Cérémonies du bicentenaire de la recréation de l’école de droit de Poitiers et remise des insignes de docteur honoris causa au Doyen J. Kranjc
Rentrée solennelle du 28 septembre 2006 Allocution de rentrée

Par Éric GOJOSSO
Publication en ligne le 13 mai 2019

Texte intégral

Rentrée solennelle

du 28 septembre 2006

Allocution de rentrée

1Monsieur l’Ambassadeur,

2Monsieur le Président de l’Université,

3Mesdames et Messieurs les Doyens,

4Mesdames, Messieurs,

5Chers collègues, chers étudiants, chers amis de la Faculté,

6Saint Augustin, le docteur de la grâce, avait coutume de distinguer trois sortes de temps qui, précisait-il, n’existent que dans notre esprit : « Le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur. » Il ajoutait : « Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’intuition immédiate ; le présent de l’avenir, c’est l’attente. » Sur les traces du Père de l’Eglise, mais avec infiniment moins de talent, permettez-moi ce soir, pendant quelques instants, de solliciter ce passé toujours si présent, qui touche à notre identité, et d’évoquer la réouverture de l’Ecole droit de Poitiers dont nous célébrons aujourd’hui le deuxième centenaire. Et je me réjouis qu’en cette occasion solennelle, notre établissement puisse honorer l’un de nos collègues étrangers les plus fidèles, le Doyen J. Kranjc, professeur à l’université de Ljubljana.

7Créée en 1431 par une bulle du pape Eugène IV, obtenue sur requête de Charles VII, l’ancienne Université de Poitiers s’était à ce point signalée dans l’enseignement du droit qu’elle avait acquis auprès de l’illustre Corneille la réputation d’être « le royaume des Codes ». Plusieurs personnages ayant marqué notre histoire nationale ou la science juridique, et parfois les deux, y prirent leurs grades : Hurault de Cheverny qui fut chancelier de France sous Henri III, Christophe de Thou, Auguste de Harlay et le malheureux Barnabé Brisson qui occupèrent la charge de premier président du parlement de Paris, André Tiraqueau, magistrat rendu célèbre par son œuvre doctrinale, Michel de Marillac, garde des sceaux sous Louis XIII… Certains écrivains fréquentèrent aussi les bancs de la Faculté, tel Joachim du Bellay, Michel de Montaigne ou Antoine Furetière, l’auteur du fameux Dictionnaire. Descartes lui-même, dont le rationalisme allait imprégner durablement la pensée moderne, obtint à Poitiers cette licence en droit qui fut son unique titre universitaire.

8Avec la Révolution, l’époque heureuse de l’ancienne Faculté de Poitiers se termina. L’enseignement du droit fut alors victime à l’échelle nationale d’une double offensive. La première, dirigée contre les universités aboutit à la loi du 15 septembre 1793 qui en prononça la fermeture. Cette mesure rendit possible leur remplacement partiel par des écoles spéciales dans lesquelles le droit fut quasiment oublié. Le cours de législation institué dans les écoles centrales ne fut qu’une piètre compensation. Il est vrai que la dernière partie du XVIIIe siècle avait offert le consternant spectacle du déclin avancé de nombreux établissements. A Orléans, qui avait tenu le premier rang à la fin du Moyen Âge, ne finissait-on pas par dénombrer plus d’enseignants que d’étudiants ? Si Poitiers fut également concerné par cette baisse des effectifs, dans des proportions moindres cependant, la généralisation dans le royaume de pratiques détestables eut raison de l’institution universitaire : ici les étudiants riches faisaient prendre les cours par leurs domestiques ou des condisciples rétribués et passaient les trois degrés de la licence en trois jours au lieu de trois ans (c’est mieux que le LMD !) ; là, il suffisait d’acheter des copies de cours et de les mémoriser tant bien que mal ; ailleurs, toute forme d’examen avait disparu ! Et pourtant, c’est dans ce contexte bien sombre que Pothier, professeur de droit français, prépara par ses travaux la codification civile bientôt réalisée par Bonaparte.

9La seconde offensive se concentra sur les professions juridiques. Quoique les « hommes de loi » aient grandement contribué à la Révolution libérale, les révolutionnaires firent preuve d’une hostilité constante à l’égard des juristes, réputés pourvoyeurs de chicane : alors que la guerre tant civile qu’étrangère couvait, l’heure était naïvement à la conciliation, à l’arbitrage et au compromis. Les avocats présents parmi nous se souviennent peut-être de l’intention exprimée par Mirabeau, qui n’était pas le plus enragé, dès 1790, « d’anéantir les subalternes suppôts de la justice », sangsues qui ne laissent que sa chemise à celui qui a gagné son procès. Or supprimer les auxiliaires de justice et transformer la magistrature en fonction élective, n’était-ce pas à brève échéance condamner les facultés de droit ?

10La parenthèse malheureuse ouverte en 1793 se referma en 1804. Huit jours avant la promulgation du Code civil, la loi du 22 ventôse an XII recréa douze écoles de droit, dont neuf dans les limites actuelles de la France. Poitiers fut du nombre avec Paris, Dijon, Grenoble, Aix, Toulouse, Rennes, Caen et Strasbourg auxquels il faut ajouter le temps de l’Empire Turin, Bruxelles et Coblence. La nécessité de trouver des locaux différa de deux ans l’ouverture de l’école poitevine. Un décret impérial du 20 Floréal an XIII (10 mai 1805) lui affecta la totalité des bâtiments où se trouvaient l’Hôtel-Dieu avant la Révolution, bâtiments qui avaient ensuite abrité les services de la Préfecture. La Faculté y est encore présente, malgré la création du campus universitaire qui accueille bon an mal an l’ensemble des étudiants de licence.

11La nouvelle école de droit fut solennellement inaugurée le 23 juin 1806, quelques mois avant la renaissance de l’école de médecine, deux ans avant la création de l’université impériale et longtemps avant la résurrection officielle de l’université de Poitiers. Les archives de la Faculté ont conservé le procès-verbal imprimé de cette séance d’ouverture du 23 juin 1806. Toutes les autorités civiles, militaires et ecclésiastiques y assistèrent « en costume et dans les places que leur assigne la Loi » : préfet, magistrats de la Cour d’appel et des autres juridictions, chanoines de la Cathédrale, membres du Jury médical, anciens avocats du barreau, le tout avec « un concours immense de citoyens de toutes les classes de la ville ». Deux discours vinrent saluer la rénovation des études juridiques dans le chef-lieu de la Vienne. Le premier, en latin, fut prononcé par Louis Allard, ci-devant seigneur de la Ménardière, professeur de droit romain et directeur de l’école, le second en langue vernaculaire, par Louis Guillemot, professeur de la première chaire de droit français. S’ils variaient par leurs dimensions, ces textes émanant d’auteurs ayant appartenu à l’ancienne faculté des droits, se rejoignaient sur de nombreux thèmes : ensemble, ils insistaient sur l’ancienneté et la renommée de la tradition poitevine en matière d’enseignement du droit ; ensemble, ils applaudissaient à la codification civile qui en avait permis la restauration ; ensemble, ils en signalaient les grandes orientations sur lesquelles le professeur Philippe Rémy reviendra avec talent et compétences ; ensemble, ils sacrifiaient enfin au culte de Napoléon dont ils soulignaient les vertus régénératrices.

12Ils furent néanmoins dépassés sur ce dernier terrain par un de leurs collègues, Hiérome Bonaventure Gibault, titulaire de la seconde chaire de code civil, auquel le Doyen Carbonnier a consacré un article, en 1956, dans lequel il revenait sur ce qu’il appelait, à juste titre, une occasion manquée de se taire. Ecoutons Jean Carbonnier : « Le professeur Gibault n’était pas prévu au programme. Il prit cependant la parole et fit non pas un discours, mais une proposition : que l’école de droit, sur ses fonds (elle n’en avait pas !), fit ériger dans la principale salle de cours, une statue de l’Empereur, en marbre blanc, avec l’inscription suivante : les professeurs de l’école de Poitiers ont dédié cette statue à Napoléon : ils lui en avaient élevé une dans leurs cœurs, ils lui en eussent élevé dans le cœur de leurs élèves ; mais eux et leurs élèves devaient passer et Napoléon doit être immortel. »

13Au lendemain de l’épisode tragi-comique de la non-commémoration d’Austerlitz, une telle adulation paraît indécente, y compris chez les nostalgiques des Cent jours habitués, il est vrai, aux Waterloo de toute sorte. Il est désormais de bon ton d’afficher un mépris certain pour Napoléon, au seul motif qu’il a rétabli l’esclavage. A la vérité, le réquisitoire est un peu court tant est longue la liste des crimes qu’il a commis : c’est par un coup d’Etat, donc au mépris des règles constitutionnelles, qu’il prit le pouvoir le 18 Brumaire. C’est au mépris des règles du droit international qu’il organisa l’enlèvement du duc d’Enghien sur le territoire du grand-duché de Bade, c’est au mépris des formes judiciaires qu’il le fit ensuite exécuter dans le fossé de Vincennes. C’est au mépris de la liberté d’expression qu’il institua une censure sévère et persécuta des écrivains tels que Mme de Staël ou Chateaubriand. Enfin et pour abréger, c’est au mépris des principes d’humanité qu’il mit l’Europe à feu et à sang par des guerres répétées dont le bilan s’élève à 800 000 morts du seul côté français.

14Mais il faudrait une grande naïveté ou une parfaite mauvaise foi pour ne voir en Napoléon qu’un Ogre sanguinaire. M. l’Ambassadeur de Slovénie, M. le Doyen Kranjc et nos amis slovènes y seront sensibles : Napoléon est le premier à avoir libéré la Carniole du joug autrichien, en faisant un fragment d’empire détaché sur l’Adriatique… A Ljubljana, non loin de la bibliothèque nationale et du siège de l’université, la colonne à la mémoire de l’Illyrie napoléonienne, conçue par le grand architecte Plečnik, en porte témoignage. Animé d’un véritable programme politique, l’homme du 18 Brumaire est aussi parvenu à doter la France d’institutions stabilisatrices, au terme d’une décennie de troubles. Si celles-ci ont subsisté sans grands changements pendant près d’un siècle, les évolutions rapides survenues postérieurement à l’avènement de la IIIe République n’ont pas totalement renversé l’édifice napoléonien. Conseil d’Etat, préfets, Cour des comptes, organisation judiciaire, Banque de France, lycées, Légion d’honneur, Code civil, Code de commerce, Code pénal… ces institutions existent encore même si leur contenu et leurs missions ont changé.

15Loin de toute considération idéologique, sourds aux sirènes du politiquement correct, les juristes porteront au crédit de Napoléon d’avoir rétabli le droit au premier rang des sciences sociales –ce que répercute le protocole universitaire puisque le droit vient certes après la théologie qui n’est pas une science sociale, mais précède toutes les autres disciplines. Ils lui seront pareillement reconnaissants d’avoir donné aux études juridiques une orientation résolument professionnelle, deux siècles avant le débat Université-emploi.

16Deux siècles après la réouverture de l’Ecole de droit de Poitiers, transformée en Faculté en 1808, quel bilan peut-on dresser ? A l’heure des évaluations aux vues courtes, des politiques empreintes de la plus féroce médiocrité, du règne d’une bureaucratie sans mémoire, du désintérêt de l’Etat pour l’enseignement supérieur, il est sans doute déplacé d’interroger ainsi le passé dès lors qu’il n’y a plus guère que l’instant présent qui vaille. Et pourtant, le Recteur Cadet rappelait la semaine dernière que les universités prestigieuses, tournées vers l’avenir, ne manquent jamais de souligner chez elles le poids de la tradition. Si nos mérites ne sont plus aujourd’hui comptés pour rien, ils n’en restent pas moins réels. Confirmés dans la durée, ils ont fait de la Faculté de droit de Poitiers ce qu’elle est aujourd’hui. Trois points qui sont autant de caractéristiques saillantes me paraissent dignes de retenir l’attention.

17La qualité de la formation dispensée tout d’abord, qui a permis à plusieurs anciens étudiants de figurer parmi les membres de la Cour de Cassation, de la Cour des comptes, des Cours d’appels ou des juridictions inférieures. Aux juges et procureurs s’ajoutent naturellement avocats et administrateurs, voire des hommes politiques dont un président du Conseil célèbre, Waldeck-Rousseau. Les liens très forts que nous avons tissés avec les professions juridiques ou faisant largement appel au droit ne se sont jamais distendus ; ils ont au contraire été renforcés par des adaptations successives, à mesure que des besoins nouveaux émergeaient. Notre filière niortaise de droit des assurances, dont nous fêtons cette année le vingtième anniversaire, en offre un bel exemple. Dans sa constante volonté d’adaptation, la Faculté s’est récemment rapprochée de l’Ecole des avocats de Poitiers afin de participer directement, par le biais de deux diplômes d’université qui viennent d’ouvrir, à la formation des élèves avocats. Elle redéfinira bientôt, compte tenu de l’extinction de l’IUP métiers du notariat, les modalités de sa fructueuse collaboration avec l’ordre des notaires.

18A la faveur des prochaines échéances contractuelles, elle poursuivra aussi le renforcement de son offre de formation dans deux directions. Il s’agira d’une part de proposer des cursus à vocation plus immédiatement « professionnalisante » – ce qui semble réalisable en AES –, il s’agira d’autre part de développer des master en relation avec d’autres composantes de notre université, voire d’universités voisines. Nous travaillons déjà de concert avec les facultés de lettres et de médecine de Poitiers, de même qu’avec les facultés de droit de La Rochelle, Tours et Orléans. A brève échéance, la liste de nos partenaires devrait s’allonger. Enfin, l’excellence de la formation dispensée à Poitiers, permet à nos docteurs d’embrasser la carrière universitaire. A l’heure où de nombreux établissements ne comprennent plus dans leurs rangs que des « turboprofs » et sont tributaires pour leur recrutement de grands centres tels que Paris, notre Faculté prépare toujours sa propre relève et exporte ses enseignants chercheurs. Une enquête menée dans les années 30 du siècle dernier révélait qu’entre 1856 et 1928, Poitiers avait déjà produit vingt-neuf agrégés, soit un tous les deux ans, en moyenne. Ce dernier trait est encore celui qui nous distingue de nombreuses facultés françaises et en particulier de celles qui nous sont géographiquement proches. J’évoquais l’an passé la réussite d’Hélène Boucard, élève de notre collègue Philippe Remy, au concours d’agrégation de droit privé. Je me réjouis cette année du succès d’Alain Ondoua, également formé à Poitiers, au concours d’agrégation de droit public. S’il s’en est allé à Limoges, je gage qu’il ne tardera pas à nous rejoindre.

19De la qualité des enseignements à celle du corps enseignant, il n’y a qu’un pas que je franchirai allégrement. Prisonnier d’un horizon culturel borné au temps présent, nous avons un peu oublié nos prédécesseurs du XIXe siècle qui tinrent souvent la première place dans la société poitevine. Certains d’entre eux furent sénateurs, députés, conseillers généraux, maire de Poitiers. Il y eut aussi de nombreux avocats et plusieurs bâtonniers. Sur un plan strictement académique, les privatistes se souviendront peut-être de Boncenne, de Bourbeau qui fut par ailleurs ministre de l’Instruction publique, de Baudry-Lacantinerie qui commença sa carrière à Poitiers, les publicistes de Foucart et de Ducrocq, les économistes qui nous furent longtemps associés, de Dubois et de Girault… Les noms des grands maîtres poitevins du XXe siècle nous sont plus familiers : ils nous sont plus proches et se sont sans doute plus illustrés à l’université qu’au dehors. Pour n’être pas exhaustif, je me contenterai d’ouvrir le guide de l’étudiant pour l’année universitaire 1961-1962, soit après le départ des Carbonnier, Rivero ou Vedel. Figuraient alors dans la liste des enseignants de la Faculté : René et Jean Savatier, Philippe Malaurie, Gérard Cornu, Benoît Jeanneau, Philippe Ardant, Raymond Legeais, René Filhol, Jean-François Lachaume, Claude Lombois.

20Ce corps enseignant, en cours de renouvellement du fait de nombreux départs en retraite, a été renforcé cette année par l’arrivée de MM. Yann Delbrel, professeur d’histoire du droit et Jean-Philippe Lhernould, professeur de droit privé, de Mme Karine Michelet et de M. Antoine Clayes, l’un et l’autre maîtres de conférences en droit public. Nous attendons aussi la réussite de nos collègues engagés dans l’agrégation interne de droit privé dont les résultats seront connus prochainement. D’autres enseignants éminents de la Faculté ont déjà été distingués : le recteur Michel Moreau, vient d’être promu officier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur. De son côté, Jean Pradel s’est vu offrir un fort volume de Mélanges, lors d’une cérémonie organisée, il y a peu, à la chancellerie sous la présidence du Ministre de la Justice.

21Après la qualité de la formation, après la qualité du corps enseignant, la dimension internationale est le dernier de ces trois traits saillants que je voulais relever. Prolongeant la tradition médiévale des nations, la Faculté de droit a toujours accueilli un fort contingent d’étudiants étrangers. Ils seront encore près de 150 cette année, venus au titre des échanges Erasmus ou des conventions particulières. Par le passé, des circonstances malheureuses favorisèrent parfois cette mobilité. En 1916, 80 étudiants Serbes chassés de leur pays par les forces des Empires centraux furent accueillis à Poitiers où ils achevèrent leur droit. A la fin de cette même guerre mondiale, une cinquantaine de soldats américains suivirent des cours qui leurs étaient spécialement destinés, afin de les familiariser avec les méthodes juridiques françaises.

22Sur ce terrain international, notre dynamisme ne se dément pas puisque nous accueillons pour la première fois cette année des étudiants originaires de Singapour. Nous envoyons par ailleurs une centaine d’étudiants français dans quelques unes des meilleures facultés de droit d’Europe et du Monde. Nos échanges concernent également les enseignants. Nombreux sont les collègues qui représentent la Faculté à l’étranger pour des cours, des séminaires, des conférences ou des communications. L’affiche qui a été éditée pour annoncer les colloques de l’année 2006 en donne une idée incomplète en mentionnant les seules manifestations de Nimègue et de Rome. Il faudrait y ajouter la 8e Université d’été franco-slovène qui s’est tenue au mois de juillet à Ljubljana, tel congrès organisé au Mozambique, tel cycle de conférences en Colombie ou au Japon. Ce n’est donc pas sans raison que les juristes du prestigieux groupe de Coimbra ont décidé de confier au Doyen Dominique Breillat, représentant de notre faculté, le soin de présider leurs réunions, tâche dont il s’acquitte avec brio.

23Vous l’aurez compris, Mesdames, Messieurs, pour être ancienne, la tradition poitevine de l’enseignement du droit n’en est pas moins vivante et bien vivante. Les difficultés conjoncturelles auxquelles elle se heurte, n’entament en rien la détermination de ceux qui continuent de la faire vivre. Et sur ce point, après le blocus dont nous avons été victimes au printemps, je dois une nouvelle fois rendre hommage à l’ensemble des enseignants et des personnels administratifs qui ont sacrifié une partie de leurs vacances pour rattraper le retard, dispenser l’intégralité des cours et des TD et garantir le bon déroulement des examens. Je veux plus particulièrement remercier les membres de l’équipe décanale, Joël Monnet, Alain Ondoua (remplacé depuis peu dans ses fonctions d’assesseur à la formation par Bernadette Aubert dont je salue l’arrivée), Emmanuel Aubin et Didier Veillon, ainsi que la Responsable des Services administratifs de la Faculté, Marie Jardel et le chef des services techniques, Isabelle Morillon.

24Au plus fort de la crise, ils se sont relayés pour désamorcer les tensions devenues trop vives et éviter des dégradations trop importantes. C’est grâce à tous, à vous tous, chers collègues, chers agents, que la paix, cette tranquillité de l’ordre dont parle saint Augustin, a été rétablie dans les moins mauvaises conditions. Je ne reviendrai pas sur l’attitude de ceux qui ont voulu le CPE ni sur celle de leurs adversaires. Il me suffira de redire que jamais la fin ne pourra justifier les moyens. A défaut de parodier Machiavel, en quoi je ne serais guère original, vous me permettrez, pour conclure cette allocution, d’en revenir à saint Augustin par lequel débutait mon propos.

25Le personnage nous est à bien des égards très proche. Avant de choisir le service de Dieu, il avait d’abord songé à exercer la profession d’avocat, puis était devenu professeur de rhétorique, matière qui accordait une large place à l’éloquence judiciaire. Le droit ne lui était donc pas inconnu. La révélation divine, dans le jardin de Milan, l’avait ensuite conduit vers d’autres rivages, au propre comme au figuré. Revenu en terre d’Afrique, Augustin y avait été ordonné prêtre et sacré évêque d’Hippone. Il avait alors développé une œuvre prodigieuse dans le seul but d’affermir la foi chrétienne dans une époque difficile. La prise de Rome par les Goths d’Alaric avait provoqué une véritable crise morale, qui nous vaudra les pages lumineuses de la Cité de Dieu. Hippone, elle-même, allait bientôt être assiégée par les Vandales. Les citoyens du monde romain n’avaient donc plus rien à attendre d’un Empire déliquescent, ce Bas-Empire qui n’avait jamais aussi bien porté son nom, régi par des gouvernants insignifiants et corrompus, placé au cœur d’un système dominé par la bureaucratie, le dirigisme, l’assistanat et la fiscalité. La religion s’offrait alors comme refuge. Mais sur ce terrain-là, il fallait aussi se battre et saint Augustin le fit sans rechigner. Il mit toute son énergie à renverser les hérésies qui polluaient la doctrine naissante de cette universitas christiana qu’est l’Eglise. Dans un monde qui croulait, saint Augustin laissa un message dont la force ne s’est jamais démentie. Qu’on n’adhère ou pas à ses convictions religieuses importe peu : les juristes partageront toujours avec lui cet amour du droit et de la justice qui n’est qu’une des facettes de la Vérité.

Pour citer ce document

Par Éric GOJOSSO, «Cérémonies du bicentenaire de la recréation de l’école de droit de Poitiers et remise des insignes de docteur honoris causa au Doyen J. Kranjc», Les cahiers poitevins d'histoire du droit [En ligne], Premier cahier, mis à jour le : 13/05/2019, URL : https://cahiers-poitevins.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiers-poitevins/index.php?id=103.

Quelques mots à propos de :  Éric GOJOSSO

Doyen de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers