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Jean-Jacques Duval D’Éprémesnil, une clé pour comprendre la « pré-révolution » française (1788-1789)
Par Frédéric BIDOUZE
Publication en ligne le 25 juillet 2019
Table des matières
Texte intégral
1La Révolution de 1789 est un chaos événementiel doublé d’une irréversibilité politique et institutionnelle ; ses prolégomènes de 1788, indispensables pour en saisir les sens, s’apparentent à bien des égards à un autre chaos : celui des audaces de langage et des propositions les plus diverses venues de tous les horizons, indivi- duels comme collectifs, parisiens comme provinciaux, « témérités d’opinion » pour les uns, planches salutaires pour les autres. Mode électoral, de convocation et de réunion comme celui de 1614, doublement du tiers état ou non, vote par ordre, vote par tête, fin des privilèges, dénonciations de la finance, etc sont autant d’horizons d’attente qui tournent les têtes. Les notions de liberté, de sûreté, de loi, de constitution, de peuple s’entrechoquent sur l’autel d’un monde en train de trembler, dans une sorte de suren- chère et de confusion sémantiques fascinantes avec comme enjeux, l’Histoire, l’auto- rité monarchique et le bonheur public. Cette révolution se produit dans les textes et dans les faits (sous forme de réunions, de séditions et de mouvements de foule dans le royaume) à partir du 5 juillet 1788 où chaque opinion toise l’autre et brandit la menace de fermentation des esprits. Non seulement Louis XVI convoque les états généraux le 8 août 1788 pour le mois de mai 1789, mais il abandonne à ses sujets l’initiative des formes qu’ils doivent prendre par un arrêt du Conseil d’État du 5 juillet précédent :
« Sa Majesté cherchera toujours à se rapprocher des formes anciennement usitées ; mais lorsqu’elles ne pourront être constatées, elle ne veut suppléer au silence des anciens monuments, qu’en demandant, avant toute détermination, le vœu de ses sujets, afin que leur confiance soit plus entière dans une assemblée vraiment natio- nale par sa composition comme par ses effets1 ».
2Cette décision est considérée dans un premier temps comme une manœuvre minis- térielle de plus comme le remarque le libraire Prosper-Siméon Hardy dès le 8 juillet :
« Dès cinq heures du soir, les colporteurs commencent la bruyante publication d’un arrêt du Conseil d’État du Roi en neuf articles concernant la convocation des états généraux du royaume, donné à Versailles, le 5 du présent mois de juillet, signé le baron de Breteuil, […] Par ce nouvel arrêt du Conseil, éloquemment et ingénieusement rédigé, que bien des gens regardaient néanmoins comme une espèce de som- nifère administré finement au peuple français […]2 ».
3Mais très vite, l’arrêt se transforme en un appel d’air historique, déroulant une actualité tout aussi mouvante que celle dont Timothy Tackett nous a rendu compte à partir du mois de mai 17893. Le roi de France est déjà, à ce moment-là, engagé dans un processus hybride qui va faire fortune : celui d’être à la fois l’incarnation intangible de l’autorité souveraine et le remède consacré à tous les maux par la voix du dialogue. C’est l’aboutissement d’une très longue histoire entre les rois de France et leur partage jamais consenti d’une co-législation du royaume, entre les parlements et les états géné- raux. Déjà, en 1679, Pierre Picault avait exprimé cette quadrature du cercle :
« Les rois ont coutume de témoigner une si grande appréhension des parlemens, qu’il semble qu’ils ne sauraient régner sans les détruire : au contraire le peuple fait ordinairement paraître tant de joye à la convocation des Estats généraux, qu’on diroit que toutes leurs misères vont cesser4 ».
4La convocation des états généraux par Louis XVI fonctionne donc comme la jarre de Pandore en l’absence de toute autorité immanente, rendant caduque les formes anciennes et notamment des derniers états généraux de 1614 : poser la question, c’était déjà répondre que l’Histoire était insuffisante voire inutile. Le débat s’ouvre à l’ombre de l’influence arbitrale d’un ministre-banquier très populaire, Jacques Necker (24 août) et en présence d’une opinion publique habituée depuis des décennies à s’agiter à la moindre crise. L’espérance qu’on perçoit à l’horizon est sans doute la seule chose partagée par tous dans un dialogue de sourds qui fait sens, espérance mêlée aussi de crainte, celle qui fait veiller et combattre chacun des camps dont les frontières s’esquissent.
5Comme l’histoire politique de la Révolution française a connu depuis une trentaine d’années un tournant majeur en collant davantage aux événements, en laissant le présent se dérouler dans la force de son actualité, la période dite « pré-révolutionnaire » doit également sortir des seuls discours et idées, d’une recherche parfois vaine de leur cohérence en tant que corpus. Tous mes travaux sur le discours parlementaire au XVIIIe siècle, ses rapports complexes avec l’espace public mêlant discours noble et discours de ruisseau, m’ont amené à relativiser, avant 1789, toute empreinte de parti, de fixité et à toujours veiller à distinguer les liens possibles entre les idées et l’expérience du vécu, voire tout simplement, la stratégie, l’action et les haines entretenues. Il en va ainsi des doutes, sans être les seuls, sur la prégnance d’un parti janséniste durable qui aurait été l’alphabet d’une résistance5.
6La Pré-révolution dont il s’agit, est donc au cœur d’un exercice complexe de séman- tique des temps historiques plutôt que d’une hypothétique discussion sur l’expression devenue elle-même certes, téléologique, mais qui demeure sans risque, générique d’une époque : celle qui précède le grand ébranlement (5 juillet 1788-5 mai 1789) ; elle n’a rien en commun avec la crise qui s’ouvre en février 1787 lors de la première assemblée des notables. Elle est grosse du passage d’une culture politique à une autre et mérite à plus d’un titre de figurer parmi les plus grands moments de l’histoire de France et en particulier, celle des esprits. Au-dessus des questions strictement législatives et de pouvoirs, hors les spécificités des conflits sociaux au sortir d’une féodalité à bout de souffle, il est aussi une histoire du verbe qui s’accomplit en même temps que celle, mieux connue, du transfert de la souveraineté du roi à la nation. Analyser les milliers de brochures qui ont imprégné les consciences durant ces dix mois, ce n’est pas forcément enfoncer les portes ouvertes d’une prise d’assaut par le tiers état du pouvoir législatif mais c’est aussi scruter les tensions réelles qui ont produit une révolution sans nulle autre pareille. Une révolution qui a été incapable de fonder une constitution ou même le social, sur fond d’une lutte permanente pour le pouvoir, parce que la Pré-révolution a consisté justement à en ignorer consciemment ou inconsciemment les premiers symptômes. L’ancien contrôleur général Charles-Alexandre de Calonne en exercice entre 1783 et 1787, le premier sans doute à avoir mis sous les yeux d’un roi de France le constat impératif d’une refonte complète des institutions du royaume et surtout la nécessité d’un impôt égalitaire, appelé « subvention territoriale », est l’un de ceux qui ont prévenu du danger. Obligé de s’exiler à Londres, très impopulaire au point que la foule l’empêchera de débarquer en France le 30 mars 1789 afin de se présenter comme député aux états généraux, il écrit une longue lettre à Louis XVI le 9 février 1789 dans laquelle il justifie son œuvre et fustige l’arrêt du 5 juillet :
« On a fait certainement une très grande faute en excitant, par un arrêt du Conseil, les citoyens de tous les ordres et de tous les états, à communiquer et publier leurs recherches et leurs observations sur les questions relatives à la convocation des États généraux, comme si le gouvernement avait besoin de ce secours pour résoudre de prétendues difficultés, lesquelles n’ont existé qu’aux yeux de ceux qui ne savent ja- mais prendre leur parti ! Cette invitation, jusqu’alors sans exemple, a mis la plume à la main à une foule d’écrivains et d’écrivailleurs qui, se croyant autorisés à endoctriner la Nation, et donnant leurs rêveries politiques pour des éléments de droit public, se sont à l’envi l’un de l’autre, épuisés en dissertations de toute espèce6 ».
7Loin d’être le seul, ce constat est sans doute inaudible dans la tourmente, mais il est lisible dans la littérature de ce temps. À l’abstraction révolutionnaire, précède une sagesse incapable de stopper le phénomène à redouter, débordée par l’illumination d’un monde à enchanter. Dans la brochure De la République et de la Monarchie, de décembre 1788 (le doublement du tiers est décidé le 27 décembre), on assiste avec crainte à cette logique mathématique dont les conséquences sont plus graves que sa réalisation, en soi, sans doute souhaitable :
« Le 3e ordre, en nombre double et votant par tête avec les deux autres, aurait constamment la prépondérance, et rendrait la constitution entièrement populaire. Dès lors, il y aurait égalité politique entre tous les ordres, entre tous les citoyens ; car les premières classes du tiers état ne peuvent y prétendre avec la noblesse sans l’accorder également aux dernières du peuple. Or, que les députés de cet ordre jugent eux-mêmes ce qu’il en arriverait. Ils viennent d’être les témoins des explosions de l’esprit d’égalité dans les têtes françaises, et certainement ils feront désormais de profondes réflexions avant de se déterminer7 ».
8La Pré-révolution, c’est ce temps décisif au cours duquel des conditions historiques spécifiques et définitives se mettent en place en France : c’est la littérature qui prime sur le social, le verbe qui l’emporte sur la réalité, les « lumières » révolutionnaires qui se construisent sur le terreau des Lumières philosophiques, empreintes au contraire d’incertitudes, d’angoisses et de peurs de l’avenir. L’excitation et l’ivresse que l’arrêt du 5 juillet autorise et ne peut contenir, divisent autant qu’elles rassemblent, au terme d’un siècle qui trouve enfin une issue à son génie et qui pare la France de tous les dons. C’est déjà en soi une Révolution française, celle qui crée une attente toujours insa- tisfaite, celle qui prépare, avançant au gré des conflits, autant d’expériences faites de réussites que d’échecs. C’est déjà cette modernité durable où la culture du compromis est absente, où la culture de l’affrontement est omniprésente8. C’est déjà cette révolution démesurée que décrit François Furet, « l’imaginaire d’une société devenu le tissu même de son histoire9 ».
Pré-révolution et parcours biographique
9C’est dans ce cadre que je reviens dans un premier temps sur le concept de Pré-révolution sous l’angle de la prodigieuse discursivité au sujet des futurs états généraux. Cette Pré-révolution des discours est abordée non pas sous l’angle des seules idées et des projets, du « progrès » contre le « conservatisme », plutôt sous les angles de l’audace contre la peur et la prudence, du conflit entre illumination et sagesse qui façonnent tant les révolutions françaises. Dans un second temps j’articule ces perspectives autour de l’un des rares chaînons biographiques de la campagne de presse de 1788, le conseiller des Enquêtes au parlement de Paris, l’avocat Jean-Jacques Duval d’Éprémesnil (1745- 1794), l’homme qui incarne sans doute le mieux cet étrange temps de passage de la fin 1788 et début 1789. Héros de l’été 1787, l’un des premiers appelants en faveur des états généraux, dernier martyr de la cause parlementaire au lendemain des enregistrements forcés de mai 1788, emprisonné dans la forteresse des îles Sainte-Marguerite jusqu’à la mi-septembre, il passe en quelques semaines du patriote le plus en vue à l’opposant le plus féroce (ou rendu comme tel dans l’imaginaire de la presse) au tourbillon d’espoirs nés après l’arrêt du 5 juillet10. Arrêts parlementaires, remarques, gloses et réflexions tous azimuts, fonctionnent ici comme un symptôme d’incommunication entre le par- lement de Paris et un tiers état pourtant encore virtuel qui entend traiter directement avec le Roi lors de la réunion des états généraux prévue au printemps 1789. Cette révo- lution textuelle se noue en particulier autour de ce personnage inclassable, contraint de devenir à lui tout seul, l’alpha et l’oméga d’un schéma imprévisible qui deviendra avec le temps sujet d’opprobre et de vindicte majeurs du déterminisme révolutionnaire. Loin de s’appartenir, dans ses choix comme dans ce qui le rapproche puis le dis- tingue du parti patriote ou national avant qu’il n’implose en de multiples courants, le conseiller du parlement de Paris est l’objet d’une lutte à mort pour ce qu’il a représenté depuis le début des années 1770 (catholique fervent, anti-philosophe, mesmériste, etc) et ce que les partisans d’un Tiers émancipé veulent bien qu’il devienne : l’inspirateur d’une aristocratie parlementaire unanimement menaçante qui doit se retirer et abandonner son rêve politique de domination législative. Ce rêve était à bien des égards un spectre brandi au nom d’un roi incapable de mener les débats, pressé d’en finir avec les parlements comme pour mieux être ignorant des conséquences de la campagne électorale. D’Éprémesnil est au cœur médiatique de ce spectre.
La révolution commence le 5 juillet 1788
10L’arrêt du 5 juillet et ses suites inaugurent un moment qui revêt des fonctions révolutionnaires, mentales du moins, qui rendent plausible un transfert de la critique absolutiste d’un vaste champ des contraires à un corps plus resserré : le Bien et le Mal se distinguent plus clairement. Le despotisme ministériel, longtemps brandi par tous ceux qui avaient à se plaindre des atteintes faites à leurs privilèges ou qui rêvaient d’une monarchie tempérée, épargnant et le roi et les corps intermédiaires (clergé, parlements), s’estompe ; il laisse place au despotisme, aristocratique et parlementaire. Ce déport de la critique contre le roi et les ministres vers les privilégiés, corps intermédiaires mêlés, est capital et se confirme dès le moment de la convocation des états généraux. Il n’y a guère que Condorcet qui s’aventure bien avant et anonymement, à n’être pas dupe des parlements. Leur opposition au despotisme ministériel et leur héroïsme contre les lettres de cachet sont selon le mathématicien des artifices historiques qui aveuglent l’opinion contre ceux qui sont à la fois « législateurs, juges et parties11 » ; « Je n’aime point le despotisme, mais je hais encore plus l’aristocratie [dont les parlementaires], qui est le despotisme de plusieurs ». Il se produit donc un changement de cible sans changement de règles. Les témoignages contemporains sur le vif et même postérieurs (si l’on retire leurs aspects soit partisans pour ce qui va suivre, soit hostiles) convergent vers le même sentiment autour de la forme de la convocation aux états généraux. Je ne me place ni du point de vue juridique, ni même événementiel, plutôt du côté de l’analyse de l’horizon d’attente. Comme le souligne Nicolas Ruault dans sa correspondance le 3 octobre 1788 : « rien n’est encore décidé » ; on « flotte entre dix manières diverses d’appeler les différents membres des trois ordres de l’État qui doivent composer l’Assemblée générale ». « Les avis, les pamphlets, les brochures pleuvent de toutes parts sur cette intéressante matière » ; « ils disent d’or et ne concluent rien »12. La fracture qui m’intéresse davantage est celle qui différencie ceux (les plus nombreux) qui estiment (comme Ruault), que malgré l’embarras (sur cette question du nombre de chaque ordre) les temps ont définitivement changé : « L’esprit des temps anciens n’est pas celui du nôtre : les Lumières se sont propagées depuis environ un siècle ; nous sommes devenus un peuple de raisonneurs ». Des milliers de formules semblables expriment cette satisfaction d’aboutir enfin, avec une gamme très élargie de style, des plus lyriques aux plus agressifs. La formule publique de l’avocat Michel-Antoine Servan est quant à elle très brutale et ciblée : « Pour empêcher que huit cents ans de malheurs, cent ans de lumière, et deux années de courage, ne vinssent avorter dans les États généraux de 161413 ». Derrière 1614, il y a l’arrêt du parlement de Paris qui a opté le 25 septembre pour les modalités de ces derniers états généraux. J’y reviendrai. Il est plus facile de lire ce genre d’assertions qui entraînent la majorité, que celles qui freinent des quatre fers à la perspective de perdre davantage que d’y gagner, qui pensent que le royaume va de Charybde en Scylla. Leurs préoccupations dépassent de loin les clivages sur lesquels les contemporains ont bien voulu, dans l’action, insister : Lumières, philosophie, émancipation, etc. D’une certaine manière, comme réouverture de ce chantier, ne faut-il pas enfin poser derrière cette Pré-révolution, cet « avant », l’idée que la contradiction s’opposait à une révolution, que cet élan généreux de surenchère, fourre-tout, forcément majoritaire, était plus dangereux car il conditionnait forcément la possible révolution elle-même ? Cela vaut la peine de se poser la question. Dès le mois de novembre 1788, le journaliste Jacques Mallet du Pan écrit dans son Journal :
« Les écrits violents et bizarres, anarchiques, continuent. Leurs auteurs veulent dans six mois atteindre la perfection du gouvernement ; transformer une monarchie absolue en république, et donner les plus belles leçons aux États libres. On ne voit ni deux avis, ni deux idées, ni deux plans conformes dans cette multitude de pam- phlets. On s’assemble sans ordre et malgré les ordres, dans les différentes provinces ; toutes les têtes s’échauffent, raisonnent et déraisonnent, décident et disputent. Au lieu de montrer aux divers ordres de l’État leurs intérêts communs, on s’est étudié à leur montrer leurs intérêts opposés ; à les aigrir mutuellement, à opérer une scission entre le tiers et les deux autres ordres. On y a réussi. L’excès des abus du pouvoir a amené la crise actuelle, l’excès des réclamations et des mouvements les rendra inutiles. Il se pourrait bien qu’après tout ce train et cette discorde, les députés entrassent aux états généraux blasés sur toutes ces contestations14 ».
Pré-révolution et degrés de radicalisme
11Cette époque est donc un temps de flottement où se jouent les degrés de radicalisme : radicalisme théorique au radicalisme d’action, pratique15. C’est exemplaire chez l’avocat bordelais Guillaume-Joseph Saige, chantre du républicanisme pamphlétaire sous l’Ancien Régime, bien étudié par Keith. M. Baker. Dans son best-seller de 1775, Le catéchisme du citoyen, il s’élevait contre la tyrannie du chancelier Maupeou, et défendait l’ancienne constitution du royaume (et la place qu’y occupaient les parle- ments) en invoquant la souveraineté de la volonté générale. « Or, qu’arriva-t-il, écrit Baker, à ces thèses quand l’ancienne constitution se trouva en butte à de vives attaques (comme ce fut le cas au cours du grand débat sur les formes des états généraux) menées au nom de la nation elle-même ? Au cours de cette discussion, Saige revint en deçà des conséquences de ces arguments qu’il avait développés dans ses écrits antérieurs. Ce fait ne diminue guère l’intérêt qu’ils offrent comme exemples de cette escalade idéologique qui va des luttes politiques et ecclésiastiques du milieu du siècle vers la destruction finale de l’ancienne constitution en 178916 ». Au cœur de cette ligne de partage, il y a l’animation que doit prendre dans les faits cette orgie pamphlétaire car on doit aussi comprendre pourquoi un « républicain » de la première heure comme Saige recule au moment décisif ou considéré comme tel. C’est à ce moment-là que se brouille la perception qu’en ont les contemporains qui font appel aux Lumières, à la philosophie, à tous les grands esprits qui, pêle-mêle, sont convoqués (Voltaire, Montesquieu, Raynal, Helvétius, Rousseau, etc17) et qu’en auront les historiens jusqu’à la fin du XXe siècle. Dans l’ouvrage majeur de Jean Egret, La Prérévolution française18, et malgré la qualité de ses vues, le poids durable de son étude et de ses conclusions, le débat est déjà tranché. La démarche d’Egret est de chercher dans les textes de l’époque des typologies de discours, des corps d’idées plus ou moins opposés, une identité. L’estime de ce qu’il appelle ce « rêve insensé de révolution aristocratique » est souvent appuyée par les discours des futurs vainqueurs qui en appelaient, pour faire court, à une « véritable assemblée nationale19 », à propos par exemple d’Adrien Duport, parlementaire passé dans le camp des patriotes, leader de la Société des Trente. Il en va de même plus récemment chez l’historienne Vivian R. Gruder. Elle parle étrangement de « poujadisme » à propos du libraire Prosper-Siméon Hardy qui, à l’automne 1788, se laisse convaincre par l’idée d’égalité fiscale à l’approche des états généraux, mais qui n’y adhère aucunement par volonté de représentation égale des ordres… « He was unable to understand the new issues and the new social and political forces that were in the process of transforming the French government and the French nation », comme si la lecture des discours contraires devait être faite et surtout interprétée à l’aune de cette vision téléologique de l’histoire pour le moins inappropriée mais malheureusement très courante20.
12Il me semble que l’on doit raconter cette histoire essentielle, non pas à la lueur de ce qui va prendre force et droit entre mai et juillet 1789, mais par le prisme de ce que les contemporains pouvaient s’imaginer mettre en place (au cœur du préfixe Pré-). Les révolutions ne se produisent jamais sans amalgames, accélérations, exagérations, sans des discours grégaires (je pense à Qu’est-ce que le tiers état ? de l’abbé Sieyès, mais aussi à beaucoup d’autres, sans doute moins efficaces), contre une irréductibilité d’un adversaire, réel ou supposé dans la menace qu’il est censé incarner ; les pré-révolu- tions (au sens de la périodisation) sont une époque où ne s’affrontent pas seulement que des systèmes d’idées (liberté), de régime politique (souveraineté de la nation) ou de société (propriété), mais où se jaugent consciemment ou inconsciemment les équilibres, entre la peur et l’audace, la patience et l’impatience aussi. Lorsqu’on recueille les souvenirs après la tempête, on retrouve cette tension mais le document est ici une empreinte souillée ; on y reconnaît le bon sens, la marche logique comme dans ce regret du contemporain Jean-Charles-Dominique de Lacretelle :
« Il fallait obéir au temps, mais il fallait aussi le respecter. Malheureusement on souriait au mot de révolution ; on prétendait qu’à l’aide de certaines formules philosophiques, il était facile de faire d’une révolution le plus beau, le plus gai et le plus innocent des spectacles, de l’établir pour tous les siècles ; c’était là le genre de crédulité d’un siècle incrédule21 ».
13Mais la révolution juridique et politique n’a pas encore donné son verdict et c’est ce dernier qui donne naissance, rétrospectivement, à la Pré-révolution. L’idée est que l’on assiste au triomphe d’une révolution du discours ; un discours qui déplace que très peu celui des dernières années de l’Ancien Régime et qui peut donc s’adapter à une opinion déjà très imprégnée. L’équation est très simple (d’où l’idée de complot plus tard tout aussi fausse que celle de l’unanimité spontanée) : entre le roi et le ministère tombé dans les bras d’un Tiers qui n’est encore, selon Saige qu’une « tourbe aveugle »22, se joue le même jeu qui se jouait encore l’année passée avec les parlements. Un jeu d’adresse, de négociations, une « culture juridique des conflits » qui maintenait à la fois, au final, l’autorité monarchique (tout en la sapant peu à peu) et l’influence des corps intermédiaires. Mais cette fois, de manière inédite, le roi est de loin le plus faible. Le Tiers, quoiqu’informe politiquement, a sa bénédiction depuis plusieurs mois. C’est le discours de Louis XVI à l’ouverture des états généraux (non pas dans ses nuances plusieurs fois remaniées, par Necker et Montmorin), qui nous en laisse quelques traces : le fonds n’a que changé à la marge (concessions ici et là comme le mea culpa de la dette, etc) ; Louis XVI s’adresse à une nation virtuelle (qui n’est plus incarnée par les parlements, digues contre le despotisme et arbitres des conflits dont il entend se débarrasser) à laquelle il sert le même discours séculaire et qui veut bien y croire ; le souverain y est toujours le centre de toute puissance et de toute législation :
« Je connais l’autorité et la puissance d’un roi juste au milieu d’un peuple fidèle et attaché de tout temps aux principes de la monarchie : ils ont fait la gloire et l’éclat de la France, je dois en être le soutien et je le ferai constamment23 ».
14Louis XVI attend avec confiance, une nouvelle fois, qu’on lui tende le seul « miroir de son royaume ».
La Pré-révolution : lecture d’une impossible monarchie constitutionnelle
15J’ai montré comment dans les brochures qui agressent les parlements de 1787 à 179024, le déport qui se produit à ce moment-là est essentiel pour comprendre ce qu’on appellera l’échec de la monarchie constitutionnelle, quoique le mot échec est impropre car il suppose que c’était possible. Je prétends que non. Dans l’œuvre d’Egret, tout transpire d’une recherche constante (très souvent relayée avant comme après les années 1970), d’une chance manquée, comme si l’avenir aurait pu être différent. Le Mémoire adressé au Roi par Lamoignon de Malesherbes, aujourd’hui perdu, de juillet 1788, est déjà très usé25. En demandant à Louis XVI de concevoir la constitution de son siècle, d’y prendre sa place, de ne pas craindre de la fonder sur les droits du peuple, l’ancien Président de la Chambre des comptes avait un discours inadapté à l’élan anarchique qui déferlait sur le royaume et n’aurait pu en rien, comme l’affirme J. Egret, « prévenir les hasards des États généraux » ; c’était le même qu’il déployait, au nom de l’opposition parlementaire, au temps de Maupeou, à la différence près que Louis XVI, pour être à la hauteur des vœux de la Nation devait selon les termes de Malesherbes « maîtriser » l’événement en l’accomplissant lui-même, que c’était le peuple qui devait sanctionner son ouvrage et non l’inverse. L’antienne anti-parlementaire est déjà bien rodée en 1788 mais elle prend tout son sens et bascule justement au moment où le roi, tel un enfant qui croit avoir un nouveau protecteur, abandonne celui qui le dominait trop à son goût pour tomber dans une dépendance dont il ne pouvait pas encore avoir idée. L’éternel « coup d’État » des parlements contre la monarchie passe potentielle- ment dans les mains de la Nation de manière invisible le temps d’un été et le réveil sera douloureux. Il y a peu de Cassandre qui déterminent la pesée des conséquences des décisions essentielles qui furent prises à ce moment-là, notamment toute la série d’arrêts et de déclarations du roi qui vont jusqu’au règlement électoral du 24 janvier 1789 étonnamment ouvert. Ces perspectives contradictoires sont à étudier, déshabillées de leurs haillons parlementaires, comme si la pensée politique de ce moment capi- tal ne se mesurait qu’à un « parti » parlementaire en plein désarroi et divisé. On peut citer tous les témoignages postérieurs de regrets, surtout ceux de Jacques Necker et sa « naïve ardeur », et il avait bien raison de dire que la perspective des états généraux « s’offrait à l’imagination comme un terme de repos et de bonheur26 », rien ne nous renseigne plus que l’analyse intime des convictions à l’instant T. Nombreux sont ceux qui estimaient que « l’imagination » était bien sans fin. Les options choisies lors de ces périodes qui « précèdent » sont ici au cœur de mon interprétation, elles dépassent les idées, mais interrogent l’autorité et surtout ce qui se joue lors d’une Pré-révolution : d’un côté le conservatisme parce qu’il prévoit le pire, de l’autre le basculement parce qu’il rêve sincèrement du meilleur. Cette période de tension au bord de la rupture, l’abbé Morellet l’appelle le « délai », le moment de l’automne 1788 et de l’hiver 1789 (où il tenait un cercle très modéré) dont l’effet naturel « fut l’accroissement sensible de l’agitation des esprits ». Ami et collaborateur de Voltaire, économiste éclairé qui a beaucoup souffert de la Révolution, il ne cache pas dans ses Mémoires son exécration de 1789. Plus que l’énumération de ce qu’il déplore (l’ambition des députés devenus des idoles et la violence de la populace), ce qui m’importe est sa perception (sincère, avec toutes les précautions que l’on peut prendre, lui-même avouant qu’il « est aisé d’être prophète après-coup27 ») de ce qu’il ne pressentait pas :
« On était loin de penser que le seul doublement du tiers pût donner aux ennemis de la noblesse et du clergé une puissance exorbitante […] Bien entendu qu’on supposait la noblesse non divisée en partis, et le veto conservé au roi28 ».
16On a donc longtemps glosé sur la disparition salvatrice des parlements, lors de la campagne de presse comme aux lendemains de la Révolution en confondant deux moments : celui d’un combat de plusieurs siècles constitutif d’une monarchie et d’une nation d’un côté, et celui d’un temps de fracture, ce temps qu’Hyppolite Taine appelle avec de nombreuses charges « l’anarchie spontanée ». Si les contemporains se sont engouffrés dans la brèche du doublement et du vote par tête avec un enthousiasme compréhensible et justifié au regard des crispations des cours souveraines, il ne nous est pas interdit de scruter avec patience l’étrange sort qui est fait à ces dernières dans les discours, comme si par un miracle soudain le roi avait les moyens de faire en quelques jours ce qu’il n’avait pu réaliser en plusieurs siècles29. L’avocat bordelais Saige n’a pas peur de l’écrire, à contre-courant de la vague :
« N’est-il pas étonnant qu’à la veille d’une assemblée nationale qui doit fixer le sort de l’État, le peuple, au lieu de se concerter avec les ordres supérieurs, pour établir la liberté publique sur une base solide, dirige au contraire tous ses efforts contre ces ordres ; et favorise ainsi la durée du despotisme, en rompant l’union, si né- cessaire pour détruire cet ennemi commun du Clergé, de la Noblesse et du Tiers- État ?30 ».
17Jean Egret estime qu’à cette époque Saige était « moins passionné et plus dogmatique »31, ne voit pas ce qu’on peut avoir le droit d’y distinguer : la prudence, la patience et l’avertissement d’un homme d’expérience. On lit encore dans L’Ami des Trois ordres ce que maints témoins répèteront dans leurs regrets éternels, à savoir :
« Les questions qui partagent les esprits, et inspirent aux ordres une animosité mutuelle, ne sont-elles pas la pomme de discorde lancée parmi eux, afin de détourner leur attention d’un objet plus important ? Mais, si tous les ordres sont, dans ce moment-ci, les dupes du manège d’une cabale artificieuse, le Tiers-État est encore plus trompé, en croyant l’intérêt cher à des hommes qui ne sont occupés que de leur avantage personnel, et qui veulent uniquement faire servir sa haine contre les ordres supérieurs, d’instrument à la servitude générale. N’est-il pas évident que le Tiers-État, avant de s’élever contre les classes privilégiées, devrait commencer par briser, conjointement avec elles, la chaîne commune qui les accable ; et par détruire complètement le pouvoir arbitraire, qui pèse également sur les grands et les petits, sur les nobles et les plébéiens ?
Que dans une constitution libre et bien réglée, il acquerra, naturellement et par la seule force des choses, la prépondérance à laquelle il aspire ; mais alors bien différente de cette prépondérance précaire et dangereuse qu’il obtiendrait de la volonté du Monarque.
C’est seulement par l’usage d’une pareille constitution, qu’il se pénétrera des notions et des sentiments de la vraie liberté ; mais actuellement, plein des idées et des habitudes de l’esclavage, il peut, par des démarches prématurées, donner dans les plus grands écarts : enfin, le Tiers-État ne paraît, dans ce moment-ci, qu’une tourbe aveugle, qui s’agite au hasard ; et les raisonneurs qui la dirigent sont, ou des guides non moins aveugles qu’elle, ou des hommes dangereux et perfides […]
Et que ce même Peuple, en se plaignant de l’oppression qu’il éprouve de la part des classes privilégiées, oublie la terrible et continuelle oppression du Gouvernement arbitraire qui l’accable depuis si longtemps ?
Sa conduite ne ressemble-t-elle pas à celle d’un homme qui, voulant rassurer un édifice qui menacerait de ruine, s’occuperait à réparer les toits et les cloisons intérieures, sans s’embarrasser des murs ni des fondements.
Cette inconséquence, dont l’histoire de notre Nation nous présente des exemples répétés, a singulièrement favorisé chez elle les progrès du pouvoir absolu. »32
18Mais ce discours est inaudible. Ceux qui emportent les suffrages martèlent sans cesse que les Français doivent sortir de « cette honteuse apathie, de cette insensibilité qui devient criminelle » et s’élever « contre le Clergé, la Noblesse et la Magistrature, ligués ensemble33 » ; ils s’empressent de démentir en chœur que le spectre des troubles de l’État que brandissent les privilégiés, ne concerne ni le roi ni la nation ; ils font croire que les quelques concessions lâchées par les parlements (5 décembre 1788 : liberté de la presse, habeas corpus, voir plus loin) ne sont qu’un camouflage de plus :
« N’est-il pas de toute évidence, que ce que j’en fais, n’est que malice pure, mauvaise intention contre les parlements, et non point un juste soulèvement contre la convocation de 1614, et non pas le désir de sauver nos propriétés et nos libertés, d’un naufrage doucement préparé par nos chers pilotes eux-mêmes ?34 ».
19D’où l’idée que les états généraux de 1614, l’affichage médiatique de leurs modalités d’élection, de réunion, ne furent qu’un prétexte pour discréditer définitivement toute voie (et voix) contradictoire.
20La menace de destruction fut vécue sincèrement par beaucoup ; elle entretenait ce que Corey Robin appelle « un fertile terreau pour la peur : une peur de la perte, de l’anarchie35 » et ne pouvait plus être que l’apanage des conservateurs ou des plus courageux, considérés comme les plus fous, ceux qui estimaient qu’à juste titre le roi ne pouvait pas d’un coup faire des états généraux l’incarnation de la nation souveraine après les avoir si longtemps évités, d’autant plus que l’on dénigrait régulièrement l’impuissance de ceux de 1614. L’idée est d’admettre que cet élan prérévolutionnaire ne voyait pas les conséquences de principes que Hobbes n’aurait pas reniés ; ce principe est ce que Bertrand de Jouvenel appelait « la dépendance de fait dans laquelle chacun se trouve forcément envers les Autres, mais qui est éprouvée sous forme de pressions très diverses en nature et direction, devient une dépendance de droit, univoque, envers celui ou ceux qui parlent d’une seule voix au nom de tous, arbitrairement agrégés36 ». Le renouvellement de l’histoire parlementaire des derniers mois de l’Ancien Régime passe par une remise en cause : il est discutable d’affirmer que ce que l’on a longtemps appelé improprement « Pré-révolution » n’a été qu’une révolution patriotique conservatrice des magistrats associés à l’aristocratie et au clergé (l’hydre que l’on va appeler le sénat-clerico-aristocratique37, qui est déjà celle de la Bastille, de son imagerie et de son mythe, prenant définitivement sa forme dans la Contre-Révolution), une course en avant aveugle, une erreur fatale vers une redéfinition de la souveraineté, passant du roi à la nation. Au mieux, cette course a été interrompue brutalement et n’a jamais atteint son but pour des raisons historiques et dont les conséquences sont visibles dans la construction de la culture politique à venir : un goût prononcé pour les grandes formules et une prodigieuse capacité à s’écouter parler quand les idées de peuple, de constitution et de liberté n’ont jamais été clairement affrontées et délimitées. Si la Révolution a produit des mythes, des droits de l’homme et de l’émancipation de tous, la Pré-Révolution en a fourbi les conditions de possibilités venues du fond des âges, ceux d’une monarchie au fonctionnement schizophrénique.
D’Éprémesnil au cœur de la métamorphose de la pré-révolution pamphlétaire
21La campagne de presse de 1788 est une véritable déferlante de brochures, mais elle ne se préoccupe pas encore de diffamation sauf contre les ministres déchus, comme Charles-Alexandre Calonne, Loménie de Brienne ou encore Lamoignon, ce qui est en soi une tradition mais répond surtout dans l’immédiat à la méfiance généralisée contre la Cour Plénière et surtout le refus mal dissimulé de ne pas convoquer les états généraux. En revanche, à l’occasion de la réflexion engagée par l’arrêt du Conseil d’État du 5 juillet, de la convocation des états généraux le 8 août, les prises de position sont devenues de manière inédite clivantes ; elles ont formaté les stratégies discursives des plumitifs au service du Tiers ou du Roi (ce qui souvent revenait au même38). Prêts à broder sur le moindre prétexte ou la moindre déclaration, les auteurs lancent lit- téralement le « peuple », confondu avec la « nation » dans la bataille. Le Parlement, digue contre le despotisme, comme on le lisait encore dans L’Esprit des édits d’Antoine Barnave quelques semaines auparavant [mai 1788], a disparu. Le libraire Siméon-Prosper Hardy ne saisit pas encore la métamorphose. Il réagit dès le 18 juillet à propos de la diffusion d’un libelle royaliste qu’il juge dangereux, intitulé : Au peuple, sur ses vrais intérêts. Il parle d’un coup de l’administration contre les parlements, et s’indigne que la brochure soit mise « avec une criminelle affectation dans les mains du plus bas peuple. »39 La brochure est une charge lourde contre les parlements et dénonce leur perfidie en défiant « le plus ignorant des hommes de ne pas s’apercevoir, que tout en criant contre le despotisme, leur grand but était de s’emparer de toute l’autorité40 ». En mettant en balance l’autorité des parlements et du roi, ce genre d’assertion classique ne la laisse qu’à ce dernier : « Louis XVI despote parce qu’il veut le bien de ses sujets41 ». Ce qui effraie Hardy, c’est que rien ne les remplace face au souverain, laissé justement seul « despote ». Des centaines de brochures glosent sur ce registre :
« Ouvrez donc les yeux sur les biens réels que vous prépare la révolution qui va s’opérer, et que les véritables amis de l’humanité désirent depuis si longtemps. Comparez les avantages qui doivent en résulter pour vous en particulier, comme étant la portion la plus souffrante, et qui, à ce titre, mérite la plus scrupuleuse attention du Gouvernement, avec l’espoir illusoire dont les parlements vous enivrent42 ».
22Ce retournement est bien connu et il s’explique aisément ; schématiquement, il ne tient pas du miracle mais seulement du relais pris par le Roi et surtout par un Tiers en phase d’élaboration qui ratissent très large contre les parlementaires ; ces derniers se crispent et une révolution des discours prend sa source dans la décision du parlement de Paris, sur proposition de Robert de Saint-Vincent, que « les États généraux indiqués pour le mois de janvier prochain [fussent] régulièrement convoqués et composés et ce suivant la forme observée en mil six cent quatorze43 ». Cette seule phrase met le feu aux poudres ; l’option conservatrice devient la pierre d’achoppement cari- caturale d’une bataille féroce, radicale, manichéenne surtout. Elle est à l’origine de la construction d’un imaginaire révolutionnaire avant la Révolution : celui du complot parlementaire, qui tire ses origines d’une longue histoire. Certaines brochures comme la Doctrine empoisonnée des parlements ou le Catéchisme des parlements44 glosent sur la nécessité de s’en tenir à leur rôle judiciaire et crient au coup d’État, au danger de voir les parlements s’arroger tous les pouvoirs. C’est le vieux fond de brochures des années 1771-1774 qui refait surface comme ce Songe d’un jeune parisien (1771) qui est réédité mot pour mot avec pour titre Songe d’un bon citoyen français45. L’idée du premier était de fustiger l’hydre à mille têtes du parlement révolté contre Louis XV et d’entrer dans le nouveau parlement Maupeou afin de rendre la bonne justice et d’obéir sans faille au Souverain. L’idée du second engage les lecteurs à suivre Louis XVI dans les démarches engagées depuis le 5 juillet. La différence, capitale, est que dans ce contexte même le Roi perd progressivement la main face aux initiatives les plus hardies :
« Il est donc visible que le règlement n’est pas, et qu’il ne peut pas être l’œuvre du Prince […] il n’est pas non plus celui du ministre, il est simplement le produit de quelques-unes de ses lumières, et de beaucoup de celles de ses sous-ordres ; c’est l’idée d’un tel que plus et moins celle des dix autres […] Ce n’est que du sein d’une discussion publique, longue, et surtout libre, que peut sortir un règlement armé de tous les rayons de l’évidence. Or, c’est dans cet état seulement qu’il est digne d’être présenté au Prince au nom duquel il doit paraître, et au peuple qu’il doit gouverner. Dans tout autre état il insulte l’un et l’autre s’ils pouvaient être dégradés par les opérations indigestes du ministère. »46
23Alexandre-Charles, marquis de Casaux (1727-1796), économiste et physiocrate se fait dans cette brochure l’interprète d’une pensée qui se généralise au cours de l’automne, que Louis XVI, pensant contrôler la situation, encourage, notamment dans le discours de son garde des Sceaux devant les notables du 6 novembre :
« L’intention du roi, publiquement déclarée, est de s’environner de toutes les lu- mières de son royaume, et de ne se prononcer qu’après les avoir recueillies : c’est donc trahir l’État que de se rendre maître de les étouffer ».
24On comprend que les corps intermédiaires qui se prononcent, notamment le parle- ment de Paris le 25 septembre en faveur des modalités de 1614 puis cette même assemblée des notables au début du mois de novembre contre le doublement du tiers état, aient été vent debout contre cette perte d’autorité qu’ils considéraient comme complète, pour eux comme pour le monarque.
D’Éprémesnil, le sacrifice du dernier parlementaire
25C’est Jean-Jacques Duval d’Éprémesnil qui paie les premiers frais de cette métamorphose du pamphlet et qui en essuie les premières dénonciations publiques. C’est la diffamation qui trouve une issue et une traduction politiques alors qu’auparavant elle ne valait pas plus cher que les réputations, à l’image de celle de Marie-Antoinette. Phénomène bien connu du passage d’un temps immuable de l’Ancien Régime au temps événementiel de la Révolution. Comme tout temps de passage et ici de Pré-révolution, cette agression pamphlétaire exceptionnelle contre un seul personnage, s’appuie sur des facteurs historiques concordants qui fonctionnent comme un faisceau d’arguments. Ces arguments servent à la fois la cause philosophique, la cause du Tiers et d’une manière générale la cause « prérévolutionnaire » qui s’attaque à l’ordre déjà ancien. Les ennemis de toujours de d’Éprémesnil, notamment Simon-Henri-Nicolas Linguet et Michel-Antoine Servan, ont produit une littérature abondante contre lui, en mêlant habilement tous les genres et surtout celui de la trahison des parlementaires envers la nation. Cette efficacité est due à la vie de d’Éprémesnil, à ses engagements et au rôle que lui-même joue dans les négociations entre le parlement de Paris et la Cour à son retour d’exil ; tous ces facteurs font de lui un personnage assez générique47.
26Boutefeu parlementaire depuis le début des années 1770 (notamment contre l’abolition de la corvée sous Turgot en 1775), il fut le grand adversaire du fils du commandant Lally (condamné à mort et exécuté pour haute trahison en 1766), Trophime Lally-Tollendal dans l’interminable procès en réhabilitation à partir de 1773. Adversaire des philosophes, en l’occurrence de Voltaire, il s’opposa à la réédition de ses œuvres, en particulier face au défenseur du grand philosophe, Condorcet ; celui-ci fit du parlementaire l’ennemi de l’humanité48. Son opposition à l’édit de Tolérance civile de 1787 complète le portrait d’un homme pluridimensionnel, que l’historien Henri Carré a décrit comme étant le « précurseur inconscient de la Révolution49 ». Ses accointances avec tout ce qui sent le soufre et le scandale dans les années 1780 : Kornmann, Cagliostro et Mesmer, ont maintenu au firmament son actualité médiatique ; les épithètes pleuvent comme un facteur aggravant : « l’illustre orateur des baquets magnétiques », le « digne émule de Mesmer50 » ou bien l’adepte fameux de Cagliostro. Mais son appartenance au parti patriote parlementaire contre la Cour, contre Marie-Antoinette (qui le déteste) et ses dépenses, lui valent d’avoir été le dernier martyr du despotisme ministériel (édits de mai 1788). Il est pourtant dès l’automne l’ennemi de Mirabeau, se détache d’Adrien Duport, au sein de la Société des Trente, à l’image de La Fayette, effrayé par les propos de plus en plus radicaux.
27Il joue donc un rôle central, mais oublié (et pour cause) dans les tentatives du Parlement entre septembre, la seconde assemblée des notables de novembre et la décision de doubler le Tiers le 27 décembre, de calmer les esprits autour des modalités des futurs états généraux. Acteur parlementaire majeur des derniers mois de 1788, il est le jouet d’un marché de dupes entre un Ministère Necker qui cherche à maîtriser l’opinion par des concessions et les tendances radicales diverses et variées qui veulent que rien ne soit « consacré » avant la réunion des états généraux. Le magistrat semble avoir également espéré des destinées ministérielles51.
28C’est lui qui se charge de rédiger après sa rentrée de captivité l’arrêté du 5 décembre, certainement encouragé par Necker pour faire le médiateur, ce dernier lui faisant miroiter qu’avec le doublement du Tiers, ce serait la dernière concession. Ce dernier est une forme de mea culpa de la décision du 25 septembre :
« La Cour, justement alarmée des nuages qui s’élèvent dans les esprits et des troubles qui menacent l’État ; instruite des manœuvres pratiquées dans le Royaume par des personnes mal intentionnées, pour enlever à la Nation le fruit des efforts de la Ma- gistrature, en substituant le feu de la sédition et les horreurs de l’anarchie, aux succès si désirables d’une générosité et sage liberté ;
Considérant qu’il eût été facile d’étouffer les semences de ces divisions, en proposant au Roi de fonder à jamais la liberté, la paix et la fortune publique, sur l’harmonie de tous les Ordres, par des principes si clairs et des moyens si sûrs, qu’il fût impossible d’en abuser, comme d’en douter ;
Considérant enfin ladite Cour, que son devoir l’oblige de réparer cette omission, et d’obvier à toutes ces manœuvres, en expliquant ses véritables intentions, dénaturées malgré leur évidence »
29Déclare qu’en distinguant dans les États de 1614, la convocation, la composition et le nombre52 » ; Ce mea culpa n’est ni plus ni moins qu’une forme de résistance à l’affolement qui se produit lors de la campagne de presse ; il insiste vainement sur le respect des formes les plus justes (bailliages et sénéchaussées), sur le respect de la constitution et des droits naturels, ainsi que son aveu que le Parlement ne peut à l’égard du nombre de députés « que s’en rapporter à la sagesse du Roi, sur les mesures nécessaires à prendre pour parvenir aux modifications que la raison, la liberté, la justice et le vœu général peuvent exiger ». Parmi les brochures déjà sorties à l’époque, attentives à l’évolution du débat, l’arrêté du 5 décembre a pu passer mais trop souvent uniquement, comme un « rétropédalage » opportun, selon la vieille antienne historiographique aussi vieille que l’antienne antiparlementaire : l’opportunisme et l’égoïsme parlementaires. Fait unique dans l’histoire de la monarchie, l’interlocuteur du roi qui est en passe de « négocier » n’est plus le Parlement alors que ce qui était proposé comme principes avait valeur historique :
1° Le retour périodique des États généraux ;
2° Leur droit d’affecter aux créanciers de l’État, des impôts déterminés ;
3° Leur obligation envers les peuples, de n’accorder aucun autre subside qui ne soit défini pour la somme et pour le temps ;
4° Leur droit de fixer et d’assigner librement, d’après les demandes du Seigneur Roi, les fonds de chaque département ;
5° La résolution du Seigneur Roi, de concerter d’abord la suppression de tous impôts distinctifs des Ordres, avec le seul qui les supporte, ensuite leur remplacement sur les trois Ordres, par des subsides communs également répartis ;
6° La responsabilité des Ministres ;
7° Le droit des États généraux, de les accuser et de les traduire devant les Cours, dans tous les cas intéressant la Nation entière, sans préjudice des droits du procu- reur du Roi, dans les mêmes cas ;
8° Les rapports des États généraux avec les Cours souveraines, en telle sorte que les Cours ne doivent ni ne puissent souffrir la levée d’aucun impôt qui ne soit accordé, ni concourir à l’exécution d’aucune Loi qui ne soit demandée ou consentie par les Etats généraux ;
9° La liberté individuelle des Citoyens, par l’obligation de remettre immédiatement tout homme arrêté dans une prison Royale, entre les mains de ses juges naturels ;
10° La liberté légitime de la presse, seule ressource prompte et infaillible des gens de bien contre les méchants, sauf à répondre des écrits répréhensibles, après l’impres- sion, suivant l’exigence des cas53.
30Cet arrêté, qui sera, on le sait, considéré comme trop tardif pour être sincère, une « palinodie » selon certains, n’en est pas moins représentatif de toute une série de brochures, très loin d’être dépouillées à ce jour, qui sont littéralement atterrées par la tournure des événements et qui regardent avec inquiétude le glissement inexorable de l’opinion bien au-delà d’une fracture Roi/Parlement mais posant les bases d’un socle indépassable : celui de la raison affirmée, avec pour toile de fond la fin des ordres, des privilèges, même honorifiques et de toute la palette d’espérances d’un royaume en fusion. On ne peut pas se contenter de n’y voir qu’un camouflage de plus des parlementaires conservateurs car Louis XVI y a répondu par une fin de non-recevoir, à l’image de cette lutte séculaire entre la monarchie et son opposition parlementaire, qu’il crut enfin remporter.
31À la suite de cet arrêté, le 7 décembre, d’Éprémesnil écrit lui-même une très courte brochure justificative : Réflexions d’un magistrat sur la question du nombre et celle de l’opinion par ordre ou par tête54. On peut retenir une formule provocatrice : « Car au fond toute la France est d’accord ». L’argumentation du magistrat est simple quoique semblable à la même époque à celle de Guillaume-Joseph Saige : l’opinion par ordres est « la constitution » tellement indépendants que deux n’obligent pas le troisième ; l’opinion par tête est l’exception et la question du nombre échauffe trop les esprits parce que l’essentiel est gagné « nul ne peut se prévaloir des anciens motifs d’exemptions » : celle des privilèges pécuniaires qu’on abandonne et celle des privilèges de naissance ou de rang que l’on conserve. C’est la même position que celle du comte d’Antraigues à la même époque, que les prérogatives fiscales « empêchent des coalitions salutaires55 ». Sur la question du nombre (dont il accepte l’augmentation sans prononcer le terme de doublement : « un nombre convenable, que la sagesse du Roi saura bien indiquer »), elle est selon lui indifférente (autre provocation) car il estime qu’il ne doit pas être fortifié contre la Noblesse et le Clergé. Saige le dit à plusieurs reprises dans L’Ami des Trois ordres56. Mais le motif qui est plus commun à un certain nombre de brochures et qui dépasse le simple « parti » parlementaire, est celui de la patience. Tandis que d’Éprémesnil conserve les ordres pour donner « aux affaires le temps de se mûrir, aux esprits le temps de se reconnaître ; aux intrigues enfin, celui de se manifester », Saige réclame de la patience contre « les démarches prématurées » en estimant que le Tiers est « actuellement, plein des idées et des habitudes de l’esclavage », qu’« il peut, par des démarches prématurées, donner dans les plus grands écarts ». Cette crainte d’aller trop vite, qui est au cœur de la procédure universelle d’une Pré-révolution, se lit aussi dans le discours de Louis XVI le 5 mai 1789 : « Une inquiétude générale, un désir exagéré d’innovations se sont emparés des esprits, et finirait pas égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d’avis sages et modérés ». À ce moment-là, il est déjà trop tard, Necker avait depuis les débuts de son ministère abandonné toute réforme administrative ou fiscale pour un hypothétique dénouement sous les yeux de la nation assemblée.
D’Éprémesnil, première cible de la presse « révolutionnaire »
32Lorsqu’on se tourne vers les contradicteurs de d’Éprémesnil, ils font montre de charges exceptionnelles contre le système parlementaire et se rient du Conseiller à la manière des premières procédures de dénonciations publiques révolutionnaires. Toute une série de pamphlets vont paraître de novembre 1788 au printemps 1789 sur le même registre contextuel : Jean-Jacques Duval d’Éprémesnil, ce père du peuple, ce défenseur de la nation, ce martyr de la cause contre le despotisme ministériel, emprisonné dans la forteresse royale des îles Sainte-Marguerite a disparu. Il a été remplacé par un autre, un imposteur, Le vrai d’Éprémesnil, il ne saurait être complice d’un Parlement qui s’oppose ainsi à l’élan émancipateur. Cette veine diffamatoire et pédagogique, sortie de l’imagination de l’avocat Michel-Antoine Servan, fait la fortune à travers divers titres qui se succèdent ; elle fonde le portrait à charge du futur contre-révolutionnaire :
Avis au public et principalement au Tiers-Etat, de la part du Commandant du château des Isles Sainte-Marguerite, et du médecin, et du chirurgien, etc. du même lieu (Bnf Lb39.685) ; et d’autres variantes : La tête lui tourne ou avis au public (Bnf Lb39.6891) ; Le vrai d’Éprémesnil (8H 9670 (2)), Le fou des îles Saintes-Marguerite, suite de l’Avis au public, rue Bertin Poirée (domicile de d’Éprémesnil) (Bnf Lb39. 6892), etc
Lettre de Robin premier, roi des îles Sainte-Marguerite, Petites Maisons et Mers adja- centes. À Louis XVI, roi de France, de Navarre et de Corse ;
Le Dialogue entre Diogène le Cynique et Desp… L’énergumène (Bnf Lb39. 1760)
33À ces textes bouffons auxquels s’opposent de timides réponses sous forme de dé- fense du Conseiller57, s’ajoutent des brochures plus en regard de l’actualité de l’arrêté du 5 décembre en y répondant point par point, encore que certaines jouent aussi sur le même procédé du faux d’Éprémesnil. Elles révèlent tout ce qui sépare les deux forces, parlementaire d’un côté, tiers-état de l’autre, tout en dénonçant l’aveuglement du pre- mier devant la réalité du royaume et l’enthousiasme du second à l’idée d’une égale représentation lors des futurs états généraux.
34L’avocat Servan, grand défenseur de la cause du Tiers, produit deux brochures sur l’arrêté du 5 décembre. La première est intitulée Gloses et remarques sur l’arrêté du Parlement de Paris58, la seconde répond directement au petit texte de d’Éprémesnil, Remarques de Servan aux Réflexions d’un magistrat sur la question du nombre et celle de l’opinion par ordre ou par tête59; une autre brochure s’intitule Observations d’un tiers, sur les réflexions d’un magistrat concernant le nombre et l’opinion par ordre et par tête60, une autre encore de Simon-Henri Linguet, Observations sur le nouvel arrêté du parlement de Paris, en date du 5 décembre 1788 ; cette dernière stigmatise la duperie dans l’espoir de pardon du Parlement :
« Cette pièce a été regardée par la plus grande partie du public, comme une espèce de palinodie. On a cru que le Parlement de Paris déconcerté par le cri universel de désapprobation qu’ont excité presque toutes ses démarches depuis sa rentrée, avoit essayé avec adresse de se réhabiliter dans l’esprit de la nation, en affectant de se rapprocher du vrai vœu national, et de s’en rendre l’interprète. En effet, il n’y est plus question de l’inconcevable procédure entamée le 25 septembre 1788 ; si l’injonction de suivre dans l’Assemblée générale les FORMES DE 1614 y est rappelée, c’est pour tâcher de pallier, d’exécuter, ce qu’elle a d’odieux, et d’attentatoire aux droits DU PEUPLE61 ».
35D’une manière générale, ces brochures accusent les parlements et les privilégiés de vouloir freiner un processus qui est engagé et sans retour. « Si nous attendions, pour sortir des États généraux, l’unanimité des trois ordres, nous ressemblerions à des Juifs qui se promettraient bien de ne pas sortir de leur synagogue avant l’arrivée du Messie62 ». Les privilégiés y sont accusés d’agiter le chiffon de la sédition :
« Qui ne connaît ce fameux arrêté, où le parlement de Paris a si vigoureusement dit son fait au roi et au peuple, traitant celui-ci de mutin, ignorant et crédule ; et le roi comme un tuteur sévère traite un pupille dont il n’est pas satisfait.
Mais tout le monde, surtout dans les provinces, ne connaît pas autant les réflexions d’un magistrat, évidemment destiné à servir de texte et d’éclaircissement à l’arrêté ; elles font de lui, pour ainsi dire, l’arrière-faix de ce célèbre enfantement. »63
36On accuse d’Éprémesnil de vouloir une monarchie à l’anglaise (ce dont il était partisan), ce qui est considéré à l’époque comme un camouflage de plus pour préférer l’antique constitution à des états généraux qui statueront sur une nouvelle, une sorte de préservatif contre l’anglomanie (matérialisée récemment dans La France plus qu’an- glaise du même Linguet) :
« […] ce magistrat a voulu habiller notre constitution à l’anglaise ; mais il devait songer qu’une véritable constitution n’est point un ouvrage de friperie ; c’est une statue d’un seul jet.
J’avoue qu’une statue qui poserait un pied sur l’Angleterre, et l’autre sur la France, laissant le détroit de Calais entre deux, ferait un magnifique colosse ; mais ce n’est pas dans les sept pages du magistrat qu’on en découvrira l’idée ni les matériaux64 ».
37L’arrêté du 5 décembre est une occasion parmi d’autres pour répéter à satiété que l’heure des privilégiés est terminée, que la nation sera bien plus forte sans le clergé et la noblesse. Les gloses et remarques sur l’arrêté énumèrent sans fard toutes les volontés du Tiers et du Roi, assument les accusations d’allumer le « feu de la sédition » :
« Rien n’est plus vrai : il existe maintenant en France une sédition d’environ 20 millions de sujets de tous les âges, de tous les sexes, qui ne demandent qu’à s’unir à leur roi, contre deux ou trois cents magistrats, quelques centaines de grands seigneurs, la petite légion sacrée des évêques et autres consorts, lesquels sous le nom de la convocation de 1614, veulent réduire les peuples à l’état le plus extrême qu’ils appellent avec raison le dernier état des choses65 ».
38Les « semences de divisions » dénoncées par les parlementaires se transforment en « semences de l’union étroite et rapide du tiers état, du véritable corps de la nation, subsistant par lui-même, et faisant subsister tous les autres66 ».
39Louis XVI et Jacques Necker sont brandis au nom de cette union sacrée contre les privilégiés. Linguet finit sa brochure en se félicitant que le roi ait rejeté avec dédain l’arrêté du 5 décembre ; il y a dans cet applaudissement un résumé historique du grand alibi et de toute la continuité de l’absolutisme à la mode française. Les interlocuteurs changent tandis que le Roi pense toujours qu’il aura (comme avec les Parlements) le dernier mot… L’acte révolutionnaire était donc, de ce point de vue (discursif), quasi inévitable :
« Ces prétendues supplications on a osé les présenter au Roi : l’accueil que leur a fait le Monarque en est la réfutation en peu de mots.
REPONSE DU ROI
Je n’ai rien à répondre à mon Parlement sur ces supplications. C’est avec la Nation assemblée que je concerterai les dispositions propres à consolider pour toujours l’ordre public, et la prospérité de l’État67 ».
40Quant à Necker, l’égérie de la campagne de presse en faveur du Tiers, d’Éprémes- nil avait écrit : « Bénissons la Providence d’avoir conduit la Nation à cette issue, par les mains même du Ministère » et osé prétendre : « J’imagine qu’il est de bonne foi » quand on sait qu’il s’estimait trompé par les avances du ministre. Servan lui répond :
« M. Necker, ceci s’adresse à vous, et vous êtes bon pour vous défendre. Cependant nous dirons aussi notre petit mot. Le magistrat imagine que le ministre est de bonne foi ; nous faisons bien mieux, car nous le croyons ». Dans la Réponse à Monseigneur le commandant du château, l’auteur pose solennellement la question à laquelle il va tenter de répondre : « Mais M. d’Éprémesnil est-il antagoniste de M. Necker ? est-il l’ennemi du Tiers état ? est-il intolérant ? Voilà, M. le geôlier, ce que vous décidez, ce que vous ne prouvez pas, et ce que l’on attendait de vous68 ».
41Le démenti des brochures apporté aux concessions diplomatiques de l’arrêté du 5 décembre est à l’image de la vague déferlante qui s’abat sur l’Histoire de France durant ce qu’on appelle la Pré-révolution française ; elle dépasse le cadre seul des prétentions parlementaires, de l’aristocratie et du clergé qui étaient, somme toute, normales et at- tendues : celles de maintenir ce qui pouvait l’être. En revanche, les combinaisons qui s’articulent autour de d’Éprémesnil et de sa « trahison », au point qu’on doute avec humour de sa responsabilité d’être le vrai chef de file de la réaction parlementaire69, sont significatives d’un acharnement qui ne permet plus aucun autre horizon d’attente que celui des états généraux, seuls réunis face au Roi. D’un point de vue anthropologique, les lecteurs ne voient dans la nation régénérée par les états généraux qu’un moment de grâce, renforcé par les délibérations des municipalités du royaume qui sont favorables au doublement du Tiers en espérant un vote par tête. La Pré-révolution discursive, de masse, n’a été qu’un immense élan d’illusions unificatrices dont l’arbre gigantesque protégeant de tout était le roi, un roi indépassable, devenu un totem civique après avoir été un être unique et sacré.
42En faisant de d’Éprémesnil la première cible personnelle des attaques contre les parlements et les privilégiés en général, des écrivains comme Servan ou Linguet savaient qu’il pouvait fonctionner à merveille comme le premier traître de la révolution à venir. Servan offre par exemple au magistrat d’être le premier Don Quichotte « de parti » de la Révolution, un fou, un illuminé, plus pathétique donc que dangereux :
« La harangue du magistrat contre ces malintentionnés m’a rappelé celle de Dom Quichotte contre certains géants qui n’étaient que des moulins à vent. Le chevalier de la triste figure, monté sur le fidèle rossinante, partit comme un éclair, la lance en arrêt, en criant aux malintentionnés géans : lâches et viles créatures, ne fuyez pas, c’est un seul chevalier qui entreprend de vous combattre : vous avez beau faire, quand vous remuerez plus de bras que Briarée, vous allez me le payer tout à l’heure : en même temps une aile des moulins ayant rencontré le malheureux chevalier le jetta bien loin tout fracassé.
Fasse le ciel que le même sort n’attende pas ce malencontreux magistrat, qui prend aussi les moulins du Tiers état pour des géans, et qui s’en va courant partout avec la lance en arrêt !
Hélas ! il y a des fous, et des fous dom Quichotte partout ; et les chevaliers ès loix sont aujourd’hui bien plus communs que les chevaliers de Dulcinée du Toboso]. »70
43D’Éprémesnil deviendra par la suite « le Don Quichotte de l’aristocratie après avoir combattu dix ans pour la robinocratie », souligne La Correspondance secrète à la date du 3 septembre 1789, rapportant des rumeurs de duel avec Mirabeau71. Le Don Qui- chotte n’est plus cette énigme qui fait réfléchir par son audace, son ridicule et son inconscience mais un adversaire tellement convaincu par le bien-fondé de ses démarches qu’il est sourd à toutes contradictions et aveugle devant l’obstacle. Les Observations d’un tiers ne disent pas moins ; elles se terminent par une Péroraison des réflexions d’un magistrat, mise en dialogue. Un dialogue de sourds entre le Magistrat et le Tiers qui se termine ainsi :
« Quel diable d’homme, avec son éloquence. Il ne m’a jamais été possible de lui faire entendre un seul mot. Il parle de nombre, de force, et il est cette force : et bien persuadé que je suis un sot, qu’un je ne sais qui mène par le nez. Oh ! la pauvre tête, la pauvre tête ! Mais laissons-le dire, et souvenons-nous du proverbe, Dieu dit : aide-toi, je t’aiderai. »72
44La Pré-révolution de d’Éprémesnil, c’est ce passage du fou honorable et sage au fou qu’on enferme à Charenton, exclu de la société, après l’avoir été par le pouvoir royal.
45C’est d’ailleurs ce que proposera Alexandre de Lameth à la tribune de l’Assemblée constituante le 29 septembre 1790, indigné de l’opposition du député d’Éprémesnil aux assignats, demandant de répondre au dilemme : « Ou M. d’Éprémesnil est coupable, ou il est insensé73 » ; il demande à ce qu’il soit envoyé quinze jours à… Charenton.
46Jean-Jacques d’Éprémesnil, au-delà de son histoire personnelle aujourd’hui oubliée, de ses engagements et sans compter tout ce qu’il fera ou dira après la réunion des états généraux, incarne la Pré-révolution française dans ses dimensions les plus riches et les plus contradictoires. Il l’incarne par une certaine naïveté ambitieuse d’un monde finissant, « ce digne magistrat voit tout en beau » écrit Servan. D’Éprémesnil met d’ailleurs ces vers en exergue de ses Réflexions d’un magistrat :
« Assurer à chacun ses légitimes droits,
Et mourir, s’il le faut, pour fonder sur les loix La liberté, la paix, la fortune publique,
Voilà mes vœux, voilà toute ma politique »
47Il est le personnage éponyme de ce temps très court au cours duquel se fissurent peu à peu les règles du jeu de ce qu’on appellera l’Ancien Régime et qui est l’issue fatale de grands règlements de compte sur le terrain de la philosophie, de la liberté et de la presse, de l’agonie de la féodalité et du système de cour, dans une prodigieuse cacophonie. Son rôle et l’interprétation de son rôle dans les brochures sont à la croisée de tous les excès, à l’image de l’enjeu, presque ontologique, de pré-révolution. Il est trop peu aristocrate (il ne l’est pas encore et présente la particularité de n’avoir pas pu se présenter à Paris dans les rangs du Tiers74) pour incarner les valeurs immémoriales de la noblesse et pas assez démocrate pour se jeter dans la gueule du loup dont on ne connaît pas encore la force broyante, la fureur et les modalités d’action qui sont en gestation (et décelables à bien des égards dès 1788).
48D’Éprémesnil incarne enfin la période pré-révolutionnaire par une certaine « modernité ». Il est l’homme des Indes (né à Pondichéry, fils et petit-fils d’administrateurs de la Compagnie des Indes), l’américain du Scioto (il est promoteur de la Compagnie du même nom au début de l’année 1790), le spéculateur, bon mari, bon père de famille, catholique fervent, aimant son roi (et regrettant après la Révolution de l’avoir autant secoué et donc culpabilisant, prenant sur lui la « faute » originelle). Il est ainsi parvenu trop tard à la noblesse ou trop tôt à une révolution qu’il ne voulait pas. C’est sans doute pour cette raison qu’il demeure détesté par la Cour et les aristocrates tout en devenant l’un des boucs émissaires de la presse révolutionnaire.
Notes
1 Arrêt du Conseil d’État du Roi du 5 juillet concernant la convocation des États-Généraux du Royaume, Col- lection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État de 1788 à 1824, J. B. Du- vergier, tome premier, Guyot et Scribe, 1824, p. 2.
2 Simon-Prosper Hardy, Mes loisirs ou journal d’événemens tels qu’ils parviennent à ma connaissance, tome VIII (1788-1789), mardi 8 juillet 1788, Bnf, manuscrit.
3 Voir à ce sujet, Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Albin Michel pour la trad. Française, 1996, Princeton University Press, 1997.
4 Traitté des parlemens ou des estats généraux, Pierre Marteau, Cologne, 1679, p. 3.
5 Voir en autres, mes dernières contributions à ce sujet : « Le discours remontrant parlementaire à la veille de la Révolution, de l’audace, rien que de l’audace ? », Dans Approches comparées de la plainte politique comme voie de régulation dynamique des rapports gouvernants-gouvernés (Fin XIIIe-premier XIXe s.), Ou- vrage collectif sous la direction de Michelle Bubenicek, à paraître en 2017 ; « Le moment révolutionnaire contre les parlements (1787-1789) : une relecture de l’histoire des résistances françaises », dans Hervé Leuwers (Dir.), Introduction de Michel Biard, Les Révolutions. Relecture du passé (XVIIIe-XXe siècles), colloque de Lille 3, 5-6 décembre 2013 (à paraître en 2017, Presses Universitaires du Septentrion).
6 Lettre adressée au roi par M. de Calonne, le 9 février 1789, Spilbury, Londres, 1789, Bnf LB39 1150, p. 10.
7 De La République et de la Monarchie, British Library, décembre 1788, pp. 101-102.
8 Emmanuel de Waresquiel, L’histoire à rebrousse-poil. Les élites, la Restauration, la Révolution, Fayard, 2005.
9 François Furet, Penser la Révolution française, Gallimard, 1978, Folio histoire, 1985, pp. 205-206.
10 Voir à ce sujet, Frédéric Bidouze, « Jean-Jacques d’Éprémesnil et la catharsis de la convocation des États généraux (1787-1791) », dans Hommages à John Rogister, à paraître en 2017, éditions Pedone.
11 Lettre d’un citoyen des États-Unis à un Français sur les affaires du temps, 1788, Œuvres, T. 9, p. 105 et p. 99.
12 Gazette d’un parisien sous la Révolution. Lettres à son frère, 1783-1796, Perrin, 1976, p. 120.
13 Glose et remarques sur l’arrêté du parlement de Paris, du 5décembre 1788 (début 1789), Bnf, Lb39.810, p. 9.
14 Journal intime de Mallet du Pan, dans Mémoires et correspondance, publiés par Sayous, 1851, vol. 1, p. 163.
15 Je renvoie en grande partie à la stimulante étude de Viviane R. Gruder, dont de nombreuses orientations ont été confirmées depuis par une meilleure connaissance des textes, « Où va le révisionnisme ? Perspectives politiques sur l’Ancien régime, Annales historiques de la Révolution française, 1997, 310, n° 1, pp. 567-584.
16 Au tribunal de l’opinion. Essais sur l’imaginaire politique au XVIIIe siècle, Payot, 1993, pp. 217-218.
17 En dehors des citations et références qui sont légion, des brochures rappellent à la barre les penseurs morts ou vivants : L’abbé Raynal aux États généraux, Lettre à M. Raynal, Conversation entre MM. Raynal et Linguet sur la nature et les avantages des divers gouvernements, tenue à l’occasion des États-généraux de la France, Le Disciple de Montesquieu, à MM. les Députés aux États-Généraux, ou Supplément à la pétition des bourgeois de Paris, etc.
18 Jean Egret, La Prérévolution française, Puf, 1962, p. 166.
19 Ce terme est d’ailleurs polysémique car on le trouve chez beaucoup ; toute l’énigme est dans l’adverbe « vraiment ». Le « vraiment » est souvent perçu à l’aune de la représentation du Tiers et à son triomphe révolutionnaire. Ce n’est pas ainsi que l’on peut expliquer puis comprendre, les raisons des contradictions à ce schéma apportées par les contemporains.
20 The Notables and the Nation. The Political Schooling of the French, 1787-1788, Harvard University Press, 2007, p. 147.
21 Jean-Charles-Dominique de Lacretelle, Histoire de l’Assemblée constituante, t. 1, Treuttel et Wûrtz, Paris, 1821, p. 9
22 « Le Tiers-État ne paraît, dans ce moment-ci, qu’une tourbe aveugle », Guillaume-Joseph Saige, L’Ami des trois ordres, ou réflexions sur les dissentions actuelles par l’auteur du catéchisme du citoyen, 1789, LB39 1130, p. 5.
23 Georges Lefebvre, Anne Terroine, Recueil de documents relatifs aux séances des États généraux (mai- juin 1789), Tome 1, Les préliminaires – la séance du 5 mai, Edition du Centre national de la recherche scientifique, 1953, p. 281.
24 Frédéric Bidouze, Haro sur les parlements. Anthologie de pamphlets sur les parlements d’Ancien Régime (1787-1790), Publication de l’université de Saint-Etienne, collection « Lire le XVIIIe siècle », Saint-Etienne, 2012, 380 p.
25 Dans Jean Egret, op. cit., pp. 321-323.
26 « Le royaume, écrit-il, fatigué de la vicissitude continuelle des principes du Gouvernement, désirait de voir enfin établis et d’une manière durable, un juste rapport entre les revenus et les dépenses, un prudent emploi du crédit, une sage distribution des impôts, un plan général de bienfaisance publique, un système éclairé de législation, et par-dessus tout, une garantie constitutionnelle de la liberté civile et de la liberté politique », Sur l’administration de M. Necker par lui-même, 1791, p. 41 et p. 38.
27 Abbé Morellet, Mémoires inédits, tome 1, 1821, Librairie française, p. 343.
28 Ibid., p. 340.
29 À ce titre, on peut interpréter la phrase de Louis XVI le 5 mai 1789, « Je n’ai pas balancé à rétablir un usage, dont le royaume peut tirer une nouvelle force » (œuvre du ministre Montmorin), comme un habillage, une nouvelle forme de langue de bois et de discours compensatoires proposés à une opinion publique qui n’a pas encore pris forme dans un Tiers indépendant des deux autres ordres.
30 L’Ami des Trois ordres, 1789, LB39 1130, p. 5.
31 Jean Egret, La Prérévolution, op. cit, p. 213.
32 L’Ami des Trois ordres, op. cit., pp. 5-6.
33 Linguet, Avis aux parisiens et appel de toutes convocations d’États généraux où les députés du troisième ordre ne seroient pas supérieurs aux deux autres, 1788, Bnf, NUM, p. 2.
34 Servan, Glose et remarques, op. cit., p. 6.
35 Corey Robin, La peur, histoire d’une idée politique, Pluriel, Hachette-Littérature, 2006 (2006), p. 37.
36 Bertrand de Jouvenel, De la politique pure, Calmann-Lévy, 1963, p. 92.
37 Le gouvernement senati-clerico-aristocratique, 1788, LB39-767.
38 Volney en Bretagne ou Mangourit passent pour avoir été stipendiés par le ministère. Vraie ou fausse, cette affirmation ne change pas la donne d’une convergence d’intérêts entre le pouvoir royal et le tiers état.
39 Siméon-Prosper Hardy, op. cit.
40 Au peuple, sur ses vrais intérêts, LB39 6351, p. 12.
41 Ibid., p. 9.
42 Au peuple, sur ses vrais intérêts, Bnf, LB39 6351, 1788, p. 3.
43 Cité par J. Egret, La Prérévolution, op. cit., p. 338.
44 Voir l’édition critique de ces deux brochures dans Frédéric Bidouze, Haro contre les parlements, op. cit., pp. 169-183.
45 Dans Code des Français ou Recueil de toutes pièces intéressantes en France, relativement aux troubles des parlements, Bruxelles, 1771, vol. 2, pp. 330-361 et Bnf. Lb39. 6654, 41 p.
46 Marquis de Casaux, Différence de trois mois en 1788, Bnf LB39 899, p. 7.
47 Voir mon article dans les Hommages à John Rogister, « Jean-Jacques d’Éprémesnil et la catharsis de la convocation des États généraux (1787-1789) », op. cit.
48 Voir Condorcet, Un ami de Voltaire à M. d’Éprémesnil, 1780, Bnf NUMM 86429.
49 Un précurseur inconscient de la Révolution. Le conseiller Duval d’Éprémesnil (1787-1788), Révolution fran- çaise, 14 octobre et 14 novembre 1887, Imprimerie de la Cour d’Appel, Paris, 39 p.
50 Vers adressés à M. d’Éprémesnil par le Tiers état, 1789, BHVP, 603048.
51 Voir à ce sujet Sallier. Annales françaises, depuis le commencement du règne de Louis XVI, jusqu’aux États-Généraux (1774-1789), Leriche et Thomine, seconde édition, 1813.
52 Arrêté du parlement de Paris du 5 décembre 1788, six pairs y séant, Bnf, NUMM. 47409, pp. 3-4.
53 Arrêté du parlement de Paris, op. cit., pp. 6-7.
54 Bnf. FB 20637, 7 p.
55 Mémoire sur les États généraux, Bnf. NUMM 47459, p. 207.
56 L’Ami des Trois Ordres, voir supra, note n° 32.
57 Réponse à Monseigneur le commandant du château ou geôlier des cachots des îles Sainte-Marguerite, sur M. d’Éprémesnil et les États généraux, 25 janvier 1789 (Bnf Lb39. 6894). C’est une sorte de justification de l’héroïsme du parlementaire, victime du despotisme ministériel qui tente de justifier son action en accu- sant le libelle de chercher à favoriser « une cabale qui ne cherche qu’à diviser, pour régner », p. 3.
58 Bnf, Lb39.810, 59 p.
59 Dans Recueil de pièces intéressantes pour servir à l’histoire de la Révolution de 1789 en France, J. M. A Servan, Tome second, 1789, pp. 179-198.
60 Bnf, NUMM 47400 (Gallica), 22 p.
61 Observations sur le nouvel arrêté du parlement de Paris, en date du 5 décembre 1788, par M. Linguet, LB39 811.
62 Observations d’un Tiers, op. cit., p. 8.
63 Observations d’un Tiers, op. cit., p. 6.
64 Remarques de Servan, op. cit., p. 182 ; Les Observations d’un Tiers écrivent également : […] Comment ? Ceci serait, à quelque chose près, la constitution anglaise ; elle est belle et bonne ; c’est un excellent vête- ment pour toutes les saisons, il ne s’agit que de savoir s’il est fait pour notre taille », p. 6.
65 Glose et remarques, op. cit., pp. 14-13.
66 Ibid., p. 16.
67 Observations sur le nouvel arrêté du parlement de Paris, en date du 5 décembre 1788, par M. Linguet, LB39 811, p. 28.
68 Réponse au commandant, op. cit., p. 3.
69 « Peu de jours après le fameux arrêté du 5 décembre 1788, il parut un petit écrit sous ce titre : Réflexions d’un magistrat sur la question du nombre, et celle de l’opinion par ordre ou par tête. Le public malin et peu connaisseur l’attribua généralement à M. d’Epr… Quelle injustice ! Était-il possible que dans cet écrit de sept pages, ce grand magistrat eût employé les cinq premières à déraisonner, et les deux dernières à calom- nier ? », Remarques de Servan, op. cit., p. 179.
70 Servan est un récidiviste. Dans ses Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau (1766), il avançait que« tout lecteur attentif des derniers écrits de Rousseau conviendra qu’il était fou, qu’il prenait des moulins à vent pour des géants et des moutons pour des soldats », Œuvres choisies de Servan, 1825, T 2, p. 435. Il entame une procédure de glissement sémantique avec le Fou d’Éprémesnil qui fait des personnages de Cer- vantès des instruments pour les polémiques politiques. Maurice Bardon s’en fait l’écho dans son ouvrage, Don Quichotte en France au XVIIe et XVIIIe siècle (1605-1815), T. 2, Burt Franklin, NY, 1931 (1971), 6e partie Les dernières années du 18e siècle (1780-1815), chapitre II, le « Don Quichotte et la Révolution », 1789-1900, p. 739 : « Il est curieux de les voir indifféremment servir tantôt à ridiculiser les idées nouvelles, tantôt à jeter le discrédit sur de traditionnels abus ».
71 La Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette, la Cour et la ville de 1777 à 1792, T. 2, Paris, Plon, 1866, p. 382.
72 Op. cit., 22.
73 Gazette universelle, Bnf Lc2 296.
74 « Il ne laissera pas que d’être assez singulier de voir le premier opinant [de Paris] de la Noblesse aux États généraux n’ayant pas encore, comme anobli, le terme de vingt ans fixé par la loi pour acquérir, dans la magistrature du Parlement, la noblesse transmissible [il lui manque 26 ou 27 jours] », Journal du marquis de Bombelles, Droz, 1977, t. 2, 8 mai 1789, p. 310.