Un impensé constitutionnel révolutionnaire l’exemple de la liste civile

Par Damien SALLES
Publication en ligne le 25 juillet 2019

Texte intégral

1La Révolution – en tant que processus mais aussi événement – n’est pas un tout homogène et cohérent. Elle souffre de ruptures :

2Tout d’abord, ruptures au sein de la prérévolution lato sensu : si le processus révo- lutionnaire trouve sa source dans la longue durée, connaît des origines intellectuelles et procède d’un enchaînement ininterrompu de faits et de circonstances susceptibles d’expliquer son déclenchement, ces derniers ne sont pas linéaires et paraissent disparates et dispersés1. Ensuite, ruptures entre prérévolution et Révolution proprement dite : la Révolution est un évènement en soi et son histoire propre (à compter du coup de force parlementaire de juin 1789) ne se réduit pas aux conditions qui l’ont rendue possible2. Ses acteurs ne sont pas toujours ceux de la prérévolution – celle du parle- ment et des notables –, lesquels, par définition, ne savent pas qu’elle va advenir. De même qu’il paraîtrait hasardeux de rattacher certains de ses bouleversements à des origines proprement prérévolutionnaires, à tout le moins à des revendications anciennes ou parfaitement structurées. À l’été 1789, face au vide du pouvoir et à l’effondrement de l’administration, bon nombre de députés prennent des mesures qu’ils n’auraient guère imaginées quelques semaines auparavant3. C’est là le propre de la Révolution : être contingente et en partie imprévisible. Parmi ses acteurs, certains agissent de façon consciente et éclairée, d’autres semblent roulés par les flots des événements, sans volonté ou gouvernés par les circonstances4. En tout état de cause, bon nombre d’entre eux n’ont pas de programme politique précisément formulé, ni de revendications très nettes. Sans doute s’accordent-ils seulement sur un système de valeurs nouvelles5 dont la liberté et l’égalité sont le leitmotiv et la pierre angulaire.

3La matière juridique, si souvent dominée par le politique, en offre une pertinente illustration. Notamment lorsqu’on se penche sur les conditions d’apparition et les modalités d’organisation d’une institution-clé, mais méconnue, du constitutionnalisme moderne : la Liste civile6. Cette dernière surgit dans l’espace politique et constitution- nel à l’initiative de la Constituante au lendemain des journées d’octobre, tournant de la Révolution. Plus précisément, le 7 octobre est son jour de naissance : au moment où la famille royale quitte Versailles et s’installe à Paris au plus près du peuple parisien, à l’heure du compromis encore possible, son chef, en même temps qu’il se mue en « roi des Français », devient premier fonctionnaire public. Les dirigeants de la Révolution, après s’être proclamé représentants de la nation souveraine, après avoir promis de rédiger une constitution écrite, abattu les institutions publiques, aboli le régime social et les privilèges, déclaré les droits de l’homme et condamné le projet monarchien faisant la part belle à la prérogative royale, semblent faire table rase d’un pilier du droit public de l’Ancien Régime : l’identification du roi à la chose publique procédant de la confusion théorique de leurs trésors respectifs.

4Car la liste civile est un salaire. En France, à compter de 1789, elle se définit comme la somme que la Nation décide d’allouer annuellement – ou parfois pour la durée de son règne – au chef de l’État pour subvenir à ses besoins et aux charges de sa fonction. Généralement, cet octroi pécuniaire se double de la jouissance de palais, mai- sons, terres, mobiliers et objets précieux. Aussi consiste-t-elle, lato sensu, en la somme votée par le pouvoir législatif pour la dépense annuelle du souverain et de sa Maison, à laquelle s’ajoutent les biens formant le domaine de la Couronne dont l’État lui aban- donne la jouissance7. Consubstantielle à l’instauration de la monarchie constitution- nelle, sa naissance sonne le glas du système juridique fondé sur l’union intime entre le roi et l’État. En outre, elle transforme le Capétien en autorité constituée rémunérée contre l’exercice d’une fonction assignée par la constitution. Votée dans son principe le 7 octobre par une assemblée qui s’est déjà arrogé la souveraineté fiscale et financière, elle sépare les finances royale et nationale en même temps qu’elle participe du consti- tutionnalisme.

5À cet égard, il n’est pas de doute qu’elle tienne une place éminente dans la refon- dation des institutions et l’avènement de la séparation des pouvoirs. Pourtant, on ne laisse pas d’être surpris par les circonstances de sa naissance. Cette dernière n’est pas l’aboutissement d’un processus intellectuel ou théorique, mais semble procéder d’une improvisation de l’Assemblée. Instaurée de façon incidente, pour ne pas dire par sur- prise, la Liste civile relève de l’impromptu.

6Il faut dire que dans la survenance des événements, le poids de la question financière prime les autres facteurs. À la veille de la Révolution, on pense essentiellement aux économies à faire. La remise à plat des impôts et des privilèges fiscaux se trouve directement à l’origine de la convocation des États généraux. Le déficit occupe tous les esprits. Sa diminution mobilise toutes les intelligences. Le consentement à l’impôt et aux emprunts est l’un des thèmes phares du bouillonnement de 17888 et une revendication récurrente des acteurs de l’année « sans pareille ». Mais sa mise en œuvre est conditionnée à l’établissement d’une constitution limitative de l’absolutisme royal ainsi que d’une assemblée capable d’exercer la souveraineté de la Nation9. Là est le préalable indispensable, l’étape fondatrice sans laquelle les réformes à venir seront impossibles. Avant de penser la question financière, il convient de penser la constitution : deux thèmes indéfectiblement liés et si essentiels à propos desquels les futurs révolutionnaires ne semblent toutefois pas entretenir de doctrine précise.

7Car bien que tous les sujets constitutionnels fondamentaux (condamnation de la constitution monarchique, bicamérisme, veto, équilibre des pouvoirs) soient débattus avant même le déclanchement de la Révolution au moins au sein de l’élite du tiers- état10, le flou demeure. Si la constitution est réclamée de façon univoque, sa définition ou son contenu ne font l’objet d’aucun unanimisme11. Surtout, la prérévolution constitutionnelle ne s’intéresse que peu aux détails. Elle réclame un texte écrit, le partage de la souveraineté avec le peuple ou une déclaration des droits12, mais reste muette sur les modalités matérielles et techniques du maintien de Louis XVI sur le trône constitutionnel une fois l’absolutisme royal détruit. Jamais elle n’aborde ni même évoque l’éventuelle transposition en France de l’institution anglaise de la civil list – en tant que mécanisme constitutionnel d’encadrement des finances royales. Ce silence se constate dans les cahiers de doléances bien sûr – lesquels parlent toujours la langue de l’Ancien Régime et se focalisent sur la question fiscale13 et le gouffre présumé des dépenses de la Cour14 –, mais également chez les penseurs et acteurs majeurs de la Révolution.

8À quelques exceptions notables néanmoins. L’abbé Coyer par exemple : alors qu’il relate son séjour à Londres, le disciple de Montesquieu admire dès 1779 les vertus du mécanisme de la liste civile obligeant le monarque anglais à se montrer peu prodigue des deniers de l’État15. Rousseau quant à lui affirme que la réponse à l’absolutisme royal, notamment en matière de finances, et l’obtention d’un régime idéal, passent par le cloisonnement des revenus du roi et de l’État16. Mirabeau, dont le modèle se situe outre-Manche, imagine à son tour une royauté qui ne serait que la salariée de la Nation17. La Coste puise à la même source et vante le parlement anglais, lequel, « à chaque mutation de roi, (…) ne remet les rênes du gouvernement aux mains qui doivent les tenir qu’après avoir (…) assigné au monarque un revenu personnel »18. De Lolme enfin, voit dans l’exclusivité parlementaire pour attribuer les subsides au trône la marque d’une judicieuse répartition des pouvoirs19.

9Pour autant, ces propositions éparses sont loin de constituer une doctrine et nourrir les raisonnements des députés aux États généraux, puis à l’assemblée nationale. Rares parmi eux sont ceux qui entretiennent une vision uniforme de la société et du nouvel ordre juridique auxquels ils aspirent. Avant le 17 juin, les questions de procé- dure ou de vote monopolisent bien souvent leur attention. Leurs textes contiennent de nombreux manques ambiguïtés ou contradictions20. Et s’ils ont conscience de l’événe- ment qui advient, ses détails leur demeurent celés, de même que les buts et objectifs de l’Assemblée qui va se réunir21 ; au début de juillet, les constituants contemplent leur himalaya constitutionnel. Leur programme de travail est dense, le temps compté, les enjeux majeurs et les positions retranchées. Il s’agit ni plus ni moins d’établir les droits respectifs du roi et de la Nation, fixer l’étendue de la prérogative monarchique, trancher la question du bicamérisme ou celle de l’adoption éventuelle d’une déclaration des droits. Vaste dessein s’il en est qui ne laisse aucune place, pour l’heure, à un quelconque débat au sujet des étrennes que l’on accordera – et selon quelles modalités – à la royauté refondée.

10Finalement, la question de la liste civile, pourtant consubstantielle à celle de la séparation des pouvoirs, n’est jamais abordée au cours de l’été 1789. L’heure n’est pas encore aux contingences, mais toujours aux idées générales. À l’automne, l’apparition de l’institution ne procède d’aucun catéchisme philosophique. Seul le problème financier, autre pierre angulaire de la régénération nationale, guide les constituants. La Liste civile, alors même qu’elle est étroitement chevillée au constitutionnalisme moderne – elle ne disparaîtra qu’avec la IIIe République, première République, Consulat et deuxième République exceptés –, apparaît bel et bien comme un impensé constitutionnel de la Révolution. La nature de celui-ci est double : politique tout d’abord (I), juridique ensuite (II).

L’impensé politique

11On sait les mots célèbres de Mirabeau tenus le 18 septembre 1789 :

« Nous ne sommes point des sauvages arrivant sur les bords de l’Orénoque (…) Nous sommes une nation (…) Sans doute trop vieille pour notre époque. Nous avons un gouvernement préexistant, un roi préexistant, des principes préexistants. Il faut autant qu’il est possible, assortir toutes ces choses à la Révolution »22.

12À l’automne 1789, la monarchie jouit encore d’une immense popularité. La mystique royale fonctionne toujours. Les marques d’affection à son égard sont sincères et nombreuses23. Finalement, il n’est, selon le vœu de Mirabeau, que de conserver la monarchie pour mieux l’adapter aux mœurs politiques nouvelles. Comment ? En la nationalisant24.

13Or, la liste civile participe de cette ambition et contribue, à maints égards, à l’accommodement de la prérogative monarchique et des droits de la Nation. L’institution permet d’« assortir » la royauté millénaire au constitutionnalisme et à la séparation des pouvoirs. Au début du mois d’octobre, quand les constituants l’instaurent, leurs motivations sont avant tout économiques. Le trône d’un roi constitutionnel doit afficher la simplicité de ses mœurs. Il convient avant tout de limiter les dépenses de la monarchie, à tout le moins d’établir un strict cloisonnement entre celles-ci et le Trésor public. Les constituants, contraints d’appliquer depuis le mois d’août une philosophie juridique qu’ils n’ont pas eu le temps d’étudier25, ne pensent pas constitutionnellement le déclassement du monarque. Ils cherchent d’abord à moderniser une royauté aux atours par trop gothiques en l’empêchant d’être prodigue. Il ne s’agit pas tant de malmener le monarque ou le ravaler au rang de premier fonctionnaire de l’État – à cette date ses prérogatives n’ont pas encore toutes été fixées – que l’empêcher d’être dispendieux à l’avenir. La survie de la monarchie tient dans les économies qu’on lui fera faire. Là est son Salut ; et ici perce l’impensé politique. De toute évidence, ce sont les contingences qui guident les députés quand il s’agit d’établir tout à la fois le principe (§ 1) et le contenu de la Liste civile de Louis XVI (§ 2).

§ 1. – Le contrôle des dépenses

14La naissance de la Liste civile procède avant tout de l’urgente nécessité de rationaliser le système financier et de limiter le coût induit par le fonctionnement du trône. L’opinion publique réclame impérieusement la réforme radicale des procédés de gestion des finances. Le premier impératif consiste à apurer le déficit et maîtriser la dette. Afin d’établir un nouvel ordre financier, la diminution des charges s’impose, notam- ment celles de la Cour accusée, à tort, d’engloutir, selon l’abbé de Véri par exemple, des sommes équivalentes au budget national de la Prusse26 et d’avoir mené le pays au bord de la banqueroute27. Or, depuis qu’ils ont renversé la souveraineté, les constituants se sont arrogé des prérogatives fiscales et financières : il leur appartient désormais de voter l’impôt et de contrôler le budget de l’État28. C’est à ce titre qu’ils adoptent, le 7 octobre 1789, le principe d’une Liste civile : à l’avenir, Louis XVI se verra allouer chaque année une dotation pécuniaire prélevée sur le Trésor public. Ce revenu limité lui permettra de vivre selon son rang, assurer la splendeur du trône et pourvoir aux dépenses de sa famille.

15À tout le moins, cette mesure emporte des conséquences de taille. Elle semble sonner le glas de l’identification du monarque à la chose publique, puisqu’à l’avenir leurs biens et revenus respectifs cesseront d’être potentiellement joints et unis. Elle procède du contrat que le monarque passe désormais avec la Nation. En outre, elle fournit à la Révolution une garantie constitutionnelle assurant la soumission du roi à la loi. Et même beaucoup plus : l’indice que dans cette fausse monarchie constitutionnelle, déjà détestée par le roi, celui-ci sera bientôt considéré uniquement comme un « premier magistrat »29 ou le chef d’une « famille royale salariée »30. Pourtant, s’il est lourd de conséquences, ce vote n’est pas tant guidé par l’idée constitutionnelle31 que par la naissance de l’idée budgétaire.

16Et par l’inspiration géniale de Mirabeau… :

17À l’heure d’arrêter la Révolution, les monarchiens sont encore influents. La consti- tution anglaise est toujours une référence privilégiée pour tous ceux aspirant à réaliser un compromis entre liberté et autorité royale32. Depuis le 28 août, les monarchiens militent pour la transposition du système constitutionnel anglais33. Ses institutions sont un modèle politique. Et parmi celles-ci, figure la civil list.

18En Angleterre, l’institution existe depuis 1660, date à laquelle les chambres affectent à Charles II, à vie et à titre de ressource héréditaire, certains produits fiscaux ainsi que le revenu de diverses propriétés afin de lui donner les moyens de soutenir les dépenses de sa Maison mais aussi l’ensemble des charges civiles de l’État34. Officiellement, le terme apparaît dans la langue constitutionnelle en 1688. Lorsque la Glorieuse Révolution éclate, le premier acte du Parlement en vue d’affermir ses pouvoirs consiste à consolider le principe énoncé en 1660 et à tracer une ligne de démarcation infranchissable entre la fortune particulière du prince et celle de la Nation35. À cette fin, les fonds nécessaires aux dépenses de la Couronne sont séparés des dépenses mili- taire et ecclésiastique dont le vote, la gestion et le contrôle relèvent annuellement du parlement. La « civile » list se compose des revenus héréditaires tirés du domaine de la Couronne et d’une somme d’argent éventuellement allouée par les chambres en cas d’insuffisance des produits domaniaux36. Suivant l’habitude de l’époque, le produit de certaines taxes est affecté au paiement respectif de ces deux groupes. D’un côté, un fonds comprenant un lot de dépenses et de recettes votées de façon viagère (civil list) ; de l’autre, les dépenses et recettes révisées et votées chaque année37. Quand il monte sur le trône au début du XVIIIe siècle, Georges III abandonne définitivement à l’État les revenus héréditaires de la Couronne. En compensation, le Parlement lui accorde annuellement une somme en numéraire afin de faire face aux dépenses de la Maison mais aussi défrayer la civil list, i.e. les dépenses civiles de l’État (traitement des ministres, ambassadeurs, juges, conseillers et serviteurs de la Couronne) : le roi d’Angleterre cesse de jouir d’un revenu héréditaire et se transforme en simple « pensionnaire »38 de l’État.

19Au XVIIIe siècle, le Parlement ajoute à la liste civile un certain nombre de dépenses à peu près invariable : les intérêts de la dette publique, les pensions civiles et militaires et la dotation du président de la Chambre. De cet ensemble, il est composé un groupe de fonds votés pour toute la durée du règne. Celui-ci prend le nom de fonds « consolidé » et se distingue des autres dépenses publiques, lesquelles sont toujours soumises à un vote parlementaire annuel39. Or cet ordonnancement budgétaire propre à l’Angleterre se trouve directement à l’origine de l’introduction d’une civil list en France. Outre-Manche, la création de l’institution coïncide avec le retour de l’ordre financier en 1688. C’est aussi le cas en France un siècle plus tard. Le 7 octobre 1789, le sujet qui agite l’Assemblée porte sur l’acquittement de la dette publique. Le débat qui s’y tient est « furieux »40. Défenseur de la prérogative royale, Mirabeau s’en empare – voire l’instrumentalise – en soulevant pour la première fois la question de la liste civile. Comme tous les monarchiens, Mirabeau est partisan des institutions anglaises. Depuis longtemps, il lie le problème constitutionnel et le problème financier41. Quelques mois auparavant déjà, il écrivait son admiration pour l’Angleterre où les sommes destinées à l’acquittement des dépenses de la Cour appartiennent au « revenu public de la Nation »42 et non au roi, lequel ne reçoit son patrimoine que « de la munificence du peuple (…) et à titre de concession usufruitière »43. Aussi profite-t-il du débat relatif aux finances pour aborder la ques- tion du futur établissement matériel de la royauté. La manœuvre est habile. Elle touche à son but et confine même au coup de maître. Car si à cette époque le modèle anglais est encore fréquemment évoqué au sein de la Constituante44, les monarchiens ont bel et bien déjà perdu la partie et démissionné du comité de constitution depuis près d’un mois45.

20Dans le but d’apurer la dette abyssale de l’État, le comité de constitution propose, dans un souci de flexibilité budgétaire, que les impôts y affectés soient votés chaque année. A contrario, certains députés préfèrent que l’« impôt destiné à l’acquittement de la dette publique ne [puisse] pas être suspendu ou renouvelé tous les ans »46 ni dépendre de l’aléa parlementaire. Mirabeau est de ceux-là et prend exemple sur le fonds consolidé anglais dont les crédits sont votés jusqu’à extinction de la dette47. Or, Outre- Manche, ce fonds sert en partie à acquitter toutes les dépenses de la civil list :

« La liste civile, c’est-à-dire la somme assurée annuellement au roi pour la dépense de sa Maison et celle des princes (…), est votée par le parlement au commencement de chaque règne : elle est assurée sur un revenu fixe dont le parlement peut bien changer la répartition mais qui ne peut être diminué durant la vie du roi sans son consentement »48.

21On le voit, Mirabeau argue pour la transposition en France, non pas de la liste civile stricto sensu, mais plus largement, de la technique du fonds consolidé. Et c’est en établissant un bien curieux parallèle avec le droit public anglais qu’il introduit à l’ordre du jour49 la question de la liste civile, ainsi intégrée parmi les éléments constitutifs de la dette publique française. Dans son esprit, la future dotation de Louis XVI ne sera pas octroyée chaque année, mais au contraire préservée de l’autorisation annuelle d’affectation d’impôts. Seront ainsi assurés non seulement l’acquittement des dettes mais aussi la permanence et l’indépendance du trône50.

22Toutefois, si l’Assemblée accepte de délibérer, elle ne se range pas derrière Mirabeau mais plutôt autour de Monseigneur Cucé de Boisgelin ou Robespierre, hostiles à l’idée de fonds consolidé51. Un décret consacrant l’annualité du vote de l’impôt pour acquit- ter la dette publique – partant la liste civile – est adopté le jour-même en ces termes :

« Aucun impôt ne sera accordé que pour le temps qui s’écoulera jusqu’au dernier jour de la session suivante : toute contribution cessera de droit à cette époque si elle n’est pas renouvelée. Mais chaque législature votera de la manière qui lui paraîtra le plus convenable les sommes destinées soit à l’acquittement des intérêts de la dette, soit au paiement de la liste civile »52.

23Ainsi la liste civile fait-elle irruption sur la scène révolutionnaire. Inopinée et presque accidentelle53, curieuse introduction que celle-ci dans le droit intermédiaire. Innovation majeure, la liste civile n’a pas la discussion qu’elle mérite. Celle-ci trahit l’imperfection des idées premières qui ont guidé la majorité des députés, lesquels manquent d’expérience et n’ont pas de doctrine financière précise54. Alors que l’Assemblée se réunit à l’origine pour trancher une question relative à l’annualité des contributions publiques, la question de la liste civile finit par monopoliser le débat grâce à l’artifice de Mirabeau en faveur de la perpétuité de l’impôt tiré de l’exemple étranger55. On ne saurait trouver meilleure illustration ici de l’impulsivité révolutionnaire et du caractère souvent improvisé de sa législation56. À cette occasion, la notion subit une altération et c’est par un abus de langage que les députés attachent le terme de « liste civile » à la portion du revenu public qui sera consacrée aux dépenses de Maison57. Car contrairement à son homologue anglaise, la dotation de Louis XVI n’est pas affectée à des dépenses relatives à l’administration publique ou « civile », mais exclusivement à ses dépenses personnelles et de représentation. En outre, elle n’est pas établie de façon viagère ou perpétuelle.

24Il n’en demeure pas moins qu’au soir du 7 octobre, la liste civile est actée dans son principe. Et qu’en cela, la Révolution semble profondément s’affranchir de la conception traditionnelle du droit monarchique. Elle instaure ce qui ressemble à un mécanisme de salariat de la fonction royale et fait de son titulaire un « grand pensionnaire sans influence et sans autorité »58. Par ailleurs la mesure, même non préméditée, annonce la future confiscation du Domaine et la translation de sa propriété à la Nation, autrement dit la « dépatrimonialisation »59 programmée d’une propriété nationale qu’il s’agit de dépecer afin de solder la dette publique. Son fait générateur réside certes dans le déclassement politique du monarque, mais bien davantage dans la volonté de rationaliser les finances. La Constituante l’adopte moins pour consacrer le passage de la royauté absolue à la monarchie constitutionnelle que pour connaître ou contenir les dépenses publiques. Pragmatique, la Révolution en tire deux avantages. D’une part, les finances nationales seront préservées de la prodigalité royale. D’autre part, la première pierre est posée à l’œuvre d’appropriation, puis d’aliénation, des anciens biens de la Couronne et du Clergé60.

25Pour la monarchie, la mesure pourrait laisser augurer le pire. À tort néanmoins. Car son adoption intervient à un moment où le roi semble déjà peu ou prou un pouvoir inférieur dans la constitution. En apparence confiné dans les fonctions de chef de l’exécutif, Louis XVI ne sera que le délégué de la Nation. Inexistant comme pouvoir constituant, il semble également dominé comme pouvoir constitué. En outre, le projet monarchien en faveur du « gouvernement monarchique » a définitivement échoué. En octobre, Louis XVI ne représente plus un danger ; la concorde semble régner entre la Cour et l’Assemblée. Par conséquent, aucun obstacle n’empêche que sa Liste civile soit établie sur un pied fastueux. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à lire Desmoulins :

« (…) un roi honnête homme, un roi qui [a] ouvert les états généraux avec tant de sécurité et même de joie, qui s’[est] livré avec tant de confiance ; un roi à qui sa cour ne peut reprocher que la foiblesse qui vient de la bonté, de la vertu et de la philosophie ; (…) ce prince [mérite] des ménagements et des étrennes »61.

§ 2. – L’établissement de la monarchie

26Établir matériellement le trône suppose que sa dotation pécuniaire annuelle soit tout d’abord fixée, puis complétée d’un domaine dont les revenus composeront la portion productive. À proprement parler, la liste civile de Louis XVI est formée de ces deux éléments distincts et complémentaires. Leur détermination est longue. Elle court de l’automne 1789 au mois de juin 1791. Là encore, les circonstances paraissent la guider.

Le compromis financier

« J’ai vu des hommes affligés, mais vraiment affligés de ce que l’Assemblée avait l’audace de régler la somme dont pouvait disposer le roi. Comme si le droit de régler cette dépense n’était pas un des plus importants, comme si la nation ne devait pas déterminer l’emploi de ce qu’elle paie, comme si les finances publiques étaient au roi, et enfin, comme si l’expérience de tous les temps n’avait pas appris que le plus grand malheur des peuples est de confondre leurs finances avec celles des princes »62.

27Les mots de Duquesnoy, fidèle observateur des débats à la Constituante, pourraient laisser penser qu’une fois la Liste civile décidée dans son principe, la détermination de son montant en numéraire est houleuse. En vérité, il n’en est rien. À l’heure où il s’agit de fixer le montant de la liste civile proprement dite, le roi collabore pleinement avec l’Assemblée63. Si sa duperie est probable64, les constituants quant à eux semblent enthousiastes et faire montre d’une générosité certaine. Conscients qu’il faudra opérer « des retranchements nécessaires mais pénibles »65 dans les dépenses de la Cour, ils n’entendent pas pour autant marchander avec Louis XVI le montant de sa pension annuelle.

28Au contraire, le roi est associé à sa fixation dès le mois de décembre 1789. À tout le moins se fait-elle de concert avec le comité des finances66. Le 2 janvier 1790, Montesquiou, spécialiste des questions financières, présente au nom du comité un rapport relatif à la restauration des finances de l’État. Pour le rapporteur, il ne s’agit pas tant d’y séparer les finances royale et nationale que de réussir à réguler le « système entier des finances, (…) but essentiel de toute association politique »67. La liste civile n’est pas une fin mais un moyen. À l’image du 7 octobre, le premier souci des députés est d’encadrer la dette publique et d’ « arrêter d’une façon précise et d’avance les montants des sommes à consacrer chaque année aux différents services publics »68 au premier rang desquels apparaît désormais la royauté. La liste civile est vue comme l’un des rouages d’une nouvelle mécanique budgétaire dans laquelle les dépenses seront engagées « pour soutenir la dignité et non pour alimenter le faste » de la Cour ou enrichir, comme par le passé, « d’oisifs courtisans ou d’avides financiers »69.

29Guidé par cette volonté, Montesquiou divise les charges de l’État en deux parties. La première comprend « tout ce qui doit être dirigé par le gouvernement » et forme l’ensemble de la dépense du Trésor public. La seconde concerne les « objets d’utilité particulière à chaque département du royaume et soumis à l’administration des assem- blées de district et de département ». Bien naturellement, c’est en tête70 de la première qu’apparaît pour la première fois dans un document officiel un chapitre dédié aux « dépenses de la liste civile »71. Pour s’en acquitter, le roi réclame 20 millions, chiffre auquel le comité souscrit sans discuter72. Toutefois, l’Assemblée devance les vœux du monarque. Soucieux de manifester son loyalisme et rallier la Cour à la politique réformatrice de la Révolution, les députés supplient le roi de fixer lui-même la somme nécessaire à son entretien et à la splendeur du trône73. La réponse royale est lue le 5 janvier. Louis XVI y feint le désintéressement et le sacrifice à la cause de la restauration des finances publiques74. Le but recherché est atteint ; l’assemblée conquise75. Mais le Menus Plaisirs relatif à la réduction des dépenses de son département. À cette occasion, un des membres du comité estime cette discussion inutile comme touchant « à des dépenses dont le roi seul devoit être l’arbitre », montant de la dotation royale demeure toujours inconnu. L’Assemblée sursoit le débat et préfère attendre, pour se déterminer, d’en savoir davantage sur l’état des finances.

30C’est chose faite en juin. Le comité reprend ses travaux. Lebrun, son nouveau rapporteur, annonce qu’il est temps de s’occuper des dépenses publiques et d’en arrêter le montant. La première d’entre elles est la liste civile. Le 5, une nouvelle députation est envoyée au roi76. Le 9, Louis XVI adresse sa réponse. Lue sous les acclamations fréquentes de l’Assemblée, la lettre affirme que les dépenses de la Cour ont coûté au Trésor, par le passé, près de 31 millions par an. Dès lors, en y ajoutant les revenus d’importants biens domaniaux et forestiers dont il aura la jouissance, une dotation annuelle de 25 millions devrait lui suffire pour solder ces dépenses77. Alors, dans ce qui est sans doute une de ces « éruptions d’affectivité collectives »78 dont elle est le fréquent théâtre, et à l’unanimité, l’Assemblée décrète que le message du roi fera lui- même office de décret79.

31Huit mois après avoir quitté Versailles, la royauté paraît enfin fixée sur son sort. Si elle ne connaît pas encore toute l’étendue de ses prérogatives constitutionnelles, au moins sait-elle combien d’argent elle pourra dépenser tous les ans. À l’issue d’une procédure législative pour le moins confuse, la voilà établie sur un pied fastueux. Emargeant au Trésor public à hauteur de 25 millions, somme à laquelle s’ajouteront les revenus de sa future dotation domaniale80, ses conditions d’existence et de fonc- tionnement ne seront pas moins enviables que sous l’Ancien Régime, quand la Cour dépensait tout au plus81 une quarantaine de millions par an82. La monarchie consti- tutionnelle coûtera à l’avenir à peine moins cher que l’ancienne royauté, celle-là même qui était honnie parce qu’elle se parait d’un « luxe asiatique »83. Pour les finances publiques, le bénéfice semble nul, à tout le moins bien faible. Et le résultat final fort éloigné des ambitions originelles, i.e. réduire les dépenses de l’État.

32Il faut dire que la confusion et l’empressement président à l’établissement de la liste civile stricto sensu. Au sein de l’Assemblée, la tendance de l’époque est à l’enthousiasme, la précipitation, l’impétuosité84. En l’espèce, l’idée budgétaire ne guide jamais le débat85. La stratégie de la Cour consiste sans doute à donner le change et persuader l’Assemblée de la modestie de ses besoins ; les constituants, lesquels n’ont de cesse tout au long de l’année de s’éloigner du projet monarchien, cherchent avant tout à conserver à Louis XVI, après en avoir fait un pouvoir second dans la constitution ainsi que le « premier de tous les fonctionnaires publics »86, le vain simulacre de la royauté. Si le roi feint d’adhérer à la Révolution, celle-ci feint de l’en récompenser. Pour les deux protagonistes, la fixation de la dotation pécuniaire est l’occasion – en pleine année « heureuse » – de s’offrir des gages mutuels de bonne intelligence et de loyauté. La procédure offre cet avantage qu’elle satisfait sans doute les deux clans : Louis XVI à qui elle donne des moyens colossaux87 et l’Assemblée souveraine qui offre à la Nation une représentation splendide à la hauteur de sa grandeur. Elle ménage les intérêts de deux protagonistes irréconciliables et offre une solution de compromis acceptable à l’issue d’un rapport de force bel et bien entamé depuis un an.

33Des circonstances identiques président à l’établissement de la dotation domaniale.

Les hésitations domaniales

« Le domaine de la Couronne (…) est une grande propriété nationale. Les rois n’en sont ni les maîtres, ni les possesseurs, ni même les détenteurs ; c’est le gouvernement qui l’administre au nom de la nation ; ses produits sont destinés au service public ; ils remplacent une partie des impôts ; et l’État, sous ce rapport, en a tout à la fois la propriété et la jouissance »88.

34L’établissement domanial de la Liste civile semble lui aussi soumis à l’aléa politique. Nul n’y songe en 89. Encore moins auparavant. Son fait générateur réside dans le démantèlement du Domaine. Après que la Nation a décidé de s’arroger la prérogative financière et s’approprier les anciens biens de la Couronne et ceux d’un clergé bientôt défrayé « comme son roi »89, il paraît légitime à l’Assemblée d’exempter de leur vente une partie de ces biens pour en réserver la jouissance à Louis XVI. En brisant la fiction du mariage saint et politique, la Révolution permet théoriquement au monarque et à la Nation de posséder en propre. Le domaine national remplace l’ancien domaine de la Couronne en même temps que s’opère le transfert de la souveraineté. Toutefois, si la nationalisation doit servir le rétablissement des finances de l’État, elle n’exclut pas qu’une partie de l’ancien Domaine soit conservée pour que le roi puisse en percevoir les fruits en guise de complément de son revenu constitutionnel. Ainsi, très tôt, la Constituante vote l’aliénation des biens de la Couronne, mais n’omet pas d’en dispenser « [les] forêts et [les] maisons royales dont le roi voudra se réserver la jouissance »90. Alors que les rapports entre les constituants et la Cour sont encore cordiaux, il paraît naturel de laisser au roi une part substantielle du Domaine qu’il a possédé tout entier91. La Couronne est encore pensée comme chevillée à une assise territoriale. Traditionnellement, la royauté tire ses revenus du Domaine. Une majorité de députés acquiesce à l’idée que le monarque puisse à l’avenir jouir de biens immobiliers et fonciers, d’autant plus que ces derniers ne représenteront plus la source principale de ses ressources. Nul n’imagine encore Louis XVI et sa famille définitivement assignés aux Tuileries. Quoique monarque constitutionnel, le Capétien doit disposer de résidences princières. L’entretien et la conservation de celles-ci entraînant des dépenses considérables, des bois, des terres et leurs revenus potentiels doivent leur être attachés.

35Fait notable, dans les travaux du comité des Domaines – à partir de novembre 1789 –, on ne trouve trace d’aucune discussion relative au principe même d’un octroi domanial. La chose peut surprendre étant donné que les institutions anglaises, celles- là mêmes dont s’inspirent les constituants, n’offrent à leur roi qu’une dotation pécuniaire et rien d’autre. Sur les raisons qui amènent les députés à assigner à la monarchie une nouvelle forme de domaine de la Couronne, on en est réduit aux conjectures. Et à remarquer que, de façon générale, les travaux du comité sont empreints de précipitation et d’approximation. D’ailleurs, avant l’adoption de la grande loi du 22 novembre 1790 officialisant la nationalisation du Domaine, les constituants ne consacrent jamais une séance entière à l’étude des problèmes domaniaux92.

36En revanche, tout au long de l’année 1790-1791, les débats se focalisent sur le contenu et l’étendue de cet ensemble de biens démembrés du domaine national pour servir la splendeur du trône. En outre, la discussion se déroule entre les printemps 90 et 91, alors que les relations entre le roi et les constituants se sont considérablement dégra- dées. En avril 1790, le comité des Domaines chargé de déterminer la politique d’alié- nation des domaines de la Couronne (depuis le 23 janvier93) rend ses conclusions. Barère est son rapporteur. Le roi, impatient de faire connaître ses vœux, lui a dépêché préalablement deux émissaires officieux, Berthier et Talleyrand94. Le rapport fait à l’Assemblée est accompagné d’un projet de décret. Son article 5 exempte de la vente « tous les châteaux, domaines, maisons royales et autres objets qu’il plaira à Sa Majesté de se réserver »95. Invitation est faite à Louis XVI d’indiquer « les objets qu’il trouvera à propos de conserver, ainsi que les objets d’agrément et de convenance qu’il désirerait y réunir »96.

37Barère y rappelle que le travail déjà effectué par le comité sur la vente des domaines a permis d’anticiper en quelque sorte les volontés royales. Le projet est d’allure modérée. La plupart des traditionnels domaines de la Couronne aux environs de Paris sont conservés. Globalement, les anciennes résidences royales sont abandonnées à la monarchie97, à l’exception des châteaux de Choisy-le-Roi, Madrid, Blois, La Muette, Vincennes et Chambord destinés à la vente car « dégradés par le temps et doublement dispendieux par un entretien inutile »98. La réponse royale intervient le 18 août par un mémoire transmis par le ministre de la Maison Saint-Priest. Le roi, alors même qu’il s’est déjà vu interdire à cette date toute sortie de Paris, y entend se réserver, en sus du Louvre et des Tuileries, les châteaux et domaines de Vincennes, Meudon, Saint-Germain, Saint-Cloud, La Muette, Choisy, Versailles, Fontainebleau, Compiègne, Rambouillet, Chambord99. Le produit annuel de l’ensemble est évalué à près de 2 millions de livres100. En outre, le roi réclame encore les biens ecclésiastiques qui y sont enclavés ainsi que les terres du Pin en Normandie et de Pompadour en Limousin où sont éta- blis les haras royaux. Sans doute l’ambition de la royauté est-elle de se voir octroyer la plupart des terres attenantes à ses principales résidences historiques. De sorte que la dotation pourra être composée d’un ensemble foncier ne formant qu’un seul tout ren- fermé dans l’enceinte d’une même clôture et dépourvu d’enclaves101. À l’évidence, les vœux de Louis XVI vont bien au-delà des vues de l’Assemblée. Qu’importe. Désormais institué et protégé par la constitution, le roi-citoyen doit pouvoir profiter de l’indépendance privée. Sa tranquillité est à ce prix102.

38Pour autant, l’Assemblée – laquelle deux mois plus tôt lui a déjà attribué une très généreuse dotation pécuniaire – n’entend pas s’en acquitter. Alors le roi se ravise le 27 août. Afin de réparer la fâcheuse impression faite en avril, il informe les députés par lettre que, « subordonnant ses jouissances personnelles à l’intérêt public », il renonce aux châteaux de La Muette, Choisy, Marly, Meudon, Chambord, à leurs dépendances ainsi qu’aux biens ecclésiastiques y enclavés.

39Prenant acte de la bonne volonté royale, les comités de Domaines, des Pensions et des Féodalités s’attellent alors à la rédaction d’un projet de décret. Un an plus tard – entre-temps a débuté l’immense chantier de la vente des biens nationaux de première origine –, Barère effectue son rapport. Ses termes traduisent la dégradation des relations entre le roi et l’Assemblée intervenue en 91 : par le passé, Louis XVI n’a pas su apprécier à sa juste valeur la générosité nationale. Des courtisans avides l’ont poussé à « envoyer à l’Assemblée Nationale le 18 août un tableau effrayant des domaines » à lui réserver. L’ « avarice prodigue de quelques ministres » l’a poussé à l’ « insouciance dissipatrice »103… Dont acte, le comité entend voir plus loin. À tout le moins feint-il la magnanimité : une grande Nation ne doit pas oublier de donner de solides bases à son trône constitutionnel. Dès lors, les vœux royaux exprimés en avril 90 seront peu ou prou respectés. Le domaine de Versailles, invendable et gouffre financier, est inclus dans la dotation104. Les mêmes motifs sont invoqués au sujet de Saint-Cloud et Saint-Germain105. Des arguments identiques sont convoqués au sujet de Compiègne106 et Fontainebleau107 – dont les revenus considérables auraient pu utilement profiter au Trésor public108. Voté en l’état (26 mai 1791), le projet de décret donne à Louis XVI la jouissance du Louvre, des Tuileries, Versailles, Marly, Saint-Germain, Saint-Cloud, Rambouillet, Compiègne, Fontainebleau, les manufactures de Sèvres, de la Savonnerie et des Gobelins109 et le château de Pau110. Les revenus de ces biens colossaux montent à plus d’un million. Et d’avantage mis en valeur, l’ensemble pourrait ajouter près de 3 millions aux 25 déjà accordés chaque année111.

40La procédure d’adoption de la Liste civile s’achève enfin. Débutée dans l’enthousiasme, elle se termine dans un climat lourd, tendu et empreint de suspicion. La loi du 26 mai-1er juin se compose des deux textes complémentaires relatifs à la dotation pécuniaire (9 juin 1790) ainsi qu’à l’établissement d’un nouveau domaine de la Couronne démembré de la propriété nationale (26 mai 1791). Ce vote final intervient presque à contretemps, i.e. au moment où le roi cesse d’être le chef de la Révolution et s’apprête à divorcer d’elle. Trois semaines après que la Constituante l’a établi sur un pied fastueux112, Louis XVI tente de quitter le territoire national dans une berline payée avec les crédits de sa dotation pécuniaire113… Etablie pour servir la splendeur du trône et la magnificence de la représentation, la Liste civile finance en réalité depuis plusieurs mois déjà la contre-révolution114. Alors que son octroi devrait aboutir à transformer la royauté en « fonction publique »115 et le roi en « simple agent du pouvoir délégué par la Constitution »116, elle leur offre en réalité beaucoup d’argent. Ce faisant, elle est l’institution qui permet à un roi Bourbon « conservé mais dénaturé »117 d’exister face à l’Assemblée et peser sur les destinées de la Nation118. Improvisée et établie au cours d’un trop long continuum, qui plus est pollué par les incessants soubresauts révolutionnaires et convulsions politiques, la Liste civile illustre à merveille ce que Baker nomme avec justesse les « contradictions, (…) ambiguïtés et (…) obscurités inévitables en toute création historique »119.

41Le même constat peut être opéré au sujet de sa nature juridique.

L’impensé juridique

42Établir une liste civile aboutit à consacrer la primauté financière de la Nation et faire table rase d’une organisation politique dans laquelle l’État est ramené à la personne du roi. En théorie, c’est faire cesser l’identification du monarque à la chose publique et la confusion virtuelle de leurs intérêts respectifs120. C’est dorénavant salarier Louis XVI en contrepartie d’une fonction constitutionnelle. À cet égard, la Liste civile prendrait part au déclassement du roi au rang de simple autorité constituée.

43Néanmoins, pour satisfaisante qu’elle paraisse d’un point de vue constitutionnel, cette lecture mérite la nuance. Les principes gouvernant l’institution souffrent d’ambiguïté et pâtissent de l’incohérence de son statut. Certes la Liste civile participe de l’affranchissement révolutionnaire de l’Histoire. Mais elle rattache paradoxalement le monarque constitutionnel à l’Ancien Régime. Et sans doute illustre-t-elle pertinemment les propos d’Olivier-Martin selon lesquels la Révolution ne doit pas s’analyser comme un fossé infranchissable creusé en quelques années entre un passé définitivement condamné et un présent tout nouveau121. Entre 1790 et 1792, c’est ce que donne à penser la survie juridique, aux côtés de la Liste civile, d’un domaine privé du monarque (§ 1) ainsi que l’autonomie financière dont bénéficie l’administration de la Couronne (§ 2).

§ 1. – Le déni de citoyenneté

« Dans sa personne, le droit de l’homme n’est pas entier »122.

44Le statut donné à Louis XVI dans la constitution est complexe. En 1789, les députés savent seulement qu’ils veulent rompre avec le passé et poser les jalons d’un ordre juridique nouveau123. Pour autant, la suppression de la royauté n’est jamais envisagée. La majorité des dirigeants de la Révolution, balançant entre vénération pour la figure royale et volonté de dépossession monarchique124, demeure convaincue que la monarchie est pour un grand Etat la seule structure viable125. Il s’ensuit que dans la constitution, Louis XVI demeure le chef de la Nation. Il y est autre chose qu’un simple « fonctionnaire salarié »126 sans volonté propre127. Ses prérogatives lui confèrent le titre de représentant128. Son statut procède de la juxtaposition du vieux principe mystique et du nouveau principe rationnel129. In fine, en refusant de choisir entre monarchie et république, la Constituante s’offre un système constitutionnel moderne mais ambiva- lent dans lequel la fonction exécutive s’incarne dans le titulaire de la royauté révolue. Quoique fonctionnaire, Louis XVI demeure roi. Il continue de résumer, dans une certaine mesure, l’État en sa personne, et relève toujours d’un ordre juridique supérieur opérant la confusion de ses intérêts avec l’État. C’est aussi à ce titre que la dépense de la liste civile est consentie. De ce point de vue, celle-ci ne se réduit pas à être un simple traitement mais l’instrument par lequel le roi continue de vivre – de façon désormais encadrée – sur la richesse publique. Certes, la Liste civile procède à la limitation des revenus royaux, mais elle ne remet pas fondamentalement en cause l’identification de Louis XVI à l’État. En fait, la Révolution ne distingue pas dans la personne du roi l’homme privé de l’homme public. Ce faisant, et comme on va le voir, elle lui dénie la qualité de particulier. En mars 1791, le député royaliste La Galissonnière l’exprime parfaitement : « les honneurs de la prééminence lui coûtent la liberté civile »130.

45Ce constat se nourrit également de la législation adoptée en 1790 relativement aux biens privés du monarque. Celle-ci l’autorise à posséder un domaine particulier le temps de son règne seulement. Elle l’oblige surtout à incorporer ses biens propres au domaine public lors de son avènement ou son décès en vertu du vieux principe de dévo- lution, lequel résultait dans l’ancien droit du mariage saint et politique contracté avec l’État. En d’autres termes, le statut que les révolutionnaires donnent aux biens privés de Louis XVI ne diffère pas de celui que l’Ancien Régime conférait à ceux du domaine casuel. Alors même que cesse la confusion des domaines public et du Prince, l’ancien droit monarchique relatif au domaine privé est paradoxalement maintenu en vigueur. Bien que déclassé dans l’ordre politique et constitutionnel, Louis XVI doit toujours être totalement consacré au public. C’est là une de ces contradictions inhérentes à la Révolution131. En toute logique, l’impossibilité faite au roi de s’approprier la richesse publique, l’encadrement de ses revenus, auraient dû marcher de pair avec l’existence d’un domaine privé autonome. Pourtant, sur ce point les constituants innovent peu. Ils ne vont pas jusqu’au bout des conséquences des principes qui les guident et laissent le statut des biens particuliers du monarque inchangé. À tout le moins leur donnent-ils la consistance d’une coquille vide.

46En ce sens, la loi du 21 septembre 1790 prescrit la réunion à l’État de toutes les propriétés appartenant au roi lors de son avènement132. Elle dispose pareillement au sujet de son domaine échu en cours de règne à l’occasion de son décès133. La mesure est confirmée par la grande loi du 22 novembre qui porte à son article 6 que « les biens particuliers du prince qui parvient au trône, et ceux qu’il acquiert pendant son règne, à quelque titre que ce soit, sont de plein droit, et à l’instant même, unis au domaine de la Couronne »134. Finalement, ces deux textes accordent au roi le droit de posséder pendant son règne des biens à titre singulier, aliénables par testament, donation ou vente. Après tout, Louis XVI cultive une figure simple et conciliante, bon enfant et paternelle. Bonus pater familias et roi-citoyen135, il peut être propriétaire. Toutefois, les intérêts de l’État sont préservés pour l’avenir par l’incorporation de ce patrimoine adventice au domaine de la Nation à la fin de son règne s’il n’en a pas disposé avant de mourir136. En outre, le maintien du vieux principe de dévolution annule à l’avance les effets de leur transmission par legs ou donation en cours de règne car les héritiers royaux sont aussi successeurs potentiels. De sorte qu’ils sont amenés à incorporer à la Couronne à titre public ce qu’ils auraient antérieurement hérité à titre privé.

47À cet égard, le roi semble en quelque sorte retranché de l’humanité : la continuation de son identification à la chose publique l’empêche d’être propriétaire pour lui et de disposer de ses biens patrimoniaux. Il demeure un pouvoir et échoue à devenir un véritable citoyen. Son caractère politique et son caractère individuel sont réunis ensemble137, le premier absorbant le second138. Ce faisant, la Révolution refuse au roi l’exercice du premier des droits naturels qu’elle a sacralisés. En sortant du droit commun sa succession ab intestat quant à ses biens propres, elle l’exclut de son projet démocratique dans lequel l’effectivité des droits et l’égalité sont conditionnées à la nécessité de posséder un patrimoine. En d’autres termes, les constituants l’amputent de la citoyenneté et lui dénient l’égalité de droit139, partant l’appartenance même au genre humain.

48La cause en est qu’à cette date – l’automne 1790 –, la Révolution reconnaît à Louis XVI une place éminente dans les institutions. Sa fonction se trouve relevée « au-dessus des autres magistratures »140. « Dépositaire suprême du pouvoir exécutif »141, il est l’organe sous l’égide duquel la constitution doit être rédigée et l’ordre social régénéré. Restaurateur de la liberté et roi de la Révolution, Louis XVI doit confondre sa destinée avec celle de la Nation. Dédié aux intérêts de son peuple – au milieu duquel il vit désormais –, « le meilleur des rois » ne peut posséder en propre (de même que bientôt il ne pourra jouir de la liberté une fois qu’il en sera devenu l’otage142). Il n’en demeure pas moins que les constituants adoptent ici une mesure quelque peu baroque qui fleure bon leur méconnaissance du droit public143. Si l’incapacité du roi à détenir un véritable domaine privé se justifiait dans l’Ancien droit quand la royauté absorbait l’État, ce n’est plus le cas une fois la liste civile instaurée. Les mots de l’ancien inspecteur général du domaine Freteau résonnent et prennent ici tout leur sens : l’incorporation des biens privés est bien évidemment légitime quand le « souverain et sa famille (…) ne doivent plus attendre d’autre grandeur, d’autre fortune que celle de l’estat mesme »144. Mais la mesure paraît incohérente et bien excessive quand le roi ne réunit plus tous les pouvoirs dans sa main et lorsque le système n’a plus pour unique fondement le principe monarchique.

§ 2. – L’autonomie fonctionnelle

« Les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font »145.

49L’éminence donnée à Louis XVI dans les institutions emporte une autre consé- quence : l’autonomie fonctionnelle dont profite sa Liste civile i.e. son autonomie budgétaire et comptable. Cette dernière est liée à son autonomie politique. L’irresponsabilité et l’inviolabilité du roi empêchent que l’Assemblée ou le Corps législatif ne puissent contrôler ou s’immiscer dans la gestion de ses dotations. De facto, le roi est préservé de toute ingérence extérieure quant au fonctionnement de sa Maison ou de ses finances. La cause en est qu’à maints égards, le nouveau régime demeure empreint de royauté, voire de sacralité146. La substitution d’un roi des Français au roi de France n’exclut pas que dans ce nouveau système la volonté première continue de résider dans la personne de Louis XVI et que sa royauté préservée reste le pouvoir régulateur qui marche avant les autres et les entraine à sa suite. Plus qu’un simple chef de l’exécutif, Louis XVI est chargé d’une fonction de représentation liée à la royauté147. À cet effet, la liste civile fait partie, dès 1790, « des objets d’utilité commune à tout le royaume »148. Elle consiste en une dépense que l’État se doit honorer de façon immuable. Sa fixation ne peut faire l’objet de débats récurrents, sauf à contrarier la splendeur du trône et la dignité de son titulaire. Dans ce sens, le décret du 13-19 octobre 1789 prévoit que le « département de la Maison du roi cessera de faire partie du Trésor public »149. De surcroît, la constitution dispose que son montant sera déterminé « à chaque changement de règne pour toute la durée du règne »150. Ce procédé établit la dotation royale sur l’exemple du fond consolidé anglais. Il consacre concomitamment l’autonomie budgétaire de la Couronne : à l’avenir, et en théorie, les fonds nécessaires à son fonctionnement ne pourront être annuellement refusés ou suspendus par le Corps législatif dont le vote n’interviendra qu’une seule fois en tout début de règne.

50Au plan institutionnel ensuite, elle fait de l’administration de la liste civile de Louis XVI une administration de l’intime, un organe de gestion de ses affaires particulières devant être maintenu à l’écart de la gestion des affaires publiques et situé hors du cadre des ministères contrôlés par l’État. À cet égard, le nouvel ordre politique né de la Révolution justifie que les affaires royales ne puissent plus se hisser au même niveau que celles de l’État. Personnelles et domestiques, leur gestion ne doit plus relever d’un ministère de la Maison, institution désormais aussi désuète que surannée. L’organisation de la Maison est considérée « sous un tout autre point de vue que par le passé »151. Aussi une intendance de la Liste civile est-elle instaurée. Organe de gestion et non de gouvernement, elle trouve à sa tête, non un ministre, mais un simple intendant152 dont le titre ne rappelle en rien un quelconque emploi public. Son statut diffère de celui des ministres, agents délégués de la Nation agissant dans un but d’intérêt général153. Ce système offre l’avantage d’assurer la sûreté et le secret des intérêts royaux, impératifs d’autant plus nécessaires que les dépenses de Louis XVI et de sa famille sont désormais soldées sur « un fond séparé du Trésor public »154. Il confie la gestion des intérêts matériels de la royauté à un homme de confiance qui n’appartient qu’à elle. Et non pas à un de ces ministres qui sont « plus ou moins autant les ministres de la Nation que ceux du roi »155. Cet homme a tout du mandataire privé et n’exerce aucune fonction politique. Il est l’homme du roi, le premier officier de la Maison refondée. Davantage que les intérêts de la souveraineté, il représente des intérêts privés.

51Au plan constitutionnel enfin, l’autonomie fonctionnelle procède de l’irresponsabilité politique de Louis XVI. Dès 1789/1790, le roi ne saurait engager sa responsabilité à raison des actes d’administration de ses dotations pécuniaire et domaniale. De sorte qu’en 1791, la constitution dispose à son article 11 qu’il « nommera un administrateur de la Liste civile, qui exercera [ses] actions judiciaires (…), et contre lequel toutes les actions à [sa] charge (…) seront dirigées et les jugements prononcés »156. Dans le même esprit, la loi du 26 mai-1er juin 1791 prévoit à son article 2 que l’argent de la liste civile sera versé chaque année entre les mains de la personne que le roi aura « commise »157 à cet effet. À l’évidence, la charge d’intendant relève bien davantage de la commission privée, du mandat que de la fonction publique. Il s’ensuit que les actes qu’ils passent le sont toujours en son nom propre. Dénués de forme authentique, ils ne l’engagent jamais. En outre, ils n’amènent pas davantage son intendant à mettre en jeu sa propre responsabilité. L’irresponsabilité de Louis XVI se double de celle de son ministre intime. Dès l’origine, la Liste civile est conçue comme une administration particulière du roi, autonome et indépendante vis-à-vis du pouvoir législatif. Louis XVI est consi- déré comme un « magistrat qui n’a jamais aucun compte à rendre »158. Son intendant n’est pas un de ces ministres « soumis à l’influence de l’opinion publique de manière que tôt ou tard elle en a entraîné la chute »159. Dans la constitution, sa responsabilité n’est prévue que pour les dettes futures et éventuelles de la Couronne160. Mais de responsabilité politique point.

52In fine, l’autonomie de la Liste civile de Louis XVI procède de la séparation (trop) stricte des pouvoirs dans les institutions nouvelles. Parce qu’ils n’ont pas une vue bien arrêtée de ce qu’il convient de mettre dans une constitution161, les députés élaborent un texte non parlementaire. La séparation rigide des pouvoirs em, loin d’être un instrument de déclassement du monarque, doit plutôt s’analyser comme un outil de modernisation et d’adaptation du principe monarchique aux idées issues de l’avènement de la Nation et au constitutionnalisme. À maints égards, Louis XVI demeure un véritable pouvoir et continue de s’identifier à l’État. Dans le pacte social qu’est la constitution, il est « autre chose et beaucoup plus » qu’un simple citoyen (Xavier Martin162). Doté d’une légitimité et d’un pouvoir propres, il continue de vouloir pour la Nation163. À ce titre, le roi ne sépare pas sa destinée de celle de l’État et continue d’opérer la confusion de ses intérêts matériels avec ceux de la chose publique, dans le cadre toutefois étroitement limité de ses deux dotations.

Notes

1 Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 2000, p. 15.

2 François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 38-39.

3 Timothy Tackett, Le roi s’enfuit, Paris, La Découverte, 2004, p. 23.

4 François Furet, Ran Halevi, La monarchie Républicaine. La constitution de 1791, Paris, Fayard, 1996, p. 11.

5 Alain Becchia, Modernités de l’Ancien Régime (1750-1789), Paris, PU Rennes, 2012, p. 461. L’auteur cite ici Michel Vovelle (La chute de la monarchie (1787-1792), Paris, Seuil, 1972).

6 Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre livre La liste civile en France (1804-1870). Droit, institution et administration, Paris, Mare et Martin, 2011, 765 p.

7 Philippe-Antoine Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, Garnery, 1827, t. X, p. 161.

8 Albert Soboul, « Introduction », Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, éd. 2005, p. IX.

9 Ainsi, un grand nombre de cahiers avance qu’il ne doit être consenti à aucun subside avant qu’une consti- tution ne soit établie. Dans ce sens, Berville et Barrière, Mémoires de Bailly, Paris, Baudoin Frères, 1821, t. I, p. 166 : « Il fallait donc, pour assurer l’assemblée, attacher à sa durée la perception des impôts ; c’est ce qu’elle fit dans l’arrêté suivant (17 juin 1789) : « L’Assemblée nationale, considérant que le premier usage qu’elle doit faire du pouvoir dont la nation recouvre l’exercice, sous les auspices d’un monarque qui, jugeant la véritable gloire des rois, a mis la sienne à reconnaître les droits de son peuple, est d’assurer, pendant la tenue de la présente section, la force de l’administration publique (…) considérant qu’en effet les contributions, telles qu’elles se perçoivent actuellement dans le royaume, n’ayant point été consenties par la nation, sont toutes illégales (…). ».

10 François Furet, Ran Halevi, La monarchie Républicaine…, op. cit., p. 110.

11 Cette assertion se vérifie tout particulièrement dans les cahiers de doléances au sein desquels la confusion règne (même ceux composés au dernier stade des élections) et dont les revendications en matière de constitution sont très hétérogènes (ibid., p. 81).

12 Michel Ganzin, « La déclaration des droits de l’homme et du citoyen : droit naturel et droit positif », Jean Imbert et alii, Les principes de 1789, Aix-en-Provence, PU Aix-Marseille, 1989, p. 87.

13 François Furet, Penser la Révolution française…, op. cit., p. 62-64.

14 Parmi tant d’autres exemples, article 9 du Cahier de la noblesse du bailliage de Montreuil (https://archive. org/stream/cahiersdedolan02loriuoft/cahiersdedolan02loriuoft_djvu. txt) : « Permettez-nous, Sire, de vous observer que les contributions des peuples ne doivent être appliquées qu’aux besoins de l’État. Les revenus des domaines des premiers rois de la troisième race suffisoient à la dépense personnelle de la famille royale et de leurs maisons. Si ceux de Votre Majesté, rentrés dans sa main et portés à leur valeur, se trouvoient insuffisants pour soutenir l’éclat du trône dépouillé de ce clinquant qui blessent l’œil bien plus qu’il ne le satisfait, la Nation, dans sa première assemblée, se fera un devoir d’écouter les demandes que son Roi pourra lui faire. Nous prions Votre Majesté de faire remettre aux États-Généraux un tableau circonstancié des dépenses de la maison royale, avec les réductions que sa sagesse lui aura dicté. Si néan- moins Votre Majesté se contentoit du produit des domaines de sa Couronne pour remplir cet objet, nos représentants se conformeront à cet égard aux circonstances ».

15 Gabriel-François Coyer, Nouvelles observations sur l’Angleterre, par un voyageur, Paris, Veuve Duchesne, 1779, p. 116 : « [Lors d’un vote au parlement relatif à l’augmentation de sa liste civile octroyée annuellement], on entrait dans quelques détails, en disant qu’un roi qui ne chasse point, qui ne bâtit point, qui n’a point de maîtresse, qui vit dans sa famille avec toutes les vertus de la vie privée, ne pouvait épuiser la liste civile qu’en l’employant à corrompre. (…) le feu de l’opposition m’a fait comprendre qu’un roi qui dépend de son peuple pour ses revenus, s’il veut être heureux, doit être économe ».

16 Considérations sur le gouvernement de la Pologne et sur sa réformation projetée, Londres, 1782, p. 83 : « La majesté du trône doit être entretenue avec splendeur : mais il importe que de toute la dépense nécessaire à cet effet, on en laisse faire au roi le moins qu’il est possible. Il seroit à désirer que tous les officiers du roi fussent aux gages de la République et non pas aux siens, et qu’on réduisît en même rapport tous les revenus royaux, afin de diminuer autant qu’il se peut le maniement des deniers par les mains du roi. ».

17 Aux Bataves sur le Stathoudérat, s.l., 1788, p. 8 : « En 1423 et bien longtemps auparavant, les Gueldois avoient des idées saines sur les vrais principes d’une administration convenable à des hommes libres. Ils ne voyoient dans leur prince que le gardien de leurs libertés, le salarié de la Nation, le premier sujet de l’État, et presque son esclave ».

18 Voyage philosophique d’Angleterre fait en 1783 et 1784, Londres, 1786, t. I, p. 218.

19 Constitution d’Angleterre ou état du gouvernement anglois, Londres, Robinson, 1785, t. I, p. 65-66 : « C’est toujours de leur liberté seule (celle des représentants du peuple) que le roi peut obtenir des subsides (…). Il n’a, par lui-même, presque pas de revenus (…). En un mot, la puissance royale, quelque grandes que soient ses prérogatives, destituée, est un grand corps qui n’a point en soi le principe de son mouvement : c’est un vaisseau équipé, si l’on veut, complètement, mais auquel le parlement peut, quand il le veut, retirer les eaux et le mettre à sec, comme aussi le remettre à flot, en accordant des subsides (…). On a vu les Communes se servir toujours avec succès de ce moyen, pour élaguer de leur gouvernement les restes de despotisme qui faisoient encore partie de la prérogative royale. ».

20 Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997, p. 94.

21 Ibid., p. 113.

22 Archives parlementaires, t. IX, p. 33 ; Mirabeau, Discours (discours sur la sanction royale aux décrets des 4 et 11 août) Paris, Gallimard, 1973, p. 121.

23 Timothy Tackett, Le roi s’enfuit. Varennes et l’origine de la Terreur, Paris, La Découverte, 2004, p. 218.

24 François Furet, La Révolution I (1750-1814), Paris, Hachette, 1988, p. 163.

25 Marcel Thomann, « Droit naturel et Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 », La révolution juridique et l’ordre juridique privé. Rationalité ou scandale ?, Paris, PUF, 1988, t. I, p. 67.

26 René-Marie Rampelberg, Aux origines du Ministère de l’Intérieur. Le ministre de la Maison du roi (1783-1788), Paris, Economica, 1975, p. 50.

27 M. Vovelle, La chute de la monarchie. 1787-1792, Paris, Seuil, 1972, p. 37.

28 Article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (16 août 1789) : « tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » (Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’Etat, Feilbach, Schmidt periodicals, éd. 1995, t. III (1791), p. 240).

29 Jean-Pierre Brissot (de Warville), Pierre Choderlos (de Laclos), « De la monarchie et du républi- canisme », Journal des amis de la Constitution, Paris, Imprimerie nationale, n° XXXII, septembre 1791, p. 17.

30 Discours du député Cambon devant la Convention le 21 septembre 1792, Archives parlementaires, t. TLII, p. 122.

31 Ainsi René Stourm commet sans doute un abus de constitutionnalisme en affirmant que dès l’automne 1789, le nouveau droit impose à l’État de fournir à l’un de ses pouvoirs publics constitutionnels les moyens d’assumer les dépenses qu’entraîne pour lui la fonction qu’il occupe (Le budget, Paris, Guillaumin, 1891, p. 40).

32 François Burdeau, Marcel Morabito, « Les expériences étrangères et la première constitution fran- çaise », Pouvoirs, Paris, PUF, 1989, p. 98.

33 Édouard Tillet, La constitution anglaise, un modèle politique et institutionnel dans la France des Lumières, Aix-en-Provence, PU Aix-Marseille, 2001, p. 556.

34 Charles Franqueville, Le gouvernement et le parlement britanniques, Paris, Rothschild, 1887, t. I, p. 378.

35 Philippe Chassaigne, Histoire de l’Angleterre, Paris, Flammarion, 2001, p. 137.

36 Édouard Fischel, La constitution d’Angleterre. Exposé historique et critique, Paris, Reinwald, 1864, t. I, p. 223.

37 Edgard Allix, Traité élémentaire de science des finances et de législation financière française, Paris, Rous- seau et Cie, 1931, p. 231.

38 Auguste Lorieux, Traité de la prérogative royale en France et en Angleterre, Paris, Joubert, 1840, t. II, p. 608.

39 Charles Franqueville, Le gouvernement…, op. cit., p. 383.

40 Adrien Duquesnoy, Journal d’Adrien Duquesnoy député du Tiers-état de Bar-le-Duc, sur l’Assemblée constituante, Paris, Picard, éd. 1894, t. I, p. 417.

41 François Quastana, La pensée politique de Mirabeau (1771-1789), Aix-en-Provence, PU Aix-Marseille, 2007, p. 508.

42 Théorie de la royauté d’après la doctrine de Milton, Paris, 1789, p. 80.

43 Ibid., p. 41.

44 Adhémar Esmein, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, Paris, Sirey, 1909, p. 59. Par exemple, le 24 octobre, Mirabeau milite encore en faveur d’un régime parlementaire en proposant que les ministres du roi soient pris dans l’Assemblée.

45 Gabriel Bonno, La constitution britannique devant l’opinion française de Montesquieu à Bonaparte, Genève, Slatkine Reprints, éd. 1970, p. 241.

46 Discours du duc de Mortemart devant la Constituante le 7 octobre 1789, Archives parlementaires, t. IX, p. 380.

47 Ibid. : « La dette publique ayant été solennellement avouée et consolidée, les fonds destinés à en acquitter les intérêts et à en rembourser les capitaux ne doivent point être sujets aux variations, aux caprices des législateurs ; ils doivent d’abord être fixés sans cependant cesser d’être soumis à l’administration et à l’inspection du Corps Législatif. Limiter à un an la durée des impôts sur lesquels sera assurée la dette publique, c’est donner au Corps Législatif le droit de remettre chaque année la nation en banqueroute. Une nation voisine, l’Angleterre a pris une marche très différente. Tous les impôts nécessaires au paiement de la dette publique y sont votés jusqu’à l’extinction de la dette. On n’y renouvelle d’année en année que ceux qui doivent servir aux dépenses publiques telles que l’armée ou la flotte. Chez ce peuple prudent, on a su concilier avec la liberté, la sûreté de la constitution, ce que la nation devait non seulement à ses créanciers mais au soutien et à la splendeur du trône ».

48 Discours de Mirabeau devant la Constituante le 7 octobre 1789, Archives parlementaires, t. IX, p. 382.

49 L’époque est celle où la Constituante tâtonne dans la fixation de ses règles de délibération. Il arrive régulièrement que certains débats s’engagent alors même qu’ils n’ont pas été inscrits à l’ordre du jour. Quand ce dernier existe, il est fréquent qu’il ne soit pas respecté (André Castaldo, Les méthodes de travail de la Constituante, Paris, PUF, 1989, p. 315).

50 Discours de Mirabeau devant la Constituante le 7 octobre 1789, Archives parlementaires, t. IX, p. 382 : « Qu’on se figure ce que serait un roi, obligé chaque année de demander à ses peuples les sommes nécessaires pour sa subsistance, pour son entretien et comme particulier et comme roi ? ».

51 Discours de Cucé de Boisgelin le 7 octobre 1789, ibid. : « Il est nécessaire qu’on puisse faire chaque année dans cette administration tous les changements qui auront été reconnus nécessaires. L’article du comité n’est point contraire à ces considérations importantes, il doit être admis ».

52 Décret du 7 octobre 1789, Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète des lois…, op. cit., t. I (1788- 1790), p. 48.

53 Adrien Duquesnoy, Journal…, op. cit., t. I, p. 418 : « Au reste, le mot de liste civile effrayait plusieurs membres, il était inintelligible pour la moitié de la salle, et j’ai oui des membres dire que la dépense de l’armée y était comprise ».

54 Dans ce sens, Michel Bottin, Histoire des finances publiques, Paris, Economica, 1997, p. 36 : « La révolution qui s’opère dans les finances de 1789-1791 se veut radicale : elle a pour objet d’abord de donner la maîtrise des finances au pouvoir législatif, ensuite d’assainir les finances en supprimant la dette publique afin d’établir l’égalité fiscale ».

55 Antérieurement à la date du 7 octobre, la question de l’instauration d’une liste civile ne semble jamais évoquée dans les travaux préparatoires des comités de l’Assemblée. En ce sens, Archives Nationales, D VI 17, Procès-verbaux du comité des Finances, juillet-décembre 1789 et janvier-mai 1790, ainsi que D IV, Papiers du comité de constitution.

56 Sur ce point, Xavier Martin, « Pulsions décisionnelles dans les assemblées révolutionnaires », Décisions et gestion (Actes des septièmes rencontres de l’Ecole supérieure universitaire de gestion, 1998), Toulouse, PU des Sciences sociales de Toulouse, 1999, p. 89-96.

57 Thomas Macaulay, Histoire d’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II jusqu’à la mort de Guillaume III, Paris, Robert Laffont, 1989, t. II, p. 212.

58 Discours de l’abbé Maury devant la Constituante le 5 mai 1790, Archives parlementaires, t. XV, p. 395.

59 L’expression est empruntée à Philippe Yolka, in La propriété publique, éléments pour une théorie, Paris, LGDJ, 1997, p. 74.

60 En ce sens, Barère affirmera en janvier 1790 qu’il est vain d’opposer la maxime de l’inaliénabilité du do- maine public pour empêcher la vente des biens de l’ancien Domaine quand son ancien titulaire « jouit désormais d’une liste civile » (Rapport sur la vente et l’aliénation des domaines de la Couronne fait au nom du comité des Domaines, dans la séance du 10 avril 1790, par M. Barère de Vieuzac, Paris, Imprimerie nationale, p. 5).

61 Camille Desmoulins, Révolutions de France et de Brabant, Paris, Garnery, 16 janvier 1790, n° 8, p. 4.

62 Adrien Duquesnoy, Journal…, op. cit., t. II, p. 248.

63 Le 1er janvier 1790, la Constituante envoie une députation aux Tuileries afin d’entretenir le roi du montant de sa future liste civile. À cette occasion, Montesquiou, qui la préside, se présente « avec un dévouement parfait » devant un Louis XVI qualifié de « restaurateur de la liberté publique (…) qui (…) n’a écouté que son amour pour la fidèle nation dont il est le chef » (Archives parlementaires, t. XI, p. 61).

64 Sans doute Louis XVI collabore-t-il avec l’Assemblée parce qu’il sait déjà qu’il fuira : au même moment où il sanctionne les décrets d’octobre, il annonce au roi d’Espagne qu’il les signe sous la contrainte…

65 D VI 17, Procès-verbal de la séance du comité des finances, 23 décembre 1789.

66 Ibid., Le comité entend ce jour discuter d’un rapport octroyé par Monsieur de la Ferté (intendant des

67 Rapport de Montesquiou devant la Constituante le 2 janvier 1790, Archives parlementaires, t. XI, p. 70.

68 Charles Gomel, Histoire financière de l’Assemblée Constituante, Paris, Guillaumin, 1896, t. II, p. 375.

69 Rapport de Montesquiou…, op. cit., t. XI, p. 70.

70 Devant les dépenses des Affaires Étrangères, de la Guerre, de la Marine, du ministère des Finances, les Ponts et Chaussées.

71 Selon Montesquiou, ce chapitre contiendra « la dépense personnelle du roi et de la reine, celle des enfants de France, des princesses, tantes et sœurs du roi, les bâtiments, Menus plaisirs et garde-meuble etc. ». (Rapport de Montesquiou…, op. cit., t. XI, p. 70).

72 Ibid., p. 71 : « Le roi a demandé qu’une somme de vingt millions lui fût assignée pour ces différents objets. Votre comité ne pensera pas que l’Assemblée nationale en déférant à cette demande d’un roi qui lui est cher à tant de titres, soit dans l’intention de porter un examen sévère sur l’emploi qu’il fera de cette somme ; il suffira sans doute à l’Assemblée d’avoir la certitude que le roi sera en état de soutenir la dignité du trône ; que rien ne manquera aux agréments de sa vie et aux besoins de son auguste famille, qu’enfin il n’aura point à regretter les sacrifices que lui-même il nous a offerts ».

73 Motion du député Duport devant la Constituante le 2 janvier 1790, ibid., t. XI, p. 62 : « Il convient que cette liste civile soit fixée dans la séance. (…) Je propose de décréter que le roi sera supplié de fixer lui-même la somme qu’il croit nécessaire (…) ou d’accepter celle de vingt millions (…) ».

74 Pour l’heure, la réponse royale ne contient aucun chiffre : « Je n’abuserai pas de la confiance de l’Assem- blée et j’attendrai pour m’expliquer à cet égard, que, par le résultat de ses travaux, il y ait des fonds assurés pour le paiement des intérêts dus aux créanciers de l’État et pour suffire aux dépenses nécessaires à l’ordre public et à la défense du royaume. Ce qui me regarde personnellement est, dans la circonstance présente, ma moindre inquiétude » (ibid., t. XI, p. 107).

75 Adrien Duquesnoy, Journal…, op. cit., t. II, p. 254.

76 « Quant aux besoins personnels du roi, il est de la grandeur de la nation de ne point discuter ces détails : c’est à Sa Majesté à régler cet objet sur ses convenances et sur ses goûts. Ses vertus ne vous laissent à craindre que la sévérité de son économie. Vous ne pouvez pas détruire un éclat qui distingue la cour française. Il faut que le riche étranger puisse se reposer parmi nous et qu’il finisse par s’y fixer (…). Je vous propose donc de décréter que Sa Majesté sera de nouveau suppliée de fixer sa dépense d’une manière qui réponde à la majesté de son trône et à la fidélité d’une grande nation » (Rapport de Lebrun devant la Constituante, Archives parlementaires, t. XVI, p. 110).

77 En outre, Louis XVI demande à l’Assemblée d’acquitter les dettes de la Maison, de rembourser les offices de Cour et d’accorder un douaire à la reine (Archives parlementaires, t. XVI, p. 159).

78 Xavier Martin, « Pulsions décisionnelles dans les assemblées… », op. cit., p. 91.

79 Ibid. : « L’Assemblée nationale (…) a voté par acclamation et décrété à l’unanimité toutes les dispositions et demandes portées dans ledit message. Elle a de plus fixé le douaire de la reine à quatre millions et a ordonné que son président se retirera sur l’heure par devers Leurs Majestés pour leur faire part de la détermination qu’elle vient de prendre ».

80 Il faut aussi y ajouter le montant des dotations pécuniaires octroyées aux princes de la Maison de France. Le 13 août 1790, l’Assemblée révoque les apanages réels du comte de Provence, du comte d’Artois et du duc d’Orléans (Rapport des comités réunis des finances, des impositions et des domaines sur les apanages, par M. Enjubault de Laroche, membre du comité des domaines, imprimé par ordre de l’Assemblée Nationale, Paris, Imprimerie nationale, 13 août 1790). En lieu et place, les anciens apanagistes se voient attribuer des dotations annuelles : deux millions pour les frères du roi ; un million pour le futur Philippe Egalité (Décret du 21 décembre 1790 in Jean-Baptiste Duvergier, Collection…, op. cit., t. II (1790-1791), p. 114-115).

81 À la veille de la Révolution, l’entretien du roi et de sa Maison civile n’absorbe que 5,5 % du budget de l’État (René-Marie Rampelberg, Aux origines du ministère de l’Intérieur…, op. cit., p. 49). L’armée (33 %) ou le service de la dette (30 %) se révèlent bien davantage budgétivores (Jean-Paul Bertaud, Les causes de la Révolution française, Paris, Armand Colin, 1992, p. 82).

82 Michel Morineau, « Budget de l’État et gestion des finances royales en France au dix-huitième siècle », Revue historique, Paris, PUF, oct.-déc. 1980, p. 315.

83 AN, O3 529, Maison du roi, Administration, An XII-1820, Rapport sur les domaines nationaux à réserver au roi fait au nom des comités des domaines, de féodalité, des pensions et des finances dans la séance du jeudi 26 mai 1791, par Barère, député des Hautes-Pyrénées.

84 Xavier Martin, « Pulsions décisionnelles dans les assemblées… », op. cit., p. 91.

85 L’opinion est emportée ici au constat que le décret du 9 juin, au rebours du principe tracé le 7 octobre 1789, adopte sans doute, mais sans le dire, la technique anglaise du fonds consolidé, celle-là même pour laquelle Mirabeau s’était battu en vain. Au même titre que la dette publique, la Liste civile se range désormais parmi les charges invariables de l’État dispensées d’autorisation parlementaire annuelle. Depuis octobre, alors même que le principe d’annualité du vote a été retenu, il apparaît que les députés ne manifestent jamais l’intention de s’immiscer dans les affaires domestiques du roi, i.e. dans les comptes de sa Liste civile. Les propos tenus dès le 20 novembre 1789 lors d’une séance du comité des Finances vont dans ce sens : « On a observé qu’il paraissoit inutile de s’occuper de la dépense de la maison du roi, que cette dépense étoit désormais fixée, la Nation n’avoit aucun intérêt à la discuter, et qu’on devoit le respect au roi de ne pas entrer dans le secret de son administration domestique » (D VI 17, Procès-verbal du comité des Finances, 20 novembre 1789). Dans le même esprit, Lebrun affirme le 5 juin : « Votre vœu est sans doute aussi que ce monarque (…) puisse s’occuper en paix du revenu de son auguste famille. Le restaurateur de la liberté ne sera pas soumis à des incertitudes sur les dépenses de sa Maison. » (Archives parlementaires, t. XVI, p. 110). À l’évidence, dans l’esprit des députés, la liste civile est votée le 9 juin pour l’intégralité de la durée du règne et non pour une seule année. Autre indice dans ce sens, le fait que la lettre du roi – érigée en décret par l’Assemblée –, liquide et réunit la dette arriérée de la Maison à la dette publique. La mesure montre que les députés associent mentalement dépenses domestiques de la royauté et dette publique, dette publique dont on se souvient qu’elle est soldée en Angleterre sur un fonds consolidé (Archives parlementaires, t. XVI, p. 159). En outre, l’Assemblée adopte un peu plus tard un décret disposant rétroactivement que « le département de la Maison du roi cessera de faire partie du Trésor public, à compter du premier juillet dernier ; et à partir de la même époque, les honoraires de l’administration, les appointements des commis et les frais de bureau, seront à la charge de la Liste civile » (Décret portant que le département de la Maison cessera de faire partie du Trésor public, 13-19 octobre 1790, in Jean-Baptiste Duvergier, Collection…, op. cit., t. I, p. 410). Cette disposition consacre officiellement la séparation des trésors du Prince et de l’État. Elle préserve l’autonomie financière de la monarchie, laquelle par essence est incompatible avec l’annualité du vote de la dotation (en ce sens, Adrien Duquesnoy, Journal…, op. cit., t. I, p. 418 : « Si le roi est obligé chaque année de demander la somme qu’il lui faut (…) que devient-il ? Qu’est-il ? Il cesse d’être roi par le fait ; il est dépouillé du droit de veto puisque jamais il n’osera refuser une loi dans la crainte qu’on lui refuse à dîner »). Pour autant, cette mesure ne consacre pas officiellement l’établissement viager de la liste civile. En cela percent les difficultés de la jeune Assemblée à appréhender les questions financières. In fine, il faut attendre un décret du 13 juin 1791 sur l’organisation du Corps législatif pour voir l’indépendance du trône définitivement assurée et le principe de l’annualité du vote officiellement rejeté (Article 97 in Jean-Baptiste Duvergier, Collection…, op. cit., t. III, p. 20 : « La fixation de la liste civile cessera de plein droit à chaque changement de règne, et le Corps législatif fixera les traitements du régent et de celui qui sera chargé de la garde du roi, ainsi que les sommes nécessaires pour les besoins personnels du roi mineur. Celles-ci (…) ne seront fixées définitivement, pour la durée du règne, qu’à la majorité du roi »). Cette disposition essentielle est confirmée dans la constitution. Son article 10, chap. II, tit. III dispose : « La Nation pourvoit à la splendeur du trône par une liste civile dont le Corps législatif déterminera la somme à chaque changement de règne pour toute la durée du règne » ; son article 2, tit. V prescrit : « Sous aucun prétexte, les fonds nécessaires à l’acquittement de la dette nationale et au paiement de la liste civile, ne pourront être refusés ni suspendus » (Jean-Bapstiste Duvergier, Collection…, op. cit., t. III, p. 239-257).

86 Discours du député Thouret devant la Constituante le 10 août 1791, Archives parlementaires, t. XXIX, p. 329.

87 Lesquels serviront substantiellement à financer la contre révolution et la fuite à Varennes (cf. Damien Salles, La liste civile…, op. cit, p. 88-97).

88 Mirabeau, Discours (Discours du 2 novembre 1789), Paris, Gallimard, 1973, p. 151.

89 Discours de Talleyrand devant la Constituante le 2 novembre 1789, Archives parlementaires, t. IX, p. 651.

90 Article 10 du décret du 19-21 décembre 1789 concernant la caisse d’escompte et portant établissement d’une caisse de l’extraordinaire, in Jean-Baptiste Duvergier, Collection…, op. cit., t. I (1788-1789), p. 72.

91 Paul Boiteau, Fortune publique et finances de la France, Paris, Guillaumin et Cie, 1864, t. I, p. 258.

92 Jeanne-Marie Huet-Guyard, La distinction du domaine public et du domaine privé, Paris, Loviton, 1939, p. 45.

93 Objets, ordre et état des travaux du comité des Domaines, Paris, Imprimerie nationale, 7 avril 1790, p. 2.

94 Jean-Pierre Thomas, Bertrand Barère, la voix de la Révolution, Paris, Dejonquères, 1970, p. 69.

95 Rapport sur la vente et l’aliénation des domaines de la Couronne fait au nom du comité des Domaines, dans la séance du 10 avril 1790, par M. Barère de Vieuzac, Paris, Imprimerie nationale, p. 34.

96 Ibid. : « Je passerois aux détails des domaines situés dans les environs de Paris (…). Au mois de janvier dernier, vous avez offert au monarque une partie des tributs des peuples pour ses dépenses, et vous lui avez envoyé une députation solennelle, pour vaincre un instant la sévère austérité de ses mœurs en faveur de la dignité de la Couronne. Une nouvelle occasion se présente aujourd’hui de consacrer aux jouissances du roi et à l’éclat du trône une partie des domaines ».

97 Ainsi de Versailles parce que là le roi-citoyen « y a convoqué la seule assemblée législative qu’ait eu la Nation françoise » ; Fontainebleau parce que le palais ne présente « que très peu d’objets qui puissent être mise en vente, les maisons et bâtiments qui en dépendent étant presque tous destinés au service » ; Com piègne ; Saint-Germain-en-Laye car le château « présente une masse très solide dont l’entretien est peu dispendieux » ; la manufacture de Sèvres parce qu’elle tient « à la perfection des arts » et à une branche de l’industrie « qui doit être précieuse à une grande Nation » (ibid., p. 23-30).

98 Ibid., p. 30.

99 Mémoire sur les maisons royales lu devant la Constituante le 18 août 1790, Archives parlementaires, t. XVIII, p. 139-140.

100 Le produit principal de cet ensemble domanial monte exactement à 1 931 734, 10 livres (État des forêts dépendant des maisons royales à réserver au roi par décret de l’Assemblée Nationale, imprimé à la suite du Mémoire sur les maisons royales…, op. cit., p. 141).

101 À cette fin, le roi demande encore à l’Assemblée d’accorder des indemnités aux propriétaires bientôt expropriés à raison de leurs terres situées à l’intérieur de la future dotation domaniale (ibid., p. 140).

102 Les appétits domaniaux de Louis XVI semblent d’ailleurs tenir à sa volonté de pratiquer son exercice favori, la chasse, sans entraves : « (…) Le roi voulant faire à Paris son séjour le plus habituel, il importe à Sa Majesté de conserver dans le voisinage de cette ville des maisons de plaisance. (…) Dans ce cas se trouvent les châteaux de Vincennes et de la Muette qui sont compris dans les seuls parcs où Sa Majesté puisse aux environs de la capitale, entretenir du fauve. La conservation de Choisy-le-Roi devient de même intéres- sante parce que la plaine qui sépare le château du parc de Villeneuve-le-Roi servira pour la chasse au tiré de Sa Majesté (…) » (ibid.).

103 AN, O3 529, Maison du roi-Administration, an XII-1820, Rapport sur les domaines nationaux…, op. cit.

104 Ibid. : « On croirait difficilement que les charges des domaines de Versailles absorbent presque entièrement les produits ; si l’on ne savait que les dépenses sont mal réglées ordinairement dans l’administration obscure et ruineuse de ces domaines et que de nouvelles causes de diminution dans les revenus de Versailles sont sorties de la Révolution même ; la diminution des droits casuels ci-devant féodaux, du nombre de mutations, de la vente des bois, la suppression des droits de péage, de poids d’étalage, le changement du séjour du roi ; tout concourt à atténuer le produit de ces domaines sans que les charges de frais de garde et les réparations diminuent ».

105 Ibid. : « Saint-Cloud n’est qu’une maison de plaisance acquise par le roi en 1785 ; cette maison, avec les jardins et parcs, présente des charges presque sans produit. (…) Saint-Germain-en-Laye est un vieux château bâti par Henri IV, continué et augmenté par Louis XIII et Louis XIV. (…) Cette masse dont l’entretien est peu dispendieux, ne donne au roi que l’avantage d’accorder des logements à de vieux militaires et des retraites aux personnes qui ont été ou qui sont encore à son service. (…) La Nation ne retirerait qu’une petite somme de la démolition et de la vente du château et des objets attenants ».

106 Ibid. : « Compiègne présente un palais récent et magnifique auquel il ne manque qu’une chapelle et des jardins. (…) Le seul revenu de ce domaine consiste dans la forêt, sa contenance est de 26 000 arpents. Le revenu annuel, porté à 358 315 livres en déduisant les frais de plantation, repeuplement, entretien et garde, se réduira par aperçu à 218 000 livres ».

107 Ibid. : « Sa contenance est de 32 877 arpents 28 perches. Le produit total d’une année commune est de 305 223 livres, mais avec les frais de plantation, de repeuplement et de garde, portés pour aperçu à 110 000 livres, le produit ne fera que 195 220 livres ».

108 « Vos décrets réunissent expressément à la liste civile les revenus des parcs et domaines que le roi se réser- vera : ainsi les comités ont dû s’arrêter ; ils ont pensé que la question était résolue. (…) Ainsi les revenus de ces domaines se trouvent déjà décrétés comme faisant partie de la liste civile. Ainsi vous allez ajouter 1 093 000 livres aux vingt-cinq millions déjà donnés » (ibid.).

109 Articles 1 et 2 du second décret des 26 mai-1er juin 1791 in Lois et actes du gouvernement, Paris, Imprimerie impériale, 1806, t. III, p. 275.

110 Article 8, ibid. Au moyen de cette disposition, la Nation entend rendre hommage à la mémoire d’Henri IV.

111 AN, 138 AP 167, Mémoire adressé au Roi collationné, trouvé conforme et déposé aux Archives nationales par Camus (1790), 29 floréal an XII : « Les revenus de Sa Majesté consistent en vingt-cinq millions de la liste civile et dans le produit des domaines réservés à Sa Majesté. Ceux qu’elle a désignés à l’Assemblée nationale ne rapportent pas aujourd’hui deux millions, mais on assure que mis en valeur, ils pourraient aller à trois millions de rente ».

112 Car au revenu annuel et aux domaines, il faut encore ajouter la jouissance des bijoux de la Couronne dont la valeur atteint au 25 juin 1791 la valeur de 24 304 719 livres (AN, ADX 12, Inventaire des diamants de la Couronne, perles, pierreries, tableaux, pierres gravées et autres monuments des arts et sciences existant au garde meuble, fait en conformité des décrets de l’Assemblée nationale constituante, des 26, 27 mai et 22 juin 1791, 25 juin 1791). Quant au mobilier de la Couronne, lui aussi détaché du domaine national, il est estimé à près de 30 millions (AN, 181 AP 1, Mémoire de Champagny, duc de Cadore et intendant général de la liste civile de Napoléon Ier sur les domaines de la Couronne et le domaine privé, s.d.).

113 Les crédits de la Liste civile lui sont versés tous les deux mois depuis le 1er janvier 1790. Au printemps, 17 644 056 francs ont déjà été perçus par le trésor de la Couronne (Mémoire adressé à l’Assemblée Nationale par le Premier ministre des Finances (Compte-rendu de Necker), 28 mai 1790).

114 Damien Salles, La Liste civile…, op. cit., p. 91-96.

115 Discours de Thouret devant la Constituante lors de la discussion du projet de décret sur la résidence des fonctionnaires publics, 28 mars 1791 (Archives parlementaires, t. XXIV, p. 425).

116 AN, O3 529, Rapport sur les domaines nationaux…, op. cit.

117 François Furet, Ran Halevi, La monarchie Républicaine…, op. cit., p. 13.

118 Condorcet va jusqu’à y voir en élément de perversion du gouvernement (Jean-Antoine-Nicolas de Condorcet, De la République ou un roi est-il nécessaire à la conservation de la liberté, Paris, Imprimerie du Cercle social, 1791, p. 7). Un siècle plus tôt, Saint Simon ne disait pas autre chose : « La Liste civile est le moyen dont se sert la Cour pour faire élire qui elle a voulu dans les provinces, et faire voter à son gré dans les divers parlements avec cette supériorité qui anéantit enfin la liberté de la nation, et rend le roi despotique sous le masque de quelques mesures et de quelques formes ». (Louis de Rouvroy de Saint-Simon, Mémoires, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1983, t. VII, p. 92).

119 Keith-Mickael Baker, Au tribunal de l’opinion. Essais sur l’imaginaire politique au XVIIIe siècle, Paris, Payot, 1990, p. 18.

120 D’ailleurs, à partir de 1790, la caisse spécifique de la Maison du roi au Trésor public est supprimée. Le revenu fourni par la liste civile est considéré comme « personnel au roi » (Jean-Pierre Poirier (éd.), De la situation du Trésor public au 1er juin 1791 par les commissaires de la trésorerie nationale, Paris, CTHS, 1997, p. 95).

121 François Olivier-Martin, L’administration provinciale à la fin de l’Ancien Régime, Paris, LGDJ, éd. 1997, p. 110.

122 Discours de Thouret devant la Constituante lors de la discussion…, op. cit., t. XXIII, p. 507.

123 Philippe Ardant, « Le contenu des constitutions : variables et constantes », Pouvoirs, Paris, PUF, n° 50, 1989, p. 32.

124 François Furet, Ran Halevi, La monarchie Républicaine…, op. cit., p. 57.

125 Gérard Conac, « De la monarchie à la république. L’avènement de la première république française », Droit et anthropologie de la complexité. Mélanges dédiés à Jean Mas, Paris, Economica, 1996, p. 409.

126 Opinion de La Galissonnière devant la Constituante lors de la discussion du projet de décret sur la rési- dence des fonctionnaires publics, 28 mars 1791 (Archives parlementaires, t. XXIV, p. 425).

127 Michel Pertué, « Constitution de 1791 », Dictionnaire historique…, op. cit., p. 282.

128 Dans ce sens, Discours de Thouret devant la Constituante le 10 août 1791 : « Le roi est encore représen- tant (…) et c’est sous ce rapport que la dépense de la liste civile est faite, parce qu’il est le seul individu de la Nation qui, au-dedans comme au dehors, représente la dignité nationale. (…) Le roi est cependant fonctionnaire public. (…) Puisque le roi est revêtu du double titre de premier de tous les fonctionnaires publics et représente le peuple, les comités ont pensé qu’il était plus conforme d’environner d’une plus grande dignité, d’un plus grand respect, celui que la Nation a rendu dépositaire de ses plus grands intérêts. C’est donc sous cette première considération que nous avons préféré la qualité et le titre de représentant ». (Archives parlementaires, t. XXIX, p. 329).

129 Marcel Morabito, Le chef de l’État en France, Paris, Montchrestien, 1996, p. 30.

130 Discours de La Galissonnière devant la Constituante lors de la discussion du projet de décret sur la résidence…, op. cit., p. 509.

131 De même que la Révolution abolit le servage, mais oublie les esclaves ; proclame la liberté mais interdit la sortie du territoire ; sacralise la propriété mais nationalise les biens du clergé etc.

132 Article 2 : « Les propriétés foncières du prince qui parvient au trône, et celles qu’il acquiert pendant son règne, à quelque titre que ce soit (…) sont de plein droit unies et incorporées au domaine de la Couronne [entendu ici dans le sens de domaine de la Nation], et l’effet de cette réunion est perpétuel et irrévocable » (AN, AD X 12, Lettres patentes du roi sur le décret de l’Assemblée Nationale du 9 mai 1790 concernant l’aliénabilité des domaines de la Couronne, 21 septembre 1790).

133 Article 3 : « Les acquisitions faites par le roi à titre singulier et non en vertu des droits de la Couronne, sont et demeurent pendant son règne à sa libre disposition ; et ledit temps passé, elles se réunissent de plein droit et à l’instant même, au domaine de la Couronne [entendu ici dans le sens de domaine de la Nation] » (ibid.).

134 Lois et actes du gouvernement, Paris, Imprimerie impériale, 1806, t. II, p. 163.

135 Louis XVI multiplie d’ailleurs les occasions de filer la métaphore paternelle dans ses déclarations à l’assemblées nationale (Timothy Tackett, Le roi s’enfuit…, op. cit., p. 215).

136 Article 9, section 2, chap. II, titre III de la constitution de 1791 : « Les biens particuliers que le roi possède à son avènement au trône, sont réunis irrévocablement au domaine de la Nation ; il a la disposition de ceux qu’il acquiert à titre singulier ; s’il n’en a pas disposé, ils sont pareillement réunis à la fin du règne » (Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète…, op. cit., t. III, p. 240).

137 Tadami Chizuka, « L’idée de deux corps du roi dans le procès de Louis XVI », Annales historiques de la Révolution française, n° 310, 1997, p. 645.

138 C’est l’opinion défendue notamment par les défenseurs de Louis XVI à son procès. Dès avant, Adrien Duport le 26 juin 1791, juste après la fuite à Varennes : « On ne peut pas considérer le roi comme un citoyen parce qu’il est un pouvoir. Par vos différents décrets constitutionnels, vous l’avez mis dans une classe à part des autres citoyens ; non pas qu’il soit au-dessus de la loi ; mais parce que la manière dont la loi doit lui être appliquée est différente de celle qui prévaut pour les autres citoyens » (Réimpression de l’ancien Moniteur, Paris, Henri Plon, 1861, t. VIII, p. 757).

139 Sans doute cette absence d’inclusion de Louis XVI à la classe des citoyens préfigure-t-elle le statut qui va lui être donné à compter du 10 août, date à partir de laquelle la Révolution entretient avec lui des relations aux confins du non droit, « en deçà du juridique », et décide de le juger en ennemi et non en « citoyen » protégé par les lois. Dans ce sens, le député Masuyer à la Convention : « Je ne trouve pas en lui un citoyen, il a toujours été hors de notre pacte social, et je ne crois pas qu’on puisse lui en appliquer les lois ». Cf. Xavier Martin, « Louis XVI, roi citoyen ? Avatars d’un thème révolutionnaire », Eric Desmons (dir.), Figures de la citoyenneté, Paris-Budapest-Turin, 2006, p. 44.

140 Discours de Thouret devant la Constituante lors de la discussion du projet de décret sur la résidence…, op. cit., p. 425.

141 Ibid., t. XXIII, p. 513. Discours de l’abbé Maury.

142 Alors que la Révolution érige la liberté en droit naturel, son exercice est interdit à Louis XVI à compter de sa présence aux Tuileries. En ce sens, après la fuite à Varennes, le duc de Lévis déclare que la seule faute du roi est d’avoir dit qu’il aime la constitution alors que ce n’est pas le cas et « d’avoir voulu jouir de cette liberté au non de laquelle on l’enchaîne » (Timothy Tackett, Le roi s’enfuit…, op. cit., p. 164).

143 Pour preuve, on constate que lors des travaux préparatoires de la loi du 22 novembre 1790, ce sont les thèses des anciens domanistes relatives à l’union intime qui semblent guider les députés dans leur réflexion (Rapport fait au comité des Domaines par Enjubault de Laroche le 13 novembre 1789, p. 53 ; Rapport sur la vente et l’aliénation des domaines de la Couronne… par M. Barère de Vieuzac…, op. cit., p. 16).

144 Mémoire signifié pour l’inspecteur général du domaine de la Couronne demandeur et opposant à l’arrêt rendu au Conseil le 6 octobre 1674 et à l’arrêt du parlement de Bordeaux du premier mars 1736, s.l.n.d., p. 16.

145 François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 38.

146 John Markoff, « Images du roi au début de la Révolution », Michel Vovelle (dir.), L’image de la Révolution française, Exeter, Pergamon Press, 1989, t. I, p. 236.

147 Jean-Pierre Duprat, « Le roi chef d’Etat et/ou de gouvernement », 1791, la première constitution française, Paris, Economica, 1993, p. 158.

148 Rapport de Montesquiou devant la Constituante le 2 janvier 1790, Archives parlementaires, t. XI, p. 70.

149 Archives parlementaires, t. XIX, p. 588.

150 Article 10, section 2, chap. II, titre III : « La Nation pourvoit à la splendeur du trône par une liste civile, dont le Corps législatif déterminera la somme à chaque changement de règne pour toute la durée du règne » (Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète…, op. cit., t. III, p. 240).

151 AN, O3 529, Réflexions adressées au roi par le gouverneur du château de Rambouillet sur la composition de la Maison du roi, 17 octobre 1790.

152 Il s’agit d’Arnaud de Laporte. Né d’une ancienne famille de robe, il entre dès sa jeunesse dans la carrière administrative. Il est intendant général de la Marine en 1781, maître des requêtes et intendant des armées navales et du Commerce maritime en 1782 (Oscar Havard, Histoire de la Révolution dans les ports de guerre, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1913, p. 48-49). Emigré en 1789, il est rappelé et nommé le 3 jan- vier 1791 intendant de la liste civile, nomination qui conforte les critiques des démocrates (Albert Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 679). Pour d’aucuns, il est honnête, modéré, dévoué au roi et essaye, dans le contexte de la constitution, d’influencer l’opinion publique et de fortifier la monarchie. (Philip Mansel, La cour sous la Révolution, l’exil et la Restauration, Paris, Tallan- dier, 1989, p. 44). Transféré dès le 10 août à la prison aménagée dans l’ancienne abbaye Saint-Germain-des-près et traduit en justice dès le 17, il est condamné à mort le 28 en tant qu’ « agent de la conspiration de Louis et de sa famille contre le peuple français dans la journée du 10 août », puis exécuté le 24 (Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution, Paris, Editions sociales, rééd. 1970, t. III, p. 29). Lors de son procès, le jury le juge coupable d’avoir « employé sciemment les deniers de la liste civile à soudoyer les écrivains incendiaires, à payer des placards qui tendaient à l’anéantissement du crédit public, au renversement de la constitution et enfin à exciter la guerre civile. » (Jacques Cazotte, Correspondance mystique de J. Cazotte avec Laporte et Pouteau, intendant et secrétaire de la liste civile pendant les années 1790, 1791 et 1792, Paris, Lerouge, an VI, p. 2). À cette occasion, il lui est reproché d’avoir brûlé en mai 1792 cinquante-deux ballots renfermant la correspondance du comité autrichien (Antoine-Vincent Arnault, Bibliographie nouvelle des contemporains ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution fran- çaise, ont acquis de la célébrité par leurs actions, Paris, 1823, t. XI, p. 17).

153 Benoît Gauthier, « Les ministres sous la Révolution (1789-1794). Statut juridique et fonction politique », Administration et droit, Actes des journées de la société internationale d’histoire du droit tenues à Rennes les 26, 27 et 28 mai 1994, Paris, LGDJ, 1996, p. 73.

154 AN, 138 AP 167, Mémoire d’Arnaud de Laporte, futur intendant de la Liste civile, adressé au roi antérieu- rement à l’organisation de la Liste civile, s.d.

155 Ibid.

156 Article 11, section 1, chap. II, tit. III, Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète…, op. cit., t. III, p. 245.

157 Ibid., t. II, p. 385.

158 Antoine-Etienne Fantin-Désodoard, Considérations sur le gouvernement qui convient à la France et sur les moyens de concourir au rétablissement des finances de l’État, s.l., 1789, p. 39.

159 AN, O3 529, Réflexions adressées au roi par le gouverneur du château de Rambouillet…, op. cit.

160 Article 11, section 2, chap. II, titre III : « (…) Les condamnations obtenues par les créanciers de la liste civile, seront exécutoires contre l’administrateur personnellement et sur ses propres biens » (Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète…, op. cit., t. III, p. 245).

161 Philippe Ardant, « Le contenu des constitutions : variables et constantes »…, op. cit., p. 32.

162 « Louis XVI, roi citoyen ?... », op. cit., p. 41.

163 Guillaume Glénard, L’exécutif et la constitution de 1791, Paris, PUF, 2010, p. 9.

Pour citer ce document

Par Damien SALLES, «Un impensé constitutionnel révolutionnaire l’exemple de la liste civile», Les cahiers poitevins d'histoire du droit [En ligne], Huitième et neuvième cahiers, mis à jour le : 25/07/2019, URL : https://cahiers-poitevins.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiers-poitevins/index.php?id=173.

Quelques mots à propos de :  Damien SALLES

Professeur à l’Université de Poitiers Institut d’Histoire du droit (IHD – EA 3320)