de la succession d’Espagne et L’Allemagne menacée d’être bientôt réduite en monarchie absolue, s.l., 1711. L’expression est aux pp. 15 et 152. On trouvera des informations sur Legrand dans J. Lelong, Bibliothèque historique de la France, Paris, Hérissant, 1771, t. 3, pp. xii-xiv et dans G. Thuillier, Une première école d’administration : l’Académie politique de Louis XIV, Genève, Droz, 1996, pp. 37-39 spéc.

50 Lettre du 1er juillet 1652, Lettres et discours de M. de Sorbière, Paris, Clousier, 1660, p. 204.

51 Treize livres des parlements de France, Bordeaux, Millanges, 1617, p. 704.

52 La monarchie de l’Église, Paris, Huby, 1612.

53 De l’État et gouvernement, op. cit., préface non paginée, et pp. 12 et suiv. Jean Bédé de la Gormandière (1563-1648) écrit de son côté que le « roi de France est si absolu » qu’il ne relève que de Dieu, Le droit des rois contre le cardinal Bellarmin, Franckenthal, Pape, 1611, p. 37.

54 De la souveraineté du roi, livre III, chap. VII, in Œuvres de Messire C. Le Bret, Paris, Osmont, 1689, p. 109.

55 Histoire de Charles IX, op. cit., t. 1, p. 59 et t. 2, p. 147 : « une monarchie aussi absolue que la française » ; Histoire d’Henri III, La Haye, de Hondt, 1694, t. 2, p. 37.

56 Cet auteur, dans son Second traité de la souveraineté du roi, Paris, Chevalier, 1615, p. 4, parle néanmoins du « roi souverain et absolu ».

57 De l’excellence des rois et du royaume de France, Paris, Drouart, 1610, p. 309. On trouve aussi, p. 312, l’expression « roi absolu ».

58 Discours de la souveraineté des rois, Paris, Vendosme, 1650, pp. 97-100. Notice dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 128-132.

59 Apologie pour ceux de la religion, Saumur, Lesnier, 1647, p. 90. Absolutiste huguenot, Elie Merlat (1634- 1705) n’emploie qu’une fois « monarque ou prince absolu » dans son Traité du pouvoir absolu des souverains, Cologne, Cassander, 1685, p. 183. Sur cet auteur, voir l’article récent de M. Yardeni, « Fissures et paradoxes dans la théologie politique d’Elie Merlat (1634-1705) », Revue de l’histoire des religions, 2013/1, pp. 67-84.

60 En y incluant le Béhémoth, Londres, 1679 (édition non autorisée), pp. 116 et 119 et in Tracts of Mr Thomas Hobbes, Londres, Crooke, 1682, pp. 184, 188, 191.

61 Elementorum philosophiae sectio tertia de cive, Paris, 1642, pp. 101-104 et Elementa philosophica de cive, Amsterdam, Elzevier, 1647, pp. 155-159.

62 Elementorum, 1642, p. 83-87 et Elementa, 1647, pp. 131-136.

63 Eléments philosophiques du citoyen, Amsterdam, Blaeu, 1649, IX.11, p. 148 et VII.16, p. 126. Notice dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 1650-1654.

64 L. Borot, « La posture philosophique de Hobbes », in A. Tadié (dir.), La Figure du philosophe dans les lettres anglaises et françaises, Nanterre, P.U. de Paris Ouest, 2010, pp. 39-58. Notice sur du Verdus dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 653-656.

65 Les éléments de la politique de Monsieur Hobbes, Paris, Le Gras, 1660, IX.11, pp. 288-289. Pour être complet, il faut signaler dans le texte originel la présence de « monarchia absolutissima » (X.17, p. 134 de l’éd. de 1647), que Sorbière et du Verdus traduisent respectivement par « la plus absolue monarchie » ou « la monarchie la plus absolue » (1649, p. 171 ; 1660, p. 334).

66 Neuchâtel, impr. de la société typographique, dans le premier volume.

67 De Corpore Politico or the Elements of Law, Londres, Martin et Ridley, 1650, pp. 82 et suiv.

68 Le corps politique ou les éléments de la loi morale et civile, s.l. 1652, p. 78.

69 De Corpore, op. cit., p. 105 et Le corps, op. cit., p. 98. Hobbes utilise aussi la formule « absolute monarch » (2e partie, Chap. V, §8), éd. anglaise de 1650, p. 118, éd. française de 1652, p. 109. Enfin, on rappellera que le Léviathan, paru en anglais en 1651, ne fut pas traduit en français avant le XXe siècle. Au demeurant, l’expression ne s’y trouve qu’une fois, Leviathan, op. cit., p. 304, cf. supra.

70 Lex, Rex, op. cit., pp. 384 et suiv.

71 G. Burgess, Absolute Monarchy and The Stuart Constitution, New Haven et Londres, Yale U.P., 1996, p. 30, J. Daly, « The Idea of Absolute Monarchy in Seventeenth-Century England », The Historical Journal, 1978, n° 21, p. 235, pp. 240 et suiv.

72 Cf. par ex. The Excellency of Monarchical Government, Londres, Clavel, 1686, p. 71.

73 Apologie pour les catholiques, Liège, Bronkart, 1681, 1ère partie, pp. 55 et suiv.

74 Cf. The Resolving of Conscience, York, Bulkley, 1642, pp. 12 et 20 où n’apparaissent que « absolute monarches » et A Reply unto severall Treatises, Oxford, Lichfield, 1643, pp. 40-41 où il est question d’« absolute monarchy / monarchies ».

75 Cf. E. Tillet, La constitution anglaise, un modèle politique et institutionnel dans la France des Lumières, Aix-en-Provence, PUAM, 2001, pp. 38 et suiv.

76 G. Mackenzie, Jus regium, Londres, Chiswel, 1684, p. 39: « monarchy by its nature is absolute (…) and consequently these pretended limitations [celles qui résulteraient d’un contrat] are against the nature of monarchy ». Bossuet soutient dans le même sens que l’autorité royale est nécessairement absolue (livre IV, Art. 1er). S’il admet l’existence de plusieurs monarchies (livre II, art. 2, prop. IX), le critère de différenciation semble être uniquement le mode d’accès au pouvoir, hérédité ou élection, le rang de naissance et le sexe du successeur, pas l’étendue ni la nature du pouvoir.

77 Politique tirée de l’Ecriture sainte, Paris, Cot, 1709, Livre VIII, art. 2, prop. I, pp. 395-397.

78 Cinquième avertissement aux protestants, Paris, Mabre-Cramoisy, 1690, p. 435.

79 Cf. L. Bouchard, op. cit., pp. 309 et suiv.

80 Marvell emploie une fois l’expression « monarchy absolute », An Account of the Growth of Popery and Arbitrary Government in England, Amsterdam, 1677, p. 14, son traducteur deux fois : une fois pour traduire la formule précédente, Relation de l’accroissement de la papauté et du gouvernement absolu en Angleterre, Hambourg, Pladt, 1680, p. 21, une autre fois, ibid., p. 227, comme substitut d’« arbitrary principles » (p. 154 de An account).

81 Cf. E. Tillet, op. cit., pp. 46 et suiv.

82 De l’examen des ouvrages majeurs de ces auteurs, il ressort que seul Saint-Simon applique l’expression « monarchie absolue » à la France, Mémoires, éd. Chéruel, Paris, Hachette, 1873-1886, t. 13, p. 51 (année 1716).

83 Lettres pastorales adressées aux fidèles de France, Rotterdam, Acher, sd. [1688-1689], lettre XVI, 15 avril 1689, p. 365. Notice sur Jurieu dans Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 905-914.

84 Ibid., p. 374.

85 Ibid., lettre XVII, 1er mai 1689, p. 390.

86 Ibid., lettre XVIII, 15 mai 1689, p. 411. Dans les Moyens sûrs et honnêtes pour la conversion de tous les hérétiques, Cologne, Marteau, 1681, t. 2, pp. 58-59, Jurieu s’en prenait aux jésuites. Il leur reprochait d’aduler la monarchie absolue qui se prêtait le mieux à leur domination et de haïr les autres régimes. Partant, les protestants avaient à redouter « les monarchies absolues à cause des moines » qui y ont l’oreille des gouvernants et peuvent mieux les manipuler.

87 Cf. O. Tholozan, Henri de Boulainvilliers, Aix-en-Provence, PUAM, 1999, p. 147, note 583 et A. McKenna, « Les soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté : la question de l’attribution » in P. Bonnet (dir.), Littérature de contestation, Paris, Le manuscrit, 2011, pp. 229-268.

88 Les soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté, s.l., 1689, p. 40.

89 Ibid., p. 29.

90 Patriarcha or The Natural Power of Kings, Londres, R. Chiswell, 1680, repris in Patriarcha and Other Writings, J. Sommerville éd., Cambridge, Cambridge U. P., 1991, pp. 1-68.

91 A Treatise of Monarchy, Londres, E. Smith, 1689, pp. 5 et suiv. Sur Hunton, cf. J. H. Burns (dir.), Histoire de la pensée politique moderne, Paris, PUF, 1997, p. 619.

92 In Filmer, Patriarcha and Other Writings, op. cit., pp. 146-148.

93 The Necessity of the Absolute Power of All Kings, ibid., p. 182.

94 D. Soulard, « L’œuvre des premiers traducteurs français de John Locke : Jean Le Clerc, Pierre Coste et David Mazel », Dix-septième siècle, 2011, n° 4, p. 754.

95 Notice sur le site http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/481-jean-le-clerc, (consulté le 1er juin 2016) et dans le Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, op. cit., pp. 1023-1029.

96 Bibliothèque universelle, 1691, t. 19, pp. 559-591, expressions tirées des pp. 560-562.

97 E. et E. Haag, La France protestante, Paris, Cherbuliez, 1857, t. VII, p. 354. S.-J. Savonius, « Locke in french : The Du gouvernement civil of 1691 and its readers », The Historical Journal, 2004, 47/1, pp. 58-59.

98 Coste devait traduire en français d’autres écrits de Locke, notamment L’Essai sur l’entendement humain en 1700.

99 S.-J. Savonius, art. cité, p. 69.

100 Cf. S. Mastellone, « Sur l’origine du langage constitutionnel : une traduction anonyme de l’anglais (J. Locke et D. Mazel) », BSHPF, 1979, pp. 357-378.

101 Du gouvernement civil, Amsterdam, Wolfgang, 1691, p. 106, 111, 116, 180, 216, 232, 314 (§86, 90, 93, 138, 166, 177).

102 Ibid., p. 115 (§92).

103 Ibid., p. 14, 102, 106, 117 (§13, 82, 86, 93). On trouve aussi « prince absolu » pour « absolute prince », ibid., p. 112 (§91).

104 Lettre à Vincent Minutoli du 24 septembre 1693, in Lettres de Mr Bayle, éd. Des Maizeaux, Amsterdam, 1729, t. 2, pp. 535-536.

105 S. Mastellone, art. cité, p. 360 ; S.-J. Savonius, art. cité, pp. 71-72

106 D. Soulard, art. cité, p. 748.

107 Sur Sidney, notice dans B. Méniel (dir.), Ecrivains juristes, Paris, Classiques Garnier, 2015, pp. 1181-1192.

108 Discourses concerning government, Londres, 1698, p. 19, 95, 104, 105, 106, 109 deux fois, 110, 111, 116, 123, 127, 130, 138, 139 deux fois, 142, 146, 149, 150, 151 deux fois, 153, 154 quatre fois, 155 deux fois, 156 deux fois, 166, 167, 173, 181, 182, 184 deux fois, 190, 194, 195, 200, 201, 206, 209, 210, 215, 216, 229, 273, 365, 367.

109 Ibid., p. 432.

110 Ibid., p. 26, 104, 124, 146, 150, 157, 182, 199, 201…

111 Ibid., p. 229.

112 E. et E. Haag, La France protestante, op. cit., 1859, t. IX, p. 134-135.

113 Nouvelles de la République des Lettres, mars 1700, pp. 243-269 ; avril 1700, pp. 426-456 ; mai 1700, pp. 553-579.

114 Discours sur le gouvernement, La Haye, Van Dole, 1702, t. 1, p. 51, 304, 307, 317, 318, 323, 337, 358, 359, 371, 381, 405 deux fois, 408, 436 ; t. 2, p. 1, 2, 4 deux fois, 8, 9, 40, 56, 57-58, 83, 84, 90, 91-92, 107, 120, 123, 137, 155, 162, 166, 182, 184, 221 ; t. 3, p. 164, 169. On trouve aussi parfois « gouvernement absolument monarchique » (t. 1, p. 415), « gouvernements absolus » (t. 2, p. 38), « gouvernement monarchique » (t. 2, p. 140), « gouvernement d’un monarque absolu » (t. 2, p. 349).

115 Ibid., t. 1, p. 304, 323, 363, 428, 440, 441, 442, 444, 448, 451 ; t. 2, p. 10, 85, 136.

116 Ibid., t. 2, p. 140.

117 Ibid., t. 1, p. 305, 311, 353, 418, t. 2, p. 45.

118 Ibid., t. 1, p. 276.

119 Ibid., t. 2, p. 140.

120 Ibid., t. 2, p. 247.

121 Nouvelles de la République des Lettres, mars 1702, pp. 347-348.

122 Histoire des ouvrages des savants, février 1702, pp. 63-75, sans recourir à « monarchie absolue ».

123 Cf. Fr. Quastana, « La réception des Discours sur le gouvernement d’Algernon Sidney au XVIIIe siècle français », La Révolution française [en ligne], n° 5, 2013 consulté le 6 juin 2016.

124 The Oceana of James Harrigton and his other works, J. Toland éd., Londres, 1700, pp. 39, 43, 71 (Oceana), pp. 241, 244, 250, 260, 275, 290 (The Prerogative of Popular Government), p. 387 (The Art of Lawgiving), pp. 498, 502-511, 513 (A System of Politics). J. Tyrrell, Patriarcha non Monarcha, Londres, Janeway, 1681, préface non paginée et pp. 44, 94, 95, 99, 133, 130 (après interruption de la pagination continue), 220, 259. Grande figure de la première révolution, John Milton (1608-1674) qui confond « absolute power », « tyranny » et « despotique power » n’emploie pas « absolute monarchy » (The Prose Works, R. Fletcher éd., Londres, Westley et Davis, 1835), pas plus que Marchamont Nedham (1620-1678), sauf accident (The Excellencie of a Free State, Londres, réed. de 1767, p. 102.)

125 Tyrrell ne le fut pas. Harrington dut attendre 1795 pour l’être (Œuvres politiques, Paris, Leclère et Quatre-mère, an III, 3 tomes).

Pour citer ce document

Par Éric GOJOSSO, «Sur l’usage de l’expression « monarchie absolue » en France au XVIIe siècle», Les cahiers poitevins d'histoire du droit [En ligne], Huitième et neuvième cahiers, mis à jour le : 25/07/2019, URL : https://cahiers-poitevins.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiers-poitevins/index.php?id=177.

Quelques mots à propos de :  Éric GOJOSSO

Professeur à l’Université de Poitiers, Doyen honoraire de la Faculté de droit et des sciences sociales