- Accueil
- > Huitième et neuvième cahiers
- > Les éléments pré-révolutionnaires du discours constitutionnel des cours souveraines, en 1787 et 1788
Les éléments pré-révolutionnaires du discours constitutionnel des cours souveraines, en 1787 et 1788
Par Arnaud VERGNE
Publication en ligne le 25 juillet 2019
Table des matières
Texte intégral
1Peut-on, en matière juridique ou institutionnelle, identifier, comme le font les historiens, une période, qualifiée de « pré-révolution », qui ne ferait pas partie, par définition, de la « Révolution française » mais qui, cependant, présenterait de telles spécificités qu’il serait concevable de la détacher de l’Ancien Régime tardif ? Si cette question est intellectuellement stimulante, sa réponse est loin d’être simple1.
2Selon Jean Égret, qui se plaçait lui-même dans les pas de Pierre Caron2, la « pré-ré- volution » aurait coïncidé avec cette « crise grave » qui, débutant lors de la réunion de l’Assemblée des notables le 22 février 1787, se serait poursuivie jusqu’au 24 janvier 1789, lorsque le roi convoqua les États généraux du royaume3. Selon les propres mots de Jean Égret, ces deux années, extrêmement bien – voire peut-être trop bien – délimitées dans le temps ne paraissent pas « devoir être détachée[s] de la Révolution qu’elles annoncent, mais dont elles ne constituent pas » non plus « un épisode » ; elles formeraient une « étape intermédiaire »4, chronologiquement distincte.
3Mais cette période critique, dans un contexte budgétaire extrêmement tendu, qui mit aux prises aussi bien des institutions au sommet de l’État que des acteurs locaux animés d’idées nouvelles – les travaux récents d’Ahmed Slimani et de Stéphane Baudens sur la Bretagne5, l’Anjou6, la Normandie7, la Picardie8, la Bourgogne9 ou la Franche-Comté10 l’illustrent nettement –, se caractérise-t-elle pour autant par des mutations, voire des innovations, juridiques ou institutionnelles, d’une nature telle qu’il serait envisageable d’en faire également une étape intermédiaire de l’histoire du droit ?
4En ce qui concerne l’histoire constitutionnelle, la réponse à cette question est lar- gement positive. En effet, en dehors même du débat public bien connu de l’époque sur la question de l’existence ou non d’une constitution, ou encore sur la nécessité d’en établir une11, le discours et les actes des cours souveraines – précédées ou relayées par certaines assemblées de l’Ancien Régime finissant –, plaident en ce sens du fait des innovations tant théoriques que pratiques qu’elles produisirent. Les remontrances et les arrêtés des parlements, mais aussi les délibérations de l’Assemblée des notables de 1787, attestent sur ce point en effet d’une évolution déterminante. Certes, ces nouveautés furent conditionnées par les événements et le rapport de forces institutionnel. Mais, justement parce qu’elles le furent, elles sont incontestablement rattachables à la « pré-révolution ».
5Quels sont, dès lors, les éléments pré-révolutionnaires qui distinguent le discours constitutionnel12 de ces cours de l’ancienne France en 1787-1788, par rapport aux thèses qu’elles soutenaient auparavant ?
6La lecture des sources apporte une série de réponses et conduit à mettre en évidence l’existence de trois évolutions concomitantes qui, combinées entre elles, confèrent à la période sa spécificité : tout d’abord, l’argumentaire politique des institutions visées connut une véritable radicalisation ; ensuite, la terminologie juridique utilisée fit l’objet d’un renouvellement significatif ; enfin, dans les faits, les cours souveraines, aux prises avec les événements, mais conjuguant surtout radicalisation du discours et nou- veautés sémantiques, produisirent des décisions audacieuses.
Une radicalisation de l’argumentaire politique
7Au début de l’année 1787, le terme « constitution », servant à désigner l’organisation fondamentale des pouvoirs et de la société, était d’un usage déjà ancien dans le discours parlementaire. Depuis 1752 en effet, il avait été associé à un certain nombre de règles considérées comme essentielles par les cours souveraines, les années précé- dant la réforme Maupeou ayant été très riches en la matière. Mais, si le pouvoir royal n’avait jamais accepté les éléments de ce discours, les tensions s’étaient apaisées au début du règne de Louis XVI – plus précisément après la disgrâce de Turgot –, faisant globalement passer au second plan les idées constitutionnelles toujours vivaces des parlements.
8En revanche, la crise née du déficit budgétaire, le plan de réformes de Calonne proposé à l’Assemblée des notables, le renvoi du contrôleur général des finances, la nomination de Loménie de Brienne à la tête du Conseil royal des finances, l’échec de la première Assemblée des notables, la fronde parlementaire concernant des édits présentés par le gouvernement dans les mois suivants, l’exil d’un prince du sang, de magistrats et même de parlements et pour finir la réforme de Lamoignon furent de nature à crisper le monde de la robe et à le pousser à défendre des thèses politiques qui, sans être révolutionnaires, plaçaient les institutions de l’Ancien Régime dans les limites de l’acceptable.
9Si, en 1787-1788, en effet, l’architecture d’ensemble de l’idéologie des magistrats restait fondée sur une armature conceptuelle ancienne et bien connue de la monarchie, les cours souveraines, au contact des événements, franchirent à ce moment-là une étape nouvelle dans leur conception du pouvoir. Et, fait nouveau, elles entraînèrent dans leur sillage d’autres institutions du royaume qui, jusque-là, étaient restées assez fidèles aux positions traditionnelles du trône, à l’instar de l’Assemblée générale du clergé de France13.
10Pour bien comprendre la nouveauté de la période pré-révolutionnaire, il est néces- saire de replacer cette question dans l’enchevêtrement des prétentions parlementaires. Comme Élie Carcassonne l’a observé dans son ouvrage de 1927, les parlements avaient suivi, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des voies complexes pour caractériser la nature du régime en place, au risque de brouiller le message politique recherché14. Trois approches différentes et, somme toute, assez peu conciliables, apparaissent en effet, sur ce sujet, dans les actes des cours. La première conception défendait l’idée que le régime était une « monarchie tempérée, où la puissance du prince [serait] modérée, non partagée, par les ordres et les corps » du royaume15. Dans les textes exprimant cette thèse, les magistrats des parlements étaient présentés comme ayant reçu leur autorité du roi, seul détenteur de la souveraineté. Mais, à cette première approche, et au risque de troubler la clarté de leur discours, les mêmes cours souveraines ajoutèrent assez tôt une deuxième conception, faisant cette fois du régime politique en place une sorte d’« oligarchie », si ce n’est une monarchie mixte, où la magistrature était censée jouer un rôle central dans l’activité législative, surtout par le biais du contrôle qu’elle prétendait exercer, les parlements se présentant comme les représentants de la nation devant le roi et ceux du roi devant la nation. La vérification et l’enregistrement des lois dans les parlements étant décrits comme des procédures nécessaires à l’aboutissement du processus législatif, la volonté royale s’en trouvait au final limitée. Enfin, à ces deux premières approches déjà bien distinctes, les cours souveraines en ajoutèrent une troisième. Beaucoup plus radicale, elle revenait à établir une véritable répartition des pouvoirs entre le roi et les États généraux du royaume.
11Cette troisième approche fut justement au cœur des prétentions parlementaires à partir de 1787. Certes, elle n’était pas vraiment nouvelle, puisqu’elle avait déjà pu être soutenue à des moments critiques dans le passé16, mais elle s’épanouit pleinement, pendant l’épisode pré-révolutionnaire, dans l’argumentaire d’opposition des parlements aux réformes du gouvernement, avec un point culminant juste après le lit de justice du 8 mai 1788, enregistrant d’autorité les six édits ou déclarations du garde des Sceaux Lamoignon, réforme comportant, outre une modernisation de la justice – avec notamment la suppression de la question préalable –, une réorganisation des juridictions du royaume au détriment des parlements. Dans ce contexte, en effet, les cours considérèrent que, de par la « constitution » de la monarchie, le consentement des États généraux était nécessaire lorsqu’il était question de créer de nouveaux impôts, mais parfois aussi lorsqu’il s’agissait d’adopter une loi, en particulier pour réformer la justice. Les arrêtés du Parlement de Grenoble, pris en mai 1788 – soit après le lit de justice du 8 mai, mais dans le mois précédant la Journée des Tuiles –, en sont un par- fait exemple. Le 9 mai, cette cour déclara « tenir pour maxime constitutionnelle qu’il ne peut être levé d’impôts que de l’octroi et du consentement de la nation, représentée par ses députés librement élus et légalement convoqués »17. Puis, le 20 mai, la reven- dication s’étendit à la législation, la cour grenobloise estimant que, « suivant la constitution du royaume, les lois ne peuvent recevoir de sanction que par le consentement de la nation assemblée et que ce consentement ne peut être suppléé provisoirement dans l’intervalle de la tenue des États généraux que par la vérification libre des cours souveraines »18.
12Ces deux arrêtés, qui pourraient être complétés par des illustrations tirées d’autres juridictions dans les années 1787-178819, témoignent de l’évolution de la conception parlementaire du pouvoir dans le contexte pré-révolutionnaire, le roi, souverain en titre, devant désormais composer avec l’assemblée des États sur les questions les plus importantes. Cette approche pouvait recevoir un écho favorable dans une grande partie de l’opinion publique, à un moment de l’histoire où, d’un point de vue théorique, le fondement divin du pouvoir, qui avait jusque-là servi de justification à la monarchie absolue, était battu en brèche par les idées nouvelles issues des philosophes des Lumières.
13Cependant, si cette conception parlementaire peut être qualifiée de « pré-révolutionnaire », dans la mesure où elle prend son essor au cours de l’épisode éponyme et en tant qu’elle illustre une évolution substantielle de doctrines passées, elle n’est pas pour autant « révolutionnaire ». En effet, si les cours souveraines visées exprimaient une approche du fonctionnement des institutions de l’ancienne France à la limite de la rupture avec le régime en place, le cadre de réflexion des magistrats demeurait néanmoins celui de la monarchie. Ces cours, en effet, ne franchirent pas le seuil sans retour d’une reconnaissance de la souveraineté nationale, qui devait être un des points de départ de la Révolution, le 17 juin 1789. Qui plus est, dès le mois de septembre 1788, quand, la réunion des États généraux étant acquise, il fut question d’envisager les modalités de leur organisation et de leur fonctionnement, les parlements restèrent figés sur les règles qui avaient été en vigueur en 161420, leur valant une rapide perte de popularité dans les derniers mois de la période.
14En d’autres termes, en 1787-1788, les cours souveraines défendirent une conception radicalisée des rapports de pouvoirs au sein de la monarchie, mais restèrent attachées au schéma des institutions de l’ancienne France. En ce sens, elles développèrent bien une argumentation politique beaucoup plus téméraire qu’au cours des années précédentes, mais sans qu’elle ne soit pour autant révolutionnaire.
15Dans le même temps, cette pensée politique devait bénéficier d’innovations sémantiques majeures.
Un renouvellement de la terminologie juridique
16L’innovation vint principalement de la réception par les cours souveraines de deux adjectifs nouvellement introduits dans la langue française : « inconstitutionnel » et « anticonstitutionnel ».
17Comme l’a démontré le linguiste Gunnar von Proschwitz, ces deux termes étaient en fait des anglicismes ayant servi, au début des années 1770, à qualifier en français des événements politiques survenus en Angleterre et en Amérique21. Ils étaient aussi les antonymes d’un autre adjectif qui les avait précédés de peu : « constitutionnel », attesté en particulier dans le Tableau de l’Angleterre de George Grenville, paru à Londres et à Paris, en 176922.
18Selon le Dictionnaire critique de la langue française de Jean-François Féraud, publié en 1788, premier ouvrage de ce type à le définir, « constitutionnel » aurait simplement signifié à l’époque : « conforme à la constitution du gouvernement »23. Les deux autres acceptions qui lui sont aujourd’hui associées – à savoir : « le caractère de ce qui forme la constitution ou en fait partie » d’une part ; « le caractère de ce qui a la force propre des dispositions de la constitution » d’autre part24 –, étaient alors ignorées du lexicographe. Néanmoins, cette absence ne signifie pas pour autant que, dans le langage courant, le champ des possibles n’était pas plus étendu. Un texte, au moins, témoigne en effet d’une autre signification. Il s’agit du Court mémoire en attendant l’autre de Beau- marchais, daté de juin 1788. Dans cet opuscule, l’auteur, évoquant l’opposition entre les parlements et le gouvernement, affirmait que, à ce moment-là de l’histoire, le roi et les cours souveraines souhaitaient « se rapprocher des formes constitutionnelles »25. Comme il ne peut s’agir ici de se rapprocher des formes « conformes à la constitution » – ce qui n’aurait pas vraiment de sens –, cette expression signifie plutôt qu’il aurait existé des « formes » propres à la constitution. Cette illustration tend donc à démontrer qu’une seconde acception de l’adjectif « constitutionnel » existait alors dans la langue française ou était simplement en germe. D’ailleurs, elle fit son apparition dans la cin- quième édition du Dictionnaire de l’Académie Française, en 1798. Dans cet ouvrage, en effet, le terme « constitutionnel » est défini dans deux sens distincts et signifie : d’une part « conforme aux principes de la constitution de l’État », comme dans l’ouvrage de Féraud ; d’autre part : « appartenant à la constitution »26.
19Ces informations sont importantes, car les significations des deux adjectifs antonymes – « inconstitutionnel » et « anticonstitutionnel » –, que les dictionnaires antérieurs à la Révolution ne fournissent jamais, devaient directement en découler. Aussi est-il possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle ces deux termes – qui étaient à l’époque tout à fait interchangeables, car ils servaient simplement à traduire en français l’équivalent anglais « unconstitutional »27 –, ne devaient en réalité avoir au mieux, dans les années 1787-1788, que deux sens possibles : d’une part, celui de « contraire à la constitution » ; d’autre part celui de « n’appartenant pas à la constitution ».
20Cependant, l’analyse des textes les plus anciens tend à démontrer que les deux adjectifs – « inconstitutionnel » et « anticonstitutionnel » – avaient d’abord été utilisés pour exprimer l’idée d’une non-conformité à la constitution, voire dans certains cas celle d’une violation de la constitution.
21Dans le texte le plus ancien actuellement rencontré, soit, en 1771, la Constitution de l’Angleterre de Jean-Louis de Lolme28, l’interprétation de l’adjectif « anticonstitutionnel » ne permet aucun doute :
« Le roi [d’Angleterre] a la puissance militaire : mais, sur cet article encore, il n’est point laissé à sa volonté […] [P]ar rapport aux forces de terre, comme elles four- nissent un moyen immédiat de renverser toutes les barrières, le roi ne peut en avoir sur pied, sans le consentement exprès du Parlement : la garde de Charles second fut déclarée anticonstitutionnelle ; et l’armée de Jacques fut une des raisons qui le firent détrôner. »29
22Parfois l’interprétation est plus délicate. Tel est le cas, en particulier, en 1774, quand le Journal de Bruxelles évoque, à propos des événements survenus dans le Massachusetts, tout d’abord une résolution prise de ne laisser « aucun officier anti-constitutionnel » en fonction, puis, quelques lignes plus loin, une déclaration faisant état d’un « conseil anti-constitutionnel »30. Ces expressions pourraient, au premier abord, être comprises comme indiquant la présence, d’un côté, d’individus investis de prérogatives en dehors du cadre constitutionnel et, de l’autre, d’un conseil ne relevant pas de la constitution. Toutefois, le contexte de l’article invite plutôt à penser que l’existence même des officiers et celle du conseil violaient ladite constitution. Des articles du même journal, des années postérieures, fournissent des exemples offrant une signification similaire, que ce soit à l’égard d’« actes » pris par le Parlement anglais restreignant la navigation et le commerce dans les colonies d’Amérique du Nord, actes également qualifiés d’« anti-constitutionnels »31, ou encore quand il s’agit de « mesures » « que le gouvernement voudra mettre à exécution » jugées d’emblée « inconstitutionnelles »32. D’autres périodiques des années 1770, largement diffusés à l’époque, comme les Affaires de l’Angleterre et de l’Amérique33 de Genet ou les Annales politiques34 de Linguet, font eux aussi état de l’usage des adjectifs visés. Or, dans tous ces passages, la question de la non-conformité ou de la violation est centrale, les deux adjectifs – « anticonstitutionnel » et « inconstitutionnel » – étant nettement associés à l’idée de contrariété à la constitution.
23Il est utile à ce stade de rappeler que, jusqu’en 1787, tous ces textes réservaient l’emploi de ces deux termes aux affaires politiques et au fonctionnement des institutions de l’Angleterre et de l’Amérique du Nord.
24S’il convient d’insister sur l’introduction de ces termes dans la langue française, c’est parce qu’elle présente une réelle importance, manifestant la nécessité éprouvée, à ce moment de l’histoire, de forger un vocabulaire nouveau, apte à décrire des situations jusque-là inédites en France. Les contemporains avaient eux-mêmes conscience de cet enjeu. En 1778, par exemple, le Courrier de l’Europe en fournit un témoignage évident. Ses rédacteurs, confrontés à la difficulté de traduire en français le terme anglais « unconstitutional », choisirent alors de recourir à l’adaptation française « inconstitutionnel », qui circulait depuis quelques années. Mais soucieux de justifier leur choix, ils publièrent une courte note particulièrement explicite, selon laquelle : « il faut nécessairement adopter ces expressions pour éviter les circonlocutions ou périphrases »35.
25Or, pour reprendre une idée défendue par Laurent Lafforgue à propos des mathématiques :
« Quand une chose n’est pas nommée, elle reste insaisissable, invisible, impossible à penser. Pour commencer à l’appréhender, les mathématiciens dans leurs longues quêtes n’ont d’abord d’autre ressource que d’employer des périphrases. »36
26Et ceci jusqu’au jour où un terme adapté est inventé pour exprimer l’idée recherchée, pour « saisir la chose dans son être »37. Or, toute proportion gardée, il en va du droit, comme des mathématiques. Car, ce que disaient, en 1778, les éditeurs du Courrier de l’Europe relève d’une démarche d’une nature similaire : lorsqu’il s’est agi de traduire en français un adjectif exprimant l’idée d’une contrariété à la constitution, il fut nécessaire de créer un mot nouveau et de remplacer les « circonlocutions ou périphrases » antérieures. La lecture des livraisons successives du Courrier de l’Europe permet de retracer l’itinéraire suivi. Comme le problème consistait à traduire en français des textes anglais qui évoquaient des actes « unconstitutional », les auteurs cherchèrent d’abord des expressions approchantes. Ils les trouvèrent dans les sources anglaises elles-mêmes, où des formules aisément traduisibles se rencontraient comme : « repugnant to the principles of the constitution »38 ou « against the spirit of the constitution »39. Aussi, pour traduire de manière satisfaisante l’adjectif « unconstitutional », les rédacteurs du Courrier de l’Europe eurent-ils dans un premier temps recours à une adaptation française de ces locutions anglaises, en l’occurrence : « contraire à l’esprit de la constitution »40. Puis, dans un second temps, percevant qu’il serait plus efficace de recourir à un néologisme, ils décidèrent, le 3 avril 1778, non seulement d’utiliser le qualificatif « inconstitutionnel » que d’autres avant eux avaient forgé, mais encore de justifier leur démarche par une note explicative.
27Cette dynamique, apparue dans les années 1770, est à l’origine d’une terminologie nouvelle permettant d’exprimer d’une manière aussi simple qu’efficace l’idée de non- conformité à la constitution.
28Cependant, comme il l’a déjà été dit, jusqu’en 1787, les adjectifs « inconstitutionnel » et « anticonstitutionnel » n’avaient été utilisés que pour évoquer les affaires anglaises et américaines. Or, il fallut justement attendre, en France, l’épisode de la pré-révolution et la réunion de la première Assemblée des notables, pour que ces deux termes, au potentiel évocateur, entrent dans la terminologie juridique des institutions de l’Ancien Régime.
29Leur introduction se produisit dans les réponses des notables au programme de réformes de Calonne. Le plan du contrôleur général des finances comportait en particulier la création et la généralisation d’« assemblées provinciales », d’inspiration physiocrate, chargées de la répartition d’une imposition territoriale nouvelle dans tout le royaume. Or, au cours des travaux de l’Assemblée des notables, le 9 mars 1787 – le roi ayant demandé aux bureaux des avis écrits –, le premier d’entre eux, présidé par le comte de Provence, adopta non seulement une position critique, mais surtout usa d’un terme jusque-là inédit dans les échanges entre institutions françaises. Ainsi, selon le procès-verbal de ce premier bureau, si les assemblées provinciales étaient « bonnes et désirables en elles-mêmes », « dans la forme proposée elles seraient inconstitutionnelles, dangereuses ou inutiles »41. Le bureau fit suivre cette observation d’une liste de propositions, demandant plus particulièrement pour ces assemblées : l’adoption d’un ensemble de règles en matière de scrutin, de représentation et de renouvellement de leurs membres et même pour l’évaluation des biens ; une répartition précise des prérogatives entre les différents niveaux d’assemblées à instaurer (paroisse, district, province) ; une demande d’éclaircissement concernant le rôle des intendants ; mais également des garanties au bénéfice des ordres privilégiés, en matière de préséance, de présidence des assemblées, de répartition des sièges et de composition des bureaux intermédiaires42. Le respect de ces garanties devait rendre, aux yeux des membres du premier bureau, les « assemblées provinciales » plus sûres, voire utiles, et peut-être aussi peut-on le déduire du texte, sans que ce ne soit ouvertement dit : « constitutionnelles ». Il est vrai que, depuis longtemps déjà un certain nombre d’institutions du royaume considéraient comme relevant d’une prétendue constitution de l’État, la structure tripartite de la société d’ordres et ses conséquences43. Une semaine plus tard, le 16 mars, le troisième bureau, présidé par le duc d’Orléans, suivit une voie identique, considérant les « assemblées provinciales comme inconstitutionnelles et comme privées des pouvoirs nécessaires pour les rendre utiles »44.
30Ces deux bureaux de l’Assemblée des notables venaient d’ouvrir une brèche dans l’argumentaire politique des institutions d’opposition de l’ancienne France, brèche dans laquelle les cours souveraines s’engouffrèrent dès le mois de septembre, quand le gouvernement présenta à l’enregistrement l’édit instituant et généralisant en France les assemblées provinciales, dans une version certes amendée par rapport au projet initial. Ainsi, le Parlement de Bordeaux fit-il sienne, le 31 octobre 1787, la formulation du premier bureau de l’Assemblée des notables pour contester le texte présenté. Dans ses remontrances au roi, il n’hésita pas à déclarer que sa conduite était : « conforme à celle des notables de votre Royaume. « Les Assemblées Provinciales sont bonnes et désirables en elles-mêmes ». Les Bureaux l’ont dit, et le Parlement n’a cessé de le répéter : « mais dans la forme proposée, elles seraient inconstitutionnelles, dangereuses et inutiles ». »45
31Il est vrai que le Parlement de Besançon avait précédé son homologue bordelais, dès le 1er septembre, en déclarant que, telles qu’elles étaient envisagées, les assemblées provinciales étaient « inconstitutionnelles » car elles n’assuraient pas « une représentation complète des trois ordres » de la province46, mais il n’avait pas cité in extenso le texte du bureau de l’Assemblée des notables. En revanche, par la suite, d’autres cours, comme le Parlement de Dijon47, reprirent à leur compte le passage en question.
32Les conflits qui se succédèrent, en 1787-1788, opposant le greffe à la Couronne furent ensuite l’occasion pour les cours souveraines, de donner corps aux adjectifs « inconstitutionnel » et « anticonstitutionnel ». Tel fut le cas lors de l’enregistrement de l’édit d’octobre 1787, qui prorogeait le second vingtième jusqu’en 1792. Cette prorogation était associée à une modernisation des formes de l’impôt. Mais ces formes-là furent précisément considérées comme « anticonstitutionnelles », en particulier par le Parlement de Metz, le 19 janvier 1788, car la cour estimait que, comme la somme demandée n’était pas « fixe et mesurée sur les besoins de l’État », l’opération revenait à priver les peuples du royaume d’une « partie considérable de leurs propriétés »48. L’inconstitutionnalité était ici évaluée à l’aune de la privation de la propriété induite par des innovations fiscales. En outre, la méthode suivie par le gouvernement pour faire entrer rapidement l’édit en vigueur fut, elle aussi, condamnée. Cette méthode avait conduit le pouvoir royal, dans certaines provinces, à négocier directement avec les États provinciaux afin d’éviter l’éventuel obstacle des cours souveraines. Cette ma- nière d’agir, qui avait eu pour effet de contourner les mécanismes parlementaires de la vérification et de l’enregistrement des lois dans les cours, fut rejetée par le Parlement de Douai, dans ses remontrances du 1er février 1788, cette façon de faire étant qualifiée de « voie inconstitutionnelle »49. D’autres illustrations se rencontrent encore dans les remontrances des cours souveraines qui protestèrent contre l’exil du duc d’Orléans et celui de magistrats qui s’étaient opposés au pouvoir royal50.
33Mais les références à l’inconstitutionnalité se multiplièrent surtout au moment de l’adoption de la réforme Lamoignon. Ainsi, dans un arrêté du 5 mai 1788, la Cour des aides de Paris – anticipant les événements à venir trois jours plus tard – allia les inno- vations sémantiques constatées à la radicalisation du discours politique et affirma :
« Que tout tribunal qu’on tenterait de créer, pour échapper à la loi protectrice de l’enregistrement dans les cours, ou pour en changer la forme, quelque nom qu’il portât, de quelques membres qu’il fût composé, serait illégal et anti-constitutionnel, tant qu’il n’aurait pas reçu son existence de la nation assemblée. »51
34Puis, dans les jours qui suivirent le lit de justice du 8 mai, la fronde parlementaire contre la réforme Lamoignon se fit plus massive, accroissant les cas de recours aux deux adjectifs visés52.
35Au final, la pré-révolution fut donc la période du XVIIIe siècle au cours de laquelle un certain nombre de cours souveraines, partant d’une conception singulière de ce qu’elles considéraient être la constitution de l’État, avancèrent l’idée qu’une décision du souverain pouvait être « inconstitutionnelle » ou « anticonstitutionnelle ». Certes, dans le passé, elles étaient déjà parvenues à exprimer l’idée qu’une loi pouvait être contraire à la « constitution de l’État »53, mais c’était sans le renfort décisif, parce que beaucoup explicite, de ces deux adjectifs nouveaux et percutants.
36Ceci signifie que, au cours de cette période décisive, si la discussion allait porter dans le débat public général sur la question de l’existence ou non d’une constitution, sur la nécessité d’en écrire une en se fondant sur des coutumes existantes ou au contraire sur des bases nouvelles, exprimant de fait une multiplicité de conceptions en concurrence, l’idée de conformité d’une loi à la constitution avait trouvé, au cours des années 1787-1788, dans les actes des principales cours souveraines, une formulation innovante, que des adjectifs, résumant à eux seuls l’idée maîtresse, pouvaient exprimer avec une redoutable efficacité. Il ne manquait plus qu’à franchir le pas de l’invalidation d’une loi pour ce motif.
Des décisions audacieuses
37Parallèlement au développement de la conception qui vient d’être décrite, les cours souveraines poussèrent leur opposition au pouvoir royal jusqu’à déclarer, en 1788, que des décisions du roi pouvaient être nulles.
38En réalité, cette pratique n’était pas nouvelle. Dans le passé déjà, à deux reprises, certains parlements y avaient été conduits. La première illustration remonte à l’année 1763, quand, à la fin de la guerre de Sept Ans, une réforme fiscale d’ampleur avait été élaborée, suscitant une vive opposition de certaines juridictions provinciales, en particulier à Pau, où le Parlement avait déclaré que la transcription d’autorité de la réforme dans ses registres était « illégale, et partant nulle et de nul effet »54. D’autres parlements avaient suivi ce mouvement précurseur qu’Éric Gojosso a récemment étudié55, mouvement au cours duquel des arrêts de défense avaient été adoptés non seulement pour annuler des transcriptions d’autorité, mais encore pour interdire aux juridictions inférieures de connaître des lois irrégulièrement enregistrées. Un deuxième épisode avait ensuite eu lieu, en 1771, lors de la crise ouverte par la réforme Maupeou, les parlements ayant à nouveau eu recours à ces pratiques invalidant des décisions royales ; mais le gouvernement avait eu le dernier mot.
39Aussi, quand la crise survint, en mai 1788, à l’occasion de la réforme judiciaire de Lamoignon, certains parlements usèrent-ils une nouvelle fois de cette pratique déjà utilisée au cours du siècle. Cependant, cette fois-ci, ils la conjuguèrent à la radicalité de leur discours politique et l’exprimèrent au moyen de cette terminologie nouvellement apparue.
40L’innovation vint surtout de ce qu’une décision d’une cour souveraine pouvait non seulement, comme dans le passé, prononcer la nullité d’une procédure d’enregistrement d’autorité pourtant décidée par le pouvoir royal, mais, fait nouveau et beaucoup plus audacieux, censurer la loi elle-même.
41Sur ce sujet, l’exemple le plus abouti vient très certainement de l’arrêté du Parlement de Rouen du 25 juin 1788, ultime riposte d’une cour qui ne pouvait plus user de l’arme des remontrances, la réforme ayant été imposée par la force, le pouvoir ayant même interdit toute délibération sur le sujet. Empêchés de se réunir au palais de justice de Rouen par ordre du roi, une garde armée en bloquant même les accès, les magistrats étaient toutefois parvenus à s’y rendre et à délibérer dans une salle, pour au final adopter un arrêté d’une grande hardiesse56.
42Dans ce texte, les magistrats de Rouen concentraient tous les éléments pré-révolu- tionnaires du discours constitutionnel des parlements :
« Ladite cour par toutes ces considérations, en persistant unanimement à ses arrêtés protestations et déclarations des cinq et huit mai dernier, à l’appel par elle interjeté au roi mieux informé et à la nation assemblée, appel qu’elle renouvelle et réitère en tant que besoin, a déclaré et déclare qu’elle tient et tiendra à jamais pour nul illégal et inconstitutionel [sic] contraire aux véritables intérêts du seigneur roi à la stabilité de la monarchie attentatoire aux droits indestructibles de la nation et aux droits particuliers de la province incapable de constituer aucuns droits et de produire aucunes obligations les ordonnances édits et déclarations transcrits sur ses registres le huit mai dernier, ladite transcription, l’impression et l’affiche d’iceux, ensemble les publications et enregistrements qui en ont été faits dans les bailliages et sièges du ressort soit volontairement soit par aucuns porteurs d’ordre ou en leur présence et généralement tous actes sentences ou jugements faits ou intervenus par suite et en exécution desdites ordonnances, a déclaré et déclare qu’elle tient et tiendra également pour nuls et illégaux tous jugements sentences ou ordonnances qui interviendraient par la suite en exécution d’icelle et les officiers ou juges qui les rendraient pour traîtres au roi, à la nation et à la province, parjures et notés d’infamie ; déclarant en outre ladite cour qu’ils resteront à jamais garants et responsables envers les parties des dépens dommages et intérêts qui pourraient résulter desdits jugements. »57
43La nouveauté se mesure ici à plusieurs niveaux. Tout d’abord, la cour ne se contentait pas de déclarer la nullité de la transcription des ordonnances, édits et déclarations dans ses registres, elle censurait directement les textes eux-mêmes. Ensuite, elle ne se limitait pas à les déclarer « nuls », elle les qualifiait aussi d’« inconstitutionnels ». Puis elle interdisait aux juges inférieurs de son ressort de les appliquer, envisageant même les moyens judiciaires propres à sanctionner le non-respect de ces prescriptions. Enfin, elle en appelait à la nation assemblée.
44Une fois connu, cet arrêté eut un très fort retentissement. Certaines juridictions inférieures du ressort du Parlement de Rouen l’enregistrèrent alors même qu’il avait été pris dans des circonstances contestables58. Les procureurs du grand bailliage de Rouen, émettant des craintes sur le sort des jugements rendus en application de la réforme Lamoignon du seul fait de cet arrêté du 25 juin, décidèrent, par une délibértion du 1er juillet, de s’abstenir d’exercer leurs fonctions tant que ce texte subsisterait59. Une réponse royale devenait urgente.
45Le gouvernement répondit par un arrêt du Conseil du 9 juillet 1788. Mais ce dernier s’inscrivit dans un dispositif mis en place en amont, à l’occasion d’un premier arrêt du Conseil d’État daté du 20 juin60. Dans ce premier texte en effet le pouvoir royal avait déjà apporté une réponse à un ensemble de protestations émises par d’autres cours souveraines à la suite du lit de justice du 8 mai et avait organisé la riposte. Ainsi le Conseil d’État du roi avait-il considéré que :
« Dans la forme, ces écrits sont donc illicites ; dans l’effet que l’on cherche à leur faire produire, ils sont illusoires. Dans leur contenu ils ne sont pas moins condamnables. Les officiers et autres sujets qui y parlent, s’élèvent au-dessus de l’autorité royale, osent juger et proscrire les actes émanés du roi […] Comme s’il pouvait jamais appartenir à des sujets, d’élever des actes d’une autorité particulière, contre les actes de l’autorité légitime […] Comme si la nation pouvait jamais croire qu’il existe entre les mains de quelques officiers du roi, un pouvoir national, et un droit de contrarier l’autorité dont ils émanent, et d’en déterminer le caractère. »61
46Mais surtout, considérant que les actes rendus par les parlements étaient d’une part « dénués des formes les plus simples » et d’autre part « rendus sans pouvoir, hors des lieux des séances ordinaires, contre les ordres exprès » du roi, ils échappaient à la « cassation par le vice même de leurs formes, puisque, les casser, serait leur supposer une existence régulière » qu’ils n’avaient pas62. Dès lors le roi ne pouvait qu’ordonner que les délibérations faites par les cours depuis l’enregistrement du 8 mai 1788 soient et demeurent « supprimées comme séditieuses, attentatoires à l’autorité royale, faites sans pouvoir, et tendantes à tromper les peuples sur les véritables intentions de Sa Majesté »63. Défense était encore faite envers quiconque – cour, juge, corps ou communauté – de faire à l’avenir de telles délibérations, les juridictions inférieures étant dans l’interdiction « d’avoir égard auxdits arrêtés et protestations, et aux significations qui auraient pu leur en être faites », le roi s’engageant même à placer sous sa protection spéciale les tribunaux qui exécuteraient ses lois, malgré l’interdiction prononcée par les cours souveraines64. Enfin, cet arrêt du Conseil du 20 juin mettait en garde tous ceux qui prendraient à l’avenir « de semblables délibérations » ou « protestations », les menaçant non seulement des sanctions prévues en cas de forfaiture, mais également de la « perte » de leur « état, charge, commission et emploi militaire ou civil »65.
47Cependant, ce premier arrêt du Conseil n’ayant pas empêché le Parlement de Rouen de prendre son arrêté cinq jours plus tard, un second était nécessaire. Il fut rendu le 9 juillet 178866 et visa cette fois-ci spécifiquement la délibération des magistrats de Rouen du 25 juin, tout en prolongeant le dispositif de l’arrêt du Conseil du 20 juin. Plus précisément, l’arrêt du 9 juillet dressait un constat avant de tirer une série de conséquences.
48Le constat peut se résumer en trois points essentiels. Tout d’abord le Conseil d’État du roi estimait que l’arrêté du 25 juin avait été « pris par des magistrats du Parlement de Normandie » et non par le Parlement lui-même, puisque cette cour n’était pas autorisée à se réunir. Ce qui signifiait que cet arrêté avait été délibéré par « des officiers sans fonctions ». Et d’ailleurs, s’ils l’avaient été, ils n’auraient pas eu le pouvoir de le faire. Dès lors, l’arrêté du 25 juin était « nul dans sa forme ». Ensuite, le Conseil mettait en évidence le fait que si le texte contesté réunissait « tous les vices relevés dans l’arrêt du Conseil du 20 juin », il y ajoutait « une insubordination encore plus condamnable et des entreprises encore plus répréhensibles » qu’il fallait sanctionner. Enfin, le Conseil relevait que l’arrêté visé troublait le fonctionnement de la justice, puisque des procureurs eux-mêmes dans une délibération avaient exprimé leur crainte que ce texte compromette le sort des jugements, alors même que les juridictions et les offices qui y étaient attachés émanaient du roi, lequel était libre d’en « modérer et restreindre l’exercice », voire de « régler le temps et les séances ». Ce qui signifiait qu’aucun tribunal, aucun juge et aucun procureur, notamment du grand bailliage de Rouen, ne devait être lié par l’arrêté du Parlement de Rouen, car « cet arrêté, nul, informe, et irrégulier, ne peut avoir aucun effet sur » les « fonctions » des juges et procureurs67.
49Le Conseil d’État du roi en tirait dès lors toutes les conséquences :
« le roi étant en son conseil, a ordonné et ordonne que l’arrêt de son Conseil, du 20 juin dernier, sera exécuté suivant sa forme et teneur ; ce faisant, ordonne que l’arrêté pris par des officiers du Parlement de Normandie, le 25 dudit mois de juin, sera et demeurera supprimé comme séditieux, attentatoire à l’autorité royale, fait sans pouvoir, tendant à tromper les peuples sur les véritables intentions de Sa Majesté, à détourner ses officiers des grands bailliages et présidiaux de la fidélité qu’ils lui doivent, du service qu’ils doivent au public, et à les faire contribuer eux-mêmes à l’anéantissement s’il était possible de la présidialité et de l’étendue que Sa Majesté lui a donnée pour le bien de ses peuples. »68
50Enfin, le Conseil déclinait les mesures propres à mettre un terme aux effets de l’arrêté incriminé. Interdiction était faite aux magistrats, en particulier du Parlement de Rouen, de réitérer ce type de délibération. En cas de récidive, défense était faite aux juges et procureurs d’y donner « suite, d’y obtempérer ou de les exécuter », voire de « cesser l’exercice de leurs fonctions ». Si d’aventure ces interdictions étaient trans- gressées, les peines prévues par l’arrêt du 20 juin seraient prononcées contre les coupables. Ordre était également donné aux procureurs du grand bailliage de Rouen de continuer l’exercice de leurs fonctions, le roi déclarant « prendre sous sa protection et sauvegarde spéciale ceux desdits juges, procureurs et autres officiers qui rempliront leurs fonctions », interdisant au Parlement de Rouen de les poursuivre et même de « connaître par appel […] des jugements qui auront été rendus par les présidiaux et grands bailliages avec la qualification de dernier ressort ». L’arrêté du 25 juin 1788 et ses conséquences étaient en théorie juridiquement anéantis69.
51Toutefois, dans les semaines qui suivirent, face à l’accélération des événements, la réforme Lamoignon fut abandonnée et le roi convoqua les États généraux du royaume, prélude à la Révolution. Mais, par-delà l’opposition entre les magistrats de Rouen et la Couronne, l’arrêté du 25 juin 1788 prouve que, dès le mois de juin 1788, certains parle- ments de l’Ancien Régime étaient parvenus non seulement à concevoir, mais également à prononcer, l’invalidation d’une loi en la déclarant « inconstitutionnelle ».
52Au terme de cet article, et pour répondre directement à la question initialement posée, il est donc possible de dégager du discours et des actes des cours souveraines des années 1787-1788 des éléments suffisamment déterminants pour distinguer la pré-révolution tant de l’Ancien Régime tardif que de la Révolution française à venir. Les arguments avancés par ces institutions en effet présentent une part notable de renouvellement ou d’innovation par rapport au passé, même si les idées émises restent dans les limites institutionnelles, parfois mises à mal, de la monarchie.
53Surtout, l’épisode ultime de l’opposition parlementaire – la révolte contre la réforme Lamoignon – présente la particularité d’avoir conduit des cours souveraines à déclarer que des lois du roi pouvaient être « nulles » et « inconstitutionnelles ». Or cette innovation – aussi audacieuse soit-elle et reposant d’ailleurs sur une prétendue constitution dont l’existence était indémontrable – fait également de la pré-révolution une étape décisive de l’histoire du contrôle de la constitutionnalité des lois en France. Car, non seulement cet épisode pré-révolutionnaire démontre que deux éléments fondamentaux de ce contrôle étaient arrivés à maturité pendant cette période – d’une part l’idée qu’une loi pouvait être contraire à la constitution ; d’autre part le fait qu’une cour de justice pouvait déclarer la nullité de cette loi pour ce motif –, mais aussi parce que cet épisode devait avoir des répercussions négatives sur le développement de la justice constitutionnelle à venir. En témoigne un article publié en 1924, dans la Revue du droit public. Son auteur, Gaston Jèze70, prenant part à la discussion doctrinale du moment sur la pertinence ou non d’introduire un « contrôle juridictionnel des lois », consacrait un passage de sa contribution à rappeler qu’un tel contrôle n’existait pas en France, parce que les hommes de la Révolution l’avaient exclu et qu’ils en avaient décidé ainsi, non seulement en raison de leur intérêt pour la pensée de Rousseau, mais encore parce que :
« Ils n’oubliaient pas qu’en 1787-1788, le Parlement de Paris71 s’était insurgé contre certaines réformes édictées par le roi, qu’il avait déclaré nuls et illégaux des édits royaux. »72
54Par-delà le fait que la pré-révolution forme bien une « étape » dans l’histoire du droit constitutionnel, et même de l’histoire du contentieux constitutionnel, l’attitude des cours souveraines pendant cet épisode explique en grande partie que la mise en œuvre d’un tel contentieux ait été si tardive en France, voire qu’il ait fallu attendre si longtemps pour que le contrôle de constitutionnalité des lois s’inscrive dans le contentieux général, la peur du « gouvernement des juges » réapparaissant régulièrement.
Notes
1 Cet article approfondit, complète et prolonge, à travers le prisme de la pré-révolution, certains thèmes déve- loppés dans : Arnaud Vergne, La notion de Constitution d’après les cours et assemblées à la fin de l’Ancien Régime (1750-1789), Paris, De Boccard, collection « Modernité et romanité du droit », 2006, XI+653 p.
2 Pierre Caron, Manuel pratique pour l’étude de la Révolution française, nouvelle édition, Paris, Picard, 1947, p. 7.
3 Jean Égret, La pré-révolution française (1787-1788), Paris, PUF, 1962, p. 1.
4 Ibid.
5 Stéphane Baudens et Ahmed Slimani, « La Bretagne : un autre laboratoire juridique et politique de la Révo- lution française (1788-1789) », Revue française d’histoire des idées politiques, n° 29, 2009, pp. 95-148, article suivi de documents, pp. 149-183.
6 Stéphane Baudens, « De la province à la nation. Débats sur la constitution des États provinciaux à la veille de la Révolution : le cas de l’Anjou », Annales historiques de la Révolution française, n° 364, 2011 (avril-juin), pp. 85-109 ; Stéphane Baudens, « Un défenseur du libéralisme aristocratique lors de la pré-révolution en Anjou : Antoine-Joseph-Philippe Walsh, comte de Serrant », Les cahiers poitevins d’Histoire du droit, troi- sième cahier, 2011, pp. 199-212 ; Stéphane Baudens, « L’union est un combat. Réflexions sur la tentative de concilier les trois ordres en Anjou à l’orée de la Révolution », dans Éric Gasparini et François Quastana (dir.), Mélanges en l’honneur du professeur Michel Ganzin, Paris, la Mémoire du Droit, 2016, pp. 497-516.
7 Ahmed Slimani, « La pré-révolution politique et institutionnelle en Normandie (1788-1789) », Annales his- toriques de la Révolution française, n° 364, 2011 (avril-juin), pp. 111-135 ; Ahmed Slimani, « Les résistances politiques en Normandie (1788-1789) », dans Éric Gasparini et François Quastana (dir.), Mélanges en l’honneur du professeur Michel Ganzin, Paris, la Mémoire du Droit, 2016, pp. 517-530.
8 Ahmed Slimani, « Les discours politiques et juridiques en Picardie à la veille de la Révolution française (1788-1789) », Revue du Nord, n° 394, 2012, pp. 149-169.
9 Stéphane Baudens, « Infâmes versus Revenants : une lutte inégale ? Honneur et opinion publique dans la défense du bailliage-présidial de Bourg-en-Bresse face au Parlement de Dijon à la fin de l’Ancien Régime (1788-1789) », dans Serge Dauchy, Véronique Demars-Sion, Hervé Leuwers et Sabrina Michel (dir.), Les parlementaires acteurs de la vie provinciale. XVIIe–XVIIIe siècles, Rennes, PUR, 2013, pp. 205-226.
10 Ahmed Slimani, « Les discours politiques et institutionnels contestataires en Franche-Comté (1788- 1789) », Revue historique de droit français et étranger, 2014, n° 2 (avril-juin), pp. 231-262.
11 Sur cette question, voir notamment: Marina Valensise, « La constitution française », dans Keith Michael Baker (dir.), The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, volume I: « The Political Culture of the Old Regime », Oxford et New York, Pergamon Press, 1987, pp. 441-467; Henri Duranton, « La France a-t-elle une Constitution ? Un aspect du débat idéologique à l’aube de la Révolution », Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 32 : « La Révolution française, modèle ou voie spécifique », 1988, pp. 142-152 ; Jean-Marie Carbasse, « La constitution coutumière : du modèle au contre-modèle », Modelli nella storia del pensiero politico, tome II : « La rivoluzione francese e i modelli politici », Florence, Leo S. Olschki, 1989, pp. 166-169 ; François Furet et Ran Halévi, La monarchie républicaine. La Consti- tution de 1791, Paris, Fayard, 1996, pp. 15-40 ; Michel Ganzin, « Le concept de constitution dans la pensée jusnaturaliste (1750-1789) », La constitution dans la pensée politique. Actes du colloque de Bastia (7-8 sep- tembre 2000), Aix-en-Provence, PUAM, 2001, pp. 191-194.
12 « Discours constitutionnel » désigne ici, de façon étendue, l’expression d’une pensée constitutionnelle. Ce discours présente cependant une spécificité : comme il fut produit par des cours souveraines, il ne s’est pas limité à exprimer une conception particulière de la « constitution de l’État », il a aussi servi de motivation aux décisions de ces institutions.
13 Remontrances de l’Assemblée générale du clergé de France au roi du 11 juin 1788 sur les édits enregistrés au lit de justice le 8 mai de la même année [Archives Nationales (AN) : G8*706, pp. 160-161] ; mémoire de l’Assemblée générale du clergé de France au roi de 1788 (AN : G8*706, pp. 359-361).
14 Élie Carcassonne, Montesquieu et le problème de la constitution française au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1927, p. 294.
15 Ibid.
16 François Olivier-Martin, Les Parlements contre l’absolutisme traditionnel au XVIIIe siècle, Paris, 1949- 1950 ; réimpression, Paris, LGDJ, 1997, pp. 520-521.
17 Arrêté du Parlement de Grenoble du 9 mai 1788 (Bibliothèque Mazarine : ms. 2408, p. 593).
18 Arrêté du Parlement de Grenoble du 20 mai 1788 (Bibliothèque Mazarine : ms. 2408, p. 625).
19 Voir notamment : les supplications du Parlement de Paris du 2 août 1787 (dans Jules Flammermont (dir.), Remontrances du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, Paris, Imprimerie nationale, 1898, t. III, p. 676), son arrêté du 27 août 1787 (Ibid., t. III, p. 693), ses itératives remontrances du 30 avril 1788 (ibid., III, p. 740) et son arrêté du 3 mai 1788 (Ibid., t. III, pp. 745-746) ; l’arrêté du Parlement de Besançon du 4 janvier 1788 (Bibliothèque Cujas : 50571, p. 2) ; l’arrêté du Parlement de Rennes des 4-6 décembre 1787 (Bibliothèque Cujas : 50571, p. 6) ; le discours de M. de Barentin, premier président de la Cour des aides de Paris, au roi, du 25 août 1787 (BnF : Lb39432, pp. 1-2) ; l’arrêté de la Cour des aides de Paris du 27 août 1787 (BnF : Lb39422, p. 3) et ses remontrances du 23 avril 1788 (BnF : Lb39544, pp. 6-7).
20 Jean Égret, op. cit., p. 338.
21 Gunnar von Proschwitz, Introduction à l’étude du vocabulaire de Beaumarchais, Stockholm, Almqvist och Wiksell, 1956, pp. 196, 212-213 et 253 ; Gunnar von Proschwitz, « Le vocabulaire politique au XVIIIe siècle avant et après la Révolution. Scission ou continuité ? », Le français moderne, Paris, éditions d’Artrey, 1966, t. XXXIV, pp. 101-102 ; Gunnar von Proschwitz, « « Constitutionnel » – anglicisme ou mot français ? », Cahiers de lexicologie, vol. XIV, 1969 (1), p. 10.
22 George Grenville, Tableau de l’Angleterre, relativement à son commerce et à ses finances, présenté au roi, et aux deux chambres du Parlement, Londres et Paris, 1769, p. 53. Voir sur ce point: Paul Barbier, « En- glish influence on the French vocabulary », Society for Pure English, Oxford, tract n° VII, 1921, p. 30.
23 Jean-François Féraud, Dictionnaire critique de la langue française, Marseille, Jean Mossy, 1787, t. I, p. 556.
24 Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1ère édition, 1987 ; 7e édition, 1998, v° « constitu- tionnel », p. 206.
25 Court mémoire en attendant l’autre, par Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, sur la plainte en diffama- tion qu’il vient de rendre d’un nouveau libelle qui paraît contre lui, s. l., 1788, p. 5 (BnF : 8°Fm3553). Voir aussi : Œuvres complètes de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, Paris, Léopold Colin, 1809, t. VII, p. 461.
26 Dictionnaire de l’Académie Française, 5e édition, Paris, J. J. Smits, an VII-1798, t. I, p. 299.
27 Deux adjectifs sont attestés, dans la langue anglaise, dès 1734 : « unconstitutional » et « anti-constitutional » (Gunnar von Proschwitz, « « Constitutionnel » – anglicisme ou mot français ? », op. cit., p. 10).
28 Selon Gunnar von Proschwitz, le premier exemple d’usage, en français, de l’adjectif « anticonstitution- nel » remonterait à 1774 (Introduction à l’étude du vocabulaire de Beaumarchais, Stockholm, Almqvist och Wiksell, 1956, p. 212). Cependant, ce terme est déjà attesté dès 1771 dans l’œuvre de Jean-Louis de Lolme.
29 Jean-Louis de Lolme, Constitution de l’Angleterre, Amsterdam, E. van Harrevelt, 1771, pp. 78-79.
30 Journal de politique et de littérature, contenant les principaux événements de toutes les cours ; les nouvelles de la république des lettres […], Bruxelles, 5 novembre 1774 (n° 2), t. I , p. 60.
31 Journal de politique et de littérature, contenant les principaux événements de toutes les cours ; les nouvelles de la république des lettres […], Bruxelles, 5 septembre 1775 (n° 25), t. III, p. 11.
32 Journal de politique et de littérature, contenant les principaux événements de toutes les cours ; les nouvelles de la république des lettres […], Bruxelles, 5 janvier 1776 (n° 1), t. I, p. 67.
33 Affaires de l’Angleterre et de l’Amérique, s. l., s. n., 1776, t. IV, pp. 23-24 : « En lisant ce rapport chacun aura pu observer qu’il est uniquement fondé sur l’autorité respectable des sieurs Bernard et Hutchinson, précé- demment gouverneurs de la baie de Massachussetts. On y a vu que ces messieurs étaient depuis plusieurs années les ennemis déclarés des peuples qu’ils ont accusés, et que cependant leur témoignage a servi de base aux résolutions illégales, et inconstitutionnelles prises par la Chambre des Lords contre les Américains, pour détruire leur charte, les dépouiller de leurs droits les plus précieux, et établir dans cette Colonie un gouvernement militaire ».
34 Annales politiques, civiles et littéraires du dix-huitième siècle, Londres, s. n., 1777, t. III, p. 500 : « […] il fallait dire au Parlement [anglais] : « Ne demandez pas l’exil des ministres, parce que vous n’en avez pas le droit ; cette demande n’est pas seulement injurieuse, elle est illégale, et, suivant l’idiome breton, inconstitu- tionnelle ». Il aurait été facile de le prouver ».
35 Courrier de l’Europe, vol. III, n° XXVII, vendredi 3 avril 1778, p. 211, note (*).
36 Laurent Lafforgue, « Les études classiques et la liberté de l’esprit », Commentaire, n° 110, 2005 (été), p. 326.
37 Ibid.
38 Voir, par exemple, l’intervention du comte d’Abingdon, à la Chambre des Lords, le 23 janvier 1778, dans la version transmise par The Parliamentary History of England, from the Earliest Period to the Year 1803, London, T. C. Hansard, 1814, vol. XIX, p. 623: « It is therefore my intention, in the course of a few days, to move, that a day be appointed for summoning the Judges to attend this House, in order that their Opinions may be taken upon this matter. At present, I conceive it to be not only repugnant to the principles of the con- stitution, but expressly against the letter of the law ». Cette intervention a été traduite, dans le Courrier de l’Europe (vol. III, n° VIII, mardi 27 janvier 1778, pp. 58-59), dans ces termes : « mon intention est de faire sous peu de jours une motion, à fixer un jour auquel on demandera les juges pour donner leur opinion à ce sujet ; pour le présent, je me borne Mylors à observer que ce procédé est non seulement contraire à l’esprit de la constitution, mais même au sens littéral de la loi ».
39 Voir, par exemple, la proposition de résolution présentée par le comte d’Abingdon, à la Chambre des Lords, le 4 février 1778, telle qu’elle est rapportée dans The Parliamentary History of England, from the Earliest Period to the Year 1803, London, T. C. Hansard, 1814, vol. XIX, pp. 633-634: « My lords, I will now submit to your lordships, two Resolutions for the adoption of this House, without any other recommendation of them than their own importance: 1. “That the giving or granting of Money, as private Aids or Benevolences, without the sanction of parliament, for the purpose of raising Armies for his Majesty’s service, is against the spirit of the constitution and the letter of the law[”]. 2. “That the obtaining of Money by Subscription, and under the direction of a committee of the subscribers, to be applied in raising men for his Majesty’s service, in such manner as his Majesty shall think fit, is not only unconstitutional and illegal, but a direct infringement of the rights, and an absolute breach of the privileges of parliament” ». Cette proposition a été partiellement traduite dans le Courrier de l’Europe (vol. III, n° XV, vendredi 20 février 1778, p. 116), lequel passe cependant sous silence la seconde partie, où l’adjectif « unconstitutional » est mentionné : « L’opinion de la Chambre est qu’accorder des sommes pécuniaires en forme de dons gratuits, sous prétexte d’assistance et de bienfaisance privée, sans le consentement du Parlement, et dans la vue de lever des troupes pour le service de S. M., c’est agir d’une manière contraire à l’esprit de la constitution, et à la lettre de la loi ».
40 La comparaison des versions anglaise et française du débat à la Chambre des Lords du 27 janvier 1778 met en évidence le recours à la périphrase « contraire à l’esprit de la constitution » comme traduction de l’adjectif « unconstitutional ». Certes les deux versions sont manifestement tirées de sources différentes, car elles ne sont pas mot à mot identiques ; mais le texte français paraît seulement être un résumé précisant les éléments les plus importants. Or, à propos de la possibilité pour le roi d’Angleterre de lever des troupes sans l’aval du Parlement, le texte anglais indique: « The measure of raising troops, without the consent, and during the sitting of parliament, was not only illegal, and unconstitutional, but a high violation of the fundamental privileges of parliament » (The Parliamentary History of England, from the Earliest Period to the Year 1803, London, T. C. Hansard, 1814, vol. XIX, p. 625), alors que l’adaptation française se limite de manière très synthétique à la phrase suivante : « cette mesure était illégale et absolument contraire à l’esprit de la constitution » (Courrier de l’Europe, vol. III, n° IX, vendredi 30 janvier 1778, p. 68).
41 Procès-verbal du premier bureau de l’Assemblée des notables, du 9 mars 1787 (AN : C1, dossier 3).
42 Ibid.
43 Voir, à titre d’illustrations, et provenant de trois types différents d’institutions : les remontrances du Par- lement de Paris du 4 mars 1776 (dans Jules Flammermont, op. cit., t. III, p. 287) et ses remontrances des 18-19 mai 1776 (Ibid., t. III, pp. 377-378) ; la harangue faite au roi à Versailles le dimanche 9 mars 1760 par Mgr l’archevêque de Narbonne, président pour l’ouverture de l’Assemblée générale du clergé de France (AN : G8*692, p. 61) ; le procès-verbal des États de Bourgogne, du 18 novembre 1787 (ADCO : C3014, fos 11v°-12r°) et le carnot du clergé des États de Bourgogne à la même date (ADCO : C3035, f°25r°).
44 Réclamations du troisième bureau de l’Assemblée des notables, du 16 mars 1787 (AN : C1, dossier 2, pp. 346-347).
45 Remontrances du Parlement de Bordeaux du 31 octobre 1787 (Bibliothèque Cujas : 50571, pp. 15-16).
46 Remontrances du Parlement de Besançon du 1er septembre 1787 (AN : H11596, pièce 150, f° 13r°).
47 Remontrances du Parlement de Dijon du 26 février 1788 (BnF : Lb39510, pp. 10-11).
48 Remontrances du Parlement de Metz du 19 janvier 1788 (Bibliothèque Cujas : 50571, p. 3).
49 Remontrances du Parlement de Douai du 1er février 1788 (Bibliothèque Cujas : 50571, p. 18).
50 Remontrances du Parlement de Bordeaux du 15 avril 1788 (AN : K708, pièce 65, f° 3r°).
51 Arrêté de la Cour des aides de Paris du 5 mai 1788, dans le Recueil des arrêtés, remontrances, protestations des parlements, cours des aides, chambres des comptes, États provinciaux, etc. au sujet des nouvelles lois proposées par le sieur de Lamoignon, garde des Sceaux, au lit de justice du 8 mai 1788, Londres, s. n., 1788, p. 150 (BnF : Lb39553).
52 Voir par exemple : l’arrêté du Parlement de Rennes du 9 mai 1788, dans le Précis historique de ce qui s’est passé à Rennes, depuis l’arrivée de M. le comte de Thiard, commandant en Bretagne, Rennes, s. n., 1788, p. 60 (BnF : Lb39560) ; les remontrances du Parlement de Pau des 21 et 26 juin 1788 (BnF : Lb39601, pp. 4 et 16) ; l’arrêté de la Chambre des comptes de Nantes du 28 juillet 1788 (BnF : Lb396502, p. 4).
53 Voir, à titre d’exemples : les remontrances du Parlement de Bordeaux du 12 mars 1756 (BnF : Lb38661, p. 4) ; l’arrêté du Parlement de Paris du 20 janvier 1775 (dans Jules Flammermont, op. cit., t. III, p. 266) ; l’arrêté du Parlement de Rennes du 22 août 1787 (BnF : Lb39414, p. 5).
54 Arrêté du Parlement de Pau du 16 septembre 1763 (BnF : Lb38912, pp. 21-22).
55 Éric Gojosso, « La crise parlementaire de 1763 et l’émergence d’une censure constitutionnelle des lois royales », dans Éric Gasparini et François Quastana (dir.), Mélanges en l’honneur du professeur Michel Ganzin, Paris, la Mémoire du Droit, 2016, pp. 271-314.
56 Ces événements sont relatés dans : Amable Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, Rouen, Édouard Frère, 1842, t. VII, pp. 199-212.
57 Arrêté du Parlement de Rouen du 25 juin 1788. Le document original, manuscrit et signé par les magis- trats, est consigné dans les registres secrets de cette cour et est conservé aux Archives départementales de la Seine-Maritime : 1B300, pp. 370-371. Cet arrêté a été imprimé dès son adoption et publié dans le Précis de ce qui s’est passé au Parlement de Rouen, et autres bailliages de son ressort, depuis le 5 mai, jusqu’au 25 juin 1788, Rouen, s. n., 1788, pp. 26-27 (BnF : Lb39600). Le texte original et la version publiée diffèrent de manière marginale. Concernant le terme « inconstitutionnel », celui-ci prend un seul « n » dans le docu- ment manuscrit et deux « n » dans l’imprimé. En outre, dans la version manuscrite, il est écrit : « nul illégal et inconstitutionel », alors que, dans la version publiée, on peut lire : « nuls, illégaux et inconstitutionnels ». Un travail de correction et d’édition a manifestement été réalisé entre la délibération et la publication.
58 Amable Floquet, op. cit., p. 226.
59 Arrêt du Conseil d’État du roi du 9 juillet 1788, AN : E 2651, première page (document non paginé).
60 Arrêt du Conseil d’État du roi, portant suppression des délibérations et protestations des cours et autres corps et communautés, faites depuis la publication des lois portées au lit de justice du 8 mai dernier, extrait des registres du Conseil d’État du roi, du 20 juin 1788, dont les minutes sont conservées aux AN : E 2650, fos 552r°-555r°. Contrairement aux autres arrêts consignés dans ce volume, l’original n’est pas un manus- crit, mais un imprimé sur la première page duquel une mention est inscrite à la main : « pour minutes », suivie de la signature du garde des Sceaux : « Delamoignon ».
61 Ibid., fos 552v° et 553r° du registre (pp. 2 et 3 de l’imprimé).
62 Ibid., fo 554v° du registre (p. 6 de l’imprimé).
63 Ibid.
64 Ibid., fo 555r° du registre (p. 7 de l’imprimé).
65 Ibid., fo 554v°-555r° du registre (pp. 6-7 de l’imprimé).
66 Arrêt du Conseil d’État du roi du 9 juillet 1788, dont les minutes originales sont conservées aux AN : E 2651 (document non paginé de deux pages). Cette décision a aussi été imprimée sous le titre : Arrêt du Conseil d’État du roi, portant suppression d’un arrêté pris par des officiers du Parlement de Normandie, le 25 juin 1788, extrait des registres du Conseil d’État, du 9 juillet 1788, AN : H 409, 4e dossier, pièce 226.
67 Ibid.
68 Ibid.
69 Ibid.
70 Gaston Jèze, « Contrôle juridictionnel des lois », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, t. XLI, 1924 (3), pp. 403-405.
71 Gaston Jèze se fondait sur un ouvrage d’Adhémar Esmein relatant l’opposition parlementaire et plus préci- sément celle du Parlement de Paris (Ibid., pp. 404-405). Mais si cette cour a bel et bien participé à la fronde contre les édits et déclarations de la réforme Lamoignon, le Parlement de Rouen est allé plus loin encore en les déclarant « inconstitutionnels ».
72 Ibid., p. 403.