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Histoire de la faculté de droit de Poitiers
La Faculté de droit de Poitiers et la préparation de la réforme de la licence en droit de 1954 : décryptage d’un refus
Par Éric GOJOSSO
Publication en ligne le 13 mai 2019
Table des matières
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Texte intégral
La Faculté de droit de Poitiers et la préparation de la réforme de la licence en droit de 1954 : décryptage d’un refus
1A Poitiers, la grande affaire qui marque le début des années cinquante et le décanat de Jean Carbonnier1 est la préparation de la réforme des études juridiques qui aboutira au décret du 27 mars 1954, instituant la licence en quatre ans et trois spécialisations : droit privé, droit public, économie politique.
2Il existe à la vérité peu d’études consacrées à cet événement majeur, nonobstant les travaux de Jacqueline Gatti-Montain qui passe rapidement sur l’examen du projet de réforme par les facultés de droit, à l’occasion des deux séries de consultations organisées par le ministère en 1951 et en 1953. Au terme de la première, la seule mentionnée par notre collègue, l’architecture générale de la réforme est approuvée par la plupart des établissements, à l’exception d’Alger, de Lyon et de Poitiers2. Or, à Poitiers, ainsi que le révèlent les archives de la Faculté3, ce refus est largement dû à l’action d’un tandem constitué par Jean Carbonnier et Daniel Villey, frère de Michel Villey et professeur d’économie, qui se démarque radicalement de la tendance dominante parmi ses collègues.
3Plusieurs documents permettent de prendre toute la mesure de l’étonnante complicité unissant les deux hommes. Celle-ci peut être appréciée en trois occasions : en juin 1951, tout d’abord, lors de la première consultation ; à la fin de 1952 et au début de 1953, ensuite, à l’occasion du référendum Villey ; en octobre et novembre 1953, enfin, à l’époque de la dernière consultation.
4I. La circulaire ministérielle du 28 mai 1951 ayant prévu la consultation de l’ensemble des facultés de droit sur le projet de réforme, l’assemblée de la faculté de Poitiers se réunit le 1er juin et sollicite immédiatement du ministre plusieurs précisions. Elle ne les obtiendra qu’au début du mois de juillet4 et devra donc se prononcer sans avoir reçu de réponses aux questions pourtant essentielles qu’elle a posées relativement à l’esprit général de la réforme, aux débouchés des licences envisagées, à la valeur du baccalauréat acquis au terme des deux premières années, au sort du doctorat5. Dans l’intervalle et pour respecter les délais, la date butoir ayant été fixée au 30 juin, une commission est nommée afin d’étudier le projet : en font notamment partie Daniel Villey et Jean Rivero6. Les conclusions de ses membres sont présentées lors de l’assemblée des enseignants convoquée le 26 juin. Un extrait de délibération pour le moins laconique (une seule page) révèle que Villey s’est tout d’abord exprimé « en son nom personnel » présentant un rapport « nettement défavorable ». La formule « en son nom personnel » surprend dans la mesure où un courrier du même Villey, adressé à Carbonnier, sept jours plus tôt, révèle que ledit rapport a été préalablement lu et corrigé par ce dernier7. Ceci permet sans doute aussi de comprendre pourquoi Rivero, qui parle pourtant au nom de la majorité de la commission, ne prend la parole qu’en second, pour contester les principes généraux de la réforme tout en entrant dans l’examen de celle-ci. Au terme de sa présentation, une discussion s’engage (aucun détail n’en est donné) à l’issue de laquelle, par 7 voix contre 5, décision est prise de réclamer le maintien du statu quo. Le principe de la communication du rapport Villey au ministre ayant ensuite été écarté, « à la majorité », le doyen reçoit mission de rédiger un texte s’inspirant des deux rapports. Ne disposant d’aucun des deux, il nous est difficile de dire dans quelle proportion Carbonnier les a conjugués : il règne une trop grande confusion dans la partie des brouillons qui a été conservée. Outre des notes manuscrites de Carbonnier et d’autres (une feuille recto-verso), semble-t-il de Rivero, celle-ci comporte plusieurs pages et fragments dactylographiés, les plus importants en volume, dont certains peuvent être attribués au doyen lui-même (l’expression « professeur de droit civil » qui figure sur trois feuillets intacts le confirme), le reste étant peut-être de Villey, adepte de la machine à écrire.
5Quoi qu’il en soit de la part respective de chacun, la tonalité de la version adressée au ministère est très largement critique8. Concernant les principes généraux qui sont à la base du projet, l’assemblée poitevine déplore tout d’abord l’absence d’exposé des motifs et d’enquête comparative (en sollicitant les exemples américain, brésilien et allemand). Elle refuse l’allongement d’un an de la durée des études qui ne répond à aucune nécessité pédagogique évidente. Elle dénonce une spécialisation qui ne tient pas compte de l’interpénétration croissante du droit public et du droit privé et qui ôte à la licence son caractère de formation générale. Il faudrait citer ici tout le passage, on se contentera de ceci (renvoyant pour le reste à l’annexe I) : « ce que l’on demande à un licencié en droit, par exemple en droit privé, ce n’est pas de connaître toutes les règles de droit (…), ce qu’on lui demande c’est d’avoir appris à interpréter un texte, à se servir d’un recueil de jurisprudence, à suivre un raisonnement juridique, à sentir un certain déterminisme des phénomènes sociaux, etc. ».
6La mise en œuvre des principes de la réforme soulèverait de surcroît des « problèmes pratiques » d’une « extrême difficulté »9. Problème de personnel, tout d’abord, avec ce dilemme : ou surcharger de travail les enseignants actuels en les réduisant à n’être plus que des « machines à faire les cours » ou multiplier le nombre d’agrégés ce qui provoquerait « une baisse évidente et verticale du niveau des concours ». Problème des effectifs étudiants, ensuite, qui conduirait certaines facultés n’atteignant pas le seuil critique, à se spécialiser dans l’une ou l’autre des trois licences prévues par la réforme, problème qui affecte aussi les écoles de droit (songe-t-on à Limoges ?) dont l’activité devrait être restreinte aux deux premières années de formation pour ne pas concurrencer les véritables centres universitaires. Problème de cohérence, encore, par rapport à la capacité et au doctorat, les études juridiques formant un tout. Problème des débouchés, enfin, car il faut, en tenant compte des nouvelles licences, adapter les textes fixant l’accès aux différentes carrières, ce qui semble avoir échappé aux auteurs de la réforme.
7Malgré son désaccord sur les principes fondamentaux de la réforme, l’assemblée générale émet des remarques de détail sur les programmes d’enseignement des trois licences projetées. En droit privé, une place plus grande doit être accordée au droit comparé et au droit international. En droit public, il faut être plus précis et plus complet sur le contenu des cours. En économie politique, les recommandations portent sur les cours d’histoire, à redéfinir et à étendre.
8Pour terminer, les enseignants poitevins abordent la question des stages et travaux pratiques qui constituent l’une des innovations majeures de la réforme. Rappelant de manière liminaire que l’enseignement supérieur ne peut qu’accessoirement se donner comme but la préparation directe d’une carrière particulière, ils rejettent le principe d’un stage obligatoire et précisent les contours des travaux pratiques « empruntés à l’enseignement des sciences et qu’on tente de transporter en droit ». Ceux-ci doivent s’inscrire dans l’optique des conférences et n’être que des « illustrations permettant de concrétiser aux yeux des étudiants certains aspects du cours ».
9II. Si la plupart des facultés de droit adhèrent au projet de la commission, –commission, il faut le rappeler, largement dominée par les professeurs de droit et soutenue par le Syndicat autonome10–, Carbonnier et Villey n’en conservent pas moins toute leur détermination et imaginent d’autres moyens de lutte. En l’occurrence, dans une lettre datée du 31 octobre 1952, Villey fait part à Carbonnier de son intention d’adresser à l’ensemble des collègues de métropole et d’Outre-Mer un « projet de circulaire-réferendum pour les inviter à se déclarer contre la réforme des études de droit ». Il ajoute, ce qui traduit bien leur connivence : « je vais écrire ce papier sans avoir lu le projet de décret et il serait évidemment bon que nous le lussions avant d’arrêter le texte définitif ». Le 5 novembre, Villey qui a pris du retard, diffuse le texte annoncé dans la lettre précitée11. S’il est d’accord sur le principe même de la réforme, le contenu et l’orientation générale de celle-ci lui paraissent « de nature à empirer la situation antérieure ». S’ensuit une longue liste de griefs, trop longue à exposer : on en retiendra seulement la crainte « d’une inflation des professeurs qui ne pourrait que dévaloriser notre fonction (moralement et matériellement) », la crainte aussi d’une « pulvérisation de la matière de notre enseignement dont elle ne pourrait en conséquence que rétrécir et abaisser l’esprit », la crainte encore d’une régression des enseignements historiques, la crainte enfin d’une spécialisation prématurée des étudiants qui réduirait la base de culture générale et commune, « faute de quoi le monde intellectuel s’expose au sort des constructeurs de la Tour de Babel ». Villey condamne donc l’optique d’accumulation des connaissances en vue d’une utilisation professionnelle et reste attaché à la logique de formation des esprits et de développement des vertus intellectuelles. Il ne se contente pas cependant d’exposer les raisons du désaccord : il veut en outre rendre celui-ci public. Le syndicat autonome a-t-il approuvé le projet de réforme ? Sans doute, mais tous les collègues n’ont pas participé aux assemblées générales et parmi ceux qui étaient présents, beaucoup se sont inclinés, ayant eu « l’impression de se trouver en face d’une sorte de fait accompli ». Villey engage donc ses collègues à exprimer leurs opinions : soit en approuvant le projet de réforme, soit en demandant le maintien du statu quo.
10Jean Carbonnier reprend l’idée à son compte dans un courrier du 15 décembre 195212, à destination des doyens de Paris et de province (annexe II). Lui aussi met en cause la manière dont les instances du Syndicat autonome ont avalisé le projet. « A l’intérieur du syndicat, écrit-il, les procédés de consultation sont peut-être restés bien rudimentaires. Non seulement tous les membres du syndicat, loin de là, n’ont pu se rendre à Paris pour l’Assemblée Générale où la question a été débattue, mais tous n’ont pas été présents au moment du vote et l’on ne peut affirmer que le vote ait toujours eu lieu dans des conditions absolues de clarté ». Il regrette d’ailleurs l’absence de vote sur l’ensemble du texte. Dans de telles circonstances, le moment paraît venu d’organiser une véritable consultation de l’ensemble des collègues. Mais n’appartenant pas au syndicat, Carbonnier ne peut en prendre seul l’initiative : il a besoin du concours de ses homologues syndiqués. Il propose néanmoins de s’occuper de l’organisation matérielle et conçoit à cet effet un bulletin (à retourner avant le 15 janvier 1953) permettant l’expression des deux points de vue, c’est-à-dire, le maintien du statu quo ou la mise en vigueur du projet de réforme envisagé par la commission. Sur le fond, les motifs de désaccord sont largement inspirés du texte de Villey. Ils sont articulés autour de trois axes principaux : 1) la suppression de la culture juridique et économique par une spécialisation prématurée et la dispersion des enseignements ; 2) la mort du doctorat par l’allongement de la licence ; 3) l’impossibilité d’appliquer la réforme dans beaucoup de facultés de province.
11Ce texte a-t-il été diffusé ? La question reste entière, bien que plusieurs éléments militent en faveur d’une réponse négative. En effet, cet épisode consultatif aujourd’hui oublié a été baptisé par les contemporains « référendum Villey »13. C’est à lui que la paternité en est attribuée par le Syndicat autonome14 dont le Conseil vote, le 21 mars 1953, une résolution demandant à ses membres de ne participer à aucun référendum sur la réforme des études de droit. Elaboré par Vedel, alors secrétaire général démissionnaire du Syndicat autonome, le procès verbal ronéotypé de cette réunion se borne à reproduire le texte de la motion, adoptée par 18 voix contre 1 –celle de L’Huillier, de Poitiers ! Quelques pages dactylographiées, rédigées sans doute par ce même L’Huillier et remises à Carbonnier, offrent davantage de détails en reprenant les différents arguments avancés lors de la discussion. Il en ressort que l’idée de référendum, également soutenue par certains enseignants parisiens (Mme Bastid, MM. Fromont, Lagarde, Timbal)15 a trouvé quelques partisans au sein du syndicat, mais a été fermement combattue par Vedel. Aux remarques émises par L’Huillier, il a répliqué en déclarant que « la réforme doit être envisagée dans le cadre des circonstances de temps où elle se situe. Poitiers est en retard sur l’évolution des idées. Il y a des nécessités qui n’apparaissent qu’au contact immédiat des services du ministère ».
12Ayant pris un tour « privé » de l’aveu même de son promoteur, le référendum obtient néanmoins un relatif succès dont témoigne la lettre ronéotypée diffusée par Villey, le 20 avril 1953, qui fait état d’une cinquantaine de réponses, essentiellement d’Aix, d’Alger et de Poitiers (annexe III). Dans cette dernière faculté, les tenants du statu quo l’ont une nouvelle fois emporté : ils sont 8 dont Carbonnier et Villey16. La réforme ne recrute qu’un adhérent17. Il y a 5 abstentions18. Si la forteresse poitevine tient toujours, la lassitude commence à gagner Daniel Villey. L’ultime bataille sera donc menée avec le concours affiché du doyen Carbonnier.
13III. Par une circulaire en date du 15 octobre 1953, le ministre requiert de nouveau l’avis des facultés de droit sur le projet de réforme de la licence, désormais adopté par le Conseil de l’Enseignement Supérieur ainsi que par le Conseil Supérieur de l’Education Nationale. Le 21 octobre, Carbonnier et Villey co-signent un texte ronéotypé de trois pages dans lequel ils réitèrent leur opposition et en fournissent une nouvelle fois les raisons (annexe IV). L’allongement de la durée des études est à leurs yeux inutile. Engendrant une charge supplémentaire pour les familles et la Nation, il ne tend qu’à « ajouter des spécialités aux cours déjà existants, en transportant dans l’enseignement supérieur cet esprit de dispersion dont nous voyons les ravages dans l’enseignement secondaire ». De plus, le projet « tue le doctorat » qui n’est plus réservé qu’à ceux qui se destinent à l’enseignement et simultanément « blesse à mort un certain nombre de facultés de province où les trop nombreuses spécialités qu’il suppose ne pourront réunir qu’un nombre infime d’étudiants ». En un mot, il masque les véritables réformes à faire qui, seules, devraient permettre de réduire et la trop grande masse des étudiants médiocres et l’absentéisme. Il faut donc s’opposer au projet présenté par la commission et, par delà l’adhésion officielle du syndicat autonome, rendre manifeste cette opposition dans toutes les facultés de France. C’est à quoi les deux hommes vont s’employer en parvenant à convaincre leurs collègues poitevins.
14Réunie le 18 novembre 1953, l’assemblée de la faculté émet un vote hostile au projet, par 9 voix contre 5 (annexe V)19. Reprenant le questionnaire qui lui a été soumis par le ministère, elle défend le principe d’une réforme, mais refuse la création d’une licence comprenant trois mentions dont la durée serait de quatre ans. Elle rejette également l’idée de spécialisation durant les études juridiques et la modification du régime des travaux pratiques. La réforme de la licence aurait dû être conçue à partir d’un certain nombre de postulats négligés par la commission. Les opposants au projet défendent ainsi la logique de la « tête bien faite » contre celle de la « tête bien pleine ». Ils insistent aussi sur l’autonomie de l’étudiant qui ne doit pas être surchargé de cours, mais guidé dans son travail personnel et rappellent la liberté des professeurs de l’enseignement supérieur, une liberté qu’il ne faut pas diminuer « par une spécification exagérée des matières ». Enfin, déplorant le mal essentiel qu’est la présence dans les facultés d’un trop grand nombre d’étudiants peu capables, ils demandent la mise en place d’un examen d’entrée « propre à éliminer les candidats qui ne justifient pas d’un minimum de connaissances de français et d’histoire, non plus que des mécanismes logiques élémentaires –examen dont pourraient être dispensés ceux qui ont obtenu une mention au baccalauréat, ainsi que, bien entendu, les licenciés ès-lettres ou ès-sciences »20. Cette dernière résistance ne suffit pas cependant à faire céder le ministère. Le texte élaboré par la commission est finalement adopté « sans presque aucune modification par le Conseil des ministres, le 27 mars 1954 »21.
Nota : dans toutes les annexes, l’orthographe, la ponctuation et les abréviations ont été conservées.
Annexes
Annexes
Annexe I – Avis de la Faculté de droit de Poitiers du 26 juin 1951.
Annexe II – Lettre du doyen Carbonnier du 15 décembre 1952 (et annexes à la lettre).
Annexe III – Lettre de Michel Villey du 20 avril 1953.
Annexe IV – Lettre de Jean Carbonnier et de Michel Villey du 21 octobre 1953.
Annexe V – Avis de la Faculté de droit de Poitiers du 18 novembre 1953
Annexe I
L’ASSEMBLEE de la FACULTE DE DROIT de POITIERS saisie pour avis, par M. le Ministre de l’EDUCATION NATIONALE, du projet de réforme de la Licence en Droit, émet l’avis suivant :
I. Sur les principes généraux qui sont à la base du projet :
A
Ces principes, très évidemment, n’ont été adoptés qu’au vu d’un certain état de fait ; ils répondent, peut-on présumer, à des besoins précis, à des desiderata exprimés par les administrations publiques ou les organisations professionnelles qui recrutent leur personnel parmi les licenciés ; sans doute aussi se relient-ils à une conception d’ensemble de l’Enseignement Supérieur. C’est dans ce contexte qu’il faudrait pouvoir les juger, et non en eux-mêmes.
Or, sur les divers impératifs auxquels ont obéi les rédacteurs du projet, l’Assemblée, malgré la demande qu’elle avait formulée dans sa séance du 1er juin (transmise par lettre du 2 juin 1951), n’a reçu aucun éclaircissement ; elle ne peut donc que constater, en la regrettant l’absence d’un « exposé des motifs » qui lui eût facilité l’intelligence de la réforme proposée ; le jugement qu’elle est appelée à formuler aurait pu s’en trouver, sinon modifié, du moins nuancé.
Elle se demande également si le projet a pu être précédé de l’enquête comparative qui serait ici de bonne méthode. Ce projet – du moins, beaucoup le jugeront ainsi – tend à américaniser les études supérieures. Mais nos Collègues américains eux-mêmes ne sont nullement persuadés qu’ils aient sur nous, dans l’enseignement des sciences sociales et tout particulièrement du Droit, une supériorité quelconque. La spécialisation et l’émiettement des cours ont-ils donné de bons résultats dans les pays latins où on les applique, par exemple au Brésil ? Il serait important de le savoir. Et à l’inverse, l’Allemagne ne doit-elle pas la place éminente qu’elle a tenue et continue à tenir dans les sciences juridiques à un système d’enseignement reposant essentiellement sur le Doctorat ? L’indication aurait mérité d’être étudiée.
Jugeant ainsi avec les éléments d’information réduits mis à sa disposition, l’Assemblée est obligée d’exprimer les réserves suivantes :
1. Sur la durée de quatre années. L’Assemblée persiste à penser que l’allongement d’un an des études de Licence ne répond pas à une nécessité pédagogique évidente ; qu’il impose par contre, de façon certaine, une lourde surcharge aux familles des étudiants qu’il risque par là d’écarter de la formation juridique les moins fortunés, réalisant une sélection par l’argent anti démocratique au premier chef ; qu’en retardant l’accès des jeunes gens à la vie professionnelle, accès déjà reculé par l’allongement du service militaire, il va contre les exigences de l’économie nationale. Elle redoute que cette mesure ne porte un nouveau coup à l’assiduité, obligeant à multiplier des dispenses qui, trop fréquentes déjà, faussent totalement la valeur des études supérieures, et ne tarisse le recrutement du Doctorat qui demeure à ses yeux le couronnement indispensable de la formation juridique.
Pour ces motifs, et pour les raisons pratiques qui seront développées ci-après (B) elle affirme sa préférence pour le maintien de l’actuelle durée des études.
2. Sur la spécialisation. Sans méconnaître le très sérieux effort du projet actuel (par rapport à d’autres) pour concilier la nécessité d’une culture juridique générale et la spécialisation que certains jugent nécessaire, l’Assemblée considère que la spécialisation va directement à l’encontre de l’évolution actuelle du Droit ; que l’interpénétration du Droit Public et du Droit Privé est un fait d’expérience quotidienne ; qu’il n’est plus guère de carrières juridiques aujourd’hui qui n’exigent la connaissance de ces deux disciplines. Aussi bien, rares sont les étudiants qui, dès la fin de la seconde année, sont en mesure d’opter pour telle ou telle carrière, et il y a un risque certain à les obliger, en choisissant l’une des trois licences, à se fermer une partie des portes que leur ouvre l’actuelle Licence unique.
Mais surtout, la Licence devient, dans le projet, un diplôme de connaissances techniques, spécialisées, alors qu’elle était et devrait être un diplôme de formation générale. Ce que l’on demande à un licencié en Droit, par exemple en Droit Privé, ce n’est pas de connaître toutes les règles de Droit (et à l’examen de 3ème Année, il peut bien, très officiellement, avoir oublié celles qui lui ont été enseignées les deux années précédentes) – ce qu’on lui demande c’est d’avoir appris à interpréter un texte, à se servir d’un recueil de jurisprudence, à suivre un raisonnement juridique, à comprendre un vocabulaire technique, à sentir un certain déterminisme des phénomènes sociaux, etc… Plus tard, il fera application des mécanismes généraux, des réflexes qu’il a ainsi acquis à telle ou telle matière avec laquelle sa profession le met en contact. Mais qui peut prévoir quelle sera cette matière dans 10, 20, 30 ans ? En se reportant à des projets de réformes du début du siècle, on constaterait qu’il paraissait urgent à nos devanciers d’inscrire au programme de la Licence un cours de Droit des Bourses ou bien de Gestion des fortunes privées. Aujourd’hui c’est la Sécurité Sociale. Mais un cours de Droit méritant ce nom ne s’improvise pas sur une réglementation sèche, sans cesse modifiée, où manquent encore la jurisprudence, les principes généraux, etc… Bref, il ne suffit pas qu’une institution ou un groupe d’institutions soient socialement intéressants pour qu’ils puissent immédiatement faire l’objet d’un cours dans une Faculté.
Le projet paraît ici confondre la Licence en Droit avec la formation professionnelle pratique. C’est nous le craignons fort, dans toute son horreur, le système de la « tête bien pleine ».
B
La mise en œuvre des principes dont il s’agit soulèverait au demeurant, des problèmes pratiques dont l’Assemblée entend souligner l’extrême difficulté.
1. Le plus grave est, sans conteste, celui du personnel : il semble difficile d’échapper à un dilemme dont les deux branches sont également déplorables, confier les enseignements nouveaux au personnel actuel, déjà surchargé, serait lui interdire tout travail de recherche, rendre impossible l’élaboration scientifique des nouvelles matières enseignées et dénaturer la conception traditionnelle qui voit, dans le Professeur d’Enseignement Supérieur autre chose qu’une « machine à faire des cours ». Multiplier le nombre des agrégés durant les années qui suivraient la réforme serait provoquer une baisse évidente et verticale du niveau des concours et de la valeur du corps enseignant. Tout l’avenir s’en trouverait lourdement hypothéqué.
2. On pourrait être tenté, pour remédier à ces difficultés, de spécialiser certaines Facultés à partir de la 3ème année, dans la préparation de l’une ou de l’autre des trois Licences. D’avance, l’Assemblée entend dénoncer cette solution ; elle aboutirait à un déclassement des Facultés ainsi limitées, par rapport à celles qui, dans les grands centres, continueraient d’assurer la préparation complète aux 3 Licences. Elle imposerait aux Etudiants des migrations très préjudiciables à la poursuite de leurs études. Elle aboutirait à accroître la congestion des grands centres universitaires, mal chronique de notre système actuel.
3. L’Assemblée croit devoir attirer l’attention sur le problème que poserait l’application de la réforme dans le cadre des Ecoles de Droit. La multiplication sous des formes juridiques diverses, de ces établissements qui, créés par des collectivités locales et rattachés à une Université, prétendent assurer la préparation de la Licence en permettant aux étudiants de ne pas quitter leur ville, est un phénomène spontané qui, jusqu’à présent, a été trop ignoré. Il est déjà difficile, le plus souvent, d’assurer aux Etudiants de ces Ecoles un niveau d’enseignement équivalent à celui des Facultés la spécialisation accroîtrait encore cette difficulté ; le projet devrait être l’occasion d’une étude d’ensemble des problèmes que pose le développement des Ecoles ; elles absorbent, en province, un nombre d’étudiants sans doute équivalent à celui des étudiants qui fréquentent les Facultés ; c’est dire qu’il est nécessaire de définir à leur égard une politique nette ; dans le cadre de la réforme il faudrait peut-être restreindre leur activité aux deux premières années.
4. La réforme ne saurait se réaliser sans qu’aient été définies au préalable, ses incidences sur la Capacité, d’une part sur le Doctorat, d’autre part. Les études juridiques forment un tout il faut les envisager comme telles.
5. Il serait également nécessaire, pour orienter les étudiants dans un choix difficile, de définir les débouchés qui seraient offerts à chacune des 3 Licences de préparer l’adaptation des textes où la Licence en Droit sans spécification est exigée pour l’accès à différentes carrières. La tâche est difficile, elle nous paraît pourtant, devoir être préalable, si l’on ne veut pas tomber dans le vide.
C
L’Assemblée tient à ajouter que le plus grave danger de la réforme projetée lui paraît être de détourner les esprits de la véritable réforme. Car elle pense que la Licence en Droit a besoin d’une profonde et urgente réforme, mais pas d’une réforme de programme.
Il y a, certes, une sorte de désordre, à l’heure actuelle, dans l’enseignement du Droit. Mais ce désordre ne sera que cristallisé et amplifié par la spécialisation et la prolongation des études. Car il n’est pas dans la liste des enseignements, il est dans la manière dont les enseignements se donnent. Le désordre, c’est la multiplication des étudiants « pérégrins », c’est la congestion des Facultés des grandes villes, ce sont les cours polycopiés, ce sont les thèses qui se s’impriment plus, etc… Avant de mettre sur pied des institutions nouvelles, pourquoi ne pas essayer de faire fonctionner sérieusement ce qui existe déjà.
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II – OBSERVATIONS DE DETAIL
Malgré son désaccord sur les principes fondamentaux de la réforme, l’Assemblée croit devoir suggérer certaines observations de détail sur la répartition des matières, sans prétendre, d’ailleurs qu’elles aient une importance décisive, un programme d’enseignement si étudié qu’il soit, pouvant toujours donner lieu, de la part des spécialistes, à des observations de détail.
A – Licence de DROIT PRIVE
1. La propriété, la possession et les droits réels sont étudiés en 2ème année quand il s’agit du Droit français actuel et en 3ème année seulement quand il s’agit du Droit romain et de l’ancien Droit ? Par là se trouve rompu ce parallélisme entre histoire et droit moderne qui serait, pourtant, quant au Droit Privé, ce qu’il y a peut-être de mieux venu dans le projet.
2. On relève en 4ème année, un cours obligatoire de Droit Public comparé dans la Licence de Droit Public. Il serait tout aussi important qu’il y eût un cours de Droit Privé comparé (1 semestre) dans la Licence de Droit Privé. D’autre part, on peut trouver qu’un semestre est peu pour l’enseignement du Droit International Privé (surtout si l’on songe qu’en Droit Public, deux semestres sont prévus pour le Droit International Public). Peut-être y aurait-il lieu de préciser l’option très vague figurant actuellement dans le projet à la fin du programme de 4ème Année, en la restreignant à l’alternative : Droit comparé ou Droit International privé approfondi.
3. Le Droit Pénal spécial est envisagé uniquement comme un cours de la Licence de Droit Privé. Il a cependant des aspects (Infractions contre la chose publique) qui intéresseraient tout autant le Droit Public.
B – Licence de DROIT PUBLIC
1. Il doit être bien précisé que si le cours d’Histoire des Institutions, qui s’arrêtait à la Révolution, s’étend jusqu’en 1870, le Cours de Droit Constitutionnel ne saurait, lui, commencer à cette date, puisque les principes dont il étudie la mise en œuvre remontent à 1789, et que c’est tout au long du 19e siècle que s’est formé le régime parlementaire. Il conviendrait donc de résoudre le problème que pose le chevauchement de deux enseignements portant sur la même période.
2. Droit Administratif. – Il semble difficile de laisser les candidats aux Licences de Droit Privé et d’Economie Politique dans l’ignorance des questions d’expropriations, de réquisitions, de police et de fonction publique : ces questions, en effet, sont de celles que les membres des professions judiciaires ne peuvent ignorer : les tribunaux judiciaires, on ne saurait l’oublier, exercent en ces domaines de larges compétences ; la solution consisterait peut-être à donner de ces matières ainsi que de la théorie du domaine public qui s’y rattache, une vue synthétique dans le cours de 2ème année, en en réservant pour la 3ème année l’étude détaillée.
3. Droit d’OUTRE-MER. La place très limitée donnée à cette matière est regrettable. Il faudrait, à tout le moins, que, dans le cadre du cours de Droit Constitutionnel de 1ère année, la structure générale de l’Union Française fût exposée à fond.
C – Licence d’ECONOMIE POLITIQUE
1. Il semblerait opportun de substituer, en première année, à l’histoire des faits économiques, un semestre d’histoire de la pensée économique.
2. En 4ème Année, le cours d’Histoire des Doctrines politiques prévu pour la Licence de Droit Public devrait être rendu obligatoire pour les étudiants de la Licence économique.
*
III – STAGES & TRAVAUX PRATIQUES
L’Assemblée tient à rappeler d’abord que l’Enseignement Supérieur est, avant tout, une formation de l’esprit, et qu’il ne saurait qu’accessoirement se donner comme but la préparation directe à telle carrière particulière.
Travaux pratiques et stages doivent être envisagés dans cette perspective, en tant qu’éléments de formation intellectuelle. En ce sens, l’Assemblée croit devoir distinguer :
1. Les Stages. L’expérience de l’E.N.A. prouve la haute valeur pédagogique des stages ; elle en précise aussi les limites. Les stages de l’E.N.A. durent six mois ; ils s’effectuent auprès de hauts fonctionnaires personnellement choisis ; ils sont contrôlés, tout cela n’est possible qu’en raison du petit nombre des stagiaires.
A l’inverse d’un stage court, effectué dans une fonction de second plan, auprès d’un agent public ou privé, qui verra dans le stagiaire, soit une main d’œuvre d’appoint à utiliser, pour les besognes les plus fastidieuses, soit un gêneur à neutraliser ne constitue qu’une perte de temps. Or, c’est à la seconde formule qu’on risque d’être condamné si les stages devaient être obligatoires : une ville de province de moyenne importance ne présente pas les ressources permettant de fournir chaque année les postes de stagiaires susceptibles de former utilement tous les étudiants de Licence.
On pourrait, sans doute, faire plus en utilisant toutes les villes du ressort académique. Mais les étudiants envoyés loin du siège de la Faculté seraient perdus pour l’enseignement proprement universitaire. Ajoutons que les Avocats ne veulent que des licenciés pour secrétaires ; et que les attachés au Parquet doivent légalement être pourvus de la Licence en Droit. En tout état de cause, il conviendrait de consulter préalablement les administrations et corporations intéressées ; rien ne saurait être fait d’efficace sans leur accord. Et cet accord sera malaisé à obtenir, surtout pour les corporations qui ont un caractère privé (avocats, officiers ministériels, etc…), car le stagiaire est souvent peu désiré surtout le stagiaire en cours d’études. Il serait beaucoup plus pratique d’organiser les stages après la licence, parce que les Licenciés ne sont plus retenus par les mêmes obligations dans une ville déterminée, et parce qu’ils paraissent aux praticiens plus utilisables par eux-mêmes. Mais c’est une objection de plus contre l’allongement de la durée de la Licence.
L’Assemblée souhaite, en toute hypothèse, qu’on n’établisse pas, en la matière, une obligation qui se heurterait d’ailleurs à une impossibilité matérielle ; elle juge utile, qu’une très grande liberté soit laissée aux professeurs et que leur soient accordées des ressources correspondantes, afin qu’ils puissent orienter vers des stages choisis par eux, ou vers d’autres formes de complément d’études (voyage à l’étranger, séjours dans une autre Université) ceux de leurs étudiants qu’ils jugeraient aptes à en bénéficier.
2. Les Travaux Pratiques : qu’envisage-t-on sous ces mots, empruntés d’ailleurs à l’enseignement des Sciences et qu’on tente de transporter en Droit ?
S’il s’agit des travaux personnels des étudiants, tels qu’ils se pratiquent déjà dans les conférences (exposés oraux, travaux écrits, compte rendus de lecture), l’Assemblée est convaincue de la nécessité de multiplier ces exercices, complément indispensable de l’enseignement magistral, et occasion irremplaçable de ces contacts personnels entre le Professeur et ses étudiants qui sont l’essentiel de l’Enseignement Supérieur.
S’il s’agit par contre de travaux axés sur la pratique d’un métier (étude de dossiers administratifs ou judiciaires, rédaction de conclusions, exercices de plaidoiries, etc…) l’Assemblée pense que ces travaux doivent demeurer exceptionnels ; il n’est ni dans la mission, ni dans les possibilités pratiques des Facultés d’organiser des enseignements professionnels. Les « Travaux Pratiques » devraient donc conserver le caractère d’illustrations permettant de concrétiser aux yeux des étudiants certains aspects du cours. C’est dire que là encore, la plus grande liberté doit être laissée aux Professeurs.
Il en va de même des visites, de l’assistance à des audiences ou à des travaux d’assemblée, etc… qui n’ont de valeur qu’en tant que commentaires de l’enseignement, et doivent conserver un caractère exceptionnel.
Annexe II
Université de Poitiers Poitiers, le 15 Décembre 1952
FACULTE de DROIT
Le Doyen
Monsieur le Doyen et cher Collègue,
Vous avez sans doute eu connaissance de la dernière rédaction du projet de réforme des études de licence, telle qu’elle vient de sortir des travaux de la Commission instituée par le Ministère de l’Education Nationale.
La Commission déclare que, au moins en ce qui la concerne, elle considère ses décisions comme définitives.
La Commission comprenant des représentants très qualifiés du Syndicat Autonome du Personnel Enseignant des Facultés de Droit, ce projet risque d’être présenté comme l’expression de la volonté unanime des Facultés de Droit. Cela n’est pourtant pas absolument sûr. Je veux négliger le très petit nombre de collègues non syndiqués (dont je suis), mais, à l’intérieur du syndicat lui-même, les procédés de consultation sont peut-être restés bien rudimentaires. Non seulement tous les membres du syndicat, loin de là, n’ont pu se rendre à Paris pour l’Assemblée Générale où la question a été débattue, mais tous n’ont pas été présents au moment du vote, et l’on ne peut affirmer que le vote ait toujours eu lieu dans des conditions absolues de clarté. On semble avoir voté surtout sur des détails successifs, mais il n’y a jamais eu de vote sur l’ensemble. Pourtant, le vote sur l’ensemble est quelque chose de capital dans toute procédure d’élaboration d’un texte. Le moment semblerait venu de faire apparaître d’une manière précise dans quelles proportions les professeurs des Facultés de Droit préfèrent au statu quo le projet dont nous sommes saisis.
Cette manière de poser le problème serait, à mon avis, la seule nette. Il est très possible que les partisans de la réforme, dont je ne suis pas, soient en majorité. Mais, il paraîtrait normal de se compter et aussi de se compter dans chaque section.
C’est pourquoi je serais personnellement assez désireux d’organiser à titre privé un référendum à l’intérieur des Facultés de Droit, en proposant à nos Collègues de faire connaître leur préférence sur un papier qui pourrait être du modèle ci-joint.
J’aurais pris volontiers l’initiative de cette consultation si je ne craignais que ma qualité de non syndiqué ne lui prêtât l’allure d’une manifestation anti-syndicale, ce qui n’est pas du tout dans mes intentions. Il n’est pas du tout question de critiquer ce qu’ont fait les représentants du Syndicat à la Commission de Réforme des études de droit. Ils ont certainement eu le souci de bien faire et leurs efforts pour améliorer le projet initial témoignent d’une persévérance dont nous devons, en toute hypothèse, leur être reconnaissants. Mais ce sont les postulats mêmes de la réforme qui, aux yeux de beaucoup d’entre nous, étaient mauvais et empêchaient que le projet de réforme pût être bon.
C’est pourquoi je souhaiterais que cette consultation de nos Collègues pût être organisée en commun par des syndiqués et des non syndiqués. C’est dans cette intention que je viens, avec une grande simplicité, dont je m’excuse, puisque je n’ai jamais eu l’occasion de parler avec vous auparavant de la réforme et qu’il se peut fort bien que vous en soyez partisan, vous demander, ainsi qu’à quelques autres Doyens de province si vous accepteriez de signer avec moi la lettre d’envoi ci-jointe qui pourrait être adressée dans les différentes Facultés de Droit. Je m’occuperais, le cas échéant, de l’organisation matérielle de ce référendum sans prétention.
Je vous remercie d’avance, Monsieur le Doyen et cher Collègue, de votre réponse, quelle qu’elle soit, et je vous prie de croire à l’expression de mes sentiments très respectueux.
J. CARBONNIER.
Doyen de la Faculté de Droit de
l’Université de Poitiers.
Poitiers, le 15 Décembre 1952
PROJET
Monsieur et cher Collègue,
Vous avez, sans doute, eu connaissance de la dernière rédaction du projet de réforme des études de licence, telle qu’elle vient de sortir des travaux de la Commission instituée par le Ministère de l’Education Nationale.
La Commission déclare que, au moins en ce qui la concerne, elle considère ses décisions comme définitives.
La Commission comprenant des représentants très qualifiés du Syndicat Autonome du Personnel Enseignant des Facultés de Droit, ce projet risque d’être considéré comme l’expression de la volonté unanime des Facultés de Droit. Il n’est pourtant pas absolument certain qu’une consultation des Facultés de Droit sur l’ensemble du projet confirmerait cette vue catégorique. Le vote sur l’ensemble est quelque chose d’essentiel dans toute procédure d’élaboration d’un texte. Nous estimons que le moment est venu de faire apparaître dans quelles proportions les professeurs des Facultés de Droit préfèrent au statu quo (avec les possibilités de réforme qu’il laisse ouvertes) le projet de réforme dont nous sommes saisis par la Commission.
Cette manière de poser le problème est, semble-t-il, la seule qui soit nette. Il est très possible que les partisans de la réforme soient en majorité parmi nous. Mais il paraîtrait normal de se compter, et aussi de se compter dans chaque section.
Pour notre part, nous déclarons préférer le statu quo. Le projet de réforme présente à nos yeux de graves dangers, dont les plus saillants sont les suivants :
1° - Suppression de la culture juridique et économique par une spécialisation prématurée et la pulvérisation des enseignements.
2° - Mort du doctorat par l’allongement de la licence, le doctorat étant réservé désormais à un tout petit nombre de candidats à l’agrégation, alors qu’il était jusqu’ici la forme normale du véritable enseignement supérieur du droit et de l’économie politique.
3° - Impossibilité de faire fonctionner la réforme dans beaucoup de Facultés de province (celles dont le volume d’étudiants correspond, pourtant, aux conditions de rendement optimum de l’enseignement supérieur).
Il n’entre dans notre position aucune critique de l’action des représentants du Syndicat à la Commission de Réforme. Ils ont eu la préoccupation de bien faire, et leurs efforts pour améliorer le projet initial témoignent d’une persévérance dont nous devons, en toute hypothèse, leur être reconnaissante. Mais ce sont les postulats mêmes de la réforme qui étaient mauvais et empêchaient que le projet de réforme pût être bon.
C’est dans ce souci de clarifier la situation que nous prenons la très grande liberté de vous demander, à titre purement privé, de nous faire connaître, s’il vous plaît, sur le bulletin ci-joint, votre opinion, quelle qu’elle soit. Nous pensons publier le résultat de cette sorte de référendum dans les Revues juridiques ou économiques.
Nous vous en remercions à l’avance et nous vous prions de vouloir bien agréer, Monsieur et cher Collègue, l’expression de nos sentiments distingués.
Monsieur …………………………………………..
{Histoire du Droit
Section {Droit Privé
(I) {Droit Public
{Economie Politique
Faculté de Droit de …………………………………
Préfère le statu quo (avec toutes les possibilités de réforme qu’il laisse ouvertes) à la réforme des études de Droit telle qu’elle est envisagée par le projet de la Commission en date du 21 novembre 1952. (I)
Préfère au maintien du statu quo la mise en vigueur du projet de réforme envisagé par la Commission. (I)
Le ……………………………….. 1952
Signature :
OBSERVATIONS PERSONNELLES :
(I) Rayer les mentions inutiles.
A retourner avant le 15 Janvier 1953 à M. ………………………………
Annexe III
Poitiers, le 20 avril 1953.
23 rue de l’Hôtel-Dieu
Mon cher Collègue,
Le « referendum privé » sur le projet de réforme de la licence que sept de mes collègues poitevins et moi-même avions pris l’initiative de suggérer a – sous la forme que nous avions envisagée – quelque peu tourné court du fait de l’opposition que lui a manifestée le bureau de notre syndicat, qui semble en avoir redouté le résultat éventuel.
Je n’en ai pas moins l’agréable devoir d’exprimer mes remerciements à ceux qui ont bien voulu se charger de consulter leurs facultés ; à tous ceux qui m’ont fait parvenir une réponse et ont accepté de prendre nettement position – dans quelque sens que ce soit bien entendu ; - à tous ceux encore qui sans avoir jugé opportun de remplir la feuille de referendum qui leur était soumise, m’ont adressé des lettres suggestives et pleines d’intéressantes réflexions. Je regrette vivement de n’avoir pu encore trouver le temps de répondre personnellement à la plupart d’entre eux. Qu’ils veuillent bien m’en excuser et trouver ici, en attendant, une expression de mes remerciements.
Pour très partiels qu’ils aient été, les résultats de la consultation ne sont pas pour autant dénués de signification. A ceux qui ont bien voulu m’adresser leur réponse, comme à tous ceux qui s’intéressent à l’opinion de leurs collègues, je dois sans doute en rendre compte. Voici donc la liste, par facultés, des réponses reçues : (sous la forme de feuilles de referendum remplies et signées)
AIX en PROVENCE.
préfèrent le statu quo : MM. AUDINET, MACQUERON, Charles DURAND ;
préfèrent la réforme : MM. FABRE, G. MARCY, Jean LEBRET, E. BERTRAND.
ALGER.
préfèrent le statu quo (parfois avec les mentions « préfère encore le statu quo ou d’autres commentaires de ce genre) : MM. BERGET-VACHON, BOUSQUET, André BRETON, CHAVANNE, CHAUVEAU, GAFFIOT, LEMOSSE, MABILEAU, RODIERE, ROUSSIER, SAINT-GERMES, VIARD.
préfère la réforme : M. Jacques LAMBERT.
abstention : M. FREYRIA (« partisan d’une réforme nécessaire, mais différente de celle envisagée par le projet »).
CAEN.
préfèrent la réforme : MM. CARABIE, VILLERS.
DIJON.
préfère le statu quo : M. CHEVRIER.
LYON.
préfèrent le statu quo : MM. MURAT, TREVOUX.
PARIS.
abstention : M. LEDUC (« je désire la réforme de la réforme »).
POITIERS.
préfèrent le statu quo : MM. CARBONNIER, DESGRANGES, FILHOL, du GARREAU de la MECHENIE, HORNBOSTEL, JANEAU, L’HUILLIER, VILLEY.
préfère la réforme : M. WEILLER.
abstentions : MM. RIVERO, VOUIN, GARAUD, René SAVATIER, Jean SAVATIER. (Ces trois derniers n’ont pas signé la feuille de réponse.)
STRASBOURG.
préfèrent le statu quo : MM. BASTIAN (« à titre provisoire et avec nouveau projet de réforme), Michel VILLEY.
TOULOUSE.
préfère la réforme : M. SAINT-ALARY.
LE CAIRE.
préfère le statu quo : M. CHAMLEY.
RABAT.
préfèrent la réforme : MM. Maurice FLORY, Guy HERAUD, PAGE.
SARREBRUCK.
préfère le statu quo : M. André JOLY.
TUNIS.
préfère le statu quo : M. MALAURIE.
La lecture de nombreuses lettres m’a confirmé dans l’impression que j’avais au départ, et qui m’avait poussé à lancer ce « referendum ». Il semble qu’un très grand nombre de nos collègues – au moins une très forte minorité – soit hostile à la réforme, et s’il fallait absolument choisir lui préfèrerait décidément le statu quo, avec les virtualités de réformes différentes que celui-ci laisse ouvertes. Mais beaucoup sont retenus de manifester leur opinion, soit par des scrupules de discipline syndicale, soit par la crainte que le refus par nous d’une mauvaise réforme en provoque une plus mauvaise encore.
Si sincères et respectables que puissent être ces préoccupations, elles ne me paraissent pas justifier que nous laissions faire.
Notre syndicat a pour objet propre de défendre nos revendications professionnelles, c’est à dire les intérêts des enseignants. Quant aux intérêts de l’enseignement, il peut être opportun que parfois il s’en occupe, mais ils ne relèvent pas en principe de sa compétence, mais bien de celle des facultés. Celles-ci voient chaque jour amenuiser leur autonomie et réduire leurs prérogatives par l’administration centrale. Le syndicat doit les défendre, et non point empiéter lui aussi sur leur domaine propre.
Il n’y a pas de syndicat sans discipline, mais je ne pense pas que les vrais syndicalistes entendent celle-ci comme l’ont fait en l’occurrence beaucoup de nos collègues. Dans tout syndicat démocratique la minorité, soumise à la loi commune pour ce qui concerne les actes (grève par exemple), n’en conserve pas moins une totale liberté d’expression. Elle a le droit – et le devoir – d’essayer à tout moment de devenir majorité. Aucune discipline syndicale ne saurait retenir des professeurs de faire part à l’un de leurs collègues de leur opinion sur une question.
Enfin j’incline à croire que beaucoup de nos collègues ont éprouvé une crainte excessive des réactions possibles du ministère devant une éventuelle attitude négative de notre part. Certains fonctionnaires du ministère qui ont traité avec nos représentants syndicaux nourrissent peut-être des projets redoutables. Mais ce ne sont après tout que des fonctionnaires subalternes. De toute façon, les réformes qu’ils envisagent, demanderaient, pour être mises au point, beaucoup de temps, que nous pourrions utiliser pour organiser notre résistance – et pour élaborer un autre projet de réforme, conçu dans un autre esprit, et susceptible d’élever le niveau des études de droit. Au-dessus du « ministère » il y a le ministre, au-dessus du ministre, il y a le Parlement. Au-dessus peut-être même du Parlement il y a la pénurie de ressources budgétaires, la résistance des Finances à tout accroissement de dépenses, la ligue des contribuables, et beaucoup de forces d’inertie dont nous pouvons certes déplorer qu’elles aient pris dans notre pays un tel poids, mais qui sont en fait une composante essentielle du jeu politique français, et que nous pouvons et devons utiliser pour faire échouer le projet de réforme, si nous le jugeons nuisible à la mission de nos facultés. Beaucoup de chances demeurent que cette réforme soit encore différée, remise en question, finalement abandonnée. Ses adversaires ne doivent pas jouer perdant.
Quant à moi je persiste à penser que nous la devons combattre.
Elle impliquerait une inflation de professeurs qui ne peut qu’aggraver la dévalorisation matérielle et morale de notre fonction.
Elle comporte l’allongement des études de licence, et donc retarderait encore l’entrée dans la vie active de la majorité de nos étudiants : ceux dont la licence couronne les études. Dans les sociétés dynamiques, on ne fait pas ainsi piétiner les jeunes au seuil des responsabilités.
Elle comporte l’adjonction d’un cours semestriel par année d’études, alors qu’il me paraît manifeste que nos étudiants suivent déjà beaucoup trop de cours, au grave détriment de leurs lectures et de leurs travaux personnels.
Elle comporte une excessive division des matières enseignées, une vraie pulvérisation de nos programmes qui ne peut que scolariser et primariser les méthodes d’enseignement.
Elle serait probablement impraticable dans beaucoup de facultés dites « petites » et dont en réalité la dimension se rapproche sans doute le plus de l’optimum pour le rendement intellectuel. Ces facultés ne pourraient organiser toutes les licences prévues, du moins avec un nombre d’étudiants suffisant pour que joue d’émulation nécessaire. Elles subiraient de ce fait une grave capitis diminutio.
Tandis qu’elle allonge la durée des études de licence, c’est à dire l’étape de la formation de nos étudiants dans laquelle prédominent encore les méthodes les plus scolaires, elle aboutit forcément à réduire l’importance du doctorat, qui sans doute sera abrégé et en tous cas, connaître moins d’amateurs. Elle compromet ainsi les bienfaits du relèvement très sérieux des études de doctorat dont nous nous félicitons depuis quelques années.
Le projet de réforme ne s’attaque à aucun des vrais problèmes que pose l’organisation des études de droit : congestion de la Faculté de Droit de Paris, dispenses d’assiduité, cours polycopiés, écoles de droit, instituts de sciences politiques. Il ne fait en somme qu’appliquer aux facultés de droit les principes qui ont présidé à la réforme du baccalauréat en 1902 et qui en cinquante ans ont entraîné dans l’enseignement secondaire cette décadence que nous sommes unanimes à constater et à déplorer.
L’article de notre Collègue TIMBAL dans la Vie judiciaire, la lecture de beaucoup de vos lettres, mes chers Collègues, ont fortifié en moi cette opinion hostile au projet de réforme.
Ayans maintenant payé mon écot à la « résistance », je me rallierai désormais à toutes les initiatives que d’autres jugeront bon à prendre, et qui seront propres à retarder la mise en œuvre du projet, à en remettre en question les principes essentiels, à lui faire échec. Déjà la Faculté de Droit de Lyon a pris une délibération qui peut concourir à ce résultat. Je souhaite qu’elle rencontre les échos ; que partout nos facultés prennent leurs responsabilités, ne se laissent rien imposer par personne, assument leur mission qui comporte certes d’adapter sans cesse leur enseignement aux exigences du temps qui marche, mais bien dans la continuité et dans la fidélité aux traditions intellectuelles qui ont fait leur renommée et qui fondent leur prestige. Et que sans doute elles visent à relever l’esprit de l’enseignement et à en soutenir la qualité, plutôt qu’à en bouleverser les cadres et à en gonfler la matière.
Veuillez croire, mes chers collègues, à mes cordiaux sentiments.
Daniel VILLEY
Professeur à la Faculté de Droit de Poitiers
Annexe IV
Poitiers, le 21 Octobre 1953
Monsieur et Cher Collègue,
La réforme de la licence, telle qu’elle est proposée dans le projet de décret dont le texte vous a été communiqué, n’est nullement chose faite. M. le Ministre de l’Education Nationale, tenant compte des nombreuses objections qui ont été adressées à ce projet non seulement dans les facultés de Droit, mais aussi au dehors, et notamment dans les professions qui servent de débouchés à nos étudiants, a décidé de le soumettre à une nouvelle consultation des Assemblées.
Dans la réunion qu’il a tenue à Paris, le 14 Octobre dernier, le Syndicat Autonome du Personnel Enseignant des Facultés de Droit a pris une position favorable à la mise en vigueur du projet de décret. Ce vote, bien qu’il ait été acquis à une très forte majorité, ne saurait interdire la réflexion dans les Assemblées des Facultés. Il demeure extrêmement important que tous ceux qui jugent le projet mauvais fassent apparaître par leur vote que l’approbation des Facultés n’est pas elle-même totale, car leur sentiment sera un élément d’appréciation, parmi d’autres, dans une matière où, par delà l’opinion des spécialistes, c’est au gouvernement et au Parlement, seuls gardiens des intérêts généraux, qu’il appartient de décider.
Nous sommes, quant à nous, résolument opposés au projet, pour les raisons essentielles que voici :
1° Le projet allonge inutilement les études de licence.
Au moment le plus inopportun, il crée pour les familles et pour la Nation une lourde surcharge, sans aucune nécessité pédagogique évidente, car il ne s’agit que d’ajouter des spécialités aux cours de base déjà existants, en transportant dans l’enseignement supérieur cet esprit de dispersion dont nous voyons les ravages dans l’enseignement secondaire. Le but de la licence en Droit ne doit pas être de tout apprendre, mais d’acquérir une méthode, un mécanisme général, des réflexes, que l’on appliquera plus tard aux questions qui surgiront de la pratique. De fait, une année supplémentaire n’a été ajoutée que parce que l’on a voulu donner satisfaction à toutes les spécialités.
2° Le projet tue le doctorat, c’est-à-dire ce qui, dans les Facultés de Droit, représente le plus authentiquement l’enseignement supérieur. De l’aveu des promoteurs du projet, le doctorat serait pratiquement réservé, comme dans les Facultés de Lettres, à ceux qui se destineraient à l’enseignement. C’est méconnaître ce qu’à été jusqu’ici, très utilement pour la formation des cadres de la Nation, le doctorat en Droit.
3° Le projet blesse à mort un certain nombre de Facultés de province, où les trop nombreuses spécialités qu’il suppose ne pourront réunir chacune qu’un nombre infime d’étudiants. Or, ce sont justement ces Facultés qui, par leur effectif, correspondaient à l’optimum de dimension de l’enseignement supérieur.
4° Le projet masque les véritables réformes à faire. Loin de s’attaquer aux abus existants (trop grand nombre d’étudiants médiocres, absentéisme), il les multiplie par 4/3. Au désordre actuel des Facultés pléthoriques, s’ajoutera l’inévitable désordre inhérent à la mise en vigueur d’un système dont la complication saute aux yeux, et dont les ambitions sont sans commune mesure avec les moyens matériels dont nous disposons actuellement.
Il est faux de prétendre que, si le projet actuellement présenté est repoussé, aucune réforme des Facultés de Droit ne sera plus possible. C’est l’inverse qui est plutôt vrai : la mise en vigueur du projet signifierait l’ajournement des véritables réformes, qui ne sont pas principalement des réformes de programmes. Il n’est pas moins téméraire d’affirmer que si cette réforme-là n’avait pas lieu, une autre réforme plus mauvaise pourrait nous être imposée : l’avenir sera ce que nous aurons le courage de le faire, et si la réforme est mauvaise à nos yeux, nous n’avons qu’un devoir : c’est d’en promouvoir une autre qui soit bonne.
Si vous partagez ces vues, nous vous recommandons :
1° De répondre NON à la question d’ensemble : êtes-vous partisan de la mise en vigueur du projet de décret ? en vous priant de faire enregistrer au procès-verbal et de faire figurer dans la réponse adressée au Ministre le nombre des oui et des non pour l’ensemble de la Faculté et distinctement pour chacune de nos quatre sections (Histoire – Droit privé – Droit public – Economie politique).
2° De donner aux questionnaires de M. le Ministre les réponses qu’il appelle dans l’esprit général de votre position de principe. Pour notre part, nous pensons qu’il faut envisager une réforme des études de licence. Mais que cette réforme pourrait avoir lieu dans le cadre des 3 ans actuels, avec une spécialisation non rigide en 3è année. Le reste est de détail. Mais ces réponses sont demandées aux Facultés par l’autorité supérieure, et il nous apparaîtrait anarchique que le Syndicat interdit de les fournir.
3° De formuler selon un plan librement choisi, ainsi que le demande dans sa circulaire d’envoi M. le Directeur de l’Enseignement Supérieur, les observations que peut vous suggérer votre expérience.
Veuillez agréer, Monsieur et Cher Collègue, l’expression de nos sentiments très sympathiques.
Jean CARBONNIER
Daniel VILLEY
P.S. A cette occasion, nous pensons proposer à la Faculté de Droit de Poitiers de demander au Ministère que, dès cette année, soient institués en troisième année de licence, à titre de matières option, dans toutes les Facultés où la chose n’existe pas encore :
1 ° un semestre de Droit public général,
2° un enseignement annuel d’Economie politique valant deux options.
Cette réforme, immédiatement réalisable par voie de simples arrêtés, ferait déjà disparaître, sans bouleversement inutile, un des défauts du système actuel, sur lesquels tout le monde est d’accord : la rupture, en 3è année, du contact des élèves avec le Droit public et l’Economie politique.
Annexe V
Poitiers, le 18 novembre 1953
Assemblée de la Faculté de Droit
I
Séance du 18 novembre 1953
Avis de la Faculté sur le projet de réforme de la licence en droit tel qu’il a été adopté par le Conseil de l’Enseignement Supérieur et par le Conseil Supérieur de l’Education Nationale, sur proposition de la Commission de réforme des études de Droit.
Votants……………………………………. 14
pour le projet……………………… 5
contre le projet…………………… 9
Poitiers, le 18 novembre 1953
Assemblée de la Faculté de Droit
II
Séance du 18 novembre 1953
Réponses au questionnaire annexé à la circulaire du 15 Octobre 1953 concernant le projet de réforme de la licence en droit.
1 – Faut-il envisager une réforme des études de licence en droit ?
Oui, à l’unanimité.
2 – Dans l’affirmative, cette réforme doit-elle tendre à la création d’une licence comportant trois mentions différentes : Droit privé, Droit public et Science politique, économie politique ?
Non………………………………8 voix
Oui……………………………….4 voix
Abstentions………………………2
3 – Quelle doit être la durée des études de licence ?
3 ans……………………………...9 voix
4 ans……………………………...3 voix
Abstentions………………………2
4 – A quel moment doit commencer la spécialisation ?
9 voix déclarent la question sans objet en raison de la réponse donnée par la Faculté
à la question n° 2 (hostilité à la spécialisation).
5 voix se rallient à la solution du projet de décret (3ème année).
5 – Convient-il de modifier le régime des travaux pratiques afin de donner une importance plus grande à l’enseignement pratique ?
8 voix considèrent qu’il n’y a lieu de le faire dans un texte organique, le régime actuel permettant déjà aux Facultés, à leur libre appréciation, de donner à l’enseignement pratique l’importance souhaitable, dès lors qu’elles ont les ressources nécessaires en personnel, locaux et crédits.
5 voix se prononcent pour une modification.
1 abstention.
6 – Convient-il de rendre les travaux pratiques absolument obligatoires, sauf à prévoir des modalités de fréquentation ou des travaux par correspondance pour certaines catégories d’étudiants ?
Non…………………………….9 voix
Oui……………………………..3 voix
Abstentions…………………….2
7 – Convient-il d’instituer à chaque examen écrit une épreuve propre à sanctionner l’enseignement pratique ?
Non, à l’unanimité.
(Etant entendu que, déjà, dans le régime actuel, la valeur des travaux pratiques peut être prise en considération dans les examens).
8 – Convient-il de laisser aux étudiants le choix des matières sur lesquelles ils suivront l’enseignement pratique et subiront les épreuves écrites ?
Choix des travaux pratiques :
- Pour la liberté des étudiants (et en raison de la réponse déjà donnée à la question 6)…………………………..……9 voix
- Contre…………………………………..4 voix
Choix des matières d’écrit :
- Pour le libre choix des étudiants……….3 voix
- Pour le tirage au sort………….………..9 voix
OBSERVATION COMMUNE A TOUTES LES QUESTIONS INTERESSANT LES TRAVAUX PRATIQUES :
La Faculté à l’unanimité tient à faire observer que, dans des Facultés telles que celle de Poitiers, précisément parce qu’elles ont les dimensions correspondant à l’optimum de l’enseignement supérieur, les étudiants, sous le régime actuel, participent à plus de travaux pratiques (4 à 5 heures hebdomadaires pour chacun d’eux) qu’il n’en est prévu dans le projet de réforme ; et que, de ce point de vue, le projet constituerait pour ces Facultés une régression.
9 – Doit-il être délivré, pour chaque spécialité, un diplôme particulier ou doit-il être délivré un diplôme unique portant seulement la mention de la spécialité, les administrations ou entreprises ayant à déterminer la mention qu’elles exigent ?
- Pour la délivrance d’un diplôme unique……………2 voix
- Pour la délivrance de diplômes particuliers (avec la signification d’une hostilité
totale à la polyvalence)……………………………..9 voix
- Abstention………………………………………….1
Poitiers, le 18 novembre 1953
Assemblée de la Faculté de Droit
III
Séance du 18 novembre 1953
Observations générales sur la réforme du régime de la licence en droit.
La Faculté, par 9 voix, 5 membres de l’Assemblée déclarant n’y avoir lieu pour eux de se prononcer en raison de la position qu’ils ont déjà prise sur le principe même de la réforme, a formulé les observations suivantes :
Une réforme rationnelle du régime de la licence devrait partir d’un certain nombre de postulats inverses de ceux qui ont été suivis dans le projet présenté :
1° - que le licencié en droit ne doit pas être conçu comme quelqu’un qui connaît tout le droit ou toute l’économie politique, mais comme quelqu’un qui a acquis les mécanismes élémentaires pour appliquer son esprit aux problèmes juridiques ou économiques.
2° - que l’enseignement de Faculté doit avoir pour but de guider le travail personnel et non de le remplacer, et qu’il convient, partant, dans une réforme des études de ne pas augmenter le nombre des cours.
3° - qu’il faut faire confiance à la liberté qui a été jusqu’ici l’apanage des professeurs de l’enseignement supérieur dans l’aménagement de leur enseignement, et qu’il ne faut pas diminuer cette liberté par une spécification exagérée des matières.
4° - que, si l’évolution économique et sociale a fait monter certaines matières nouvelles (par ex. le droit social), elle a, dans toutes les disciplines, diminué l’importance de certaines matières ou questions (ex. le droit des hypothèques ou du contrat de mariage en droit civil) ; et que, dans un réaménagement des programmes, il serait nécessaire de rechercher ce qui peut être supprimé ou réduit avant que de se demander ce qui doit être étendu ou créé.
5° - que le mal essentiel, qui tend à abaisser le niveau de l’enseignement des Facultés de droit, est la présence d’un trop grand nombre d’étudiants médiocres, qui n’ont, en tous cas, rien de ce qu’il faut pour réussir dans les disciplines juridiques ou économiques ; que le résultat de l’examen de 1ère année vient trop tard pour détourner ces étudiants de la route où ils se sont égarés ; que la réforme capitale des études de licence devrait être une réforme d’accès et d’orientation, que le baccalauréat actuel n’y suffit pas, pouvant être obtenu par la conjonction de notes remportées dans les matières sans signification pour l’aptitude aux études juridiques et économiques ;
Que, dans ces conditions, il conviendrait d’instituer, à l’entrée de la licence en droit, un examen (en une ou deux épreuves) propre à éliminer les candidats qui ne justifient pas d’un minimum de connaissances de français et d’histoire, non plus que des mécanismes logiques élémentaires – examen dont pourraient être dispensés ceux qui ont obtenu une mention au baccalauréat, ainsi que, bien entendu, les licenciés ès-lettres ou ès-sciences.
Poitiers, le 18 novembre 1953
Assemblée de la Faculté de Droit
IV
Séance du 18 novembre 1953
L’Assemblée de la Faculté, réunie pour délibérer sur le projet de réforme de la licence, a adopté par 10 voix, 4 abstentions étant déclarées, le vœu suivant :
Considérant que l’un des défauts incontestables du régime actuel de la licence en droit est la rupture en troisième année du contact des étudiants avec l’économie politique et même (sous réserve du cours de droit international public) avec le droit public ;
Considérant que ce défaut pourrait facilement être supprimé par voie d’arrêtés ;
Emet le vœu que, si Monsieur le Ministre de l’Education Nationale ne croyait pas devoir mettre en application le projet de réforme de la licence, il fût, à titre de réforme d’attente, institué comme matières à option de troisième année, dans toutes les Facultés où la chose n’existe pas encore et notamment à la Faculté de Droit de Poitiers :
1° - Un semestre de droit public général,
2° - Un enseignement annuel d’économie politique valant deux options.
Notes
1 Jean Carbonnier est doyen du 21 novembre 1950 au 31 mai 1954.
2 Le système d’enseignement du droit en France, Lyon, P. U. de Lyon, 1987, p. 152. On ne trouve pas davantage d’informations sur l’examen institutionnel du projet élaboré par la commission de réforme dans son article « Tradition et modernité dans l’enseignement du droit : la réforme de la licence en droit du 27 mars 1954 » in Annales d’histoire des facultés de droit, 1986, n° 3, pp. 117-135. L’article de M. Miaille, « Sur l’enseignement des facultés de droit en France (Les réformes de 1905, 1922 et 1954) » in Procès, n° 3, 1979, pp. 78-107, s’en tient à des considérations générales.
3 Je tiens à remercier ici M. David Gilles, docteur en droit et ATER à la Faculté de Poitiers, qui a opéré un premier tri dans ces papiers. J’ai ensuite achevé le classement des documents relatifs à la réforme de la licence.
4 Réponse du directeur général de l’enseignement supérieur du 2 juillet 1951, transmise par le recteur le 3.
5 Extrait des délibérations de l’assemblée de la faculté de droit de Poitiers du 1er juin 1951, transmis au recteur le 2 juin 1951.
6 Une note manuscrite de Jean Carbonnier laisse penser que Janeau et Jean Savatier siégèrent également dans la commission.
7 Lettre de D. Villey à J. Carbonnier du 19 juin 1951.
8 Avis de l’assemblée de la faculté de droit de Poitiers, adressé au ministre le 28 juin 1951.
9 Pierre Timbal développera des objections analogues dans La vie judiciaire, n° 356, 2-7 février 1953, pp. 1-2.
10 Il a pris la suite, en 1948, de l’Association des membres des facultés de droit et représente 95 % de la profession, cf. J. Gatti Montain, op. cit., p. 151.
11 La lettre n’est pas signée, mais les corrections manuscrites sont bien de Villey.
12 Une lettre du 6 décembre, en tous points identique à celle du 15, en constitue sans doute le brouillon.
13 Dans la lettre ronéotypée du 20 avril 1953, il associe à sa démarche plusieurs collègues poitevins (« le référendum privé… que sept de mes collègues poitevins et moi-même avions pris l’initiative de suggérer… »).
14 Notamment dans une note non datée ni signée qui figure dans les papiers du décanat Carbonnier.
15 Ils conçoivent un référendum à trois branches : oui, non, une autre réforme.
16 Jean Carbonnier, Eugène Desgranges, René Filhol, Jean du Garreau de la Méchenie, Henry Hornbostel, Hubert Janeau, Jean L’Huillier, Daniel Villey.
17 Jean Weiller.
18 Jean Rivero, Robert Vouin, Marcel Garaud, René Savatier, Jean Savatier. Les archives de la faculté contiennent le double d’une lettre de René Savatier, datée du 15 avril 1953 et adressée à Georges Vedel, demandant une « pause » dans la préparation du projet de réforme.
19 Le détail par section tel qu’établi par Carbonnier est le suivant (avec entre parenthèses notre reconstitution des opinions sur la base des résultats du référendum Villey et compte tenu de la composition des sections. Les abstentionnistes ont pour l’essentiel basculé dans le camp de la réforme, à l’exception de l’historien du droit M. Garaud) :
20 Le 25 avril 1953, le Directeur général de l’enseignement supérieur avait sollicité les doyens sur le projet de réforme de l’enseignement du second degré et du baccalauréat. Carbonnier y avait répondu le 16 mai : une partie de ses vues se retrouve dans l’avis de la Faculté.
21 J. Gatti-Montain, article cité, p. 121.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Éric GOJOSSO
Doyen de la Faculté de droit et des sciences sociales